EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER - CLARIFIER LE RÔLE DE L'ÉTAT, DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LEURS GROUPEMENTS

Article 1er (art. 1er et 2 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, art. L. 3641-1, L. 5214-16, L. 5214-23-1, L. 5215-20, L. 5215-20-1, L. 5216-5, L. 5217-2 et L. 5219-1 du code général des collectivités territoriales) - Obligations et compétences des communes et des EPCI en matière d'accueil des gens du voyage

L'article 1 er de la proposition de loi vise, d'une part, à préciser le champ des communes et EPCI susceptibles de figurer au schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, d'autre part, à clarifier la répartition des obligations et des compétences entre communes et EPCI pour l'application de ce schéma.

1. Une répartition des rôles devenue confuse

a) Le rôle historique des communes

L'obligation d'accueil des gens du voyage et les compétences afférentes ont d'abord été attribuées aux communes , plutôt qu'à leurs groupements.

Avant même que le législateur n'intervînt pour préciser les obligations des communes et inciter à la réalisation d'aires et de terrains d'accueil, la jurisprudence administrative avait garanti aux gens du voyage le droit de passage et de stationnement sur le territoire des communes, en limitant à cet égard les pouvoirs de police administrative du maire . Dans une décision Ville de Lille du 2 décembre 1983, le Conseil d'État avait ainsi considéré que les mesures prises par le maire sur le fondement de son pouvoir de police générale « ne sauraient légalement ni comporter une interdiction totale de stationnement et de séjour ni aboutir en fait à une impossibilité pour les nomades de stationner pendant le temps minimum qui leur est nécessaire 21 ( * ) ».

Après la tentative infructueuse de la première loi « Besson » de 1990, la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 a imposé aux communes, et plus particulièrement aux communes de plus de 5 000 habitants, diverses obligations . Cette loi prévoit l'élaboration dans chaque département, sous l'autorité du préfet et du président du conseil départemental et après consultation des collectivités territoriales et EPCI concernés, d'un schéma déterminant les secteurs géographiques et les communes où doivent être réalisés :

- des aires permanentes d'accueil , destinées au séjour temporaire (trois à cinq mois en règle générale) et équipées pour recevoir jusqu'à une quarantaine de caravanes ;

- des terrains familiaux locatifs , destinés aux gens du voyage en voie de sédentarisation ;

- des aires de grand passage 22 ( * ) .

Le nombre et la localisation des aires et terrains sont déterminés en fonction des besoins locaux d'accueil, ainsi que des nécessités liées à la scolarisation des enfants, à l'accès aux soins et à l'exercice d'activités économiques par les gens du voyage.

Les obligations incombant aux communes varient selon qu'elles sont inscrites ou non au schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage.

1° Toutes les communes sont soumises à une obligation générale d'accueil : l'article 1 er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 dispose en effet que « les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d'accueil ou des terrains prévus à cet effet ». Il précise que « ce mode d'habitat est pris en compte par les politiques et les dispositifs d'urbanisme, d'habitat et de logement adoptés par l'État et par les collectivités territoriales ». La jurisprudence précitée du Conseil d'État continue par ailleurs à s'appliquer.

2° Seules les communes figurant au schéma « sont tenues (...) de participer à sa mise en oeuvre » , selon l'article 2 de la même loi. Elles peuvent le faire de trois manières :

- soit « en mettant à la disposition des gens du voyage les aires permanentes d'accueil aménagées et entretenues, les terrains familiaux locatifs et les aires de grand passage dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur leur territoire » ;

- soit en « transfér[ant] cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale chargé de mettre en oeuvre les dispositions du schéma départemental » ;

- soit en « contribu[ant] financièrement à l'aménagement et à l'entretien de ces aires et terrains dans le cadre de conventions intercommunales ».

Dans les faits, les schémas aujourd'hui applicables déterminent en général avec précision les obligations de chaque commune, qui peuvent consister, soit à accueillir elles-mêmes une aire ou un terrain (aménagé en réalité par l'EPCI, voir infra ), soit à contribuer au financement d'une aire ou d'un terrain sur le territoire d'une autre commune. Par ailleurs, un EPCI compétent peut choisir d'aménager une aire ou un terrain d'accueil sur le territoire d'une autre commune membre que celle qui figure au schéma, à condition que ces deux communes soient incluses dans le même secteur géographique d'implantation, tel que défini par le schéma.

L'article 1 er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 précise que « les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental » . Ce seuil de population, qui figurait déjà à l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, a été maintenu par le législateur en 2000 afin de s'assurer que chaque agglomération soit équipée pour accueillir des gens du voyage. Il ne s'ensuit pas que toutes les communes de plus de 5 000 habitants doivent se doter d'une aire ou de terrains familiaux : certaines d'entre elles peuvent s'acquitter de leurs obligations en finançant une aire ou un terrain sur le territoire d'une autre commune.

Rien n'interdit, en revanche, de faire figurer au schéma des communes dont la population est inférieure à ce seuil. Comme le notait notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye lors de l'examen de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, « il peut être plus efficace de créer ces aires dans des communes de taille inférieure 23 ( * ) . » Néanmoins, le législateur n'avait envisagé une telle éventualité que dans un cadre intercommunal, les plus petites communes n'ayant pas les moyens d'assumer seules la charge financière liée à la réalisation d'aires ou de terrains d'accueil.

Exemple : les obligations faites aux communes de la communauté de communes de l'Arpajonnais (Essonne)

Communes

Compétence

Type d'obligation

Obligations 2003-2009

(en nombre de places)

Réalisation 24 ( * )

Obligations 2013-2019

(y compris les réalisations antérieures)

Restant à réaliser

Arpajon

EPCI

Création

20

0

20

22

Saint-Germain-lès-Arpajon

Création

11

0

11

Breuillet

Création

11

14

11

Égly

Création

11

14

11

Lardy

Création

11

14

11

Avrainville, Boissy-sous-Saint-Yon, Bruyères-le-Châtel, Cheptainville, Guibeville, La Norville, Ollainville, Saint-Yon, Marolles-en-Hurepoix

Participation financière

TOTAL

64

42

64

22

Source : schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage de l'Essonne,
octobre 2013.

