Rapport n° 372 (2017-2018) de Mme Marie MERCIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 mars 2018

Disponible au format PDF (1,3 Moctet)

Tableau comparatif au format PDF (482 Koctets)


N° 372

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mars 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi d' orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d' infractions sexuelles ,

Par Mme Marie MERCIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

293 et 373 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 21 mars 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné le rapport de Mme Marie Mercier, rapporteur , et établi son texte sur la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles .

Le rapporteur a d'abord souligné que cette proposition de loi traduisait les recommandations du rapport du groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs .

Après un bref rappel du constat accablant dressé par le groupe de travail concernant les violences sexuelles subies par les mineurs, le rapporteur a ensuite présenté les objectifs de la proposition de loi ainsi que ses principales dispositions.

Après un débat nourri, la commission a approuvé l'ensemble des dispositions de la proposition de loi , sous réserve de l'adoption de trois amendements de son rapporteur.

En premier lieu, l' article 1 er présente une stratégie globale de protection des mineurs contre les infractions sexuelles : la plupart des mesures préconisées par le rapport du groupe de travail, qui ne relèvent pas du domaine de la loi, figurent dans le rapport annexé à l' article 1 er . Le rapporteur a rappelé que la protection des mineurs contre les infractions sexuelles suppose des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société.

En second lieu, ce texte propose quelques évolutions en matière pénale.

Ainsi, la commission s'est prononcée en faveur d'un allongement des délais de prescription de l'action publique applicables aux crimes de viols et aux délits d'agression sexuelle commis à l'encontre des mineurs ( article 2 ).

Elle a également choisi d'instaurer une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur , soit fondée sur l'absence de discernement du mineur, soit sur l'existence d'une différence d'âge significative entre le mineur et le majeur. Cette présomption de culpabilité, qui vise à faciliter la répression criminelle des viols subis par les mineurs, permet de protéger l'ensemble des mineurs , quel que soit leur âge, et d'éviter d'envoyer devant la cour d'assises une personne de 18 ans qui aurait eu des relations sexuelles consenties avec une personne mineure de 14 ans.

La commission a également adopté le principe de l' aggravation des peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans ( article 5 ) et l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux faits commis à l'encontre de majeurs ( article 4 ).

Enfin, elle a adopté l' article 6 , qui tend à affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des mauvais traitements, y compris de nature sexuelle, subis par un mineur ou une personne vulnérable afin de ne pas faire courir le délai de prescription tant que les mauvais traitements ne sont pas dénoncés aux autorités administratives ou judiciaires.

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Au mois d'octobre 2017, votre commission des lois a créé en son sein un groupe de travail pluraliste 1 ( * ) sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, afin d'établir un état des lieux partagé et de mener une réflexion sereine et approfondie, dans un contexte marqué par plusieurs affaires judiciaires ayant eu un fort retentissement dans les médias et dans la société.

Durant près de quatre mois, et en étroite coordination avec la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, le groupe de travail a procédé à de nombreuses auditions, organisé plusieurs déplacements et ouvert un espace participatif sur le site Internet du Sénat, qui lui a permis de recueillir plus de 400 contributions, afin d'entendre tous les points de vue : victimes, magistrats, avocats, enquêteurs, professionnels de santé, psychologues...

Dans son rapport 2 ( * ) , rendu public au début du mois de février 2018, le groupe de travail a souligné la nécessité de définir et de mettre en oeuvre une stratégie globale qui prenne en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles et repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l'encontre des mineurs ; favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal.

Alors que le Gouvernement vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la proposition de loi n° 293 (2017-2018) d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles a pour objet de donner une traduction législative à cette stratégie globale.

I. UNE PROPOSITION DE LOI AMBITIEUSE POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES MINEURS VICTIMES D'INFRACTIONS SEXUELLES

Après avoir établi le constat accablant de la persistance, de l'ampleur et de l'insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs, le groupe de travail a préconisé la mise en oeuvre d'une stratégie globale incluant quelques ajustements législatifs en matière pénale mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société, singulièrement des pouvoirs publics, au service d'une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles.

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE STRATÉGIE GLOBALE DE PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES INFRACTIONS SEXUELLES

Comme l'a souligné le groupe de travail, la protection des mineurs contre les violences sexuelles appelle une stratégie globale reposant sur quatre piliers :

- prévenir les violences sexuelles à l'encontre des mineurs ;

- favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ;

- améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ;

- disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal.

Davantage que des évolutions législatives, la mise en oeuvre de cette politique implique une revalorisation notable et durable des crédits et des effectifs qui lui sont alloués. Conformément à l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel « des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État », le rapport annexé à l' article 1 er de la proposition de loi a pour objet de présenter cette stratégie globale, les moyens à mobiliser et les pratiques administratives à réformer.

Pour prévenir les violences sexuelles à l'encontre des mineurs , le rapport annexé souligne la nécessité d'améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles, afin de les rendre visibles et de lever un tabou, et de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de sensibilisation de toute la société, qu'il s'agisse des adultes - parents, enseignants, professionnels de santé... - mais également des enfants eux-mêmes.

Alors que près de la moitié des auteurs condamnés pour « viol sur mineurs » est mineure 3 ( * ) , il est indispensable que chaque enfant reçoive une véritable éducation à la sexualité. Une attention toute particulière doit être portée aux contenus pornographiques sur Internet car l'accès précoce des enfants à la pornographie engendre des conséquences désastreuses sur leurs représentations de la sexualité, et notamment du consentement.

Favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible suppose, d'une part, de lutter contre le faible taux de signalement à la justice des agressions sexuelles subies par les mineurs, d'autre part, de faciliter le dépôt de plainte et accompagner les victimes en amont de leurs démarches judiciaires. Le rapport annexé à l'article 1 er souligne la nécessité de former l'ensemble des classes d'âge et des corps de métier à l'écoute de cette parole, de faciliter les signalements opérés par le corps médical et paramédical, d'instaurer des espaces de parole sanctuarisés ou encore d'améliorer les conditions d'accueil des plaignants dans les lieux de police judiciaire.

