B. BILAN DES MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE PRISES AU COUR DE LA CINQUIÈME PHASE

Comme votre rapporteur avait eu l'occasion de le souligner lors de l'examen du dernier projet de loi de prorogation, en décembre 2016, l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 a permis aux instances de contrôle mises en place par chacune des commissions des lois des deux assemblées d'opérer un suivi plus fin des mesures de police administrative de l'état d'urgence. En effet, depuis le début de la quatrième phase, en application de l'article 4-1 de la loi du 3 avril 1955, le comité de suivi de l'état d'urgence constitué par votre commission est destinataire d'une copie de l'ensemble des actes administratifs pris en application de l'état d'urgence.

Cette transmission permet ainsi à votre rapporteur d'avoir une vision exhaustive de ces mesures, d'en analyser la répartition par nature et par département et d'en apprécier la pertinence, notamment au vu de la motivation des actes, et l'efficacité au regard de la lutte antiterroriste.

Ce sont ainsi environ 2 500 actes, toutes mesures confondues de l'état d'urgence, qui ont été pris par les autorités administratives entre le 22 décembre 2016 et le 28 juin 2017. Sur le plan territorial, 32 départements métropolitains ne sont pas du tout concernés par les mesures de l'état d'urgence, les départements et collectivités d'outre-mer étant très peu touchés par celles-ci 15 ( * ) .

1. Une utilisation plus ciblée des perquisitions administratives

Régies par le I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, les perquisitions administratives constituent l'un des principaux pouvoirs de police reconnus aux autorités administratives dans le cadre de l'état d'urgence. Ordonnées par les préfets, les perquisitions administratives ne sont applicables que si le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence le prévoit expressément. Depuis le 14 novembre 2015, une telle disposition expresse a été systématiquement prévue, exception faite de la troisième phase de l'état d'urgence.

En vertu de ces dispositions, le préfet peut ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Une perquisition ne peut être ordonnée dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes.

Le cadre juridique des perquisitions administratives a été profondément revu à l'occasion de la loi de prorogation du 20 novembre 2015, puis précisé par la loi 21 juillet 2016, laquelle a rétabli la possibilité de procéder à des saisies de données informatiques 16 ( * ) , mais également par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Ainsi, l'article 38 de la loi du 28 février 2017 a encadré les conditions dans lesquelles des perquisitions administratives peuvent être effectuées la nuit. Ces dispositions, qui transposent la jurisprudence du Conseil constitutionnel 17 ( * ) , précisent que de telles perquisitions ne peuvent être ordonnées entre 21 heures et 6 heures que sur « motivation spéciale de la décision de perquisition fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération ». Ainsi, parmi les 83 perquisitions administratives réalisées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, seules quatre ont été réalisées entre 21 heures et 6 heures.

Si 612 perquisitions administratives ont été ordonnées entre le 22 juillet et le 21 décembre 2016, ce nombre est redescendu à 161 au cours de la cinquième phase 18 ( * ) , ce qui témoigne d'une utilisation moins intensive de cet outil.

Ce sont ainsi 33 perquisitions qui ont été décidées dans le département des Alpes-Maritimes, 15 dans le Val-d'Oise, 9 dans le Nord, 8 dans l'Essonne, 6 dans les départements de Seine-et-Marne et des Hauts-de-Seine. Dans les autres départements, peu de mesures ont été prescrites par les préfets (entre 1 et 5 perquisitions dans une quarantaine de départements).

D'après les informations fournies par le ministère de l'intérieur au titre du contrôle parlementaire de l'état d'urgence, ces perquisitions ont donné lieu à une vingtaine de suites judiciaires, dont certaines pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ou pour apologie du terrorisme.

Au-delà des suites judiciaires, le Gouvernement fait valoir que l'intérêt des perquisitions administratives réside également dans la possibilité de saisir la copie des données informatiques, voire les terminaux eux-mêmes si la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition, dès lors que la perquisition « révèle l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée ». Le Gouvernement indique ainsi qu'au cours de la cinquième phase de l'état d'urgence, l'exploitation des données informatiques saisies, puis exploitées après autorisation du juge des référés du tribunal administratif compétent ou, le cas échéant, du Conseil d'État, « a permis de percer à jour certains projets terroristes ou d'identifier certains profils particulièrement dangereux, lesquels ont pu ensuite faire l'objet de suites judiciaires alors même que les éléments détenus initialement n'avaient pas permis d'envisager une perquisition judiciaire ».