b) Des compétences partiellement transférées aux EPCI à fiscalité propre

La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 permettait aux communes de transférer leur compétence de réalisation des aires et terrains prévus par le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage à un établissement public de coopération intercommunale. Depuis lors, des réformes territoriales successives ont confié à tous les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ainsi qu'à la métropole de Lyon, une compétence obligatoire d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires permanentes d'accueil, terrains familiaux locatifs et aires de grand passage destinés aux gens du voyage :

- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles , dite loi « MAPTAM », a fait de l'aménagement, de l'entretien et de la gestion des « aires d'accueil » une compétence obligatoire des métropoles et des communautés urbaines, ainsi que de la métropole de Lyon, collectivité territoriale à statut particulier ;

- cette règle a été étendue aux communautés d'agglomération et communautés de communes par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République , dite loi « NOTRe » ;

- la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a étendu cette compétence obligatoire des EPCI à fiscalité propre aux terrains familiaux locatifs ; elle a également précisé, afin de lever toute ambiguïté à cet égard, que les aires de grand passage entrent dans le champ de compétence des mêmes EPCI 25 ( * ) .

Or ces transferts obligatoires de compétences n'ont pas donné lieu à la révision concomitante de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000. Sans doute faut-il y voir un signe de la précipitation avec laquelle les dernières réformes territoriales ont été entreprises... Il en résulte un paradoxe : alors que la loi « Besson » du 5 juillet 2000 fait peser sur les communes l'obligation de mettre en oeuvre le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, celles-ci, dans leur immense majorité, ne disposent plus de la compétence correspondante . En vertu du principe d'exclusivité des compétences transférées 26 ( * ) , les communes membres d'un EPCI à fiscalité propre n'ont donc plus le droit de prendre de mesure ni d'engager de dépense - hors fonds de concours - relative à l'aménagement, à l'entretien ou à la gestion des aires et terrains destinés aux gens du voyage.

La situation se complique du fait que certaines compétences d'urbanisme qui peuvent s'avérer nécessaires pour mettre en oeuvre le schéma départemental - plan local d'urbanisme, droit de préemption urbain, permis d'aménager - ne sont pas systématiquement transférées à l'EPCI :

- si les EPCI à fiscalité propre sont, en règle générale, titulaires de la compétence « plan local d'urbanisme et documents d'urbanisme en tenant lieu » et, par voie de conséquence, du droit de préemption urbain 27 ( * ) , l'article 136 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové , dite loi « ALUR », accorde, en ce qui concerne les communautés de communes et d'agglomération, un droit d'opposition au transfert de cette compétence à au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population ;

- l'autorité compétente pour délivrer le permis d'aménager est, en règle générale, soit le maire, au nom de la commune, soit le maire ou le préfet, au nom de l'État ; la commune peut cependant déléguer sa compétence à un EPCI, cette délégation devant être confirmée après chaque renouvellement du conseil municipal ou après l'élection d'un nouveau président de l'EPCI 28 ( * ) .

Les cas particuliers des métropoles d'Aix-Marseille-Provence et du Grand Paris, ainsi que de la métropole de Lyon

Si les métropoles de droit commun sont compétentes en matière de plan local d'urbanisme et, comme tous les EPCI à fiscalité propre, en matière d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires et terrains destinés aux gens du voyage, les métropoles du Grand Paris et d'Aix-Marseille-Provence font exception à cette règle :

- au sein de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, les conseils de territoires sont compétents pour élaborer des plans locaux d'urbanisme intercommunaux, soumis cependant à l'approbation du conseil de la métropole 29 ( * ) ;

- de la même manière, au sein de la métropole du Grand Paris, les établissements publics territoriaux sont compétents pour élaborer chacun un plan local d'urbanisme intercommunal 30 ( * ) .

La métropole de Lyon, qui, pour mémoire, n'est pas un EPCI mais une collectivité territoriale à statut particulier, est - de même que les métropoles de droit commun et les communautés urbaines - compétente de plein droit en matière de plan local d'urbanisme, d'une part, et d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires et terrains destinés aux gens du voyage, d'autre part.

2. La mise à jour proposée du contenu du schéma départemental et de ses modalités de mise en oeuvre

a) Le contenu du schéma départemental

L'article 1 er de la proposition de loi n° 557 (2016-2017) tend, en premier lieu, à modifier le contenu du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage afin d'en circonscrire le champ d'application, mais aussi dans un souci de simplification et par coordination avec les dispositions prévues par ailleurs.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent tout d'abord exclure , « par souci de clarté », la possibilité de faire figurer au schéma départemental les communautés de communes qui ne comptent, parmi leurs membres, aucune commune de moins de 5 000 habitants .

Il est également proposé de supprimer les deux annexes au schéma départemental qui recensent les terrains familiaux à caractère privé, ainsi que les terrains mis à la disposition des gens du voyage par leurs employeurs, notamment dans le cadre d'emplois saisonniers.

Serait enfin supprimée la mention selon laquelle le schéma départemental définit les conditions dans lesquelles l'État intervient pour assurer le bon déroulement des rassemblements traditionnels ou occasionnels de gens du voyage, ainsi que des grands passages . L'article 3 prévoit, en effet, de transférer au préfet le pouvoir de police générale du maire lors de ces occasions.

b) La mise en oeuvre du schéma départemental et la répartition des rôles entre communes et EPCI

L'article 1 er de la proposition de loi vise ensuite à clarifier la répartition des obligations et des compétences entre communes et EPCI à fiscalité propre dans la mise en oeuvre du schéma départemental.

Il est proposé d'inscrire dans la loi que les communes inscrites au schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage remplissent leurs obligations en :

« 1° Accueillant sur leur territoire les aires ou les terrains mentionnés au II de l'article 1 er [de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000] et en contribuant, le cas échéant, au financement de leur création, de leur aménagement, de leur entretien ou de leur gestion ;

« 2° Contribuant au financement de la création, de l'aménagement, de l'entretien ou de la gestion des aires ou terrains situés dans une commune appartenant au même établissement public de coopération intercommunale. »

Quant aux établissements publics de coopération intercommunale, ils rempliraient leurs obligations en :

« a) Créant, aménageant, entretenant et assurant la gestion des aires ou terrains situés sur leur territoire ;

« b) Contribuant au financement de la création, de l'aménagement, de l'entretien ou de la gestion des aires ou terrains situés sur le territoire d'un autre établissement public de coopération intercommunale. »

Les dispositions relatives à la gestion des aires et terrains seraient modifiées par coordination, pour ne plus viser désormais que les EPCI et non plus les communes.