Pour améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs , il est prévu de renforcer les moyens et les effectifs tant de la police judiciaire et scientifique que des juridictions, afin d'améliorer la formation des personnels, de réduire les délais d'enquête et de jugement, d'éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d'un crime de viol en raison du seul encombrement des cabinets des juges d'instruction ou des cours d'assises, mais également afin de mieux organiser l'audiencement des infractions sexuelles en matière correctionnelle en prohibant le recours aux jugements en procédure simplifiée. Les moyens consacrés aux frais de justice et à l'aide aux victimes doivent également être renforcés afin de permettre l'accompagnement de chaque victime par une association d'aide aux victimes, dès le dépôt de la plainte, et de proposer un accueil adapté dans les unités médico-judiciaires.

Enfin, le rapport annexé à l'article 1 er souligne la nécessité de désacraliser le recours au procès pénal et de permettre une véritable prise en charge des victimes d'infractions sexuelles hors du procès pénal . Les victimes doivent être accompagnées, même hors procédure judiciaire : leur prise en charge, notamment médicale, doit être garantie et des parcours de reconstruction, voire de résilience, doivent leur être proposés.

B. L'ADAPTATION DU CADRE LÉGISLATIF POUR MIEUX RÉPRIMER LES INFRACTIONS SEXUELLES

Si l'essentiel des mesures préconisées pour assurer une protection effective des mineurs contre les infractions sexuelles ne relève pas du domaine de la loi, certaines évolutions en matière pénale peuvent néanmoins être utiles afin de mieux lutter contre les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

L' article 3 de la proposition de loi vise ainsi à faciliter la répression criminelle des viols subis par les mineurs par l'instauration d'une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur , tandis que l' article 5 tend à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans .

L' article 2 vise en outre à allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux crimes et aux délits d'agression sexuelle commis à l'encontre des mineurs, tandis que l' article 6 tend à affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des mauvais traitements , y compris de nature sexuelle, subis par un mineur ou une personne vulnérable afin de ne pas faire courir le délai de prescription tant que les mauvais traitements ne sont pas dénoncés aux autorités administratives ou judiciaires.

Par ailleurs, la proposition de loi vise à permettre l'application de la surqualification pénale de l'inceste aux faits commis à l'encontre de majeurs ( article 4 ).

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : APPROUVER LA PROPOSITION DE LOI

Rapporteur du groupe de travail ayant inspiré cette proposition de loi qu'elle a cosignée, votre rapporteur souscrit bien évidemment à ses dispositions et renvoie aux développements du rapport d'information précité pour d'éventuels compléments sur leurs justifications.

Elle a néanmoins tenu à consulter à nouveau les personnes entendues par le groupe de travail et proposé à votre commission, qui les a acceptés, quelques ajustements destinés à clarifier la rédaction des articles 4 et 6, et à prévoir l' application de la réforme dans les outre-mer ( article 7 ).

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - Approbation des orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles présentées dans le rapport annexé à la proposition de loi

L'article 1 er de la proposition de loi tend à approuver les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles, figurant dans un rapport annexé.

Ce rapport annexé présente la stratégie globale de protection des mineurs contre les violences sexuelles, les moyens à mobiliser et les pratiques administratives à réformer, selon les préconisations du rapport du groupe de travail.

Il mentionne en particulier les réformes qui ne relèvent pas de l'intervention du législateur , par exemple le renforcement de la politique de sensibilisation aux violences sexuelles, la création d'outils formalisés et de protocoles pour aider les professionnels à détecter et à signaler les situations de maltraitance, l'affirmation du droit à voir sa plainte enregistrée à tout moment, la généralisation des psychologues et des assistantes sociales dans les unités de police ou de gendarmerie, le renforcement significatif des moyens des juridictions, ou encore la création d'une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d'infractions sexuelles.

Votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 2 (art. 7 et 8 du code de procédure pénale) - Allongement du délai de prescription de l'action publique des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

L'article 2 de la proposition de loi vise à allonger le délai de prescription de l'action publique de certaines infractions sexuelles, lorsqu'elles sont commises à l'encontre des mineurs. Il traduit ainsi la proposition n° 16 du rapport d'information précité.

1. Un régime dérogatoire de prescription de l'action publique

Les infractions sexuelles bénéficient de délais de prescription de l'action publique spécifiques.

Les délits sexuels commis à l'encontre des mineurs se prescrivent par dix ou vingt ans, selon la gravité des atteintes.

Les crimes sexuels se prescrivent par vingt ans, soit, depuis la réforme de la prescription pénale de février 2017 4 ( * ) , le même délai que les crimes de droit commun.

De plus, afin de prendre en compte la particulière vulnérabilité des mineurs victimes de violences sexuelles, le législateur a instauré un régime de prescription spécifique lorsque ces faits sont commis à l'encontre d'un mineur.

Au regard des difficultés, voire de l'impossibilité rencontrée par la victime de dénoncer les faits commis sur sa personne, le délai de prescription de l'action publique de certaines infractions, essentiellement à caractère sexuel, commises à l'encontre des mineurs ne commence à courir qu'à compter de la majorité des victimes . Pour des crimes qui se prescrivent par dix ou vingt ans, les victimes peuvent ainsi engager l'action publique jusqu'à leur 28 ou 38 ans.

Délais actuels de prescription des qualifications pénales délictuelles

Qualification pénale

Délai de prescription

Agressions sexuelles (articles 222-27, 222-28, 222-29 et 222-30 du code pénal)

Dix ans

Traite des êtres humains à l'égard d'un mineur (article 225-4-1 du code pénal)

Proxénétisme à l'égard d'un mineur (article 225-7 du code pénal)

Recours à la prostitution d'un mineur (articles 225-12-1 et 225-12-2 du code pénal)

Corruption de mineur (article 227-22 du code pénal)

Proposition sexuelle à un mineur de 15 ans en utilisant un moyen de communication électronique (article 227-22-1 du code pénal)

Captation, enregistrement, transmission, offre, mise à disposition, diffusion, importation ou exportation, acquisition ou détention d'images à caractère pornographique de mineur et consultation d'un service de communication mettant à disposition de telles images (article 227-23 du code pénal)

Fabrication, diffusion ou commerce d'un message à caractère violent ou pornographique susceptible d'être vu par un mineur (article 227-24 du code pénal)

Incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle (article 227-24-1 du code pénal)

Atteintes sexuelles (articles 227-25 et 227-27 du code pénal)

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours commises à l'encontre d'un mineur (article 222-12 du code pénal)

Vingt ans

Agressions sexuelles imposées à un mineur de 15 ans (article 222-29-1 du code pénal)

Atteintes sexuelles aggravées sur mineur de 15 ans, notamment en raison de la qualité de leur auteur (article 227-26 du code pénal)

Source : commission des lois du Sénat

2. L'allongement des délais de prescription de l'action publique prévu par l'article 2 de la proposition de loi

L'article 2 de la proposition de loi tend à allonger à trente ans le délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs. Ce délai de prescription serait identique à celui prévu pour les crimes de guerre, d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, ou encore ceux relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive.