Interrogés par votre rapporteur, les services du ministère de l'intérieur lui ont indiqué qu'à l'occasion des perquisitions réalisées au cours de la cinquième phase, 84 d'entre elles ont donné lieu à des consultations de données informatiques sur le lieu perquisitionné, 14 à des copies de données informatiques et 27 à des saisies de matériels informatiques.

S'agissant des 14 cas de copies de données informatiques sur des supports pendant les perquisitions :

- 6 ont donné lieu à un accord d'exploitation par le juge des référés ;

- dans les 8 autres cas, le ministère de l'intérieur ne dispose pas des informations.

S'agissant des 27 saisies de matériels informatiques :

- 19 ont donné lieu à une saisine du juge des référés 19 ( * ) ;

- 4 ont ensuite fait l'objet de suites judiciaires, la saisie ayant alors été traitée dans ce cadre ;

- pour les 4 autres saisies, le ministère de l'intérieur n'a pu fournir de précisions à votre rapporteur.

Les perquisitions administratives ont donné lieu à un abondant contentieux administratif de fond, la procédure du référé étant sans objet pour ce type de mesure. Ainsi, du 14 novembre 2015 au 31 décembre 2016, 4 367 perquisitions ont été ordonnées. Sur ce total, 115 requêtes en annulation ont été déposées devant les juridictions administratives. À ce jour, 78 décisions ont été rendues et ont conduit à l'annulation de 31 perquisitions. Préalable obligatoire à l'introduction d'un contentieux de la responsabilité devant les juridictions administratives, 241 demandes d'indemnisation, représentant un montant global de 1,095 million d'euros, ont été formulées auprès des préfectures. 51 de ces demandes ont été acceptées, pour un montant de 46 241 euros, 144 refus ont été signifiés et 46 demandes sont en cours d'instruction.

2. Les assignations à résidence à l'épreuve de leur nouveau cadre juridique relatif à leur durée

En application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu 20 ( * ) qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il appartient à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur d'instruire les dossiers d'assignation, en liaison avec les services de sécurité intérieure, et d'en suivre les aspects contentieux.

Le ministre de l'intérieur a en outre la possibilité d'assortir l'assignation à résidence de mesures complémentaires, en particulier :

- faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ;

- astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation qu'il a déterminé, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ;

- obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ;

- ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré à la personne un récépissé valant justification de son identité sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document ;

- interdire à la personne assignée à résidence de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu'elle n'est plus nécessaire ;

- placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.

Le cadre juridique des assignations à résidence a été profondément modifié à l'occasion de la loi de prorogation du 19 décembre 2016 et de la loi du 28 février 2017.

a) La limitation dans le temps de la durée d'assignation à résidence

La loi de prorogation du 19 décembre 2016 a limité dans le temps la durée totale d'assignation à résidence au cours du même état d'urgence. L'Assemblée nationale et le Sénat se sont ainsi mis d'accord sur une limitation à douze mois maximum de la durée totale d'assignation à résidence 21 ( * ) .

Conformément à l'article 2 de cette loi, le ministre de l'intérieur aurait cependant eu la possibilité de dépasser cette limite en demandant au juge des référés du Conseil d'État l'autorisation de prolonger l'assignation à résidence pour une durée maximale de trois mois, le juge statuant « au vu des éléments produits par l'autorité administrative faisant apparaître les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Une nouvelle demande aurait pu être formulée, dans les mêmes conditions, à l'issue d'une prolongation.

Toutefois, dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017 ( M. Sofiyan I. ), le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions partiellement contraires à la Constitution en jugeant que la compétence attribuée au juge des référés du Conseil d'État par la loi, en ce qu'elle attribuait « au Conseil d'État statuant au contentieux la compétence d'autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d'assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort », méconnaissait « le principe d'impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif ».

Dans ces conditions, il résulte de la censure opérée par le Conseil constitutionnel qu'il appartient au ministre de l'intérieur de décider de prolonger, pour une durée maximale de trois mois renouvelable, une assignation à résidence dont la durée excèderait douze mois, au regard de conditions définies par le Conseil dans sa décision 22 ( * ) , c'est-à-dire « sous réserve, d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie ».

b) Les compléments apportés par la loi du 28 février 2017

Dans le prolongement des propositions formulées par M. Dominique Raimbourg dans son rapport d'information sur l'état d'urgence 23 ( * ) , l'Assemblée nationale a introduit plusieurs aménagements des dispositions relatives aux assignations à résidence dans le projet de loi relatif à la sécurité publique, qui ont tous recueilli l'accord du Sénat.

