CHAPITRE II - De la protection des lanceurs d'alerte

Article 6 A - Définition du lanceur d'alerte

L'article 6 A du projet de loi est issu de l'adoption, en commission et en séance publique, d'une série d'amendements de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, visant à créer un statut général des lanceurs d'alerte.

1. La nécessité d'une législation générale relative à l'alerte éthique

Les articles du présent chapitre s'inspirent librement des conclusions du rapport du Conseil d'État « Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », adopté le 25 avril 2016 par l'assemblée générale plénière du Conseil d'État.

Tout en rappelant que la France dispose d'ores et déjà de divers mécanismes de signalement, le rapport recommande notamment la définition d'un socle commun de dispositions relatives aux lanceurs d'alerte afin de mieux définir son intérêt, son articulation par rapport aux autres instruments de droit commun permettant de dénoncer un fait illicite et de « responsabiliser les administrations et les entreprises en leur faisant prendre conscience de ce qu'une alerte peut révéler l'existence de dysfonctionnements graves qu'il leur appartient de corriger ».

Votre rapporteur fait siennes ces conclusions. Si des protections spécifiques existent d'ores et déjà, il convient de préciser les canaux de signalement afin que l'alerte devienne une procédure accessible et structurée.

2. Pour une protection des lanceurs d'alerte plutôt que la définition d'un statut de lanceur d'alerte

Le projet de loi définit le lanceur d'alerte comme une personne qui, « dans l'intérêt général et de bonne foi » révèle un crime ou un délit, un manquement « grave » à la loi ou au règlement ou des faits présentant « des risques ou des préjudices graves » pour l'environnement, la santé publique ou la sécurité publique, ou en témoigne. Ce droit s'exerce « sans espoir d'avantage propre ni volonté de nuire à autrui ».

Les dispositifs existants spécifiques de signalement éthique

Fondement légal

Faits dénoncés

Destinataire de l'alerte

Articles L. 1161-1 du code du travail et 40-6 du code de procédure pénale

Faits de corruption

Service central de prévention de la corruption

Article L. 5312-4-2 du code
de la santé publique

Sécurité des produits de santé

Employeur, autorités judiciaires ou administratives

Article L. 1351-1 du code
de la santé publique

Risque causé à la santé publique ou à l'environnement

Employeur, autorités judiciaires ou administratives

Article 25 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence
de la vie publique

Conflits d'intérêts

Employeur, autorité chargée de la déontologie, association de lutte contre la corruption agréée, autorités judiciaires ou administratives

Articles L. 1132-3-3 du code
du travail et 6 ter A de la loi
du 13 juillet 1983

Crimes et délits

NC

Article L. 861-3 du code
de la sécurité intérieure

Violation manifeste des dispositions relatives aux techniques de recueil de renseignement soumises à autorisation

Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Source : commission des lois du Sénat

Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, le présent article vise à établir les critères « permettant de prétendre au statut de lanceur d'alerte » et, selon le texte adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale avant d'être réécrit en séance publique, insiste sur « le droit de communiquer ».

Votre rapporteur conteste cette approche de la procédure d'alerte. Celle-ci doit avant tout être considérée comme un instrument au service de l'intérêt général. Nombre de signalements ou de dénonciations sont réalisés chaque année, sans qu'il soit nécessaire de les qualifier d'alerte. Nombre de victimes portent plainte pour des faits permettant d'exposer des pratiques illicites sans qu'il soit pertinent de leur attribuer un « statut » ou un brevet de lanceur d'alerte.

La nécessité du législateur à intervenir sur cette question tient à deux raisons principales. D'une part, un certain nombre de secrets sont protégés par la loi et la violation de ceux-ci expose leurs auteurs à des poursuites pénales. D'autre part, les personnes qui signalent de graves dysfonctionnements internes, qui peuvent ne pas être illicites, s'exposent à des représailles dans le cadre professionnel.

Les principales infractions sanctionnant la violation d'un secret protégé par la loi


Article 226-13 du code pénal : La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.


Article 413-10 du code pénal : Est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ou permanente, d'un procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit d'en donner l'accès à une personne non qualifiée ou de le porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée.

Est puni des mêmes peines le fait, par la personne dépositaire, d'avoir laissé accéder à, détruire, détourner, soustraire, reproduire ou divulguer le procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier visé à l'alinéa précédent.

Lorsque la personne dépositaire a agi par imprudence ou négligence, l'infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Or, afin d'encourager au signalement de situations contraires à l'intérêt général, il appartient au législateur de prévoir une exception à ces infractions pénales et une protection des salariés et agents publics contre tout risque de représailles.