En outre, l'article 1 er de la proposition de loi tend à préciser que la compétence obligatoire des EPCI à fiscalité propre s'étend à la « création » des aires et terrains destinés aux gens du voyage. Cette précision rédactionnelle, reprise d'une proposition de loi de notre ancienne collègue Jacqueline Gourault et de notre collègue Matthieu Darnaud 31 ( * ) , a pour objet de lever toute ambiguïté sur le fait que l'ensemble des aménagements nécessaires pour transformer un terrain nu en aire permanente d'accueil, en terrain locatif familial ou en aire de grand passage et, partant, pour « créer » ces aires ou ces terrains, incombent aux EPCI.

3. La position de votre commission : poursuivre un effort de clarification qui ne remet pas en cause les équilibres de la loi « Besson »

a) Le contenu du schéma : imposer des garde-fous tout en maintenant de la souplesse

Votre commission a approuvé dans son principe l'exclusion du schéma départemental des communautés de communes qui ne comptent, parmi leurs membres, aucune commune de plus de 5 000 habitants . Cette disposition semble correspondre à l'intention du législateur du 5 juillet 2000 puisque, selon l'exposé des motifs du projet de loi « Besson », il s'agissait alors de garantir qu'une aire d'accueil serait mise à la disposition des gens du voyage dans chaque « agglomération ». La réalisation de telles aires sur le territoire de communes de moins de 5 000 habitants n'était envisagée que dans un cadre intercommunal et au sein d'une telle « agglomération » 32 ( * ) .

Toutefois, votre rapporteur a observé que certains schémas départementaux élaborés depuis lors prévoient la création, à titre facultatif , d'aires d'accueil de faible dimension, et notamment d'aires de « petit passage » destinées à de courtes haltes, dans des communautés de communes rurales ne comportant aucune commune de plus de 5 000 habitants, mais où le besoin s'en est fait sentir 33 ( * ) . Il paraît utile de conserver cette faculté d'inciter les communes à se doter de petites aires sans les y obliger , d'autant que la création d'une aire à titre facultatif confère au maire ou au président de l'EPCI le pouvoir d'interdire le stationnement des caravanes en dehors des emplacements prévus à cet effet 34 ( * ) .

De même, votre rapporteur a estimé préférable de maintenir les deux annexes au schéma départemental prévues par le droit en vigueur, pour la bonne information des élus et du public sur l'offre existante en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage 35 ( * ) . Par coordination avec les choix opérés à l'article 3, il lui a paru nécessaire de maintenir la mention selon laquelle le schéma départemental définit les conditions dans lesquelles l'État intervient pour assurer le bon déroulement des grands rassemblements et des grands passages.

Votre commission a adopté, en ce sens, l'amendement COM-13 de son rapporteur.

À l'initiative de notre collègue Françoise Gatel, un nouveau garde-fou a été imposé en ce qui concerne les prescriptions prévues au schéma départemental ( amendement COM-8 ). La loi dispose déjà que celui-ci est élaboré en fonction des besoins locaux. Toutefois, il n'est pas inutile de préciser que le schéma ne peut prévoir la réalisation d'aires ou de terrains nouveaux si ceux qui existent déjà au sein du même secteur géographique d'implantation n'atteignent pas un taux d'occupation minimal . On constate trop souvent que des aires construites à grands frais par les communes et leurs groupements sont délaissées, pour des raisons diverses, par les gens du voyage et demeurent à moitié vides pendant la plus grande partie de l'année. Selon la Cour des comptes 36 ( * ) , le taux d'occupation moyen des aires permanentes d'accueil n'atteint que 55 %.

Votre commission a enfin adopté l' amendement COM-1 de notre collègue Jean-François Longeot qui prévoit que les évolutions de la carte intercommunale sont prises en compte lors de la révision du schéma départemental, et un amendement rédactionnel COM-14 de son rapporteur.

b) La mise en oeuvre du schéma départemental : circonscrire plus nettement les obligations des communes

S'agissant des modalités de mise en oeuvre du schéma et de la répartition des rôles entre communes et EPCI, votre commission partage le souci de clarification des auteurs de la proposition de loi. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, la rédaction actuelle de la loi soulève des difficultés d'application récurrentes, auxquelles les services déconcentrés de l'État ne savent eux-mêmes pas toujours répondre.

Il a toutefois paru nécessaire à votre commission de circonscrire plus nettement les obligations des communes . Dès lors qu'elles appartiennent à un EPCI à fiscalité propre compétent, et en vertu du principe d'exclusivité des compétences transférées, elles ne sauraient se voir imposer aucune contribution directe, financière ou autre , à la création, l'aménagement, l'entretien ou la gestion d'aires ou de terrains destinés aux gens du voyage, que ce soit sur leur territoire ou sur celui d'une autre commune du même EPCI. Il a néanmoins paru utile de maintenir l'obligation faite aux communes d'« accueillir sur leur territoire » ces aires et ces terrains, afin qu'elles ne fassent pas obstacle à l'exercice par l'EPCI de ses compétences sur leur territoire, et qu'elles y prêtent, le cas échéant, le concours de leurs propres compétences d'urbanisme.

Votre commission a également jugé utile de maintenir la possibilité pour un EPCI de retenir, pour une aire ou un terrain d'accueil, un terrain d'implantation sur le territoire d'une autre commune que celle figurant au schéma départemental, si cela apparaît plus pertinent localement. De même, un EPCI doit pouvoir satisfaire à ses obligations en finançant une aire ou un terrain d'accueil sur le territoire d'un autre EPCI, comme le prévoit le droit en vigueur.

En conséquence, votre commission a adopté l' amendement COM-15 de son rapporteur, réservant en outre le cas des communes isolées , qui ne sont pas membre d'un EPCI à fiscalité propre 37 ( * ) .

Enfin, à l'initiative de votre rapporteur, diverses coordinations ont été opérées au sein du code général des collectivités territoriales ( amendement COM-16 ).