Selon les modifications prévues à l'article 38 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique :

- le périmètre géographique de l'assignation doit tenir compte de la vie familiale et professionnelle de la personne ;

- le procureur de la République compétent est informé sans délai de toute mesure d'assignation à résidence, des modifications qui y sont apportées et de son abrogation ;

- le ministre de l'intérieur peut déléguer au préfet territorialement compétent le soin de modifier le lieu et la plage horaire de l'astreinte à demeurer dans un lieu d'habitation déterminé, ainsi que les horaires, la fréquence et le lieu de l'obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie.

c) Le bilan statistique des assignations à résidence

À la fin de la première phase de l'état d'urgence, le 25 février 2016, 268 personnes faisaient l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence en vigueur 24 ( * ) . À la fin de la deuxième phase, le 25 mai 2016, 68 arrêtés d'assignation à résidence étaient en vigueur, 75 arrêtés à la fin de la troisième phase, le 21 juillet 2016, et 91 arrêtés à la fin de la quatrième phase.

Depuis le démarrage de la cinquième phase, le 22 décembre 2016, 90 arrêtés d'assignation à résidence ont été pris et 63 personnes demeuraient assignées à résidence au 28 juin 2017 , les abrogations résultant le plus souvent de l'incarcération des individus concernés pour non-respect des obligations de leur assignation ou dans le cadre de poursuites judiciaires pour d'autres faits. Dans cinq cas, la fin de l'assignation a résulté d'une ordonnance de suspension prise par le juge administratif. Par ailleurs, certains arrêtés d'assignation à résidence, d'une durée supérieure à douze mois, n'ont pas fait l'objet d'un renouvellement.

Parmi ces 63 personnes, 25 ont été assignées à résidence pour la première fois au cours de la cinquième phase, tandis que 30 ont vu leur assignation renouvelée lors de la prorogation de l'état d'urgence à compter du 22 décembre 2016 et 8 ont été à nouveau assignées après une interruption liée à une incarcération.

L'entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la limitation dans le temps de la durée totale d'assignation à résidence, dans les conditions définies par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 16 mars 2017, ayant été fixée au 22 mars 2017 25 ( * ) , les services du ministère de l'intérieur ont procédé à la prolongation pour trois mois de 13 des 19 assignations à résidence qui se prolongeaient depuis plus d'un an. Cette première période de prorogation ayant pris fin à partir du 22 juin dernier, le ministère de l'intérieur a repris des arrêtés d'assignation à résidence pour une nouvelle durée de trois mois pour 7 personnes.

Au total, sur les 63 personnes demeurant assignées à résidence :

- 11 l'étaient depuis plus d'un an ;

- 24 depuis 6 à 12 mois ;

- 28 depuis moins de 6 mois.

Une partie des personnes assignées à résidence font l'objet de mesures administratives complémentaires. Ainsi, sur les 63 personnes concernées :

- 25 font l'objet d'une mesure d'interdiction de sortie du territoire (IST) 26 ( * ) ;

- 5 sont frappées par un arrêté de gel d'avoirs et 2 dossiers sont en cours d'étude ;

- 7 dossiers d'éloignement sont en cours d'étude, dont l'un est suspendu en raison d'une procédure judiciaire. En outre, un arrêté d'assignation à résidence, pris sur le fondement des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été pris, de même qu'un autre arrêté à l'encontre d'une personne avant son éloignement, dans l'attente de la délivrance d'un laisser-passer consulaire.

Par ailleurs, parmi les personnes dont l'assignation à résidence au-delà d'un an n'a pas été renouvelée, une fait l'objet d'une mesure d'IST et deux dossiers sont en cours d'instruction.

Depuis le 22 décembre 2016, les arrêtés d'assignation à résidence ont fait l'objet de 59 recours devant les juridictions administratives :

- 40 recours en référé, ayant conduit dans cinq cas à la suspension de la mesure par le juge administratif ;

- 19 recours pour excès de pouvoir, dont quatre ont conduit au rejet de la requête, les autres contentieux étant toujours en cours.

Votre rapporteur tient à souligner les difficultés qui vont résulter du nouveau cadre juridique relatif à la prolongation des assignations à résidence au-delà d'un délai de douze mois, tel qu'il résulte de la décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017. En effet, alors que le législateur avait souhaité qu'une prolongation de trois mois d'une assignation soit conditionnée au fait « que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l'ordre publics » 27 ( * ) , le Conseil constitutionnel, dans sa réserve d'interprétation, a notamment exigé des « éléments nouveaux ou complémentaires » et « que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics » , ce qui est évidemment plus rigoureux.