L'article 2 tend également à allonger le délai de prescription de l'action publique applicable aux délits sexuels commis à l'encontre des mineurs.

À l'instar des délits de « violence aggravée sur mineur 5 ( * ) », d'agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans 6 ( * ) , « d'atteinte sexuelle aggravée sur mineur de 15 ans 7 ( * ) », tous les délits d'agressions sexuelles, aggravées ou non, se prescriraient désormais par vingt ans, à compter de la majorité des victimes.

Tableau comparatif des principaux délais de prescription

Infraction

Délai de prescription actuel

Délai de prescription
(selon la proposition de loi adoptée par votre commission)

Crimes

20 ans

20 ans

Crimes commis sur les mineurs

20 ans

30 ans

Crimes de guerre, d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive

30 ans

30 ans

Délits

6 ans

6 ans

Délits commis sur les mineurs

10 ans

(20 ans pour certains délits tels les agressions sexuelles aggravées)

10 ans

(20 ans pour certains délits tels les agressions sexuelles)

Délits de guerre, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive

20 ans

20 ans

Contraventions

1 an

1 an

Source : commission des lois du Sénat

3. La position de votre commission

Si l'allongement du délai de prescription de l'action publique pour les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs a été salué, notamment par le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (COFRADE), cette mesure a également suscité d'importantes réserves parmi les personnes consultées par votre rapporteur.

Selon l'association française des magistrats instructeurs, les difficultés probatoires, déjà grandes, seront accrues : les traces ADN, les données informatiques ou téléphoniques seront indisponibles et les souvenirs seront imprécis. Cette association rappelle qu'« avec ce nouvel allongement des délais de prescription, l'inévitable déperdition des preuves et altération des témoignages avec le temps, conjuguée au principe fondamental du procès pénal selon lequel le doute doit profiter à l'accusé, ne pourront, en l'absence d'aveu, que conduire à multiplier ces mises hors de cause et, partant, à exacerber la douleur et le ressentiment des plaignants » et met en garde contre le risque de générer de nouvelles souffrances en souhaitant répondre aux attentes des victimes.

Votre rapporteur ne doute pas des difficultés, voire des risques, que comporte l'allongement des délais de prescription de l'action publique 8 ( * ) .

Elle estime nécessaire de ne pas se satisfaire de cette mesure législative pour mieux lutter contre « l'impunité » des auteurs d'infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; au contraire, cette mesure symbolique doit être accompagnée d'une politique active permettant aux victimes et à leurs proches de signaler ces faits à la justice le plus tôt possible , conformément aux objectifs mentionnés dans le rapport annexé.

Surtout, votre rapporteur insiste sur la nécessité de disjoindre la prise en charge des victimes du procès pénal qui ne doit pas être une condition nécessaire de la reconstruction des victimes 9 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3 (art. 222-23 du code pénal) - Répression du viol lorsqu'il est commis à l'encontre d'un mineur

L'article 3 de la proposition de loi vise à faciliter la répression des viols commis à l'encontre des mineurs en instaurant une présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement du mineur ou sur l'existence d'une différence d'âge significative entre le mineur et l'auteur. Il traduit ainsi la proposition n° 13 du rapport d'information précité.

Cette modification n'aurait ni pour objet ni pour effet de changer l'interdit pénal très clairement posé par le délit d'atteinte sexuelle sur mineur (article 227-25 du code pénal) : toute relation sexuelle avec un enfant de moins de 15 ans est interdite au risque de poursuites pénales .

Les éléments constitutifs des agressions sexuelles (y compris le viol)

Trois éléments sont nécessaires pour constituer ces infractions pénales :

- un élément légal : en l'espèce, les faits sont réprimés par les articles 222-22 et 222-23 du code pénal ;

- un élément matériel : un contact physique à caractère sexuel ou, pour le viol, un acte de pénétration sexuelle ;

- un élément intentionnel : la conscience de l'auteur de l'infraction d'exercer une coercition (une contrainte, une violence, une menace ou une surprise) sur la victime. Cet élément intentionnel est indispensable pour ne pas pénaliser les relations sexuelles consenties.

En revanche, l'article 3 de la proposition de loi tend à faciliter la qualification criminelle de viol en permettant de mobiliser plus facilement l'élément de contrainte morale, élément constitutif de l'infraction de viol 10 ( * ) . Contrairement au délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, le crime de viol est puni d'une peine de 15 ans de réclusion criminelle, de 20 ans lorsqu'il est commis sur un mineur de 15 ans ou une personne particulièrement vulnérable à raison de son âge et jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité en cas de circonstances aggravantes 11 ( * ) .

Conformément aux principes du droit pénal, cette présomption de contrainte reposerait sur le comportement de l'auteur, c'est-à-dire son intention de commettre un acte de pénétration sexuelle à l'encontre d'un mineur incapable de discernement ou avec lequel il existe une grande différence d'âge. La charge de la preuve serait inversée et reposerait désormais sur l'adulte mis en cause puisque la contrainte morale et donc la qualification criminelle de viol seraient présumées. Pour respecter les principes posés par la Constitution de 1958 et la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il s'agirait d'une présomption simple, ce qui signifie que l'accusé pourrait apporter la preuve contraire. L'écueil d'une criminalisation excessive serait ainsi évité car cette présomption pourrait être renversée dès lors que le discernement du mineur et son consentement à la relation sexuelle seraient établis (que ce mineur soit âgé de 16 ans comme de 14 ans 12 ( * ) ). Ainsi, les relations sexuelles consenties entre mineurs et jeunes majeurs ne relèveraient pas nécessairement de la cour d'assises. Une telle présomption ne discriminerait pas non plus les mineurs en fonction de leur âge : tous bénéficieraient de la même protection, dès lors que les critères de la présomption seraient réunis.

