B. POLICE NATIONALE : LA « BOMBE À RETARDEMENT » DU STOCK D'HEURES SUPPLÉMENTAIRES ET DE LA MISE EN PLACE DE LA VACATION FORTE

1. Une mise en place de la « vacation forte » entraînant en 2018 une perte opérationnelle de plus de 400 ETPT

L'année 2017 est marquée par la mise en place d'un nouveau cycle de travail, le « vendredi fort », renommé « vacation forte » , dont l a mise en oeuvre est très coûteuse en effectifs . Ainsi, la mise en place cycle du « vendredi fort » nécessite un renfort en effectifs de 33 % pour être mis en oeuvre.

Ces nouveaux rythmes de travail ont connu en 2017 divers ajustements techniques. L'instruction du 4 mai 2017 remplace le « vendredi fort » par la « vacation forte » et introduit un nouveau « cycle » de travail, le « 4/2 panaché », dans l'instruction générale du 18 octobre 2002 et ajoute des variantes du cycle « vendredi fort » rebaptisé cycle. Certains services ont bénéficié, pour mettre en place des nouveaux cycles de travail, d'une dérogation jusqu'au mois de septembre 2017. Des concertations sont toujours en cours localement, jusqu'à l'arrivée de nouvelles affectations permettant éventuellement l'application de ces nouveaux cycles, en particulier la « vacation forte ».

Selon les informations transmises par le directeur général de la police nationale en audition, à fin octobre 2017, sur 800 sites en horaires cycliques 24 ( * ) , 146 ont opté pour la « vacation forte » (82 pour le « 4/2 compressé », 137 pour le « 4/2 inversé » et la majorité pour le « 4/2 » classique).

Au total, la perte opérationnelle ne devrait s'élever, en 2018, qu'à 433 ETPT. Toutefois, les choix propres à chaque unité ne sont pas immuables, et il est possible que davantage d'effectifs soient, à terme, concernés par la « vacation forte », ce cycle suscitant un fort enthousiasme des agents. À cet égard, la perte opérationnelle pourrait s'accroître dans les années à venir, et cette réforme peut donc toujours être qualifiée de « bombe à retardement » 25 ( * ) .

2. Des incertitudes quant à l'impact de l'application de la directive européenne sur le temps de travail à la police nationale

Comme pour la gendarmerie nationale, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail 26 ( * ) devrait s'appliquer à la police nationale. Le décret du 30 janvier 2017 27 ( * ) en reprend l'ensemble des prescriptions, et va faire l'objet d'une mise en application progressive. Ce décret doit toutefois être décliné, ce qui nécessitera aussi que les textes régissant le temps de travail dans la police nationale, à savoir deux instructions générales relatives à l'organisation du travail (IGOT).

Dans le cadre d'une estimation réalisée pour la mise en place de la directive européenne, deux projections ont été dégagées au regard des données fournies par les directions concernées. Elles prennent en compte, en fonction du choix du cycle de travail (vacation forte) et des contraintes opérationnelles les besoins qui ont été exprimés par les directions selon deux hypothèses : une basse avec un besoin de 2 272 ETP et une haute de 5 516 ETP 28 ( * ) .

3. Un taux d'absentéisme toujours anormalement élevé, symptôme de la difficulté des conditions de travail

Le taux d'absentéisme (ratio entre la somme de jours d'absence et la somme des jours théoriquement travaillés) est de 7,9 % pour l'année 2016, soit une légère diminution par rapport aux années précédentes (8 % en 2014 ; 8,1 % en 2015), malgré les fortes sollicitations qui ont marqué la police nationale avec la déclaration de l'état d'urgence le 14 novembre 2015.

L'absentéisme provoqué par les accidents est resté stable en 2016 : 1,5 % (1,5 % en 2015 contre 1,6 % en 2014). Au sein de cette catégorie, le nombre d'agents absents en 2016 en raison de blessures en service a diminué : il est de 13 720, ce qui le place à un niveau inférieur à celui des années 2015 et 2014 (13 867 agents concernés en 2014 et 14 066 en 2015).

L'essentiel de l'absentéisme est lié aux maladies (surtout ordinaires) : 81 % en 2016, 86 % en 2015 et 85 % en 2014.