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2 (art. 3 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage) - Suppression de la procédure de consignation de fonds à l'encontre des communes et EPCI défaillants

L'article 2 de la proposition de loi vise à supprimer la possibilité pour le préfet d'ordonner à une commune ou un EPCI qui n'a pas rempli ses obligations en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage de consigner entre les mains d'un comptable public les sommes correspondantes. En revanche, la procédure de substitution du préfet aux communes et EPCI défaillants ne serait pas remise en cause.

1. L'ajout récent, à la procédure de substitution de l'État, d'une procédure de consignation de fonds

a) La procédure de substitution de l'État, inscrite dès l'origine dans la loi « Besson » mais jamais utilisée

L'une des innovations de la seconde loi « Besson » du 5 juillet 2000 fut de donner la possibilité à l'État de se substituer à une commune ou à un EPCI qui, dans un délai de deux ans suivant la publication du schéma départemental et après mise en demeure du préfet, ne se serait pas conformé aux obligations mises à sa charge par le schéma. Dans ce cas, « l'État peut acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d'aménagement et gérer les aires ou les terrains aménagés au nom et pour le compte de la commune ou de l'établissement public défaillant ». La loi précise que les dépenses d'acquisition, d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires et terrains constituent des dépenses obligatoires pour les communes et EPCI compétents, sous le contrôle de la chambre régionale des comptes.

Cette procédure de substitution n'a encore jamais été utilisée. Dans son rapport de 2012 sur l'accueil et l'accompagnement des gens du voyage, la Cour des comptes déplorait que ses modalités d'application n'aient pas été définies : il n'existait aucune ligne budgétaire autorisant l'État à faire l'avance des fonds nécessaires , et le maire disposait seul du pouvoir de délivrer les permis de construire et d'aménager. En outre, les préfectures manquaient de moyens humains et financiers, et les préfets ne souhaitaient pas courir le risque de dégrader leurs relations avec les élus 38 ( * ) .

b) Les précisions apportées par la loi du 27 janvier 2017 et l'ajout d'une procédure de consignation de fonds

Face à ce constat, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté , reprenant des dispositions figurant dans une proposition de loi de nos anciens collègues députés Bruno Le Roux et Dominique Raimbourg, a tout d'abord apporté des précisions sur les pouvoirs dévolus au préfet dans le cadre de la procédure de substitution de l'État aux communes et EPCI défaillants. L'article 3 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 dispose désormais que « le représentant de l'État dans le département peut faire procéder d'office, en lieu et place et aux frais de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale, à l'exécution des mesures nécessaires. (...) Le représentant de l'État dans le département peut se substituer à l'ensemble des organes de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale pour faire procéder d'office à l'exécution des mesures nécessaires. Il peut procéder à la passation de marchés publics, selon les règles de procédures applicables à l'État. » Il n'est pas certain, néanmoins, que ces dispositions s'appliquent aux décisions d'urbanisme - préemption, permis de construire ou d'aménager - qui relèvent de la compétence des communes ou des EPCI 39 ( * ) .

S'il avait approuvé ces précisions lors de l'examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », le Sénat s'était opposé, fermement mais en vain, à la seconde innovation introduite par ce texte : la procédure de consignation des fonds nécessaires à la réalisation des aires et terrains prévus au schéma départemental, sur ordre du préfet.

Les étapes de la procédure sont les suivantes :

- si, à l'expiration des délais impartis, une commune ou un EPCI ne s'est pas conformé à ses obligations, le représentant de l'État dans le département lui adresse une mise en demeure de « prendre les mesures nécessaires selon un calendrier déterminé, en évaluant le montant des dépenses afférentes » ;

- si la commune ou l'EPCI n'a pas pris les mesures nécessaires dans les délais prévus par le calendrier, le représentant de l'État « peut lui ordonner de consigner entre les mains d'un comptable public les sommes correspondant au montant de ces dépenses ». L'opposition formée par la commune ou l'EPCI devant le juge administratif à cette mesure de consignation n'a pas de caractère suspensif. Les sommes consignées sont restituées au fur et à mesure de l'exécution par la commune ou l'EPCI des mesures prescrites ;

- si, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la consignation, la commune ou l'EPCI n'a pas pris les mesures nécessaires, le représentant de l'État peut le mettre à nouveau en demeure de le faire, selon un calendrier déterminé ;

- si la commune ou l'EPCI n'a pas obtempéré dans les délais prévus par le calendrier, l'État peut exercer son pouvoir de substitution . Les sommes consignées peuvent être employées pour régler les dépenses ainsi engagées par l'État au nom et pour le compte de la commune ou de l'EPCI.

2. Supprimer une procédure attentatoire aux libertés locales, qui masque le désengagement financier de l'État

L'article 2 de la proposition de loi n° 557 (2016-2017) tend à supprimer la procédure de consignation introduite par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017, sans remettre en cause les autres précisions qu'elle a apportées sur les modalités d'exercice du pouvoir de substitution du préfet.

Sans méconnaître les progrès à accomplir dans la réalisation d'aires d'accueil et de terrains familiaux destinés aux gens du voyage, votre commission a approuvé cette proposition de suppression . Certes, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en adoptant cette nouvelle procédure de consignation, le législateur n'avait pas porté « une atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales », parce qu'il l'avait assortie de « garanties suffisantes » : l'ordre de consignation doit être précédé d'une mise en demeure ; le montant des sommes consignées ne peut excéder celui des dépenses correspondant aux mesures requises pour satisfaire aux obligations définies par le schéma départemental ; enfin l'ordre de consignation peut faire l'objet d'un recours juridictionnel. Il n'en reste pas moins que cette procédure, sans précédent dans notre droit des collectivités territoriales 40 ( * ) , porte une atteinte grave à l'autonomie financière des communes et EPCI et, par-là même, à leur libre administration . Une atteinte d'une telle gravité à une liberté constitutionnellement garantie ne saurait être justifiée que si elle est nécessaire au regard de l'objectif poursuivi : sur ce point, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, s'en remettant - conformément à sa jurisprudence constante - à l'appréciation du législateur.

Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel

Le principe de proportionnalité , dont l'objet est de « modérer le pouvoir des autorités publiques (...) et [d']éviter les atteintes qui, par leur caractère excessif ou trop radical, seraient de nature à porter atteinte à la substance même des droits et des libertés 41 ( * ) », recouvre trois exigences :

- une exigence d' adéquation : toute mesure portant atteinte aux droits et libertés doit être susceptible de contribuer à la réalisation de l'objectif poursuivi ;

- une exigence de nécessité : il ne doit pas être possible d'atteindre l'objectif poursuivi par d'autres voies, moins attentatoires aux droits et libertés ;

- une exigence de proportionnalité au sens strict : l'objectif poursuivi doit être suffisamment important pour justifier une telle atteinte.