Votre rapporteur considère ainsi, et à l'instar du Conseil d'État, que le lanceur d'alerte est avant tout « un aiguillon utile » , un « citoyen vigilant » et donc une personne physique . Il n'est pas un journaliste ou toute autre profession dont l'activité régulière est d'alerter ou de faire connaître des comportements répréhensibles, ne serait-ce que sur le plan de la morale. De même, le lanceur d'alerte ne doit pas être confondu avec une victime , même s'il peut être victime de discriminations ou de mesures de représailles à raison de son alerte. Il demeure qu'il ne doit pas être affecté par le trouble qu'il dénonce, auquel cas il lui appartient de déposer plainte. De même, le lanceur d'alerte n'est pas un témoin appelé à comparaître devant une juridiction ou interrogé dans le cadre d'une enquête. Enfin, le lanceur d'alerte n'est pas un agent public dénonçant des faits dont il a connaissance, par son métier, et qu'il lui appartient, par son métier, de réprimer. Le dispositif de lanceur d'alerte est dès lors clairement distinct de l'obligation de l'article 40 du code de procédure pénale qui offre une voie habituelle d'information de l'autorité judiciaire de faits répréhensibles.

L'alinéa 2 de l'article 40 du code de procédure pénale

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonction s, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs

3. Le champ possible de l'alerte : une nécessaire articulation du champ de l'alerte éthique de droit commun avec les dispositifs sectoriels

Le présent article distingue trois grandes catégories pouvant faire l'objet d'une « révélation », sans que celle-ci ne soit définie par rapport au « signalement » ou à la « divulgation ».

En premier lieu, il retient la possibilité de dénoncer des crimes et des délits . Ce critère s'inspire des dispositions insérées par la loi du 6 décembre 2013 et semble être un critère suffisamment objectif. Néanmoins, comme l'ont relevé certaines personnes entendues par votre rapporteur, le champ vaste des délits peut être considéré comme trop élargi. Votre rapporteur remarque que n'est pas précisée la provenance de l'information que révèle le lanceur d'alerte. Or il apparaît nécessaire de préciser qu'il s'agit des faits « dont il a eu connaissance personnellement » pour marquer deux critères : d'une part, la « connaissance » du fait, et non sa déduction ou sa supputation, d'autre part, pour éviter des lanceurs d'alerte « par procuration », répétant des informations déjà divulguées.

Le second critère retenu par l'Assemblée nationale est celui du manquement grave à la loi ou au règlement. Ce critère est particulièrement large et permet de couvrir un large champ de comportements, que les seuls délits et les crimes. En effet, nombre de comportements proscrits par la loi ne sont pas nécessairement sanctionnés pénalement. Si votre rapporteur estime légitime d'étendre le champ de protection des lanceurs d'alerte au-delà des seules infractions pénales, il estime nécessaire de restreindre ce champ aux seuls manquements manifestement établis : aussi propose-t-il de préférer le terme de « violation manifeste de la loi ou du règlement ».

Enfin, l'Assemblée nationale a retenu un dernier critère concernant tous les « faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement ou pour la santé ou la sécurité publique ». Votre rapporteur s'étonne de l'imprécision de cette définition d'où dépend, néanmoins, une immunité pénale, des sanctions pénales encourues pour les personnes visées et des préjudices graves de réputation en cas de fausse alerte, même lancée de bonne foi. Serait-ce à dire qu'un fonctionnaire de la préfecture de police, estimant que la sécurité d'un grand événement sportif n'est pas suffisamment assurée, pourrait révéler des informations professionnelles à l'instar du nombre et de l'organisation des policiers déployés ? Votre rapporteur considère que le préjudice potentiel d'une telle révélation est trop grand pour l'inclure dans le régime général de la protection des alertes éthiques.

Néanmoins, votre rapporteur comprend le souhait des députés de prévoir des dispositifs concernant les risques encourus et les dommages constatés dans le domaine de la santé et de l'environnement. L'alerte dans ces domaines précis est d'ores et déjà organisée selon une procédure propre définie dans la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.

Or, de l'avis même du Conseil d'État, il apparaît nécessaire de maintenir, en sus du cadre général, des dispositions sectorielles . En effet, il serait paradoxal au prétexte d'englober les dispositions spécifiques aux lanceurs d'alerte en matière de renseignement, par exemple, de créer une nouvelle catégorie de faits « en matière de sécurité publique », déstabilisant gravement l'organisation des forces publiques. Au-delà du dispositif-socle, il est nécessaire dans certains domaines, de maintenir une alerte concernant potentiellement tout risque contraire à l'intérêt général, qui resterait néanmoins encadrée dans une procédure spécifique, à l'instar de celle assurée par la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement ou la Commission nationale de recueil des techniques de renseignement.

4. La définition de secrets absolument protégés

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement inscrivant dans la définition du lanceur d'alerte le caractère absolu de trois secrets : le secret de la défense nationale, le secret médical et le secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client. Votre rapporteur considère que ces dispositions auraient davantage leur place dans la définition du régime et renvoie aux dispositions de l'article 6 B.

5. La définition retenue par votre commission

Votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur COM-148 rectifié de rédaction globale du présent article.

Par cohérence avec la définition de la procédure de signalement de l'article 6 C, il retient la notion de « signalement », plutôt que celle de révélation, qui peut indiquer une divulgation au public, et celle de témoignage, qui entraîne une confusion avec les témoins au cours d'une enquête pénale, qui bénéficient de protections propres.

