III. UNE DISPONIBILITÉ DES FORCES OBÉRÉE PAR LES RÉCENTES RÉORGANISATIONS DU TEMPS DE TRAVAIL ET L'INSUFFISANTE MODERNISATION

A. POUR LA GENDARMERIE NATIONALE, UNE PERTE OPÉRATIONNELLE CONFIRMÉE DE 5 %, QUI NE SERA PAS COMPENSÉE PAR LES CRÉATIONS DE POSTES PRÉVUES SUR LE QUINQUENNAT

À la différence de la police nationale, le service de la gendarmerie nationale n'est pas organisé en cycles, puisque, en tant que militaire, les gendarmes sont tenus à un principe de disponibilité 16 ( * ) . Le service est toutefois encadré par des règles permettant de concilier les impératifs de service avec la nécessité d'octroyer des plages de repos 17 ( * ) .

La directive européenne de 2003 relative au temps de travail 18 ( * ) , ne s'appliquait initialement pas à la gendarmerie, la France considérant que les activités militaires étaient exclues de son champ.

Cette dernière contient notamment deux dispositions contraignantes :

- la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures ;

- le repos journalier de 11 heures consécutives.

En 2006, la Cour de justice des communautés européennes a toutefois contraint à revenir sur cette interprétation, jugeant que cette exception « ne saurait trouver à s'appliquer que dans le cas d'événements exceptionnels à l'occasion desquels le bon déroulement des mesures destinées à assurer la protection de la population dans des situations de risque collectif grave exige que le personnel ayant à faire face à un événement de ce type accorde une priorité absolue à l'objectif poursuivi par ces mesures afin que celui-ci puisse être atteint » 19 ( * ) . Début 2016, deux associations professionnelles ont formé un recours à l'encontre de l'instruction sur le temps de travail 20 ( * ) alors en vigueur dans la gendarmerie. Aussi, il a finalement été décidé en février 2016 d'abroger l'instruction sur le temps de travail, au profit d'un régime transitoire appliquant progressivement les dispositions de la directive relative au repos journaliser (les dispositions relatives à la durée maximale de travail hebdomadaires devant être appliquées plus tardivement). Ce régime est applicable depuis le 1 er septembre 2016 21 ( * ) .

Cette période de repos peut être réduite pour des motifs opérationnels. Le militaire bénéficie alors de repos compensateurs, calculés selon les modalités suivantes :

- pour une durée de repos inférieure à neuf heures, une plage de repos compensateur de onze heures consécutives est attribuée forfaitairement ;

- pour une durée de repos supérieure à neuf heures mais inférieure à onze heures, seul le reliquat est attribué (par exemple, un militaire qui a bénéficié de dix heures de repos obtient une heure de repos compensateur) 22 ( * ) .

Il appartient au commandant de l'unité, en charge de la conception du service, de réattribuer dès que possible ces heures de récupération.

Comme ceci avait été anticipé l'année dernière 23 ( * ) , cette première année d'application partielle de la directive a eu un impact notable sur l'activité. À titre d'illustration, en 2015, un gendarme départemental travaillait 1 776 heures dans l'année, contre 1 730 en 2016.

Évolution du temps de travail
d'un gendarme départemental

(en heures travaillées)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Sur le premier semestre 2017, l'activité moyenne de la gendarmerie départementale en métropole est en baisse de 5,5 %, et ce malgré l'augmentation dans le même temps de l'effectif opérationnel (+ 5,4%). Les heures d'activité comprises dans le créneau 19h-07h enregistrent un recul de 2,3 %.

De plus, si 82 % des repos compensateurs ont été attribués, il s'est peu à peu constitué une dette qui augmente progressivement. Au 30 juin 2017, ce reliquat de repos compensateur à réattribuer s'élevait à plus de 483 000 heures et constitue, à cet égard, un risque supplémentaire à prendre en compte.

Pour la gendarmerie mobile, le service est organisé de manière à permettre à chaque militaire de bénéficier de son repos physiologique journalier ou compensateur dans le temps de sa mission ou de son déplacement. La diminution du temps d'activité des gendarmes mobiles sur les dix mois de mise en oeuvre des repos physiologiques atteint 6 %.

De plus, lorsque les militaires n'ont pas pu bénéficier des repos compensateurs durant leur mission, leurs droits leur sont attribués à l'issue de celle-ci, obérant de 1,25 % la disponibilité à l'emploi des escadrons de gendarmerie mobile.

Les conséquences de l'application de la directive et de ces dérogations sur l'activité opérationnelle de la gendarmerie ont été mesurées : le temps d'activité annuel moyen des gendarmes a baissé (en cumul, ceci équivaut à une perte de 6 000 ETPT) tandis que celui d'astreinte a augmenté.

Au-delà de cette baisse capacitaire conséquente, il faut également souligner les fortes contraintes que font peser ces règles en rigidifiant la conception du service et en imposant une comptabilisation individuelle des heures de repos.

Le Président de la République a, lors de son discours sur la sécurité, rappelé que « sa détermination [était] complète pour qu'aussi bien la gendarmerie que les militaires, de manière plus générale, ne soient pas concernés par la directive bien connue. Les choses sont claires, notifiées à qui de droit et seront portées jusqu'à leur terme ». Toutefois, comme l'a confirmé le directeur général de la gendarmerie nationale, cette annonce ne devrait pas remettre en cause le volet de la directive relatif au repos journalier (et ne devrait donc concerner que les dispositions relatives à la durée hebdomadaires maximale de travail). La perte opérationnelle de 3 % à 5 % est donc confirmée pour les années à venir, et ne sera pas « compensée » par les recrutements de 1 500 ETP annoncés par le Président de la République.


* 16 Article L. 4111-1 du code de la défense.

* 17 Instruction provisoire n°36132/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 8 juin 2016.

* 18 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 19 CJUE, 2006, affaire C-132/04, Commission européenne c/ Espagne.

* 20 Instruction n° 1000/GEND/DOE/SDSPSR/SP du 9 mai 2011.

* 21 Son article 2 prévoit en effet une exemption « lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s'y opposent de manière contraignante » .

* 22 Par ailleurs, il est prévu des règles spécifiques lorsque le militaire est engagé pour effectuer un service dans le créneau nocturne (entre onze heures du soir et cinq heures du matin), créneau identifié comme particulièrement générateur de fatigue. Pendant cette période de nuit, tout service hors de la caserne (et tout service en caserne de plus de trente minutes) ouvre droit automatiquement à onze heures de récupération dès la fin de mission, sauf si le militaire a déjà bénéficié d'une période de repos physiologique dans la journée.

* 23 Note de présentation de Philipe Dominati examinée par la commission des finances du Sénat le mercredi 16 novembre 2016 - programmes « Gendarmerie nationale » et « Police nationale », p. 19.

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