B. DES MESURES D'ÉCONOMIES QUI NE PARVIENNENT QU'À CONTENIR LA HAUSSE DE LA DÉPENSE

1. Des mesures prises à l'occasion des lois de finances pour 2015 et 2016 qui n'empêchent pas les dépenses de progresser

Au cours des dernières années, plusieurs mesures d'économies ont été adoptées par la voie réglementaire ou législative.

En 2014 , les montants des aides personnelles au logement ont été gelés pour 9 mois , à la suite du décalage de la revalorisation (sur l'indice de référence des loyers) des aides personnelles au logement du 1 er janvier au 1 er octobre.

Sans cette mesure, les prestations versées seraient supérieures de 140 à 150 millions d'euros chaque année 14 ( * ) .

En 2015 , outre la réforme des aides personnelles au logement « Accession » qui n'a finalement - et fort heureusement - pas été réalisée, le Gouvernement a révisé les paramètres d'indexation de l'abattement forfaitaire utilisé pour le calcul des aides servies dans le secteur locatif hors foyers .

Ainsi, le forfait « R0 », qui sert à fixer le montant maximal de l'aide des ménages ayant les revenus les plus bas, n'est plus indexé sur l'évolution de la valeur du RSA socle, qui avait vocation à évoluer considérablement compte tenu de la revalorisation de cette prestation, mais sur l'inflation de l'année n-2.

Comme votre rapporteur spécial avait eu l'occasion de le démontrer au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, cette réforme, réalisée « en catimini », au niveau réglementaire, a probablement engendré, de loin, les plus importantes économies au cours des dernières années s'agissant des aides personnelles au logement.

Selon les estimations qui lui ont été données récemment, cette mesure devrait ainsi contribuer à une moindre dépense de 78 millions d'euros en 2015, 298 millions d'euros pour 2016, 525 millions d'euros pour 2017 et 675 millions d'euros en 2018 .

Le graphique ci-dessous, obtenu lors de la mise en oeuvre de la réforme auprès des services du ministère du logement, met en évidence l'important effet « boule de neige » attendu de cette réforme.

Source : direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages

À l'occasion du projet de loi de finances pour 2016 , le Gouvernement a présenté deux autres mesures d'économie (article 140 de la loi de finances n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016).

Tout d'abord, rejoignant l'idée défendue par votre rapporteur spécial depuis plusieurs années, une dégressivité des aides servies a été instaurée en fonction des montants réels des loyers payés par les bénéficiaires . Il s'agissait ainsi de mettre un terme aux situations dans lesquelles les loyers sont manifestement trop élevés au regard de la taille du ménage concerné.

Deux seuils de loyers ont été retenus, en tenant compte de la zone géographique dans laquelle se situe le bien et de la composition du foyer : au-delà du premier plafond, l'aide est réduite ; au-delà du second, elle est supprimée. Chacun de ces deux seuils est fixé par rapport au loyer-plafond applicable pour le calcul des aides.

Entre les deux plafonds, le montant de l'aide décroît proportionnellement au dépassement du premier plafond, de telle sorte qu'il soit nul lorsqu'il atteint le deuxième plafond de loyer.

Seuils d'application de la dégressivité des aides

(en multiple du loyer-plafond)

Zone

Seuil de dégressivité de l'aide

(multiple du loyer plafond)

Seuil de suppression de l'aide

(multiple du loyer plafond)

1

3,4

4,0

2

2,5

3,1

3

2,5

3,1

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Ce dispositif, précisé par le décret n° 2016-923 du 5 juillet 2016 relatif aux aides personnelles au logement, est applicable à toutes les prestations dues depuis le 1 er juillet 2016.

D'après les informations recueillies auprès du ministère du logement, cette mesure n'a pas posé de difficultés majeures ni d'importantes contestations dans son application, bien que parfois, les sommes « perdues » par les bénéficiaires soient importantes.

80 000 foyers devraient être concernés et l'économie attendue demeure à hauteur de 96 millions d'euros en année pleine, soit dès 2017. 900 cas dérogatoires ont été acceptés, compte tenu des situations particulières (par exemple dans le cas d'une personne handicapée hébergée par le bénéficiaire).

En outre, l'article 140 précité de la loi de finances pour 2016 a prévu la prise en compte de la valeur en capital du patrimoine des bénéficiaires des aides personnelles au logement , reprenant ainsi un dispositif mis en place pour le RSA. Un seuil minimal de 30 000 euros , en-deçà duquel le patrimoine de l'allocataire n'est pas pris en compte, a toutefois été retenu dans le cas des aides au logement, à l'occasion de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale.

Après de nombreuses protestations, notamment des associations de locataires, le décret mettant en oeuvre cette disposition législative a finalement été publié (décret n° 2016-1385 du 12 octobre 2016 relatif à la prise en compte du patrimoine dans le calcul des aides personnelles au logement). Le seuil de 30 000 euros est « appliqué à la somme de la valeur du patrimoine mobilier financier et de la valeur estimée de l'ensemble du patrimoine immobilier, à l'exception de la résidence principale et des biens à usage professionnel ». Lorsque cette valeur est supérieure au seuil de 30 000 euros, seul le patrimoine « n'ayant pas produit, au cours de l'année civile de référence, de revenus retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu au titre des revenus nets catégoriels visés à l'article R. 351-5 [du code de l'habitation et de la construction] est pris en compte pour le calcul de l'aide. Ce patrimoine est considéré comme procurant un revenu annuel égal à 50 % de sa valeur locative s'il s'agit d'immeubles bâtis, à 80 % de cette valeur s'il s'agit de terrains non bâtis et à 3 % du montant des capitaux ».