Il vise également à préciser la qualité de la personne physique « lanceur d'alerte » afin de ne pas engendrer de confusion avec les victimes, les journalistes ou les témoins.

Il retient deux champs de l'alerte (les crimes et les délits ainsi que les violations graves et manifestes à la loi ou au règlement) tout en exigeant des éléments probants suffisants (en l'espèce, la connaissance personnelle des faits).

Enfin, à la suite des débats en commission, il rappelle la mise en jeu de la responsabilité civile et pénale d'une personne faisant un signalement abusif sur le fondement respectif de l'article 1382 du code civil et l'article 226-10 du code pénal, qui réprime la dénonciation calomnieuse.

Votre commission a adopté l'article 6 A ainsi modifié.

Article 6 B (art. 122-9 [nouveau] du code pénal) - Irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte

Issu de l'adoption d'un amendement, en commission, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 B du projet de loi vise à exonérer de responsabilité pénale les lanceurs d'alerte.

En effet, un certain nombre d'infractions sont susceptibles de concerner des personnes dénonçant des faits répréhensibles, mais protégés par la loi. Le coeur du dispositif de protection des lanceurs d'alerte réside donc dans cette irresponsabilité pénale.

Le dispositif proposé par la commission des lois, amendé en séance publique par le Gouvernement, précise que la divulgation doit être « nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause », reprenant ainsi les termes de l'état de nécessité défini à l'article 122-7 du code pénal.

Il prévoit également, par renvoi à l'article 6 A, qu'aucune alerte ne peut exonérer les violations du secret de la défense nationale, le secret médical et le secret des relations entre un avocat et son client.

Votre rapporteur approuve l'esprit de cet article tout en estimant nécessaire de préciser que l'irresponsabilité pénale en cas de divulgation portant atteinte à un secret protégé par la loi est conditionnée au respect de la procédure de signalement appropriée. Par ailleurs, votre rapporteur s'étonne que cette disposition fasse référence à une qualité a priori de lanceur d'alerte alors même qu'il appartient à l'autorité judiciaire de déterminer l'application ou non de cette irresponsabilité. Enfin, pour répondre aux objectifs à valeur constitutionnelle de clarté de la loi, votre rapporteur propose d'inscrire cette cause d'irresponsabilité pénale dans le chapitre approprié du code pénal, par la création d'un nouvel article 122-9.

Concernant les secrets absolument protégés, votre rapporteur constate qu'il n'existe qu'un secret ayant une valeur constitutionnelle 29 ( * ) , à savoir le secret de la défense nationale. De plus, votre rapporteur ne souhaite pas inscrire dans le socle commun une énumération de l'ensemble des secrets absolument protégés par la loi. À cet égard, il note que le secret médical et le secret des avocats connaissent tous deux des tempéraments : l'article 226-14 du code pénal autorise la violation du secret médical pour dénoncer des faits d'atteintes sexuelles, de violences physiques, sexuelles ou psychiques, ou d'un comportement « dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui » ; l'article 56-1 du code de procédure pénale autorise quant à lui les perquisitions au domicile ou au cabinet d'un avocat.

Votre rapporteur suggère dès lors de considérer que la cause d'irresponsabilité pénale des lanceurs d'alerte n'est pas applicable en cas de violation d'un secret punie d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans d'emprisonnement.

Votre commission a adopté en conséquence l' amendement COM-149 de rédaction globale de votre rapporteur.

Votre commission a adopté l'article 6 B ainsi modifié.

Article 6 C - Procédure de signalement des alertes éthiques

Issu de l'adoption d'un amendement, en commission, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 C du projet de loi vise à prévoir une gradation des canaux de signalement d'une alerte éthique ainsi qu'une obligation pour les administrations et les entreprises de prévoir des procédures internes de signalement.

1. Une procédure de signalement graduée pour éviter l'insécurité juridique du lanceur d'alerte

Selon le dispositif voté par l'Assemblée nationale, le « lanceur d'alerte » devrait d'abord s'adresser à une « personne de confiance désignée par l'employeur », étant précisé que toute personne morale publique ou privée d'au moins 50 salariés, toute administration et toute collectivité territoriale, incluant les communes de plus de 10 000 habitants et leurs établissements publics, serait tenue de mettre en place en son sein un dispositif de recueil des alertes.

À défaut de dispositif spécifique, le lanceur d'alerte devrait s'adresser à son supérieur hiérarchique ou son employeur. En l'absence de « suite (...) dans un délai raisonnable », il pourrait s'adresser, au choix, à l'autorité administrative ou judiciaire, au Défenseur des droits, mais aussi aux instances représentatives du personnel ou encore à une association déclarée depuis plus de cinq ans, sans que soit précisée la mission de chacune de ces instances en cas d'alerte.

S'il n'y a toujours pas de « prise en compte » de l'alerte, celle-ci peut être rendue publique par son auteur, c'est-à-dire communiquée à la presse. Le texte ajoute que l'alerte peut également être rendue publique « en cas d'urgence », sans davantage de précision.