Contrairement à la Cour constitutionnelle allemande ou aux juridictions européennes, le Conseil constitutionnel français n'exerce qu'un contrôle de proportionnalité restreint : s'il vérifie l'adéquation de la disposition législative contestée et, dans une certaine mesure, sa proportionnalité stricto sensu , il ne se prononce pas sur sa nécessité, considérant - selon une formule maintes fois reprise - qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur pouvait être atteint par d'autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie ».

Or votre commission ne peut que souscrire aux observations formulées l'an dernier par nos collègues Dominique Estrosi-Sassone et Françoise Gatel dans leur rapport sur le projet de loi « Égalité et citoyenneté » : « les objectifs de cette procédure pourraient être atteints par des dispositifs plus souples et notamment par une mise en oeuvre plus effective du pouvoir de substitution du préfet 42 ( * ) ». Encore faut-il que l'État s'en donne les moyens - ou plutôt qu'il accorde aux collectivités les moyens d'exercer elles-mêmes leurs compétences.

L'insuffisance du nombre d'aires et de terrains destinés aux gens des voyages s'expliquerait, entend-on souvent, par l'opposition d'une partie de la population locale aux projets d'aménagement, et par la crainte des élus locaux de s'aliéner leurs électeurs. On ne peut nier que certains projets suscitent localement des crispations. Pourtant, les principales difficultés que rencontrent les élus locaux sont tout autres :

- d'une part, il n'est pas toujours aisé de trouver des terrains où aménager des aires d'accueil ou des terrains familiaux : comme le notait la Cour des comptes en 2012, les régions où le taux de réalisation des aires prévues par les schémas départementaux est le plus faible sont aussi celles où les disponibilités foncières sont les plus rares (Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur), situation d'autant plus problématique que les gens du voyage qui y séjournent sont particulièrement nombreux 43 ( * ) ;

- d'autre part, l'acquisition éventuelle et l'aménagement des terrains coûtent cher : la Cour des comptes évalue le coût moyen de l'investissement initial à près de 35 000 euros par place dans une aire permanente d'accueil et 2 800 euros dans une aire de grand passage, avec de fortes disparités entre départements. S'y ajoutent les frais d'entretien et de gestion .

Ces difficultés financières sont d'autant plus importantes que l'État se désengage : non seulement les dotations libres d'emploi n'ont cessé de diminuer au cours des dernières années, mais l'État ne subventionne plus depuis 2009 la réalisation des aires d'accueil et terrains familiaux , sauf dans les communes nouvellement inscrites au schéma départemental 44 ( * ) . Les crédits de paiement inscrits à cette fin en loi de finances sont passés de 46 millions d'euros en 2008 à 5,3 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018...

Quant à l'aide au fonctionnement versée par l'État et la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), la réforme de l'aide au logement temporaire (ALT 2) à compter du 1 er janvier 2015 a fait baisser les montants versés de 36,7 millions d'euros en 2014 à 32 millions d'euros en 2015 45 ( * ) .

Plutôt que d'imposer aux élus locaux une procédure de consignation de fonds inutilement vexatoire, il eût été préférable de tenir compte de ces difficultés. Votre rapporteur invite donc le Gouvernement à prendre l'initiative de rétablir le subventionnement par l'État des aires d'accueil et terrains familiaux, les règles de recevabilité financière empêchant d'y procéder par la voie d'un amendement parlementaire...

Enfin, votre commission a adopté l' amendement COM-17 de son rapporteur afin de maintenir un délai d'au moins six mois entre la mise en demeure du préfet et la substitution de l'État, de supprimer concomitamment la mention inutile du calendrier joint à la mise en demeure, et de lever certaines ambiguïtés rédactionnelles.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3 (art. 9-2 [nouveau] de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage) - Organisation des grands rassemblements et des grands passages de gens du voyage

L'article 3 de la proposition de loi tend à créer un mécanisme d'information obligatoire pour faciliter l'organisation de l'accueil des gens du voyage lors des grands passages et grands rassemblements. Dans sa rédaction initiale, il prévoyait aussi de confier au préfet de département la charge du maintien de l'ordre public lors de ces événements.

1. Les difficultés rencontrées par les élus locaux lors des grands rassemblements et grands passages de gens du voyage

a) Les grands rassemblements : une organisation plutôt satisfaisante, des problèmes persistants

Les « grands rassemblements » de gens du voyage sont des manifestations à caractère cultuel qui rassemblent, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de personnes - soit plusieurs milliers de caravanes - pour une durée n'excédant pas une quinzaine de jours. La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 avait d'emblée reconnu à l'État un rôle particulier dans la prise en charge de ces rassemblements, en prévoyant que le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage « défini[rait] les conditions dans lesquelles l'État intervient pour assurer [leur] bon déroulement ». Une circulaire du 5 juillet 2001 est venue préciser, sans que le fondement légal de ces dispositions soit très assuré (voir ci-dessous), qu' « à l'occasion de ces rassemblements, le préfet, ou le sous-préfet, s'assure du respect de l'ordre public et de la sécurité, comme c'est la responsabilité de l'État dès lors que sont envisagées ou constatées de fortes concentrations humaines ». À cette fin, il est prévu que le représentant de l'État coordonne la mise en place des moyens nécessaires au respect de l'ordre (forces de police ou de gendarmerie) mais aussi de la sécurité et de la salubrité publiques (sécurité civile, services de santé, organisation de l'évacuation des déchets, etc .). Il s'assure que les installations éventuellement prévues respectent les normes de sécurité 46 ( * ) .

En pratique, les témoignages concordent pour dire que l'organisation des grands rassemblements en eux-mêmes est assez satisfaisante . Plusieurs mois à l'avance, des contacts sont noués entre les services de l'État, les associations de gens du voyage organisatrices et les collectivités territoriales concernées afin de définir les itinéraires de circulation, d'identifier et, le cas échéant, d'aménager des terrains de stationnement, d'organiser le maintien de l'ordre, les secours et l'offre de soins.

