EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Nos collègues MM. Éric Doligé et Michel Vergoz, dans leur rapport de 2014 rédigé au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer et consacré aux niveaux de vie dans les outre-mer 1 ( * ) , résumaient la situation actuelle des territoires ultramarins en ces termes : « Îlots de prospérité dans leurs environnements régionaux respectifs grâce aux politiques publiques menées depuis la Libération, les outre-mer, à des degrés divers, accusent cependant un net retard de développement par rapport à l'hexagone, retard qui se mesure parfois en dizaines d'années et dont la résorption se ralentit aujourd'hui, voire pour certains territoires tend à se creuser à nouveau . »

Ce constat est ancien et constant : si, au sein de leur environnement régional, nos territoires ultramarins, quels que soient leur statut institutionnel dans la République et leur situation géographique, représentent un îlot de prospérité en comparaison de leurs voisins, les écarts de niveaux de vie entre les populations ultramarines et la population hexagonale demeurent importants. Cette injustice est d'autant plus mal perçue que les ultramarins bénéficient des mêmes droits que leurs concitoyens de l'hexagone. Les événements sociaux dans les Antilles en 2008 et, plus récemment, à Mayotte en 2011 et à La Réunion en 2012 témoignent d'une certaine exaspération des populations ultramarines et de leur volonté de parvenir à un niveau de vie équivalent.

C'est dans ce contexte que le Premier ministre a confié à notre collègue député, M. Victorin Lurel, la mission de réfléchir aux moyens de parvenir à une égalité réelle entre les territoires ultramarins et l'hexagone. La réflexion a abouti à un rapport remis en mars 2016 2 ( * ) formulant soixante-quinze propositions pour parvenir à une égalité réelle entre les différents territoires de la République. Le présent projet de loi en est la traduction partielle.

Adopté par l'Assemblée nationale le 11 octobre 2016, après engagement de la procédure accélérée, ce projet de loi a été fortement enrichi par les travaux de l'Assemblée nationale, aussi bien en commission qu'en séance publique. Compte tenu de la grande variété des sujets abordés, votre commission a délégué l'examen au fond de près de la moitié des articles à quatre commissions pour avis - la commission des affaires sociales, la commission des affaires économiques, la commission de la culture et la commission des finances -, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ayant privilégié un avis plus global sur l'ensemble des dispositions relevant de sa compétence.

Votre rapporteur a voulu aborder ce projet de loi dans un esprit constructif, car nombre de ses dispositions suscitent l'intérêt. Il a cherché, au terme d'une large consultation, à concilier au mieux l'objectif affiché de parvenir à une égalité réelle entre territoires ultramarins et territoire hexagonal avec la rigueur juridique qui s'impose au législateur.

Votre commission, malgré des réserves quant à certaines novations juridiques, imprécisions ou interrogations constitutionnelles, a approuvé les objectifs généraux de ce texte soumis à son examen. En conséquence, à l'initiative de son rapporteur et des rapporteurs pour avis, elle a cherché à améliorer et à enrichir le projet de loi, tout en écartant ou corrigeant les dispositions ne lui paraissant pas appropriées ou correctement conçues au regard de leurs finalités légitimes.

Votre rapporteur tient à saluer l'esprit d'ouverture de la ministre des outre-mer, Mme Ericka Bareigts, ainsi que la qualité des échanges qu'il a pu avoir avec les rapporteurs pour avis pour apporter des réponses rigoureuses aux légitimes attentes de nos compatriotes ultramarins.

