II. LA « MISE EN SOMMEIL » DE L'OBJECTIF DE CONTRIBUTION DU COMPTE AU DÉSENDETTEMENT, UNE DÉCISION LOGIQUE

A. LA DÉCISION D'AFFECTER LE PRODUIT DES CESSIONS AU DÉSENDETTEMENT DOIT REPOSER SUR UN ARBITRAGE FINANCIER

1. Le niveau atteint par la dette publique peut sembler justifier l'affectation du produit des cessions au désendettement

Comme cela a été rappelé précédemment, le compte spécial peut financer des prises de participation mais aussi contribuer au désendettement de l'État par le versement de dotations à la Caisse de la dette publique. Sur le plan budgétaire, ces contributions sont imputées sur le programme 732 « Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État ».

Le niveau atteint par la dette publique peut sembler, en première analyse, justifier l'affectation d'une partie du produit des cessions au désendettement.

Trajectoire de la dette des administrations publiques

(en points de PIB)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Dette publique

96,2

96,1

96

95,1

92,9

90,1

Dette publique
(hors soutien financier à la zone euro)

93,1

93,1

93,1

92,2

90,2

90,1

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

À cet égard, l'exécution 2014 a été marquée par la première contribution du compte spécial au désendettement depuis 2007 , avec un versement de 1,5 milliard d'euros à la Caisse de la dette publique. Cette évolution a été confirmée en 2015, avec un nouveau versement de 800 millions d'euros.

À moins d'un an des élections présidentielle et législatives, certains proposent d'amplifier ce mouvement en recommandant la mise en oeuvre d'un véritable « programme de privatisations [...] dont les recettes seront affectées à la réduction de la dette publique française » 48 ( * ) , à l'image ce qui a été réalisé sur la période 2006-2007 49 ( * ) .

Contribution du compte spécial au désendettement sur la période 2006-2007

(en milliards d'euros)

2006

2007

Total

Recettes hors versements du budget général

17,2

7,7

24,9

Contribution au désendettement

16,3

3,5

19,8

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

D'un point de vue économique, l'arbitrage entre désendettement et réinvestissement doit néanmoins reposer sur une analyse des bénéfices que l'État peut tirer de la détention à long terme d'actifs financiers .

2. L'arbitrage entre désendettement et réinvestissement doit néanmoins reposer sur une analyse des bénéfices que l'État peut tirer de la détention à long terme d'actifs financiers

À titre liminaire, il doit être rappelé qu'un plan de privatisations n'aurait aucun impact sur le déficit public au sens de Maastricht , dans la mesure où les cessions, qui constituent des opérations financières en comptabilité nationale, ne modifient pas le besoin de financement des administrations publiques.

En revanche, l'affectation du produit des cessions à la Caisse de la dette publique permet de réduire le niveau d'endettement au sens de Maastricht , dans la mesure où il s'agit d'un ratio exprimé en dette brute.

En privatisant, l'État renonce toutefois aux revenus futurs qu'il aurait pu tirer de la participation cédée, si bien que la dette nette ne s'en trouve pas améliorée . De ce fait, comme le relevait la Cour des comptes en 2007 dans son analyse du programme de privatisations, « l'emprise de l'objectif de réduction du ratio de dette brute au sens de Maastricht sur les décisions de cessions d'actifs, qui n'améliorent en rien la dette nette, peut ainsi conduire à des choix sous-optimaux en termes économiques et financiers » 50 ( * ) .

En effet, « au strict plan financier, une cession n'a de réelle justification que si le marché valorise l'actif concerné, au moment où il est cédé, à un prix supérieur aux flux nets de revenus que l'État peut espérer tirer de sa conservation » 51 ( * ) . À cet égard, la théorie financière distingue traditionnellement la valeur de marché d'un actif, c'est-à-dire sa « valeur négociable et constatée sur un marché à l'instant considéré », de sa valeur intrinsèque , qui correspond au niveau de prix « économiquement correct » 52 ( * ) . Ce dernier est calculé à partir d'une estimation de la valeur actualisée des revenus futurs que l'on peut espérer tirer de l'actif, ce qui nécessite notamment d'établir des projections concernant les revenus futurs et le taux d'actualisation 53 ( * ) .

Ainsi, une cession n'a de sens sur le plan financier que si l'État actionnaire estime que sa participation est surévaluée par les marchés financiers - autrement dit, si la valeur de marché de l'actif est supérieure à l'estimation par l'État de sa valeur intrinsèque. S'agissant des sociétés concessionnaires d'autoroutes, la Cour des comptes regrettait ainsi que « le produit financier immédiat attendu des privatisations a[it] primé sur toute autre considération » 54 ( * ) .

Une fois le débat de l'opportunité de la cession tranché, encore faut-il résoudre la question de l'affectation de son produit , ce qui suppose un arbitrage entre réinvestissement et contribution au désendettement.

Sur le plan financier, cet arbitrage doit principalement reposer pour l'État sur une comparaison entre les bénéfices qu'il peut espérer tirer à long terme de la détention d'actifs financiers et son coût de refinancement attendu sur les marchés financiers.

À cet égard, il peut être noté que la rentabilité historique des placements en actions en France s'élève à 6,6 % , après prise en compte des dividendes réinvestis et de l'inflation 55 ( * ) . Cette rentabilité est conforme aux niveaux observés aux États-Unis sur longue période, qui sont remarquablement stables depuis 1802.

Évolution de la rentabilité réelle annuelle moyenne du marché actions américains depuis 1802

(en %)

1802-1870

1871-1945

1946-2011

1802-2011

Rentabilité réelle annuelle moyenne

7,0 %

6,39 %

6,44 %

6,70 %

Source : Jeremy Siegel, « Long-term stocks returns unshaken by Bear Markets », Rethinking the equity risk premium , CFA Institute, 2011, p. 145-146

Aussi, même lorsque le coût de refinancement de l'État s'élevait à 4,5 %, la Cour des comptes estimait logiquement que « l'affectation d'une partie du produit des cessions d'actifs au Fonds de réserve des retraites plutôt qu'au désendettement, à des fins de réinvestissement dans un portefeuille de titres diversifiés, peut constituer un arbitrage financièrement pertinent » 56 ( * ) .

Au regard de cette grille d'analyse, privatiser pour réduire la dette maastrichtienne constituerait dans le contexte actuel un choix contraire à l'intérêt patrimonial de l'État.


* 48 Les Échos, « Nicolas Sarkozy : "Il faut un contre-choc fiscal de 25 milliards" », 3 février 2016.

* 49 Cette période a notamment été marquée par la privatisation de trois sociétés autoroutières, la revente de la participation dans Alstom au groupe Bouygues, la cession de 5 % du capital de France Télécom et la cession de 2,5 % du capital d'EDF.

* 50 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

* 51 Ibid.

* 52 Laurent Batsch, « La théorie de la valeur de l'entreprise », Institut national de la statistique et des études économiques collecte (Insee), 2006.

* 53 Ibid.

* 54 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

* 55 Autorité des marchés financiers (AMF), « La rentabilité historique des placements en France », La lettre de l'observatoire de l'épargne de l'AMF, numéro 6, décembre 2013.

* 56 Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2007, p. 74.

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