La notion de « discernement » fait déjà l'objet d'une abondante jurisprudence tant en matière civile (pour déterminer la capacité d'entendre l'enfant en justice 13 ( * ) ) qu'en matière pénale (seul un mineur capable de discernement peut faire l'objet de poursuites pénales 14 ( * ) ).

Selon la direction générale de la gendarmerie nationale, le renversement de la charge de la preuve opéré par l'article 3 aurait pour effet que les juridictions de jugement devront alors établir sans conteste le consentement libre et éclairé du mineur pour écarter la qualification de viol en cas de relation sexuelle entre un adulte et un mineur.

Votre rapporteur a souligné la nécessité d'accompagner cette modification législative d'un renforcement significatif des moyens des cabinets d'instruction et des cours d'assises : les crimes de « viol sur mineurs » doivent être réprimés de manière à la fois prompte et effective. Il est inutile de faciliter la criminalisation de ces comportements si les magistrats ne sont pas assez nombreux 15 ( * ) ou suffisamment formés 16 ( * ) pour assurer une justice de qualité.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification.

Article 4 (paragraphe 3 du chapitre II du titre II du livre II et art. 222-31-1 du code pénal) - Extension de la surqualification pénale d'inceste

L'article 4 de la proposition de loi vise à étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et autres agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs. Il traduit ainsi la proposition n° 14 du rapport d'information précité.

1. La surqualification pénale d'inceste

Depuis la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, il existe une surqualification pénale d'inceste, obligatoirement retenue par les juridictions lorsque les conditions sont réunies, applicable aux infractions d'agression sexuelle et « d'atteinte sexuelle sur mineurs ».

En application de l'article 222-31-1 du code pénal, les viols et les autres agressions sexuelles « sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis sur la personne d'un mineur » par un ascendant, un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce de la victime ou le conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de l'une de ces personnes, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Entre le 16 mars 2016 et le 31 décembre 2016, 393 infractions sexuelles (dont 86 viols) ont été qualifiées d'incestueuses.

2. L'extension du champ d'application de la surqualification pénale d'inceste prévue par l'article 4 de la proposition de loi

Conformément à la recommandation n° 14 du rapport d'information précité, l'article 4 de la proposition de loi tend à modifier l'article 222-31-1 du code pénal afin d'étendre la surqualification pénale d'inceste aux agressions sexuelles commises à l'encontre des majeurs .

Cette surqualification pénale s'appliquerait aux faits commis par l'ascendant, le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le neveu ou la nièce de la victime ainsi qu'au conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de ces personnes, s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

En effet, l'inceste ne disparaît pas à la majorité de la victime, a fortiori si l'auteur de l'infraction autonome (qu'il s'agisse d'un viol ou d'une autre agression sexuelle) continue d'exercer une autorité de fait ou de droit sur la victime, susceptible de caractériser une contrainte morale.

Votre commission a approuvé sans réserve cette extension. À l'initiative de son rapporteur, elle a adopté un amendement COM-4 visant à modifier, par cohérence, l'intitulé du paragraphe 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal.

Votre commission a adopté l'article 4 ainsi modifié .

Article 5 (art. 227-25 du code pénal) - Aggravation des peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans

L'article 5 de la proposition de loi tend à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans et à clarifier la rédaction de ce délit. Il traduit ainsi la proposition n° 15 du rapport d'information précité.

1. L'aggravation des peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans

Le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l'encontre d'un mineur de 15 ans au motif qu'un mineur de moins de 15 ans est incapable d'y consentir librement.

Actuellement, le délit « d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Ces peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende pour un certain nombre de circonstances aggravantes, notamment lorsque les faits ont été commis par une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime (article 227-26 du code pénal).

Par rapport aux autres infractions comparables dans les pays de l'Union européenne, les peines encourues en France peuvent apparaître moins élevées, même si la France distingue les « viols sur mineurs de 15 ans » des « atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans ».

Les peines encourues en Europe en cas d'atteinte sexuelle sur mineur

En application de la section 176 du code pénal allemand, tout majeur ayant une « activité sexuelle » avec un mineur de 14 ans encourt une peine de six mois à dix ans d'emprisonnement. En cas de pénétration, la peine minimale est fixée à deux ans d'emprisonnement.

En application de l'article 183 du code pénal espagnol, tout majeur qui agit contre « l'intégrité sexuelle » d'un mineur de 16 ans encourt une peine de deux à six ans d'emprisonnement (« abus sexuel sur mineur »). En cas de violence ou d'intimidation, la peine est portée à dix ans d'emprisonnement (« agression sexuelle sur mineur »). En cas de pénétration, la peine est fixée entre huit à douze ans d'emprisonnement (voire douze à quinze ans d'emprisonnement en cas de violence ou d'intimidation).

En application de la section 244 du code pénal néerlandais, tout majeur qui commet un acte de pénétration à l'encontre d'un mineur de 15 ans encourt une peine pouvant être fixée à douze ans d'emprisonnement.

L'article 5 de la proposition de loi vise à modifier l'article 227-25 du code pénal pour porter les peines encourues de cinq à sept ans d'emprisonnement et de 75 000 à 100 000 € d'amende. En application de l'article 227-26 du code pénal, la peine maximale pour « atteinte sexuelle aggravée sur mineur de 15 ans » resterait de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende afin de conserver une qualification délictuelle.

2. La clarification de la rédaction du délit d'atteinte sexuelle sur mineur

La définition de l'atteinte sexuelle, qui n'exige qu'un contact physique de nature sexuelle, permet de réprimer très largement tous les comportements. Elle intervient de manière subsidiaire aux infractions d'agressions sexuelles (ou de viol en cas de pénétration).

Cette infraction s'applique même en cas de consentement du mineur à un acte sexuel avec un majeur. Pour autant, il serait erroné de considérer qu'elle ne concerne que la répression des relations sexuelles, apparemment « consenties », entre un mineur et un majeur.