Il convient de noter que la prise en compte du patrimoine s'applique depuis octobre 2016 et ne concernent actuellement que les nouveaux entrants dans le dispositif, pour environ 60 millions d'euros d'économies attendues en année pleine.

Votre rapporteur spécial considère que la prise en compte du patrimoine était nécessaire et qu'elle permet de garantir une certaine équité , non seulement entre les bénéficiaires mais aussi par rapport à ceux qui sont juste au-dessus des plafonds ouvrant droit à ces aides mais n'ont pas de patrimoine. Elle paraissait d'autant plus logique qu'elle est déjà retenue dans le calcul du RSA.

Pour autant, il espère que la charge de travail supplémentaire pour les caisses d'allocations familiales ne sera pas trop élevée, une fois que la mesure sera rodée.

Pour mémoire, dans le cadre de la loi de finances pour 2016, le bénéfice de l'aide personnelle au logement a également été supprimé pour les étudiants dont les parents seraient imposables au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune. Cette mesure anecdotique et purement symbolique est sans impact significatif sur la dépense.

Enfin, le Gouvernement a opéré une troncature à l'euro inférieur des aides, qui devait conduire à une économie estimée à 40 millions d'euros environ.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, force est de constater que les mesures présentées par le Gouvernement au cours des dernières années, à l'exception de la réforme des modalités de revalorisation de l'abattement forfaitaire R0, constituent des économies de « poche » qui ne permettent pas de réduire l'importante dépense publique issue des aides personnelles au logement, qui atteint désormais plus de 18 milliards d'euros.

En effet, un constat s'impose : cette dépense ne cesse de progresser au cours des dernières années, y compris depuis l'adoption de ces mesures . Les économies réalisées au cours des dernières années par le Gouvernement permettent d'atténuer la tendance haussière des aides personnelles au logement mais pas de réduire les dépenses qu'elles engendrent.

Ainsi, les montants des financements nécessaires continuent de progresser entre 2015 et 2017 , avec près de 250 millions d'euros supplémentaires, soit + 1,4 %.

Évolution des financements des aides personnelles au logement

(en millions d'euros)

* Prévisions inscrites dans le projet annuel de performances

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La subvention versée par l'État au Fnal représente ainsi 8 % du montant total des dépenses d'intervention de l'État et 30 % des transferts aux ménages en 2017 .

2. La nécessité d'aller plus loin : des réformes restent à faire

L es aides personnelles au logement ne sont pas contestables en tant que telles . L'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat l'a d'ailleurs mis en évidence : ces prestations ont un fort effet redistributif et leur efficacité n'est plus à démontrer s'agissant de la réduction du taux d'effort des ménages pour se loger.

Pour autant, certaines réformes mériteraient d'être réalisées, en permettant à la fois de réduire la dépense engendrée par ces aides , laquelle ne cesse de progresser et doit être maîtrisée, et de limiter les abus .

Ainsi, en est-il de deux mesures proposées par votre rapporteur spécial et adoptées lors de l'examen de la loi de finances pour 2016 par le Sénat en première lecture.

En premier lieu, l'introduction d'un taux d'effort minimal des ménages, net des aides personnelles au logement, devrait être étudiée , tout en tenant compte, bien évidemment, de la composition du ménage, de leurs ressources ainsi que de leur loyer ou de leur remboursement de prêt. Par ailleurs, le dispositif proposé devrait éviter d'accentuer l'effet inflationniste des aides.

Pour mémoire, selon la revue de dépenses relative aux aides personnelles au logement locatif, réalisée en 2015 par la mission d'évaluation de la politique du logement, 10 % des ménages (hors étudiants) avaient un taux d'effort inférieur à 5,6 % en décembre 2013 (en tenant compte des prestations familiales qui ne le sont pas pour le calcul des aides personnelles au logement).

En second lieu, il paraît indispensable que soit mise en place une « base de données logements » qui serait commune aux caisses d'allocations familiales (CAF), au ministère chargé du logement et à la direction générale des finances publiques (DGFiP) , à partir de la base cadastrale et du numéro fiscal invariant des logements.

Comme votre rapporteur spécial l'avait indiqué l'an dernier, cela permettrait à la fois, d'introduire un plafond de loyer par mètre carré ou un plafond de surface par occupant (conformément à la préconisation de la revue de dépenses précitée) et de renforcer la lutte contre la fraude .

L'amendement qu'il avait présenté pour proposer la remise d'un rapport au Gouvernement sur les modalités d'établissement d'une telle base de données avait été adopté par le Sénat, avec l'avis favorable du Gouvernement. Malheureusement, l'Assemblée nationale ne l'a pas retenu au cours de la lecture définitive, la rapporteure générale de la commission des finances ayant notamment indiqué dans son rapport que sa mise en place ne nécessitait pas d'attendre un tel rapport.

Si votre rapporteur spécial ne peut que partager cette remarque, n'étant lui-même pas un adulateur des rapports du Gouvernement, constate que ce dossier n'a absolument pas avancé depuis l'an dernier et que ce rapport aurait au moins eu le mérite de poursuivre la réflexion sur la création de cette base d'informations partagée qui, elle, lui paraît essentielle .


* 14 D'après les réponses au questionnaire budgétaire : 145 millions d'euros en 2014, 150 millions d'euros en 2015, 143 millions d'euros en 2016, 142 millions d'euros en 2017 et 145 millions d'euros en 2018.

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