I. UNE SITUATION DES TERRITOIRES ULTRAMARINS GLOBALEMENT INSATISFAISANTE

A. DES INÉGALITÉS PERSISTANTES ET CRIANTES MALGRÉ DES POLITIQUES VOLONTARISTES

1. Une situation globalement bien plus difficile que dans l'hexagone...

La mission confiée par le Premier ministre à notre collègue député, M. Victorin Lurel, a permis de dresser un état des lieux complet de la situation des territoires ultramarins, aussi bien ceux relevant des articles 73 et 74 de la Constitution que la Nouvelle-Calédonie. Il relève ainsi que si « les efforts fournis en matière d'infrastructures, de services collectifs et de prestations individuelles ont indéniablement rapproché les outre-mer des « standards » de développement nationaux, de nombreux écarts subsistent, notamment en matière de transports, d'infrastructures d'assainissement, d'électricité et de télécommunication, ou encore d'accès au logement. »

Comme le relève l'étude d'impact jointe au présent projet de loi, le niveau de richesse par habitant des collectivités ultramarines est inférieur au produit intérieur brut (PIB) national par habitant : « En 2013, cet écart atteint respectivement 31 % et 38 % pour la Martinique et la Guadeloupe, 73 % pour Mayotte, 36 % pour La Réunion et 49 % pour la Guyane. Ces écarts sont encore plus importants au sein des collectivités de l'article 74 de la Constitution où la Polynésie française et Wallis-et-Futuna présentent un PIB par habitant inférieur respectivement de 49 % et de 64 % (2005) à la moyenne nationale. »

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation.

Tout d'abord, la croissance démographique, particulièrement dynamique dans les territoires ultramarins, augmente les besoins en services, aussi bien publics que privés.

Ensuite, le taux de chômage y est particulièrement élevé, notamment chez les jeunes : il est en moyenne deux fois plus élevé dans la plupart des territoires d'outre-mer par rapport à la moyenne hexagonale. Toujours selon l'étude d'impact, « ce phénomène reflète la faiblesse de l'appareil productif local et la dynamique démographique de certaines populations (avec des entrées sur le marché du travail excédant les sorties). Les taux d'activité y sont également plus faibles. » En revanche, la sphère informelle - le travail « au noir » - est plus développée, entraînant une absence de protection pour les nombreux travailleurs y recourant.

Par ailleurs, un taux d'illettrisme et un phénomène de décrochage scolaire largement supérieur à ceux de l'hexagone sont à déplorer : selon l'étude d'impact, « la part des 16 à 25 ans sans diplôme s'élève à 14 % en Martinique, 14,2 % en Guadeloupe, 21,6 % à La Réunion et 33,3 % en Guyane contre 10,5 % en moyenne au niveau national. [...] Par ailleurs, 32,4 % des 20-29 ans ayant fini leurs études n'ont aucun diplôme (contre 17,1 % dans l'hexagone). »

Enfin, le taux de pauvreté est deux fois plus élevé que dans l'hexagone, puisqu'il s'y établit à 13,2 %, alors même que le revenu médian local y est plus faible. En outre, les indices de développement humain dans les outre-mer s'élèvent, en moyenne, à 0,779, contre 0,883 pour la France hexagonale. « Cet écart correspond à 27 années de retard en Guyane, 21 années à La Réunion, 28 années en Polynésie, 13 années en Martinique, 12 années en Guadeloupe, 18 années en Nouvelle-Calédonie » 3 ( * ) . Ces écarts se doublent d'inégalités internes au sein de chaque territoire plus importantes que dans l'hexagone : ainsi, le rapport interdécile 4 ( * ) pour les revenus est bien plus élevé dans les outre-mer. Il s'élève en effet à 5,4 à La Réunion, 6,7 en Guadeloupe, 10,7 en Guyane contre 3,6 dans l'hexagone. Ainsi que le relevaient nos collègues, MM. Éric Doligé et Michel Vergoz, « en 2008 [...] , la moitié des ménages calédoniens les plus fortunés se partageait 79 % des ressources, contre 69 % dans l'hexagone [...] . Le cinquième des ménages polynésiens les plus aisés capte [...] près de la moitié (47 %) du revenu total des ménages tandis que le cinquième le plus pauvre en perçoit à peine 6 % ».