Comme votre rapporteur l'avait anticipé dans son rapport 28 ( * ) sur le précédent projet de loi de prorogation de l'état d'urgence 29 ( * ) : le plus souvent, « il n'existera pas d'éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure [d'assignation à résidence], alors même que le comportement des intéressés continue à présenter un risque pour la sécurité et l'ordre publics, sans pour autant qu'il existe des éléments permettant de judiciariser leur situation ». Ainsi, votre rapporteur avait considéré que « certaines personnes ayant fait l'objet d'une assignation à résidence peuvent présenter une réelle dangerosité pour la société, comme le démontre le nombre élevé d'assignés - quatorze - qui ont été incarcérés » au cours de la quatrième phase de l'état d'urgence. En conséquence, il ne jugeait pas « souhaitable que l'autorité administrative, qui a déjà jugé utile de renouveler ces assignations à trois reprises depuis le mois de novembre 2015, se trouve dépourvue de moyens de contrôle des personnes concernées alors même que l'état d'urgence continuerait à être applicable ».

Ces analyses semblent s'être avérées exactes si l'on se réfère aux dernières décisions des juridictions administratives. Ainsi, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu, par ordonnances en date du 16 juin 2017, deux nouvelles prolongations pour trois mois d'assignations à résidence prises sur le fondement des dispositions résultant de la loi du 19 décembre 2016. Le ministre de l'intérieur ayant fait appel de ces deux décisions, le juge des référés du Conseil d'Etat 30 ( * ) a confirmé les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Lille et rejeté l'appel du ministre au motif que « le ministre ne fait état dans son recours d'aucun élément nouveau ou complémentaire intervenu depuis le 20 mars 2017 de nature à établir la persistance de la menace » que présenteraient les intéressés et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date des ordonnances, le comportement des intéressés « constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ».

Votre rapporteur craint par conséquent que le nouveau cadre juridique des assignations à résidence résultant de la décision du 16 mars 2017 du Conseil constitutionnel ne conduise en pratique à rendre très difficile toute prolongation d'assignation au-delà d'un délai d'un an.

3. L'utilisation des autres mesures de l'état d'urgence

La loi du 3 avril 1955 donne de nombreuses prérogatives aux autorités administratives : créer des zones de protection au sein desquelles la circulation des personnes et des véhicules est réglementée ou interdire à une personne de séjourner dans certains lieux (article 5) ; ordonner la remise des armes et des munitions relevant des catégories A à C, ainsi que de celles soumises à enregistrement relevant de la catégorie D (article 9). Ces mesures ont été peu utilisées depuis le 22 décembre 2016 avec la création de 18 zones de protection et l'édiction de 48 interdictions de séjour 31 ( * ) .

La loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 a par ailleurs élargi les pouvoirs de l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence.

Les préfets ont désormais la possibilité d'ordonner des contrôles d'identité, l'inspection visuelle et la fouille des bagages et la visite des véhicules, alors que cette prérogative est, dans le droit commun, conférée aux officiers de police judiciaire, à leur initiative et sous le contrôle du procureur de la République ou sur réquisitions de ce dernier.

Cette faculté demeure assez largement utilisée avec, à la date du 28 juin 2017, 2 082 mesures prises dans 24 départements. L'importance du nombre d'arrêtés ne doit cependant pas masquer une assez grande disparité des situations constatées localement puisque 8 départements sont à l'origine de 90 % de ces mesures, avec 503 en Saône-et-Loire, 484 dans le Nord, 457 décisions en Seine-et-Marne, 232 dans le Calvados, 78 à Paris, 65 dans le Haut-Rhin ainsi que dans le Val-d'Oise et 60 dans le Loiret. Dans les 16 autres départements, le nombre de contrôles ordonnés par les préfets varie entre un et quarante.

Avec la loi du 21 juillet 2016, le législateur a également explicité les dispositions de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 donnant à l'autorité administrative la possibilité de procéder à la fermeture des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. Sur ce fondement, 4 nouvelles décisions de fermeture ont été prises :

- le 21 décembre 2016 32 ( * ) , à l'encontre d'une salle de prière dans les Yvelines (Ecquevilly) ;

- le 31 janvier 2017, à l'encontre d'une salle de prière dans les Bouches-du-Rhône (Aix-en-Provence) ;

- le 5 avril 2017, à l'encontre d'une mosquée dans l'Hérault (Sète) ;

- le 10 avril 2017, à l'encontre d'une mosquée en Seine-et-Marne (Torcy). L'association « Rahma de Torcy Marne-la-Vallée » qui assurait la gestion de cette mosquée a ensuite fait l'objet d'une dissolution, le 4 mai dernier, par décret en conseil des ministres 33 ( * ) en application de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

En outre, neuf salles de prière ou mosquées ayant fait l'objet d'une décision de fermeture prises au cours des phases précédentes de l'état d'urgence ont vu la décision de fermeture renouvelée au cours de la cinquième phase 34 ( * ) . L'association gérant la mosquée de Lagny-sur-Marne, laquelle avait d'abord fait l'objet d'une mesure de fermeture, a également été dissoute par décret pris en conseil des ministres 35 ( * ) . Enfin, deux mosquées ayant fait l'objet d'une fermeture ont ensuite été rouvertes.