Ces dispositions soulèvent un grand nombre d'interrogations : quelle est la signification de l'absence de prise en compte au regard du principe du silence de l'administration valant acceptation ? Qui appréciera l'urgence ? Quelle est la mission des instances de second recours ? Quelle sanction au non-respect de la procédure ?

Votre rapporteur regrette l'imprécision de la procédure votée par l'Assemblée nationale, qui ne semble pas contraignante et qui serait susceptible de « ruiner toute protection légale des secrets 30 ( * ) ». De plus, la procédure ainsi rédigée pourrait être l'objet d'un risque de chantage à la révélation de secrets protégés.

En premier lieu, votre rapporteur remarque, à l'instar du Défenseur des droits entendu lors d'une audition, que le positionnement du Défenseur des droits apparaît inapproprié. Les associations ou les représentants du personnel n'ont ni le statut, ni les prérogatives du Défenseur des droits. De plus, contrairement aux conclusions du rapport du Conseil d'État (« la création d'une autorité centrale en charge du traitement de l'alerte n'apparaît pas nécessaire ni même souhaitable 31 ( * ) »), le présent article tend à instituer le Défenseur des droits en une autorité de vérification de la véracité de l'alerte. Il apparaît cependant plus opportun d'en faire un « portail », « instance chargée de rediriger, de manière résiduelle, les alertes émises par des personnes ne sachant pas à quelle autorité s'adresser ». Le Défenseur des droits interviendrait alors en appui et en autorité de conseil conformément à son rôle actuel où il reçoit des plaintes de citoyen, de manière parallèle au circuit judiciaire. Dans cette configuration, il ne se prononcerait pas sur le caractère fondé de l'alerte mais orienterait vers les instances compétentes, que ce soit l'agence de prévention de la corruption, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), ou encore l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

De même, les instances de représentants du personnel ou les associations de lutte contre la corruption agréées à ester en justice ne semblent pas pertinentes dans le mécanisme de signalement puisqu'elles ne disposent d'aucune prérogative pour s'assurer du bien-fondé de l'alerte ou de protection du lanceur d'alerte. Leur rôle est néanmoins utile dans l'hypothèse d'une action en justice ou d'une mesure de représailles dans le cadre professionnel dirigée contre le lanceur d'alerte.

Sur la procédure de signalement graduée, il apparaît nécessaire à votre rapporteur de la rendre contraignante et de distinguer trois étapes : le premier signalement doit être porté à un supérieur hiérarchique , même indirect, ou en cas de raisons plausibles de soupçonner une implication de la hiérarchie, de recourir à un canal interne de traitement des alertes. En cas d'absence de canal interne, la personne pourrait directement communiquer avec les autorités externes aptes à traiter des faits reprochés (les autorités administratives, les ordres professionnels et l'autorité judiciaire). La divulgation au public ne devrait intervenir qu'en dernier ressort , en cas d'urgence et d'impossibilité absolue de faire cesser le fait dommageable à l'intérêt général. Il est apparu nécessaire à votre rapporteur d'inscrire dans la loi les critères que le juge doit prendre en compte pour déterminer la légitimité de la divulgation, à savoir l'intérêt prépondérant du public à connaître de cette information, l'authenticité de cette information, les risques de dommage causés par cette publicité ainsi que la motivation de la personne révélant l'information. Inspiré par la recommandation du 30 avril 2014 du conseil des ministres du conseil de l'Europe selon laquelle « le fait que le lanceur d'alerte ait révélé des informations au public sans avoir eu recours au système de signalement interne mis en place par l'employeur peut être pris en considération lorsqu'il s'agit de décider (...) du niveau de protection à accorder au lanceur d'alerte », votre rapporteur a estimé nécessaire de déduire du non-respect de la procédure de signalement l'absence de bonne foi d'une personne signalant un fait dommageable à l'intérêt général.

2. L'obligation d'instaurer des procédures internes de signalement

Votre rapporteur regrette également l'imprécision des termes retenus par l'Assemblée nationale concernant l'instauration de procédures internes de signalement d'alertes éthiques.

Alors que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté l'obligation pour les entreprises d'au moins cinquante salariés, les communes de plus de 3 500 habitants et leurs établissements publics, les départements et les régions de mettre en place des procédures internes appropriées permettant de recueillir les alertes, le rapporteur est revenu, en séance publique, sur cette rédaction et le seuil pour les communes a été relevé de 3 500 à 10 000 habitants.

Cette rédaction interroge néanmoins sur le champ de cette obligation puisque la rédaction adoptée en séance publique permettrait à un décret en Conseil d'État de fixer les conditions dans lesquelles les personnes morales, les administrations de l'État et les établissements publics pourraient être dispensés de cette obligation.

Votre rapporteur relève qu'il est peu commun de prévoir une habilitation du pouvoir réglementaire à déroger à une obligation fixée par la loi. Au surplus, votre rapporteur insiste sur le fait que l'intérêt principal de la présente loi réside dans la définition d'un cadre clair de l'alerte éthique destinée à rassurer les citoyens susceptibles d'être concernés qui hésiteraient à dénoncer des faits. Aussi est-il contre-productif de prévoir des obligations théoriques, au-delà de l'effet d'affichage de la loi, qui ne permettront pas une protection effective des citoyens.

