II. MIEUX RÉGULER LES RELATIONS ENTRE LA VILLE ET L'HÔPITAL

En France, comme d'ailleurs en Allemagne, la querelle entre les médecins de ville et l'hôpital est un élément constant des débats budgétaires. En cette matière, votre rapporteur considère qu'il convient de dissiper les malentendus et de mettre en place les moyens d'une articulation efficace entre ces deux secteurs indispensables et complémentaires de la prise en charge sanitaire de la population .

A. RENFORCER LA PLACE DE CHACUN

Le 7 septembre 2012, la ministre des affaires sociales et de la santé annonçait sa volonté d'établir un « pacte de confiance pour l'hôpital », et indiquait que les dispositions législatives nécessaires à sa mise en oeuvre s'intégreraient dans « une grande loi d'accès aux soins ».

Ce texte, dont la gestation a été particulièrement lente, est devenu la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS). Tout en proposant une série de mesures que la commission des affaires sociales du Sénat a acceptées, voire qu'elle avait voulu anticiper dans le cadre du PLFSS pour 2015, cette loi a crispé un certain nombre d'oppositions entre acteurs du système hospitalier et avec les médecins de ville , qu'il est aujourd'hui nécessaire de dissiper.

1. Rétablir la confiance entre les secteurs hospitaliers public et privé

Ainsi, en supprimant les missions de service public (hors urgences) créées par la loi dite HPST 5 ( * ) , et en limitant le label du service public hospitalier (SPH) aux établissements pratiquant des tarifs opposables, le Gouvernement a donné le sentiment aux acteurs privés de vouloir les  exclure du service public . Ceci est d'autant plus regrettable que, partout sur le territoire, acteurs publics et privés de l'hôpital travaillent dans une complémentarité aussi utile que nécessaire.

Pareille décision, dont la portée est d'ailleurs plus symbolique que pratique, ne peut qu'entraîner défiances et incompréhensions. La mise en place des groupements hospitaliers de territoires (GHT) a ainsi pu être interprétée comme un autre moyen d'exclure les acteurs privés de l'organisation territoriale des soins. Telle n'est pas la vision de votre rapporteur général, qui considère que les GHT doivent permettre une restructuration de l'offre hospitalière publique pour mieux répondre aux besoins de la population, mais qu'il appartient aux agences régionales de santé (ARS) d'assurer l'interaction de l'offre publique et privée sur le territoire en laissant leur place à chacun des acteurs .

Un tel climat de défiance entre public et privé a fait émerger à nouveau plusieurs revendications anciennes notamment s'agissant des tarifs, que ce soit au sujet de leur valorisation et donc, pour partie, de la question des dépassements d'honoraires à l'hôpital, ou plus largement les écarts de rémunération des actes entre acteurs publics et privés.

Votre rapporteur général partage l'analyse formulée par le rapport de la Mecss du Sénat de 2012 6 ( * ) relatif à la tarification hospitalière sur les limites du processus de convergence tarifaire mis en place de 2005 à 2012.

L'abandon progressif de la convergence tarifaire

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 avait mis en place un  processus de convergence intersectorielle, qui avait pour but d'aligner les tarifs des secteurs public et privé « dans la limite des écarts justifiés par des différences dans la nature des charges couvertes par ces tarifs ».

Selon le rapport au Parlement sur la  convergence tarifaire pour 2011, ces écarts justifiés recouvrent deux notions différentes : les différences de périmètre résultant de la réglementation (par  exemple, la rémunération des médecins) ; les différences dues à la nature des missions ou à des obligations diverses. À partir du moment où sont pris en compte ces éléments, « la convergence intersectorielle ne s'apparente donc pas forcément à une unicité d'échelle et de tarifs mais peut être réalisée tout en maintenant la  coexistence de deux échelles tarifaires différentes ».

Une première étape était initialement prévue pour 2008, date à laquelle l'objectif de convergence des tarifs aurait dû être atteint à 50 %. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a supprimé cette échéance, tandis que celle pour 2010 a repoussé le terme du processus à 2018.

L'article 59 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a enfin supprimé la convergence tarifaire, avec l'avis favorable de la commission des affaires sociales du Sénat.