Toujours en application de dispositions introduites par la loi du 21 juillet 2016, l'autorité administrative a désormais la possibilité d'interdire les cortèges, défilés et rassemblements dont elle n'est pas en mesure d'assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose. À ce titre, 16 décisions préfectorales de cette nature ont été prises, dont 15 par le préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord.

Au total, exception faite des mesures relatives aux contrôles d'identité, l'usage des mesures de l'état d'urgence, autres que les perquisitions administratives et assignations à résidence, a été plutôt modéré depuis le 22 décembre 2016.


* 15 On ne dénombre que deux perquisitions administratives et une personne assignée à résidence sur le territoire de La Réunion (cette assignation n'est plus en vigueur depuis le 21 juin 2017).

* 16 Faculté qui avait été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 (Ligue des droits de l'homme). Pour une description du régime procédural applicable à ces saisies, votre rapporteur renvoie à la lecture de son rapport sur la précédente prorogation. Rapport n° 220 (2016-2017) de M. Michel Mercier fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l16-220/l16-220.html.

* 17 Voir considérant n° 10 de la décision n° 2016-536 QPC précitée : « une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer le jour ».

* 18 À la date du 23 juin 2017.

* 19 Le ministère indique ne pas être au courant de l'existence de suites contentieuses à ces référés. Toutefois, aucun appel n'ayant été formé par le ministère, il en déduit que toutes les demandes ont été autorisées.

* 20 Dans les faits, il s'agit généralement d'un périmètre territorial (une ou plusieurs communes).

* 21 Durée total cumulée (y compris en cas d'interruption de l'assignation) au cours d'un même état d'urgence.

* 22 Voir considérant n° 17 de la décision.

* 23 Rapport d'information sur le contrôle parlementaire de l'état d'urgence (14 novembre 2015 -14 novembre 2016) n° 4281 déposé le 6 décembre 2016 par MM. Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4281.pdf.

* 24 Votre rapporteur rappelle par ailleurs que 27 personnes avaient été assignées à résidence pendant la durée de la réunion de la COP 21 à Paris, du 24 novembre au 12 décembre 2015.

* 25 En application du II de l'article 2 de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016.

* 26 En application de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure.

* 27 Rédaction de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 votée dans les mêmes termes par les deux assemblées parlementaires les 13 et 15 décembre 2016.

* 28 Rapport n° 220 (2016-2017) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence. Document consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l16-220/l16-220.html.

* 29 Dans sa rédaction initiale, l'article 2 du projet de loi proposait de fixer à quinze mois consécutifs, en l'absence d'éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure , la durée maximale d'assignation à résidence.

* 30 Juge des référés du Conseil d'État, ordonnances n° 411587 et 411588 en date du 19 juin 2017.

* 31 Contre 438 mesures édictées pendant les manifestations liées à la loi « travail » (avec seulement 169 mesures notifiées aux intéressés).

* 32 L'arrêté préfectoral est applicable à compter du 22 décembre 2016.

* 33 Décret du 4 mai 2017 portant dissolution d'une association publié au Journal officiel du 5 mai 2017.

* 34 En vertu de la décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016 (Ligue des droits de l'homme) du Conseil constitutionnel, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle loi, les mesures de fermeture provisoire et d'interdiction de réunions prises antérieurement sur le fondement de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.

* 35 Décret du 13 janvier 2016 procédant à la dissolution des trois associations cultuelles assurant la gestion de cette mosquée. Un second décret a été pris le 6 mai 2016 en conseil des ministres pour tenir compte de la suspension de l'application du décret du 13 janvier 2016, pour l'une des trois associations dissoutes, par le juge des référés du Conseil d'État « à raison d'un doute sérieux quant à la régularité de la procédure contradictoire mise en oeuvre préalablement à son édiction ». Ce second décret a prononcé à nouveau la dissolution de cette association après conduite d'une procédure contradictoire.

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