Cet effort de préparation n'empêche pas que des difficultés persistent . La Cour des comptes constate des manquements aux règles de salubrité sur les terrains dédiés aux pèlerins, notamment en ce qui concerne le rejet des eaux usées. Si elle estime que « les problèmes majeurs de sécurité et de débordement à l'intérieur des terrains restent épisodiques », elle n'en relève pas moins divers incidents et actes délictueux qui nécessitent l'intervention des forces de l'ordre 47 ( * ) . Les élus mosellans ont ainsi déploré des dégradations lors du rassemblement organisé par l'association évangélique « Vie et Lumière » à Grostenquin en août 2015.

En outre, le coût lié à la prise en charge de ces manifestations peut être élevé, pour l'État comme pour les collectivités concernées : en 2009, la ville de Lourdes a consacré plus de 230 000 euros à l'organisation de son rassemblement estival 48 ( * ) .

Quatre grands rassemblements annuels

Le grand rassemblement le plus ancien, d'obédience catholique, a lieu chaque année au mois de mai aux Saintes-Maries-de-la-Mer et réunit jusqu'à 40 000 personnes (gens du voyage, pèlerins et touristes). Un autre pèlerinage se déroule à Lourdes au mois d'août, durant six jours, et rassemble 8 000 à 10 000 pèlerins. Ces deux rassemblements sont organisés par l'Association nationale des gens du voyage citoyens et l'Aumônerie catholiques des gitans et gens du voyage.

Avec l'essor du protestantisme pentecôtiste dans la communauté des gens du voyage sont apparus de nouveaux grands rassemblements, organisés par la mission évangélique des Tziganes de France « Vie et Lumière ». Le premier a lieu chaque printemps à Nevoy, dans le Loiret. Il est suivi d'un second rassemblement organisé en août par la même association, soit à Nevoy, soit dans un autre lieu (dans l'Aisne en 1997, 2009 et 2012, en Haute-Marne en 2014 et 2016, en Moselle en 2015 et 2017).

b) Les grands passages

Les difficultés les plus importantes sont liées aux « grands passages » , c'est-à-dire aux déplacements de gens du voyage en groupes de 100 à 200 caravanes en moyenne , qui convergent vers les lieux où sont organisés les grands rassemblements à vocation cultuelle, ou qui se déplacent au gré des opportunités économiques, notamment pour exercer des activités saisonnières. Le développement rapide de ces grands mouvements de population - qui, selon un rapport d'information de 2011 de notre collègue député Didier Quentin, n'existaient presque pas il y a vingt ans - semble d'abord lié à l'essor du protestantisme dans la communauté des gens du voyage et à l'attractivité nouvelle des grands rassemblements annuels. Il s'expliquerait aussi, selon des responsables associatifs cités dans le même rapport d'information, « par le fait que des rassemblements d'une telle ampleur rend[ent] difficile l'évacuation par les forces de l'ordre » et « que la période des "grands passages" est celle où les gens du voyage ont l'impression de voyager selon leurs critères traditionnels, en ne stationnant pas dans des aires grillagées 49 ( * ) ».

La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 prévoit la réalisation d'aires de grand passage, aménagés plus sommairement que les aires permanentes d'accueil, sur le territoire des communes désignées à cet effet par le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage. Afin d'y inciter les communes et leurs groupements, la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement a relevé le taux des dépenses prises en charge par l'État à 100 %, dans la limite d'un plafond fixé par décret. Pourtant, les objectifs fixés par les schémas n'ont pas été atteints, et les aires de grand passage restent trop peu nombreuses . Comme le notait notre collègue député Didier Quentin, l'installation d'une aire de grand passage peut être source de difficultés pour une petite commune dont les équipements publics ne sont pas dimensionnés pour faire face à un tel afflux de population. « En outre, alors qu'il est déjà souvent difficile de faire accepter à la population l'aménagement d'aires d'accueil permanentes des gens du voyage, cette difficulté devient encore plus forte dans le cas d'un terrain de "grand passage", destiné à l'ensemble du département 50 ( * ) . »

Les grands passages font l'objet d' un important travail de préparation et de coordination de la part du ministère de l'intérieur, en lien avec les collectivités territoriales concernées . Les pouvoirs publics peuvent s'appuyer sur la coopération des grandes associations de gens du voyage et notamment de l'Association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), qui a créé une structure dédiée, Action Grands Passages. Les préfets sont invités par circulaire à anticiper ces déplacements, à rappeler aux associations la marche à suivre et à faciliter leurs relations avec les collectivités.

La circulaire du 10 avril 2017 sur la préparation des grands passages

La circulaire du 10 avril 2017 du ministre de l'intérieur décrit la marche à suivre par les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations en vue de la préparation des grands passages :

- les référents des associations doivent adresser aux maires et aux présidents des EPCI compétents leurs demandes de stationnement temporaire au moins deux mois à l'avance , avec copie au préfet. Les demandes doivent indiquer les dates prévisionnelles d'arrivée et de départ, une évaluation précise des besoins en emplacements et les coordonnées du président de l'association et de son représentant local ; elles doivent être accompagnées d'une fiche d'état des lieux et d'un protocole d'occupation temporaire . Des documents-types sont joints à la circulaire ;

- les préfets sont invités à soutenir les initiatives locales qui concourent au bon déroulement des grands passages, et à favoriser la prise en compte des demandes par les élus ;

- les aires de grand passage doivent être installées sur des terrains stabilisés, la surface souhaitable étant de 4 hectares pour 200 caravanes ; les préfets doivent veiller à ce que les gens du voyage disposent, dans toute la mesure du possible, d'une alimentation électrique suffisante, d'une arrivée d'eau courante et de la collecte des ordures ménagères. Au besoin, des aires temporaires peuvent être aménagées sur des terrains non inscrits au schéma départemental ;

- les préfets de département et de région doivent assurer le suivi des circulations afin d'éviter les arrivées inopinées ;

- dans chaque département, le préfet désigne un médiateur chargé de prévenir les conflits et d'aider à résoudre les difficultés éventuelles 51 ( * ) .