Il souligne néanmoins que la double échelle tarifaire repose, pour certains points, sur des différences difficiles à objectiver . Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le différentiel de charges dans le système de santé relève notamment, sur ce point, l'absence de différences réellement identifiables entre acteurs publics et privés sur cette question. Or, la différence de charges constitue l'un des éléments clefs de la distinction des tarifs entre établissements publics et privés.

Votre rapporteur général regrette que, malgré une demande adressée à la ministre de la santé le 5 mai 2016 par le président de la Mecss, la commission des affaires sociales n'ait toujours pas reçu communication de ce rapport, qui a pourtant été obtenu par les acteurs du secteur suite à une demande adressée à la CADA.

Décompositions des coûts hospitaliers l'exemple de la comparaison
entre secteur public et secteur privé pour les accouchements sans complication

Source : Les coûts des prises en charge à l'hôpital en médecine, chirurgie et obstétrique 2012, Agence technique de l'information sur l'hospitalisation

Hôpital public

Le coût des actes techniques est le poste de dépense le plus important, suivi de près des coûts des soins réalisés aux lits du malade et des coûts liés au fonctionnement transversal de l'hôpital. Les coûts de logistique médicale et les charges directes (médicaments, consommables) représentent une part plus faible du coût. Tous les postes de charges augmentent légèrement par rapport à 2011.

Hôpital privé

Les honoraires constituent la part la plus importante du coût de la prise en charge (presque 40 % du coût total), même s'ils diminuent de 2 % par rapport à 2011. Le reste des dépenses se répartit à peu près équitablement entre des charges issues des actes techniques, des coûts liés au fonctionnement transversal de l'hôpital et des coûts des soins réalisés au lit du malade. En dehors des soins réalisés au lit, les autres dépenses augmentent par rapport à 2011.

Si les différences de charges entre catégories d'établissements et les différences de populations prises en charge doivent donner lieu à des rémunérations différentes, il ne paraît pas cohérent que des actes identiques pour une population identique soient tarifés différemment selon que l'établissement où sont donnés les soins est public ou privé .

C'est cependant la situation qu'a dénoncée à votre rapporteur le président du syndicat des établissements privés à but lucratif de soins de suite et réadaptation (SSR). La mise en place d'une nouvelle forme de tarification de ces établissements et l'évolution de la T2A devraient offrir l'opportunité au Gouvernement de mettre fin à cette situation.

L'article 45 du PLFSS tend en effet à remédier aux difficultés posées par la réforme de la tarification SSR. Cette réforme, dont l'ensemble des acteurs a approuvé l'année dernière le principe, tend à mettre en place, à côté d'une part de tarification à l'activité, une part forfaitaire permettant de remédier au biais inflationniste de la T2A. Elle avait cependant fait apparaître des inquiétudes fortes des acteurs du secteur privé lucratif auxquelles le PLFSS pour 2017 tend, partiellement, à répondre. Il serait regrettable que la mise en place d'un nouveau système de tarification pour l'ensemble des acteurs laisse perdurer des distinctions tarifaires non justifiées entre établissements publics, privés non lucratifs et privés lucratifs.

2. Faire évoluer la place de l'hôpital

Votre rapporteur est conscient du caractère parfois paradoxal des très nombreuses demandes adressées à l'hôpital , à la fois accusé de favoriser l'hospitalocentrisme de notre système de santé et sommé de répondre à tous les besoins de santé non satisfaits dans les territoires - qu'il s'agisse de l'accès aux spécialistes, de la permanence des soins ou même de l'exercice d'une médecine de proximité.

S'y ajoute la volonté des acteurs du secteur de diversifier les activités de l'hôpital -notamment, comme l'a indiqué le directeur général de l'AP-HP Martin Hirsch, en matière de prévention- mais aussi de les faire évoluer, comme en matière de télémédecine.

L'article 44 du présent projet de loi ouvre d'ailleurs plusieurs évolutions en ce sens, en proposant un niveau de tarification intermédiaire permettant de mieux prendre en charge les consultations longues et pluridisciplinaires ou pluriprofessionnelles, et en autorisant l'administration de certains produits de la liste en sus lors d'une prise en charge externe.