En 2016, on constate que pour la première fois le nombre de congés d'une journée dû à une maladie dépasse celui pour cause d'accident. Au global, les congés d'une journée diminuent néanmoins de 2% au cours de l'année 2016.

Taux d'absentéisme dans la Police nationale
et dans la Gendarmerie nationale

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La suppression du jour de carence s'est accompagnée d'une hausse, entre 2013 et 2014, de + 148 % du nombre de congés maladie limités à une seule journée ; en 2015, cette augmentation est de 12,5 % par rapport à l'année 2014. En 2016, elle est de 5 %, par rapport à la période précédente. Sa suppression dans la fonction publique à compter de 2018 par le présent projet de loi de finances pourrait donc avoir un effet inverse, et entraîner une baisse de ce taux.

De plus, selon la direction générale de la police nationale, l'ajout au catalogue de nouveaux cycles de travail pourrait avoir, selon la direction générale de la police nationale, un effet négatif sur l'absentéisme, en permettant une meilleure conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle.

En tout état de cause, ce taux reste anormalement élevé (comme en témoigne l'écart avec la gendarmerie nationale) et doit être analysé comme un symptôme de l'importance des risques psycho-sociaux dans la police nationale, qui devraient, à cet égard, faire l'objet d'un réel chantier national. Il est clair qu'au-delà de la seule question des cycles de travail, la subsistance d'un taux élevé est également liée aux conditions matérielles d'exercice du métier de policier (immobilier, équipement) particulièrement difficiles.

4. Un stock d'heures supplémentaires à apurer en forte augmentation

Contrairement aux gendarmes, les policiers bénéficient d'une compensation au titre des services supplémentaires effectués (dépassement horaire, permanences, rappels). Sauf pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS), dont les heures supplémentaires peuvent être payées, ces services complémentaires sont compensés par l'octroi d'heures récupérables 29 ( * ) .

Le stock des heures supplémentaires à apurer s'élève à 20,9 millions d'heures fin 2016.

Au cours des trois dernières années, les heures supplémentaires au sein de la police nationale ont évolué de manière constante : après une baisse par rapport à l'année précédente de 4,54 %, le volume de capitalisation d'heures supplémentaires au 31 décembre 2014 était de 17,19 millions. Au 31 décembre 2015, cette capitalisation se portait à 18,79 millions d'heures, soit une augmentation de 9,32 %. Enfin, au 31 décembre 2016 la capitalisation atteint 20,09 millions d'heures, soit une augmentation de 6,95 %.

Au niveau national, tous corps confondus, l'évolution moyenne des heures supplémentaires par agent a été de 133 heures en 2014, de 144 heures en 2015 et de 152 heures pour l'année 2016.

Les dépassements horaires sont massivement à l'origine de la création des heures supplémentaires et représentent 36,51 % du volume global. À cela s'ajoute la compensation majorée 30 ( * ) qui, pour 2016, a constitué un coût budgétaire de 2,16 millions d'heures, soit 20,28 % du total des heures acquises.

Évaluation du stock d'heures supplémentaires

(en millions d'heures, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Au 31 décembre 2016, le stock total des heures supplémentaires peut donc être évalué à 250,52 millions d'euros au coût de rachat en 2017. Ces rachats ne peuvent toutefois être effectués que pour les CRS. L'activité opérationnelle n'étant pas appelée à diminuer prochainement, un rachat des heures d'agents n'appartenant pas au corps des CRS pourrait utilement être envisagée, plutôt qu'une augmentation du stock, dont l'apurement apparaît peu probable à court-terme.


* 24 La réunion du comité technique, préalable au choix du cycle de travail, n'a toutefois pas encore eu lieu dans certains départements.

* 25 Note de présentation de Philipe Dominati examinée par la commission des finances du Sénat le mercredi 16 novembre 2016 - programmes « Gendarmerie nationale » et « Police nationale », p. 19.

* 26 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 27 Décret n° 2017-109 du 30 janvier 2017 modifiant le décret n° 2002-1279 du 23 octobre 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables aux personnels de la police nationale

* 28 Réponses aux questionnaires budgétaires.

* 29 Ces dernières correspondent au nombre d'heures supplémentaires, multiplié par un coefficient allant de 1 à 3 selon le moment où elles ont été effectuées.

* 30 Qui s'applique notamment aux heures effectuées de nuit.

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