Malgré les efforts consentis par les autorités publiques et par plusieurs associations nationales de gens du voyage pour anticiper les grands passages et les organiser convenablement, les incidents sont extrêmement fréquents . Certains groupes, minoritaires, refusent de se plier à toute discipline et, arrivant inopinément, mettent les communes devant le fait accompli. D'autres groupes, pour des raisons diverses, n'arrivent ou ne repartent pas aux dates prévues, ce qui bouleverse le calendrier d'occupation des terrains et provoque d'inévitables conflits d'usage. Il est également fréquent que les aires de grand passage soient occupées par des gens du voyage pour de longues durées, voire de manière quasi permanente, ce qui les détourne de leur destination première. Il en résulte des installations illicites , dans des conditions de sécurité et de salubrité souvent problématiques, des conflits entre groupes , et des tensions avec les riverains . À cela s'ajoutent les problèmes d'ordre public inhérents aux fortes concentrations de population.

2. Les solutions envisagées par la proposition de loi n° 557 (2016-2017)

Pour répondre à ces difficultés, l'article 3 de la proposition de loi n° 557 (2016-2017) tend à créer un mécanisme obligatoire d'information préalable des préfets et des élus locaux, et à confier au préfet de département la charge du maintien de l'ordre public lors des grands rassemblements et des grands passages.

a) Un mécanisme obligatoire d'information préalable

Il est proposé que « tout stationnement d'un groupe de plus de cent cinquante résidences mobiles » soit notifié aux préfets de région et de département ainsi qu'au président du conseil départemental du lieu de destination, trois mois au moins avant l'arrivée sur les lieux, pour permettre l'identification d'une aire de stationnement correspondant aux besoins exprimés. Le préfet de département devrait informer le maire de la commune concernée au moins deux mois à l'avance, et préciser les conditions de l'occupation du terrain identifié.

Ce mécanisme s'inspire de la procédure d'information préalable actuellement recommandée par circulaire, tout en y apportant plusieurs modifications :

- un seuil de 150 résidences mobiles serait fixé, à partir duquel le mécanisme d'information trouverait à s'appliquer ;

- dans ce cas, l'information préalable des autorités nationales et locales deviendrait obligatoire ;

- il est proposé de renforcer le rôle de l'État et du département dans l'organisation des grands passages, puisque la notification du projet de stationnement serait adressée aux autorités de l'État ainsi qu'au président du conseil départemental, à charge pour eux d'identifier le terrain d'accueil approprié et, pour le préfet de département, d'informer le maire concerné.

b) Le transfert au préfet de département du pouvoir de police générale du maire

Il est en outre proposé de transférer au préfet de département le pouvoir de police générale du maire à l'occasion des grands passages et grands rassemblements. Serait ainsi ajoutée, à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales qui traite des pouvoirs de police du représentant de l'État dans le département, la disposition suivante : « Le représentant de l'État dans le département a la charge du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques des grands passages et des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels des personnes dites gens du voyage. »

Les auteurs de la proposition de loi considèrent, en effet, que les maires sont démunis face à de tels afflux de population et qu'ils n'ont pas les moyens de maintenir l'ordre public. Cet état de fait est d'autant plus préjudiciable que le maire, s'il ne prend pas les mesures nécessaires, peut engager la responsabilité de la commune.

Les pouvoirs de police du maire et du représentant de l'État dans le département

Pour mémoire, en vertu des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire est titulaire d'un pouvoir de police générale dont l'objet est d'assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Sous ces termes sont compris les trois composantes traditionnelles de l'ordre public - la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques - auxquelles le juge administratif a ajouté, au cours des dernières décennies, la moralité publique et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Le maire est également titulaire de nombreux pouvoirs de police spéciale portant sur des objets particuliers : circulation et stationnement, funérailles, baignades, édifices menaçant ruine, etc. Certains de ces pouvoirs de police spéciale sont automatiquement transférés au président de l'EPCI, sauf opposition du maire.

Le représentant de l'État dans le département dispose cependant de pouvoirs propres 52 ( * ) . Il est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre public dont le champ d'application excède le territoire d'une seule commune . Il peut également se substituer au maire (ou au président de l'EPCI) en cas de carence de celui-ci.

Enfin, dans les communes à police étatisée , les pouvoirs de police du maire sont en partie transférés au préfet : dans ces communes, « le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique » incombe à l'État seul, et « l'État a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes » 53 ( * ) .

3. La position de votre commission, réservée sur le transfert au préfet du pouvoir de police municipale

Votre commission a approuvé l'institution d'un mécanisme obligatoire d' information préalable des autorités publiques lorsqu'un stationnement de plus de cent cinquante caravanes est envisagé. Certes, à défaut de sanction, cette disposition n'est que faiblement contraignante. Il a cependant paru utile d' ériger en obligation légale une pratique aujourd'hui courante, grâce à l'action des grandes associations de gens du voyage, mais qui est loin d'être observée par tous les groupes itinérants. Sur proposition de son rapporteur, votre commission a précisé à qui incomberait la nouvelle obligation d'information préalable, afin d'inciter les groupes faiblement structurés à désigner des représentants qui servent d'interlocuteurs aux pouvoirs publics. Il a également paru souhaitable que le président de l'EPCI soit informé au même titre que le maire ( amendement COM-18 rectifié).

En revanche, votre rapporteur s'est interrogée sur l'opportunité de confier au préfet le soin d'assurer l'ordre public à l'occasion des grands passages et grands rassemblements . Si l'objectif poursuivi est parfaitement compréhensible, il lui a semblé périlleux de déposséder le maire de son pouvoir de police générale lors de tels événements. En cas d'inaction du préfet, le maire serait alors dans l'incapacité légale d'agir et n'aurait ainsi aucun moyen de répondre aux attentes légitimes de ses administrés. En outre, une telle disposition pourrait constituer un précédent fâcheux. Votre commission a estimé préférable d'en rester au droit en vigueur, qui laisse ouverte la possibilité pour le préfet de se substituer au maire, dans le cas où celui-ci n'aurait pas les moyens matériels d'assurer lui-même le maintien de l'ordre public ( amendement COM-19 de son rapporteur).

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .


* 21 CE, 2 décembre 1983, n° 13205, Ville de Lille .

* 22 Certains schémas départementaux prévoient en outre la création optionnelle d'aires de petits passages, destinées à accueillir des familles isolées ou de petits groupes pour une halte de courte durée. Sur ces différents types d'aires et de terrains, voir l'exposé général.

* 23 Rapport n° 188 (1999-2000) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois, p. 31. Ce document est disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l99-188/l99-188.html.