En conséquence, votre rapporteur a estimé nécessaire de maintenir une obligation sans dérogation possible pour les administrations et les collectivités territoriales, au regard de l'intérêt du public à disposer de telles alertes. En revanche, comme le recommandait l'étude du Conseil d'État, il estime nécessaire pour les entreprises de recourir au droit souple , et notamment aux guides de bonnes pratiques, pour les inciter à mettre en place des dispositifs d'alerte internes et spécifiques. Les entreprises seront d'autant incitées à mettre en place ces dispositifs qu'ils permettront d'éviter une saisine anticipée des autorités administratives. Votre commission des lois a adopté l' amendement de votre rapporteur COM-150 de rédaction globale de l'article.

Votre commission a adopté l'article 6 C ainsi modifié .

Article 6 D - Confidentialité des données d'une alerte éthique

Issu de l'adoption d'un amendement, en commission, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 D du projet de loi vise à organiser la protection de la confidentialité des éléments de nature à identifier le lanceur d'alerte ainsi que la personne physique mise en cause. Cette dernière ne serait plus protégée « une fois établi le caractère fondé de l'alerte ». La révélation d'éléments de nature à identifier les personnes en cause serait punie d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 50 000 euros d'amende.

Votre rapporteur approuve cette garantie de stricte confidentialité de l'identité des personnes concernées. Cette disposition ne traduit néanmoins que partiellement la proposition n° 5 du rapport du Conseil d'État : « instaurer et garantir la stricte confidentialité de l'identité des auteurs de l'alerte ainsi que, avant que le bien-fondé de l'alerte soit confirmé, des personnes qu'elle vise et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires, internes et externes, de l'alerte» . Dès lors, votre rapporteur propose de protéger également les informations recueillies par les destinataires de l'alerte.

De plus, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont souligné l'ambiguïté des termes suivants : « qu'une fois établi le caractère fondé de l'alerte », qui semblent sous-entendre que le juge apprécierait le caractère fondé de l'alerte. À l'initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-151 de clarification, garantissant la confidentialité de la personne visée jusqu'à son renvoi devant une juridiction de jugement et visant à réduire l'amende de 50 000 à 30 000 euros afin de respecter l'échelle des peines et le principe constitutionnel de nécessité des peines.

Votre commission a également adopté trois amendements identiques COM-1, COM-60, COM-97 respectivement de nos collègues Gérard César, Jean Bizet et Joël Labbé, visant à ne pas restreindre la protection de la confidentialité de la personne visée aux seules personnes physiques.

Votre commission a adopté l'article 6 D ainsi modifié.

Article 6 E (art. L. 1132-3-3 du code du travail) - Interdiction des représailles à l'encontre d'un lanceur d'alerte

Issu de l'adoption d'un amendement, en commission, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 E du projet de loi vise à protéger le lanceur d'alerte contre les mesures de représailles, notamment dans le milieu professionnel.

Le présent article pose, en premier lieu, un principe d'interdiction des mesures de représailles, affirme ensuite le principe selon lequel toute mesure de représailles serait nulle de plein droit. Enfin, il vise à inverser la charge de la preuve, en cas de litige, puisqu'il reviendrait à la partie défenderesse de prouver que sa décision n'était pas justifiée par une alerte éthique.

Votre rapporteur constate que c'est à dessein que l'Assemblée nationale a adopté une liste non exhaustive de mesures de rétorsion en milieu professionnel. Il souligne néanmoins que l'article L 1132-1 du code du travail, élément essentiel du droit du travail des discriminations, semble recouvrir de manière exhaustive l'ensemble des mesures de représailles possibles , à savoir : être écarté d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ; une sanction, un licenciement, une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat.

De même, votre rapporteur relève le paradoxe logistique à inscrire que le lanceur d'alerte ne peut être sanctionné « pour ce motif » alors même que la personne n'aurait pas encore été « qualifiée » de lanceur d'alerte. On retrouve ainsi l'ambiguïté de la volonté politique de créer un statut plutôt que de rechercher les procédures de protection susceptibles de s'appliquer à des personnes lançant des alertes, sans pour autant qu'elles aient été « reconnues » lanceurs d'alerte.

A l'instar du Défenseur des droits, votre rapporteur estime nécessaire d'assurer une protection efficace des personnes signalant une alerte éthique contre d'éventuelles représailles en milieu professionnel. Aussi votre commission a-t-elle adopté un amendement COM-152 de votre rapporteur visant à compléter l'article L. 1132-3-3 du code du travail, qui protège d'ores et déjà les lanceurs d'alerte concernant des délits et des crimes de toute discrimination.

Cette modification aurait également pour conséquence de permettre l'application de plein droit des prérogatives de protection du Défenseur des droits dans sa mission de lutte contre les discriminations.

