B. DES BESOINS SANS CESSE PLUS ÉLEVÉS : UN PROGRAMME HORS DE CONTRÔLE ?

Les dispositifs du secteur « Accueil, hébergement, insertion » (AHI), financés sur l'action 12 « Hébergement et logement adapté » du programme 177, se sont développés au cours des dernières années, sous l'effet notamment du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale , du 21 janvier 2013 et du plan de réduction du recours des nuitées hôtelières faisant l'objet d'une circulaire du 20 février 2015 pour la période 2015-2017.

En outre, le programme 177 a également dû prendre en charge une partie importante de la dépense liée à la gestion de la crise migratoire que connaît actuellement l'Europe, et plus particulièrement la France, avec notamment la création de 5 000 places dans des centres d'accueil et d'orientation (CAO) et 3 050 places d'hébergement d'urgence spécifiquement dédiés aux migrants. Ces places ont pu être utilisées dans le cadre du démantèlement de la « Jungle » de Calais et lors de l'évacuation des campements illicites parisiens.

La création de places dans le « plan Migrants »

En principe, le plan prévoit la création de 13 050 places entre 2015 et 2017, ainsi réparties :

- 3 050 places d'hébergement d'urgence (HU), dont 1 550 à Calais et Dunkerque ;

- 5 000 places de logement adapté ;

- 5 000 places en centres d'accueil et d'orientation (CAO). Celles-ci doivent « permettre de répartir l'accueil des migrants sur l'ensemble du territoire, tout en améliorant leur prise en charge et leur accompagnement ».

Synthèse des créations de places dans le cadre du « plan migrants »

Source : ministère chargé du budget

Au mois de septembre (avant notamment le démantèlement de la « Jungle » de Calais), plus de 11 900 personnes avaient été évacuées de campements illicites depuis le début de l'année. Selon les chiffres du ministère du logement, 6 388 personnes étaient alors hébergées dans des dispositifs d'hébergement d'urgence du programme 177, dont 2 227 étaient éligibles au dispositif d'asile (avec une demande d'asile déposée), 649 avaient le statut de réfugié et 1 235 attendaient encore leur rendez-vous en préfecture.

Selon la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Île-de-France, environ 86 millions d'euros avaient ainsi été engagés sur leur budget opérationnel de programme (BOP) 177 pour financer le « plan migrants » (sur un budget estimé à la fin de l'année 2016 à 746,5 millions d'euros).

Il convient de ne pas négliger non plus l'effet de report des besoins non couverts par le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration », du fait de sa sous-budgétisation également chronique. En effet, le programme 177 assure l'hébergement de demandeurs d'asile en cas de saturation des dispositifs spécifiques, conformément au principe d'accueil inconditionnel.

Pour répondre aux besoins, le nombre de places d'hébergement généraliste 7 ( * ) a indéniablement cru au cours des dernières années , passant ainsi de 82 288 à 112 552 places entre 2012 et 2015, soit une hausse de 37 % (et + 8 % entre 2014 et 2015).

Évolution du parc d'hébergement généraliste entre 2012 et 2015

Source : commission des finances d'après les données de la direction générale de la cohésion sociale

Toutefois, si les places d'hébergement d'urgence, d'insertion et de stabilisation hors CHRS et les places d'urgence en CHRS ont progressé de 44 % au cours de cette période, l'augmentation la plus forte a concerné les nuitées hôtelières, lesquelles passent de 20 727 places à 37 952 places, soit une hausse de 83 % .

Le recours aux nuitées hôtelières a augmenté de 300 % entre 2006 et 2015 en termes de places et de 370 % en dépense budgétaire.

Évolution du recours aux nuitées hôtelières entre 2006 et 2015

(en nombre de places et en milliers d'euros)

Source : commission des finances d'après les données budgétaires

Or, cette solution d'hébergement d'urgence n'est pas satisfaisante pour le contribuable , puisque, bien que le montant d'une nuitée soit en moyenne de 17 euros, ce qui est moins élevé qu'une place en centre d'hébergement d'urgence ou en CHRS, il peut aussi atteindre 40 euros voire 70 euros la nuitée pour les plus élevées, selon les informations recueillies auprès de services déconcentrés et de structures gestionnaires.

Surtout, les nuitées hôtelières n'offrent pas nécessairement de bonnes conditions d'hébergement pour les bénéficiaires, lesquels sont majoritairement des familles, et sans garantie pour eux de bénéficier d'un accompagnement social.