Afin de clarifier la portée de l'article 227-25 du code pénal, l'article 5 vise à préciser que cette infraction réprime tout acte sexuel entre un mineur de 15 ans et un majeur « hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle ».

Votre commission a approuvé ces modifications qui correspondent à l'évolution de la société quant à la réprobation de ces comportements et permettent de renforcer la répression des infractions sexuelles lorsqu'ils sont commis sur un mineur de 15 ans.

Votre commission a adopté l'article 5 sans modification.

Article 6 (art. 434-3 du code pénal) - Prescription de l'action publique du délit de non-dénonciation des mauvais traitements subis par un mineur

L'article 6 de la proposition de loi vise à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation des mauvais traitements subis par un mineur. Il traduit ainsi la proposition n° 7 du rapport d'information précité.

À l'exception des personnes soumises à un secret professionnel, toute personne ayant connaissance de sévices infligés à un mineur, qu'il s'agisse de mauvais traitements susceptibles d'une qualification pénale ou non, a l'obligation d'en informer immédiatement les autorités judiciaires ou administratives. Cette abstention fautive constitue un délit puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende par l'article 434-3 du code pénal 17 ( * ) .

Outil efficace incitant au signalement des violences, sexuelles ou non, infligées aux mineurs, cette infraction est cependant apparue insuffisamment dissuasive en raison de son régime de prescription. Selon l'interprétation de la jurisprudence actuelle, le délai de prescription de six ans 18 ( * ) court à partir du jour où l'auteur du délit a eu connaissance de l'infraction à dénoncer.

Pour renforcer l'effectivité de cette incrimination, votre rapporteur a proposé, dans le rapport d'information précité, « d'affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des agressions et des atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription ». L'article 6 de la proposition de loi traduit cette recommandation en reportant le point de départ du délai de prescription de ce délit au jour où la situation illicite constituant le délit de non-dénonciation prend fin.

Les personnes consultées par votre rapporteur ont, pour la plupart, salué cette disposition qui permettrait de faciliter les signalements, en particulier dans les environnements familiaux. Néanmoins, selon l'association française des magistrats instructeurs (AFMI), ce changement de régime de la prescription par l'affirmation du caractère continu de l'infraction pourrait également conduire les auteurs à s'abstenir de dénoncer tardivement les faits, par crainte d'être poursuivis : alors que le régime précédent incitait les auteurs de l'infraction à révéler rapidement les faits connus pour être exonérés de toute responsabilité pénale, l'affirmation du caractère continu de l'infraction pourrait les conduire à s'abstenir de révélation tardive.

Votre rapporteur considère toutefois que la dénonciation des faits à la justice, même tardive, reste une circonstance atténuante de responsabilité concernant les faits de non-dénonciation immédiate des mauvais traitements subis par un mineur. Surtout, par son caractère dissuasif, ce régime devrait permettre, à l'avenir, d'encourager toute personne ayant connaissance de tels faits à les signaler le plus rapidement possible

Votre commission a adopté un amendement COM-5 de son rapporteur visant à clarifier la rédaction de l'article 6.

Votre commission a adopté l'article 6 ainsi modifié .

Article 7 (nouveau) (art. 711-1 du code pénal et art. 804 du code de procédure pénale) - Application outre-mer

L'article 7 de la proposition de loi, qui résulte de l'adoption par votre commission d'un amendement COM-6 de son rapporteur, vise à permettre l'application dans les outre-mer de la réforme proposée.

Sur le plan formel, il met à jour le « compteur » de l'article 711-1 du code pénal et celui de l'article 804 du code de procédure pénale.

Votre commission a adopté l'article 7 ainsi rédigé .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

MERCREDI 21 MARS 2018

M. Philippe Bas , président . - En ce moment même, le Conseil des ministres délibère sur le projet de loi de Mme Schiappa et, sans vouloir m'inscrire dans un esprit de compétition, nous allons délibérer de façon pluraliste d'une proposition de loi dont l'ambition est plus grande encore que celle du Gouvernement et qui porte sur l'orientation et la programmation de la politique de l'État pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Nous verrons quel est le meilleur texte, mais je me permets de penser que c'est le nôtre. Ce sera à vous d'en décider.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Nous vous avons déjà présenté en février le rapport de notre groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs qui a réuni l'ensemble de nos réflexions menées pendant quatre mois. La notion de violence sexuelle est inéluctablement liée à l'histoire de l'humanité. Cette notion a évolué en fonction des modèles de sociétés, des classes sociales, des contextes historiques, politiques, culturels, religieux, moraux et scientifiques.

Pourtant, dès le code d'Hammurabi (1792-1750 avant Jésus-Christ), l'interdit du viol et de l'inceste était posé.

Depuis 1832, le code pénal français réprime de manière spécifique les atteintes sexuelles commises à l'encontre d'un mineur. Le principe est clair : aucun majeur ne doit toucher à un mineur.

Le groupe de travail a réfléchi pour renforcer la protection des enfants. Il a refusé les annonces précipitées et a voulu prendre de la hauteur, en tenant compte des diverses auditions auxquelles il a procédé.

« Les fragments ignorent leurs coïncidences » dit-on. Nous avons écouté les enquêteurs, les magistrats, les victimes, les associations, les professionnels de santé... et tous ces témoignages se sont rassemblés en un texte cohérent.

Le constat accablant de la persistance, de l'ampleur et de l'insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs nous a guidés. Le Gouvernement s'est emparé du sujet et le Conseil d'État qui s'est prononcé hier a sans doute tenu compte de nos travaux.

La stratégie globale de protection des mineurs, que le groupe de travail a proposée, doit prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Elle repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l'encontre des mineurs ; favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal.

Que dit la proposition de loi ?

En premier lieu, l'essentiel des mesures préconisées par le groupe de travail pour assurer une protection effective des mineurs contre les infractions sexuelles ne relève pas du domaine de la loi. Elles figurent donc dans le rapport annexé approuvé par l'article 1 er de la proposition de loi. Il faudra en priorité évaluer le nombre de victimes car le silence reste de mise sur ce sujet tabou.