Votre commission a adopté l'article 6 E ainsi modifié .

Article 6 FA (art. L. 911-1-1 du code de justice administrative) - Possibilité de réintégration d'un agent public sanctionné pour avoir lancé une alerte éthique

Issu de l'adoption d'un amendement, en séance, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 FA du projet de loi vise à prévoir un mécanisme d'injonction permettant au juge administratif d'ordonner la réintégration d'un agent public sanctionné pour avoir lancé une alerte éthique.

À ce stade, le présent article ne soulève pas d'objection de principe de la part de votre rapporteur. Compte tenu des délais auxquels il est soumis, il n'a toutefois pas été en mesure de conduire une analyse approfondie sur cet article, de sorte qu'il se réserve la possibilité de mener cette analyse d'ici la séance publique.

Votre commission a adopté l'article 6 FA sans modification.

Article 6 FB (supprimé) - Possibilité de saisir le conseil des prud'hommes statuant en la forme des référés

L'article 6 FB du projet de loi est issu de l'adoption, en séance publique, d'un amendement de notre collègue député Yann Galut et des membres du groupe socialiste, écologiste et républicain, sous-amendé par le rapporteur, visant à inscrire dans la loi et de manière non codifiée la possibilité pour le lanceur d'alerte faisant l'objet d'un licenciement de saisir le conseil des prud'hommes pour bénéficier d'un référé conservatoire.

Le présent article précise que le conseil des prud'hommes statue dans les vingt-et-un jours suivant la saisine, sans toutefois préciser les conséquences d'un non-respect de cette procédure, et que le maintien du salaire ou du salarié peut être ordonné par le conseil des prud'hommes.

Si votre rapporteur reconnaît à la loi une vertu pédagogique, il est néanmoins inopportun d'inscrire dans la loi des redondances susceptibles de créer des risques d' a contrario , à plus forte raison lorsqu'il n'existe aucune articulation avec les procédures codifiées du code du travail, du code de la justice administrative et du code de la procédure civile.

Or, dans le cas d'espèce, l'ensemble de ces mesures apparaissent satisfaites par le droit en vigueur .

Le conseil des prud'hommes peut d'ores et déjà être saisi par un salarié contestant la rupture du contrat de travail et en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail, « ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend » et peut toujours « même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage ou faire cesser un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation sérieuse. » Ce principe de compétence générale garantit aux intéressés une jurisprudence ancienne, enrichie et permettant des solutions innovantes de maintien dans l'emploi.

De plus, depuis la loi n° 2014-743 du 1 er juillet 2014, l'article L. 1451-1 prévoit d'ores et déjà que le conseil de prud'hommes saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail « en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur » statue au fond dans un délai d'un mois.

Au surplus, selon l'article R. 1451-1 du code du travail, la procédure devant les juridictions prud'homales est régie par le livre premier du code de procédure civile et toute disposition complémentaire relève donc manifestement du pouvoir réglementaire.

Enfin, concernant les salariés privés, la modification proposée par votre rapporteur à l'article 6 E, intégrant un nouveau motif de discrimination fondée sur le lancement d'une alerte éthique, permet l'application de la procédure spécifique de référé en matière de discriminations.

En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-153 de suppression du présent article.

Votre commission a supprimé l'article 6 FB.

Article 6 FC (supprimé) - Délit d'entrave au signalement

L'article 6 FC du projet de loi est issu de l'adoption en séance publique d'un amendement de notre collègue député Yann Galut et de plusieurs de ses collègues, sous-amendé par le rapporteur, visant à sanctionner le délit d'obstacle au lancement d'une alerte éthique et à porter le montant de l'amende civile à 30 000 euros en cas d'action engagée en diffamation contre un lanceur d'alerte.

Ces dispositions viennent sanctionner le fait de « faire obstacle, de quelque façon que ce soit » à l'exercice du droit d'alerte, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. S'il est légitime de sanctionner l'entrave intentionnelle à la révélation d'informations pertinentes pour l'intérêt général, selon la procédure graduée de signalement des alertes, il semble que l'infraction ainsi définie, non codifiée, ne réponde pas aux exigences de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sur la nécessité des peines (article 8) et celles dégagées par le Conseil constitutionnel sur la nécessaire clarté et précision de la loi pénale 32 ( * ) .

Article 431-1 du code pénal

Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice d'une des libertés visées à l'alinéa précédent est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

La définition retenue par l'Assemblée nationale est en effet trop imprécise. Une personne s'abstenant de soutenir le témoignage d'un lanceur d'alerte fait-il obstacle à « l'exercice du droit » ? Une entreprise refusant de faciliter la transmission d'une information, pouvant par ailleurs être inexacte, fait-elle obstacle à « l'exercice du droit » ? Au surplus, le comportement intentionnel de la personne tentant de dissuader un lanceur d'alerte est d'ores et déjà réprimé par l'article 431-1 du code pénal qui sanctionne le fait d'entraver de manière concertée l'exercice de la liberté d'expression.