En conséquence, votre rapporteur spécial ne peut que partager l'objectif du plan de réduction des nuitées hôtelières du Gouvernement. Pour autant, force est de constater que les résultats atteints ne parviennent aucunement à diminuer le nombre de nuitées mais simplement à en limiter la hausse . D'ailleurs, les acteurs préfèrent désormais parler de substitution des nuitées hôtelières plutôt que de la résorption ou de la réduction.

Même si les moyens supplémentaires ont certainement permis de créer et pérenniser des places d'hébergement d'urgence ainsi que des places en logement adapté , le nombre de nuitées d'hôtel a continué d'augmenter de 17,5 % en 2015 par rapport à l'année précédente, contre 27 % en 2014 et 23 % en 2013 . En outre, cette décélération est également due à la saturation du parc hôtelier à bas prix dans les régions rencontrant la plus forte demande, en particulier en Île-de-France.

Face à ce constat, votre rapporteur spécial soutient le dispositif innovant d'hébergement d'urgence, actuellement en cours de développement, qui s'appuie sur le rachat d'hôtels à bas prix pour les transformer en résidence hôtelières à vocation sociale (RHVS) . Un projet, porté par la Société nationale immobilière (SNI) et Adoma, consiste à acquérir ces structures hôtelières par le biais d'un fonds d'investisseurs privés, pour y créer des places d'hébergement destinés à la fois à l'hébergement généraliste et à l'hébergement des demandeurs d'asile, en y proposant notamment une cuisine collective et un accompagnement social. Le projet de la SNI et d'Adoma repose sur un coût à la place proche du prix moyen de la nuitée d'hôtel mais en y incluant l'accompagnement social (autour de 17 euros par jour et par place).

Dans le respect de la commande publique, l'État a lancé deux appels d'offres de 5 000 places chacun, l'un piloté par le ministère du logement (hébergement généraliste), l'autre par le ministère de l'intérieur (hébergement des demandeurs d'asile).

Le marché public concernant l'hébergement généraliste devrait aboutir d'ici la fin de l'année pour permettre, au début de l'année 2017, de proposer de nouvelles places dans ces structures qui se substitueraient, au moins partiellement, aux nuitées hôtelières.

Le projet de loi de finances rectificative pour 2016 prévoit ainsi l'ouverture de 204 millions d'euros en autorisations d'engagement qui, outre les 55 millions d'euros destinés à couvrir les besoins au titre de l'« ALT 1 » (la dotation initiale ayant été redéployée en cours d'année au profit de l'hébergement d'urgence), doit permettre de répondre à « l'engagement de l'État sur le marché public quinquennal relatif à l'ouverture de 5 000 places d'hébergement d'urgence avec accompagnement social pour un public en situation de grande précarité ».

En tout état de cause, malgré la hausse des capacités d'hébergement , il apparaît que la demande d'hébergement d'urgence continue d'être forte et qu'une partie d'entre elle reste non satisfaite , plus d'un appel sur deux restant notamment sans réponse au 115 de Paris (selon les chiffres du Samu social de Paris). Cela s'explique notamment par la situation économique du pays, la crise migratoire mais aussi l'application du principe d'accueil inconditionnel qui, cumulé avec la difficulté de trouver des solutions de logement pérenne, conduit à ce que le taux de rotation dans les structures soit faible.

En outre, comme votre rapporteur spécial le développera davantage dans son rapport faisant suite à son contrôle sur les dispositifs d'hébergement d'urgence, il s'avère que la maîtrise des coûts et, plus globalement, le pilotage de la dépense ne paraissent pas optimales , laissant apparaître des marges de progression sur ces points.

À ce titre, il importe que le déploiement du système d'information des services intégrés d'accueil et d'orientation (SI-SIAO) se concrétise rapidement, tant pour sa partie insertion que pour sa partie urgence, afin d' offrir un meilleur suivi et une remontée de données plus fiable , à la fois sur l'offre et sur la demande.

De même, seuls de premiers résultats sont actuellement sortis de l'enquête nationale des coûts (ENC), laquelle doit participer à l'amélioration de la connaissance des dispositifs mis en place sur l'ensemble du territoire et permettre , selon votre rapporteur spécial, d'envisager une réelle convergence tarifaire .


* 7 Par opposition à l'hébergement des demandeurs d'asile en principe couvert par le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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