Ensuite, la proposition de loi propose cinq évolutions en matière pénale qui peuvent être utiles pour lutter contre les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

L'article 2 vise à allonger les délais de prescription de l'action publique tant pour les viols subis par les mineurs (ce délai serait porté de vingt à trente ans) que pour les délits sexuels commis à leur encontre. À l'instar des délits de « violence aggravée sur mineur », d'agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans, « d'atteinte sexuelle aggravée sur mineur de 15 ans », tous les délits d'agressions sexuelles, aggravées ou non, se prescriraient désormais par vingt ans, à compter de la majorité des victimes.

Je vous propose d'adopter sans modification cet article.

L'article 3 est essentiel car il propose une méthode de réflexion novatrice : il vise à faciliter la répression criminelle des viols subis par les mineurs par l'instauration d'une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur. Cette modification n'aurait ni pour objet ni pour effet de changer l'interdit pénal d'ores et déjà posé très clairement par le délit d'atteinte sexuelle sur mineur (article 227-25 du code pénal) : toute relation sexuelle d'un majeur avec un enfant de moins de 15 ans est interdite au risque de poursuites pénales. Cela ne peut pas être plus clair.

L'article 3 tend à faciliter la qualification criminelle de viol en permettant de mobiliser plus facilement l'élément de contrainte, élément constitutif de l'infraction de viol. Pour qu'il y ait viol, il faut qu'il y ait un acte de pénétration sexuelle mais également la démonstration de la preuve de l'existence d'une contrainte, menace, violence ou surprise. Avec cet article, nous inversons la charge de la preuve : nous présumons qu'il y a eu contrainte. Nous présumons aussi que la victime, étant contrainte, n'aura plus rien à démontrer. Nous n'avons pas voulu prévoir un seuil d'âge, solution qui paraît simple parce que simpliste.

Je prends un exemple : une jeune femme enceinte arrive aux urgences à 17 ans et dix mois : elle a une phlébite avec suspicion d'embolie pulmonaire. En principe, la pédiatrie est compétente. Mais quel intérêt pour la patiente de la soigner en pédiatrie plutôt qu'en obstétrique ? Son âge n'a effectivement pas de sens.

Si nous voulons protéger l'enfant, la présomption de contrainte est une évidence. Il faudra prendre le temps d'expliquer cette notion aux médias pour être compris et entendus. Je rappelle que la notion de non consentement n'existe pas sur le plan juridique, d'où cette présomption de contrainte ou présomption de culpabilité.

La notion de discernement a déjà fait l'objet d'une abondante jurisprudence tant en matière civile, pour déterminer la capacité d'entendre l'enfant en justice, qu'en matière pénale, puisque seul un mineur capable de discernement peut faire l'objet de poursuites pénales.

Je vous propose d'adopter sans modification l'article 3.

L'article 4 vise à permettre l'application de la surqualification pénale de l'inceste aux faits commis à l'encontre de majeurs. L'inceste reste l'inceste, que la victime ait deux mois, comme nous l'avons vu avec horreur, deux ans, douze ans ou vingt ans. L'inceste ne sera pas moins grave si la victime a 18 ans et deux mois.

L'article 5 tend à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Le Gouvernement semble désormais avoir la même intention.

Actuellement, le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Par rapport aux infractions comparables dans les pays de l'Union européenne, les peines encourues en France peuvent apparaître moins élevées, même si notre système distingue les viols sur mineurs de 15 ans des atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans.

L'article 5 porte les peines encourues de cinq à sept ans d'emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d'amende.

L'article 6 tend à affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des mauvais traitements infligés à un enfant. Lorsque vous êtes témoin de maltraitances sur un enfant, vous êtes tenu de les dénoncer immédiatement, sinon vous pouvez être l'objet de poursuites pénales.

Aujourd'hui, selon L'Enfant bleu, 97 % de nos concitoyens estiment que la maltraitance doit être une priorité nationale. Beaucoup a déjà été fait, notamment grâce à Mme Laurence Rossignol. L'inhumain continue pourtant à se produire, malgré les mesures de protection des enfants. Beaucoup reste à faire. Le terrorisme et la finance font les gros titres des médias...

Mme Esther Benbassa . - Les femmes aussi !

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Pour les mineurs, l'écho médiatique est moindre. Notre rôle est d'avoir le courage du bon sens : le Gouvernement va présenter ses propositions en tenant compte des recommandations du Conseil d'État.

Faisons nôtre cette phrase : « L'homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il se baisse pour aider un enfant ». ( Applaudissements )

M. Philippe Bas , président . - Je m'associe aux manifestations de reconnaissance de la qualité du travail de notre rapporteur qui nous a éclairés sur la complexité de cette matière et la difficulté qu'il y a à trouver des solutions. Il est heureux que le débat se soit développé sur les moyens de mieux protéger nos enfants, après des décisions de justice que nos concitoyens n'ont pas comprises. Le Gouvernement a réagi très vite, un peu dans la précipitation. Nous avons voulu avec notre groupe de travail prendre le temps d'écouter et de réfléchir avant de nous prononcer sur la nécessité de modifier la loi pénale. Beaucoup de magistrats, d'avocats, d'associations n'y étaient pas favorables. Pour faire reculer les violences sexuelles sur mineurs, il fallait mettre l'accent sur l'éducation, la prévention, et sur l'accueil des victimes et l'écoute de leur parole. La modification de la loi pénale ne vient donc qu'après, même si le débat public a tendance à ne se réduire qu'à cette question.

Nous devons donc nous attacher à redéfinir les moyens des services de la gendarmerie, de la police, de la justice, des hôpitaux...

Nous avons mis en évidence très tôt que le Gouvernement était parti sur une fausse piste. C'est si vrai qu'il a dû y renoncer puisqu'à la suite de l'avis du Conseil d'État, toute idée de présomption irréfragable qu'un acte de pénétration en-deçà d'un certain âge serait un viol a été abandonnée. Le Conseil d'État a convaincu le Gouvernement que ce serait inconstitutionnel du point de vue des droits de la défense, l'auteur de l'acte n'ayant plus aucun moyen de s'exonérer de sa responsabilité pénale, mais que ce serait aussi contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Nous avions aussi montré que cette disposition serait inefficace pour la protection des enfants. Ainsi, un jeune homme de 17 ans entretient avec une jeune fille de 13 ans et demie une relation de tendresse avec une dimension sexuelle : à 18 ans, ce garçon serait devenu un violeur. Du point de vue de la victime, comment est-il possible de considérer qu'une règle d'âge pourrait impliquer un traitement nécessairement différent pour une jeune fille de 15 ans moins un jour et pour une jeune fille de 15 ans et un jour ? On voit l'absurdité de cette démarche.