Enfin, le présent article vise à augmenter le montant de l'amende civile « lorsque le juge d'instruction est saisi d'une plainte pour diffamation contre un lanceur d'alerte ». L'article 177-2 du code de procédure pénale prévoit d'ores et déjà que le juge d'instruction peut, lorsqu'il rend une ordonnance de non-lieu ouverte sur constitution de partie civile (nécessaire en matière d'infraction de presse telle la diffamation), et que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire, prononcer une amende civile de 15 000 euros. Ce montant vise à dissuader les entreprises judiciaires peu pertinentes. Votre rapporteur constate que les amendes civiles restent très faiblement prononcées et bien en-deçà du montant maximum de 15 000 euros. Il n'apparaît pas nécessaire d'augmenter ce quantum.

En conséquence, votre commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement COM-154 visant à supprimer le présent article.

Votre commission a supprimé l'article 6 FC.

Article 6 F (supprimé) - Financement de l'avance des frais de procédure et de la réparation des dommages moraux et financiers

L'article 6 F du projet de loi est issu de l'adoption, en commission à l'Assemblée nationale, d'un amendement de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois.

Il vise à permettre au Défenseur des droits d'accorder à un « lanceur d'alerte » une aide financière destinée à « la réparation des dommages moraux et financiers que celui-ci subit » et à « l'avance des frais de procédure exposés en cas de litige » relatif à une mesure de représailles dans le milieu professionnel. Il permet également au Défenseur des droits d'accorder cette aide aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France.

Le dispositif prévoit que le montant accordé serait déterminé par les ressources du lanceur d'alerte, sans qu'il soit exclusif du bénéfice de l'aide juridictionnelle, et des mesures de représailles emportant privation ou diminution de sa rémunération. Ce montant serait également diminué de la fraction des frais de procédure prise en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique. Pour le recouvrement de cette aide, le Défenseur des droits est subrogé dans les droits du « lanceur d'alerte ».

Ce dispositif de financement présente plusieurs difficultés majeures .

En premier lieu, et à l'instar de plusieurs dispositions du présent chapitre, il confond cause et conséquence. En effet, cette disposition repose sur la qualification a priori d'un lanceur d'alerte dont le statut lui permettrait d'obtenir du Défenseur des droits une aide financière, sans qu'il soit même exigé que le « lanceur d'alerte » soit l'objet d'un litige. Le fait d'avoir signalé une alerte n'est pas un droit reconnu a priori, mais bien un moyen de défense pouvant être invoqué au cours d'un litige. Dès lors, à supposer qu'un tel dispositif soit pertinent, le Défenseur des droits ne pourrait pas accorder une aide financière à un « lanceur d'alerte », mais bien à une personne victime d'un litige.

En deuxième lieu, si les critères de détermination du montant sont inscrits dans la loi, votre rapporteur s'étonne toutefois de l'absence de critères permettant au Défenseur des droits d'accorder ou non cette aide financière. L'imprécision des termes soulève plusieurs interrogations : à quel moment intervient la réparation ? En cours ou à l'issue d'une procédure judiciaire ?

L'objection principale à ce dispositif réside dans la confusion de la mission attribuée au Défenseur des droits. S'il est légitime qu'il effectue une mission d'orientation ( cf. article 6 C), qu'il protège toute personne discriminée, notamment en raison du signalement d'une alerte, il apparaît disproportionné qu'il finance tant des frais de procédure que la réparation de dommages.

Surtout, ces dispositions tendent à modifier le rôle du Défenseur des droits, qui n'interviendrait plus alors comme « tiers sui generis » mais représenterait devant un tribunal les intérêts de la partie. Selon l'analyse du Défenseur des droits, dont votre rapporteur regrette qu'il n'ait pas été plus associé aux travaux de l'Assemblée nationale, ce changement de fonctions soulève un risque constitutionnel eu égard au cumul des fonctions, au respect des droits de la défense et à la mission constitutionnelle du Défenseur des droits 33 ( * ) . Placé en tant qu'autorité indépendante, à égale distance de l'administration et des citoyens, le Défenseur des droits serait dès lors érigé en « représentant des lanceurs d'alerte », éloigné de sa mission institutionnelle d'autorité constitutionnelle offrant sa protection juridique à ceux ayant subi une discrimination.

Ces difficultés justifient, selon votre rapporteur, une suppression du présent article.

Votre rapporteur tient à souligner ici la pertinence du droit commun du contentieux prud'homal. En effet, en application de l'article R. 1454-14 du code du travail, le bureau de conciliation et d'orientation du conseil des prud'hommes peut en effet ordonner le versement de provisions concernant les salaires, les indemnités de congés payés ou de licenciement.

Au surplus, votre rapporteur partage la recommandation du Conseil « d'écarter l'idée d'incitations financières au bénéfice de lanceur d'alerte » . De telles dispositions fondées sur les dommages moraux du « lanceur d'alerte », sans qu'ils soient limités au contentieux professionnel, peuvent engendrer une confusion regrettable.

En conséquence, votre commission a adopté les deux amendements COM-155 et COM-234 de suppression présentés, respectivement, par son rapporteur et par notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances.