On constate également des écarts de niveaux d'équipements, aussi bien en matière de voirie, d'assainissement et de gestion de l'eau - le raccordement d'assainissement ne concernant que moins de la moitié de la population de ces territoires. S'ajoute également une proportion élevée d'habitats précaires et indignes, qui représentent 13 % des logements insalubres français pour seulement 4 % de la population. Le constat est identique en matière d'accès aux services de base : la téléphonie fixe (72 % de la population d'outre-mer est raccordée contre près de 100 % dans l'hexagone) ou l'accès à Internet (le raccordement ne concernant que 50 % des habitants des collectivités régies par l'article 73 de la Constitution contre 81 % de la population de l'hexagone).

Ces écarts de richesse et d'éducation ont un impact évident sur le développement de ces territoires. Ils reflètent également un essoufflement du modèle économique des territoires ultramarins, principalement fondés sur la consommation finale des ménages et résolument tournés vers l'hexagone, et la nécessité de fonder un nouveau modèle favorisant un développement durable de ces territoires.

2. ... malgré la mise en oeuvre de politiques volontaristes

Bien qu'il soit sans appel, ce constat n'est pas nouveau.

La réponse institutionnelle apportée par la départementalisation des « quatre vieilles » - la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion - en 1946 puis de Mayotte, en 2011, et la définition de statuts adaptés aux collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie a constitué un premier élément de recherche de convergence des territoires ultramarins vers la situation de l'hexagone.

Cette réponse institutionnelle s'est accompagnée de la mise en oeuvre de nombreux outils, destinés à stimuler les atouts de ces territoires, tout en prenant en compte leurs spécificités.

Pour mémoire, on citera les contrats de plan État-région (CPER) qui permettent le financement de projets structurants pour les territoires pour une durée de six ans, dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution. Pour la dernière génération des CPER, conclus pour la période 2015-2020, l'État a axé ses financements sur la réduction des écarts en matière d'infrastructures et de services collectifs de base. Selon l'étude d'impact, « le montant de l'engagement de l'État dans le cadre des CPER en faveur des régions d'outre-mer s'établit à 865,89 millions d'euros. Ce montant est en augmentation nette par rapport à la programmation 2007-2013. » Ces mêmes collectivités disposent également du schéma d'aménagement régional (SAR) qui fixe les orientations en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l'environnement.

Les collectivités d'outre-mer bénéficient quant à elles de contrats de projets et de développement, qui s'inscrivent dans la même logique de programmation pluriannuelle de soutien aux investissements structurants. Toujours selon l'étude d'impact, la participation de l'État à ces contrats s'élève à près de 680 millions d'euros et bénéficie à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Saint-Martin.

Les territoires d'outre-mer bénéficient également de programmes européens, tels que les programmes opérationnels, applicables dans les régions ultra-périphériques (RUP). Ils définissent les objectifs thématiques et les priorités d'investissement, pour une enveloppe de près de 5 milliards d'euros pour la période 2004-2020 dans les RUP avec des cofinancements par les quatre fonds structurels et d'investissement (FEDER, FSE, FEADER, FEAMP). Ils bénéficient également du fonds européen de développement pour un montant de 105 millions d'euros pour la période 2014-2020.

Quant aux contrats de ville 2015-2020, ils visent à fédérer l'ensemble des partenaires institutionnels, économiques, associatifs autour d'un projet de territoire pour les quartiers défavorisés et fixent les actions à mener dans le cadre de la politique de la ville.


* 1 Rapport d'information de MM. Éric Doligé et Michel Vergoz, fait au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer n° 710 (2013-2014) - 9 juillet 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-710-notice.html .

* 2 Rapport de M. Victorin Lurel, « Égalité réelle outre-mer », mars 2016. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000180.pdf.

* 3 Agence française de développement : « Quel niveau de développement des départements et collectivités d'outre-mer » (novembre 2012), citée par l'étude d'impact du présent projet de loi.

* 4 Les rapports interdéciles des revenus sont utilisés pour mettre en évidence les disparités entre les plus riches et les plus pauvres. Le rapport interdécile du revenu fiscal par unité de consommation (UC) établit le rapport entre les revenus par UC les plus élevés et les revenus par UC les plus faibles, en ôtant de chaque côté les 10 % de personnes aux revenus les plus extrêmes.

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