Notre mission n'est pas de nous aligner sur la vox populi lorsqu'elle n'est pas suffisamment éclairée. La législation ne peut résulter de sondages d'opinion. Le travail que nous avons fait est enfin reconnu par le Conseil d'État et par le Gouvernement.

Enfin, la maturité sexuelle des jeunes filles varie considérablement de l'une à l'autre. Le seuil de 13 ans, proposé par nos collègues, serait méconnaître certains faits qui ne peuvent être qualifiés d'anecdotiques.

Nos travaux permettent d'aboutir à une solution pertinente en prenant en compte non pas l'âge, mais le discernement en tant que tel. Nous prenons aussi en compte la différence d'âge entre l'agresseur et la victime. Enfin, notre solution préserve les droits de la défense. Quelle que soit l'horreur que nous inspire le viol de mineurs par des adultes, les droits de la défense doivent être respectés : aucun accusé ne peut être condamné d'avance.

Si nous acceptons d'étendre le délai de prescription de l'action publique des viols commis à l'encontre de mineurs de 20 à 30 ans, ce n'est pas pour inciter les victimes à ne pas porter plainte. Il faut porter plainte le plus tôt possible.

M. Patrick Kanner . - Merci pour l'engagement moral de Mme Mercier. Je ne pensais pas que mon amendement sur le texte du président Bas déposé en octobre, amendement considéré à juste titre comme un cavalier, entraînerait la création de ce groupe de travail puis la publication de ce rapport d'information. Ce travail de construction collective est à mettre à l'honneur du Sénat, dans une époque où l'on veut diminuer les droits du Parlement. Cette proposition de loi est un signe de bonne santé qui mérite d'être soulignée. Nous serons très largement favorables à ce texte, mais nous avons une divergence d'appréciation que nous exposerons dans un amendement.

Je me réjouis de notre capacité à travailler ensemble sur des sujets d'importance.

M. Philippe Bas , président . - Je suis très sensible à vos propos.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je ne reviens pas sur la qualité du travail de notre rapporteur.

Nous traitons d'une réalité mal évaluée puisqu'au fil de la transformation du regard de la société sur ces agissements, de nombreux faits sont révélés. Mais nous savons que peu de faits sont encore connus.

N'oublions pas que la moitié des cas révélés concernent des auteurs mineurs.

Nous évoluons dans une législation abondante, à la limite de la confusion. Au fil du temps, des modifications se sont surajoutées les unes aux autres, sans toujours grande logique.

Cette proposition de loi ne se limite pas à la répression pénale : elle embrasse la totalité du sujet en fixant quatre lignes de travail, que sont la prise en compte des victimes, le respect de la présomption d'innocence, l'adaptation de la réponse pénale, la prise en charge des victimes, en la déconnectant du procès pénal. Le monde ne s'arrête effectivement pas à la réponse pénale. N'oublions pas non plus que la protection de l'enfance dans notre pays est efficace.

Au final, nous avons présenté 34 propositions dans le rapport d'information. Nous devrons garantir les moyens d'assurer sur tout le territoire l'obligation légale d'éducation à la sexualité, former les professionnels au contact des enfants, garantir à chaque victime le droit de voir sa plainte enregistrée, former les enquêteurs à l'accueil des plaignants, instaurer pour les faits de viols une présomption simple de contrainte, novation juridique de ce texte, fondé sur l'incapacité de discernement du mineur ou sur la différence d'âge. C'est sur ce point que le groupe socialiste souhaite compléter la réflexion de la commission. J'y reviendrai.

Le groupe de travail a également souhaité aussi allonger de 10 ans les délais de prescription. Nous avons beaucoup réfléchi sur le sujet et il est très difficile de manier les règles de prescription. À titre personnel, je ne voulais pas modifier celles qui avaient déjà été changées il y a un an. Je rappelle que cette prescription est particulière puisqu'elle ne démarre qu'à l'âge de la majorité de la victime. Nous voulons aussi expliquer et justifier aux victimes les décisions judiciaires et enfin améliorer la prise en charge des victimes, même en l'absence de réponse judiciaire.

Notre groupe adhère à la notion de présomption de contrainte qui permet de protéger tous les mineurs, et donc aussi ceux de 15 à 18 ans, ce qui n'est pas spécifiquement prévu par les textes aujourd'hui.

Nous voulons également prévoir une infraction spécifique de viol lorsque la victime à moins de 13 ans. Le Haut conseil de l'égalité et le procureur de la République de Paris, François Molins, souhaitent l'instauration d'un seuil à 13 ans. Nous pensons qu'il faut affirmer que lorsqu'un majeur a une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans, cette relation doit être qualifiée de viol. La loi a une portée symbolique : elle doit poser cet interdit.

Mme Esther Benbassa . - Je rends hommage au travail de Mme Mercier qui a abouti à cette proposition de loi. Elle a eu à coeur d'envisager la question du viol dans tous ses aspects. Heureusement, la parole s'est libérée, même si l'on peut constater quelques dérives. Notre rapporteur insiste sur la prévention, l'accompagnement des victimes et les moyens dédiés à la justice. Nous avons tous été horrifiés par ces deux affaires de viol qualifiées d'atteintes sexuelles.

Il fallait cependant un certain courage pour ne pas tomber dans la vindicte populaire. Nous sommes dans une hystérisation médiatique du problème, et c'est bien dommage.

Les membres de mon groupe ne sont pas d'accord avec toutes les recommandations du groupe de travail, mais vous dites à juste titre que cette lutte contre les infractions sexuelles est avant tout un combat sociétal. La justice doit disposer de plus de moyens, les victimes doivent être mieux accompagnées, et la prévention renforcée. Ce chantier n'est pas seulement législatif mais aussi sociétal. Il remet en cause la loi du silence dans les familles et vise à renforcer les dispositifs d'aide et d'accompagnement à l'école, au travail, dans les services médicaux et sociaux, dans les commissariats. Les livres scolaires doivent être repensés : l'éducation sexuelle dans les livres de science naturelle est expliquée par l'accouplement des amibes. Dans les pays nordiques, l'éducation sexuelle est enseignée par étapes, avec des corps humains.