Les multiples visages du financement de la prévention

Les évolutions de périmètre du secteur de la prévention opérées dans le cadre du PLFSS et du PLF invitent votre rapporteur à s'interroger sur la notion de prévention ainsi que sur son financement . En effet, alors qu'une dotation de l'assurance maladie est actuellement prévue pour financer les actions de prévention primaire de la nouvelle agence de santé publique « Santé publique France », celle-ci se trouve, dans le cadre du PLF, supprimée au profit d'un financement par l'assurance maladie des activités de prévention du FIR.


L'assurance maladie a incontestablement un rôle à jouer en matière de prévention . Dans son dernier rapport Charges et produits, la Cnam présente plusieurs propositions destinées à « gagner à la fois en qualité et en efficience ». Le premier axe autour duquel elles s'articulent est ainsi formulé :

« - déployer des actions de prévention efficaces et coût-efficaces pour lutter contre les facteurs de risque (avec un focus particulier sur le tabagisme). Car la stratégie de l'assurance maladie ne se limite pas à améliorer les soins curatifs : agir sur les risques évitables, c'est-à-dire prévenir l'apparition des maladies chroniques, ralentir leur progression, éviter la survenue des complications, sont des leviers majeurs pour améliorer l'efficience du système de santé ».

Le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires (FNPEIS) , créé en 1988 et dont le budget est d'environ 34 millions d'euros, permet ainsi à l'assurance maladie de mener, par l'intermédiaire de partenariats avec les  hôpitaux, les agences comme Santé publique France voire avec les associations agrées, des actions dans le domaine de la prévention primaire (agir sur les facteurs de risque), secondaire (limiter la dégradation d'une maladie) ou tertiaire (éviter les complications ou les rechutes en cas d'atteinte chronique). Son champ d'activité est défini par la convention d'objectifs et de gestion (COG) passée entre l'Etat et l'assurance maladie.

Une présentation de la COG 2014-2017 par la Cnam décrit ses activités de la façon suivante :

« - Lutte contre le tabagisme (cf Plan cancer 2014-2019) : augmentation du forfait des substituts nicotiniques pour certaines catégories de population, module tabac santé active... ;

- Dépistage des cancers : passage fin 2014 du test GAIAC au nouveau test immunologique + amélioration du taux de participation via la commande en ligne par le médecin traitant ;

- Amélioration de la couverture vaccinale, notamment de la vaccination antigrippale ;

- Renforcement de la prévention bucco-dentaire : Revalorisation de l'acte EBD, ouverture aux femmes enceintes en 2014 et augmentation attendue du taux de participation des jeunes au programme après une année moins favorable en 2013 ;

- Bon usage du médicament : relance communication sur la lutte contre les résistances aux antibiotiques ;

- Lutte contre les infections VIH / Hépatites : montée en charge du programme de de distribution de tests de dépistage rapide du VIH (TROD) ; participation au financement de salles expérimentales de consommation à moindre risque ;

- Actions de prévention et d'accompagnement des assurés (Sophia, santé active...). »

L'article 16 du PLFSS prévoit la création d'un nouveau fonds tabac, adjoint au FNPEIS, et doté par la nouvelle contribution à la charge des fournisseurs agréés de produits du tabac à hauteur de 130 millions d'euros.


• En matière de prévention, ce qui relève de l'intervention de l'assurance maladie et ce qui doit relever de l'Etat, avec un financement par l'impôt, n'est donc pas évident par nature, mais évolue selon les circonstances budgétaires et la  capacité d'action des acteurs. Votre rapporteur général estime que l'implication de l'assurance maladie en matière de prévention est souhaitable et nécessaire, mais qu'elle doit s'exercer de manière à ne pas réduire son rôle à celui d'un simple financeur. La  forme des partenariats est ainsi à privilégier sur celle des dotations, et les transferts de dépenses de l'État vers l'assurance maladie sont, en règle générale, à proscrire.

Ainsi l'hôpital conserve-t-il dans notre système de soins un rôle central, encore renforcé par la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS), mais qui n'est pas nécessairement celui qu'il se trouve en capacité d'exercer, ou qui serait conforme à l'évolution nécessaire de l'organisation du système de soins.