* 24 Au cours de la période 2003-2009, la communauté de communes a créé trois aires à Lardy, Égly puis Breuillet, où le nombre de places excède les prescriptions du schéma. Au cours de la période suivante, ses obligations sont demeurées inchangées. Il lui reste donc à créer, au titre des obligations mises à la charge d'Arpajon et Saint-Germain-lès-Arpajon, une ou plusieurs aires d'accueil comprenant au total 22 places (au lieu de 31).

* 25 Son article 148 a précisé que le champ de compétence des EPCI à fiscalité propre couvre les aires et terrains prévus aux 1° à 3° du II de l'article 1 er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000.

* 26 CE Ass., 16 octobre 1970, n° 71536, Commune de Saint-Vallier.

* 27 Article L. 211-2 du code de l'urbanisme.

* 28 Article L. 422-3 du code de l'urbanisme.

* 29 Article L. 5218-7 du code général des collectivités territoriales et articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de l'urbanisme.

* 30 Article L. 5219-5 du code général des collectivités territoriales.

* 31 Proposition de loi n° 632 (2015-2016) tendant à faciliter la recomposition de la carte intercommunale , adoptée par le Sénat le 26 octobre 2016, article 2 bis .

* 32 Exposé des motifs du projet de loi n° 1598 (Assemblée nationale, 11 e législature) relatif à l'accueil des gens du voyage , p. 5. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/11/projets/pl1598.asp.

* 33 Voir par exemple le schéma départemental d'accueil des gens du voyage de l'Orne pour la période 2010-2016. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.orne.gouv.fr/IMG/pdf/schema_def_V2_signature_cle0c2c55.pdf.

* 34 Sur ce pouvoir de police spéciale du stationnement des résidences mobiles, voir le commentaire de l'article 4.

* 35 La première annexe n'est pas redondante, puisqu'elle ne concerne que les terrains familiaux à caractère privé, alors que les dispositions prescriptives du schéma départemental concernent les terrains familiaux locatifs aménagés par des collectivités publiques.

* 36 Cour des comptes, Rapport public annuel 2017 précité, t. 2, p. 212.

* 37 À la date du 1 er janvier 2017, soit au terme de la dernière révision de la carte intercommunale, cinq communes demeuraient isolées : outre la commune de Loire-Authion (Maine-et-Loire), dont le rattachement à la communauté urbaine d'Angers est prévu au 1 er janvier 2018, il s'agit des quatre îles mono-communales (Yeu, Bréhat, Sein et Ouessant) qui bénéficient d'une dérogation légale (article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales). Parmi elles, la commune de L'Île-d'Yeu, qui comptait 4 703 habitants en 2014 selon l'Insee, approche du seuil d'assujettissement aux obligations du schéma départemental. Elle pourrait donc être appelée, sinon à créer une aire ou des terrains d'accueil sur son territoire, ce qui paraît peu plausible, du moins à participer financièrement à la création d'aires ou de terrains sur le territoire d'autres communes du département de la Vendée.

* 38 « L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage », Cour des comptes, octobre 2012, p. 70. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/laccueil-et-laccompagnement-des-gens-du-voyage.

* 39 Notre ancien collègue député Dominique Raimbourg émettait des doutes à ce sujet, dans son rapport sur la proposition de loi n° 1610 (A.N., 14 e législature), consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2812.asp.

* 40 Une telle procédure de consignation existe dans divers domaines de notre droit, et notamment en droit de l'environnement, pour contraindre les exploitants, producteurs, distributeurs, maîtres d'ouvrage, etc. à respecter la règlementation applicable à leur activité. Les collectivités territoriales ne sont qu'indirectement concernées.

* 41 « Le principe de proportionnalité, protecteur des libertés » , conférence de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, 17 mars 2017. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions/Le-principe-de-proportionnalite-protecteur-des-libertes.

* 42 Rapport n° 827 (2015-2016) de Mmes Estrosi-Sassone et Gatel sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté , fait au nom de la commission spéciale du Sénat, p. 431-432. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l15-827/l15-827.html.

* 43 « L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage », rapport précité, p. 64.

* 44 La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, dans sa version initiale, prévoyait que l'État prendrait en charge 70 % des dépenses engagées dans un délai de deux ans pour l'aménagement et la réhabilitation des aires permanentes d'accueil, dans la limite d'un plafond fixé par décret. Le même taux fut appliqué aux communes ayant manifesté dans ce délai leur volonté de se conformer à leurs obligations, et qui s'étaient vu accorder un délai supplémentaire de deux ans par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004. La prise en charge par l'État fut ramenée à 50 % pour les communes bénéficiant, jusqu'au 31 décembre 2008, du délai supplémentaire prévu par la loi de finances pour 2008. Pour les aires de grand passage, le taux maximal de subvention est de 100 %, dans la limite d'un plafond défini par décret et à la condition que les aires soient réalisées dans les délais impartis par la loi.

* 45 Voir le Rapport public annuel 2017 précité de la Cour des comptes, t. 2, p. 211-212.

* 46 Circulaire n° 2001-49 du ministre de l'intérieur et du ministre de l'équipement, des transports et du logement relative à l'application de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 , paragraphe III.2.

* 47 « L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage », rapport précité, p. 90-91.

* 48 Ibid., p. 87.

* 49 Rapport d'information n° 3212 (A.N., 13 e législature) présenté par M. Didier Quentin, sur le bilan et l'adaptation de la législation relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage , p. 44. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i3212.pdf.

* 50 Rapport d'information n° 3212 (A.N., 13 e législature) précité, p 48-9. Au 1 er janvier 2014, selon la Cour des comptes, 170 aires de grand passage avaient été réalisées sur les 348 prescrites par les schémas départementaux. Elles sont souvent limitées à 80 places et ne peuvent donc accueillir les grands groupes. Enfin, selon la Cour, elles sont parfois éloignées des agglomérations ou inappropriées, ce qui suscite le rejet des gens du voyage ( Rapport public annuel 2017 , rapport précité, t. 2, p. 216).

* 51 Circulaire n° NOR INTD1708823C du ministre de l'intérieur relative à la préparation des stationnements des grands groupes de gens du voyage .

* 52 Chapitre V du livre II de la 2 e partie du code général des collectivités territoriales.

* 53 Article L. 2214-4 du même code.

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