Votre commission a supprimé l'article 6 F.

Article 6 G (art. L. 1351-1 et L. 5312-4-2 du code de la sécurité publique et art. 25 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) - Suppression des régimes sectoriels particuliers concernant les lanceurs d'alerte

Issu de l'adoption d'un amendement, en commission, de notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois, l'article 6 G du projet de loi vise à supprimer plusieurs dispositions relatives à des régimes sectoriels d'organisation de lanceurs d'alerte afin de créer « un socle -réellement- commun 34 ( * ) ».

Il vise notamment la suppression des dispositions relatives aux lanceurs d'alerte militaires (article L. 4122-64 du code de la défense), aux lanceurs d'alerte dans le domaine de la santé (articles L. 1351-1 et L. 5312-4-2 du code de la santé publique), dans le domaine de la corruption et de la santé publique et de l'environnement (articles L. 1161-1 et L. 4133-5 du code du travail) et en matière de conflits d'intérêt (article 25 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).

La commission des lois de l'Assemblée nationale a toutefois maintenu le dispositif spécifique des lanceurs d'alerte prévu dans la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement , tout en prévoyant une protection juridique du lanceur d'alerte par le Défenseur des droits.

Votre rapporteur s'étonne en particulier de la suppression de deux missions de la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement : la définition des critères de recevabilité des alertes et la transmission aux autorités compétentes des alertes. À l'inverse du dispositif proposé par le présent projet de loi, la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, dite « loi Blandin », considérait bien l'alerte, non comme un dispositif auto-affirmatif, mais comme nécessitant un examen sur la base de critères.

De même, votre rapporteur conteste l'abrogation de l'article 3 de la loi du 27 mai 2008 relative aux discriminations qui offre une protection légale contre les représailles à raison d'un agissement discriminatoire. Par nature, une personne victime de discrimination n'est pas nécessairement un lanceur d'alerte dénonçant une discrimination et il appartient de maintenir une protection élevée pour les victimes de discrimination.

En conséquence, votre commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement COM-156 visant à revenir sur ces suppressions.

À ce stade, les autres dispositions ne soulèvent pas d'objection de principe de la part de votre rapporteur. Compte tenu des délais auxquels il est soumis, il n'a toutefois pas été en mesure de conduire une analyse approfondie sur cet article, de sorte qu'il se réserve la possibilité de mener cette analyse d'ici la séance publique.

Votre commission a adopté l'article 6 G ainsi modifié.

Article 6 (suppression maintenue) - Financement de la protection juridique des lanceurs d'alerte

Supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'article 6 du projet de loi visait à permettre à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d'effectuer des versements à l'État destinées à financer la protection juridique des personnes ayant « relaté ou témoigné » de faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics ou de favoritisme.

Créée par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, l'AGRASC est un établissement public qui apporte son aide technique aux juridictions, en amont de la saisie, qui centralise les fonds saisis, qui procède à certains actes de gestion sur les biens saisis (à l'instar des ventes de biens meubles avant jugement). Elle finance d'ores et déjà, sur le produit net des confiscations ou sur ses ressources propres, plusieurs dépenses spécifiques, dont le fonds de concours dit « drogues » 35 ( * ) , le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées 36 ( * ) , la protection des repentis et des témoins ou encore des contributions destinées au financement de la lutte contre la délinquance et la criminalité .

Considérant le dispositif qu'elle avait adopté sur le « statut général de lanceur d'alerte », et notamment le financement de sa protection juridique par le Défenseur des droits, la commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé cet article. Votre rapporteur approuve cette suppression.

Votre commission a maintenu la suppression de l'article 6.

Article 7 (art. L. 634-1 à L. 634-4 [nouveaux] du code monétaire et financier) - Mise en place d'un dispositif spécifique d'alerte dans le secteur financier

L'article 7 du projet de loi tend à mettre en place, conformément aux règles fixées par l'Union européenne, un dispositif de signalement spécifique dans le secteur financier, auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des finances par votre commission des lois. Lors de sa réunion, la commission des finances a adopté deux amendements présentés par son rapporteur.

En conséquence, votre commission a adopté l'article 7 ainsi modifié .


* 29 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-192 QPC, 10 novembre 2011.

* 30 Selon les termes du Gouvernement employé dans l'amendement 3785 présenté en séance publique à l'Assemblée nationale.

* 31 Rapport précité, page 66.

* 32 Conseil constitutionnel, 27 juillet 2006, n° 2006-540 DC, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) : « 9. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».

* 33 « Il veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. »

* 34 Rapport de Sébastien Denaja (n° s 3785 et 3786) sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et sur la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d'alerte, page 99.

* 35 Ce fonds est alimenté par la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers des personnes reconnues coupables d'infraction en matière de trafic de stupéfiants.

* 36 Ce fonds est alimenté par la confiscation, et les produits de celle-ci, des biens mobiliers ou immobiliers des personnes reconnues coupables d'infraction en matière d'atteintes à la dignité des personnes.

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