Votre rapporteur général considère que le service public de soins, financé par la sécurité sociale, ne repose ni uniquement sur les hôpitaux, ni uniquement sur les établissements participant au service public hospitalier, mais bien sur l'ensemble des acteurs, qu'ils se trouvent en ville ou à l'hôpital.

L'importante restructuration de l'offre hospitalière en cours depuis quelques années, pour les établissements publics au travers des groupements hospitaliers de territoires (GHT) et, pour les deux autres catégories d'établissement, au travers du mouvement de concentration, doit permettre de recentrer l'hôpital sur ses missions, laissant ainsi toute leur place aux praticiens de ville .

Surtout, le « virage ambulatoire » devrait renforcer la place de la médecine de ville, à laquelle devraient être transférés plusieurs champs de compétence ne nécessitant pas le recours à un plateau technique hospitalier. Il convient de rappeler qu'en Allemagne, la médecine ambulatoire constitue un monopole des médecins de ville. Les dépenses hospitalières n'y représentent d'ailleurs que 29 % des dépenses d'assurance maladie contre 37 % en France.

Le virage ambulatoire

C'est en 2014, lors de la présentation du projet de loi relatif à la santé, devenu loi de modernisation de notre système de santé (LMSS), que la ministre Marisol Touraine a employé pour la première fois la notion de virage ambulatoire, dont la mise en oeuvre a été amorcée dans le cadre du plan triennal 2015-2017 des ARS, et qu'il est depuis question d'accentuer.

La courbe à rejoindre est celle des autres pays de l'OCDE, où les actes chirurgicaux sont réalisés à plus de 80 % avec une hospitalisation inférieure à 24 heures, voire directement en ville. En France, la proportion des actes équivalents réalisés en ambulatoire n'est que légèrement supérieure à 45 %.

L'enjeu est multiple :

- une meilleure prise en charge des patients par la limitation de la durée d'hospitalisation et donc du risque d'infection nosocomiales ;

- une évolution des pratiques des hôpitaux ;

- un moindre coût ;

- une place plus grande faite aux soins de ville pour la suite des actes voire pour les actes eux-mêmes, comme en Allemagne.

3. Favoriser l'implication de l'assurance maladie dans la gestion hospitalière

L'implication plus forte de l'assurance maladie constitue un élément important de l'accompagnement des évolutions de la gestion hospitalière.


Depuis 2015, l'assurance maladie est partie au dialogue de gestion des ARS avec les hôpitaux.

Ce dialogue de gestion porte sur la réalisation de l'exercice dans le cadre de la revue annuelle du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM). Il est de niveau stratégique, puisqu'il s'agit d'un dialogue avec les responsables administratifs et médicaux de l'établissement.

Au travers de ce dialogue de gestion, l'assurance maladie peut être en mesure d'orienter les établissements vers une meilleure maîtrise des coûts, que ce soit en matière de prescriptions ou d'actes. Le dernier rapport Charges et produits de la Cnam formule d'ailleurs plusieurs préconisations en ce domaine qui méritent d'être approfondies dans le cadre du dialogue avec les hôpitaux.

Votre rapporteur général estime que cette évolution marque un retour bienvenu de l'assurance maladie dans un secteur dont elle avait été écartée du fait de la loi HPST .

La mise en place d'une expérimentation de paiement au forfait pour les établissements volontaires qui souhaitent développer la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) afin de réduire la durée de séjour tout en favorisant la récupération post-chirurgicale offre un exemple particulièrement intéressant en ce sens.


• Un hôpital mieux géré, modernisé et recentré sur son domaine d'expertise permettra de renforcer également la place des médecins de ville et singulièrement du médecin traitant.

La dernière convention médicale est porteuse en ce sens d'évolutions intéressantes en matière de prise en charge, notamment pour l'articulation entre consultations des généralistes et spécialistes.


* 5 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 6 « Refonder la tarification hospitalière au service du patient », rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales sur le financement des établissements de santé, par MM. Jacky Le Menn et Alain Milon, 25 juillet 2012.

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