Je suis en désaccord avec l'article 2 qui allonge le délai de prescription des crimes à 30 ans après la majorité de la victime. Cet allongement constant des délais n'est pas une réponse adéquate. Ce matin, les radios évoquaient l'imprescriptibilité de ces faits. Je regrette cette absence de hiérarchie dans les peines.

L'article 3 prévoit d'instituer une présomption de contrainte : cette solution est plus satisfaisante que l'instauration d'une présomption irréfragable fondée sur un seuil d'âge qui entrerait en conflit avec la présomption d'innocence qui est un des fondements de la justice.

L'article 4, qui étend la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles, me convient.

Nous sommes opposés à l'article 5 qui aggrave les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans : cette modification vise à répondre à une émotion mais l'alourdissement perpétuel des peines n'est pas une réponse adéquate, même si la droite réclame cet alourdissement, face à une gauche supposée laxiste.

L'article 6 est peut être mal formulé : il convient de s'assurer de l'existence de véritables garanties contre une imprescriptibilité indirecte et d'éventuelles dérives. À l'occasion d'un héritage, on pourrait assister à des dénonciations calomnieuses de tel ou tel membre de la famille. Il serait opportun de réfléchir à la clarification de l'incrimination de viol.

Pour toutes ces raisons, mon groupe s'abstiendra sur ce texte, mais je salue le travail et l'engagement de notre rapporteur. Il ne faut pas envisager ce problème que sous l'angle de la victimisation : nous ne sommes pas que des victimes violées, des corps souillés. Nous voulons la parité, l'égalité des salaires, que notre parole soit écoutée et pas comme hier, lorsqu'une collègue, citant Clemenceau, a été conspuée en séance. C'est insupportable.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie du caractère constructif de votre intervention.

M. Dany Wattebled . - Merci pour le travail accompli. Je suis favorable à cette proposition de loi, mais je regrette que nous n'ayons pas proposé l'imprescriptibilité de ces crimes. Près de 20 % des mineurs seraient concernés : la victime prend à perpétuité dans son coeur, dans son âme et dans sa vie. La libération de la parole se fait à tout âge puisqu'on a vu le cas d'un footballeur anglais qui a dénoncé à 58 ans des faits dont il a été victime adolescent. La justice estime que les tribunaux vont être engorgés et que les preuves viendront à manquer. Mais c'est déjà le cas lorsque les faits sont dénoncés après 20 ans. Grâce à l'imprescriptibilité, la parole des victimes serait libérée.

Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles : je pense que le crime contre un petit humain doit l'être également.

M. Philippe Bas , président . - À chaque fois que l'on se penche sur une catégorie de crimes, on a tendance à considérer qu'il s'agit des crimes les plus odieux que l'on puisse concevoir. Si l'on votait l'imprescriptibilité de l'action publique pour les viols sur mineurs, que dirions-nous aux parents d'enfants assassinés dont le crime n'est pas imprescriptible ? Dans la hiérarchie du crime, il est difficile de distinguer ce qui est encore plus odieux que le pire.

L'année dernière, nous avons touché à la prescription. Nous nous sommes prononcés après des débats très longs, comme quoi le temps est parfois nécessaire à la décantation d'un problème complexe. Nous avons adopté de nouvelles règles et ce n'est pas considérer que ces crimes ne sont pas absolument odieux que de ne pas vouloir aller jusqu'à l'imprescriptibilité. Cette matière est très sensible, très complexe, et nous devons penser aux autres victimes de crimes également très odieux.

Mme Muriel Jourda . - À l'article 3, nous avons une présomption de contrainte morale dans deux cas : lorsqu'il y a un acte de pénétration sexuelle par un majeur sur un mineur incapable de discernement et lorsqu'il existe une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur des faits. Cela signifie-t-il qu'il n'y aurait pas de présomption de contrainte morale entre une jeune fille de 16 ans et son ami de 18 ans ? Ce dispositif préserve-t-il de cette présomption tout un pan des relations sexuelles des jeunes ?

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Tout à fait.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Sauf si la mineure de 16 ans est incapable de discernement.

M. Jacques Bigot . - Nous avons adopté après un rapport sénatorial, après une proposition de loi de deux députés, la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Les débats ont été longs et intenses, et nous viendrions un an après modifier l'équilibre auquel nous sommes parvenus ? Notre rôle est également d'assurer au droit une certaine stabilité. Dans mon groupe, certains sont pour l'imprescriptibilité, mais le législateur se doit de tenir compte des travaux précédents.

Mme la garde des sceaux nous annonce que pour simplifier l'action de la justice, il va y avoir une catégorie de crimes qui passera devant la cour d'assises et une autre devant des tribunaux professionnels, pour les crimes passibles d'une peine d'emprisonnement inférieure à 20 ans. Que souhaitera la vo x populi pour un viol commis sur un mineur ?

Ce soir, sur France 3, un documentaire sur les victimes de pédophilie sera diffusé : on en rajoute ! On peut espérer que les victimes n'attendront pas trente ans avant de porter plainte. Cet article 2 n'est pas une bonne façon de faire la loi.

Mme Françoise Gatel . - Je veux rendre hommage au travail de Mme Mercier. Au sein du groupe de travail, nous avons découvert de quoi nous parlions. Nous sommes entrés dans un monde glauque qui s'est affranchi de toute normalité et de toute morale sociale et républicaine. Ce sujet touche tous les milieux : il s'agit d'un défi car la grande majorité des infractions sexuelles à l'encontre de mineurs est le fait de proches, d'où certains silences. En outre, les agresseurs sont souvent des mineurs.

Ce sujet douloureux est souvent l'objet d'un emballement médiatique et par les réseaux sociaux, qui se transforment en tribunal populaire pour lequel sanctionner, c'est supprimer le problème. Or, ce qu'il faut, c'est prévenir, empêcher. L'éducation, y compris l'éducation à la parentalité, est donc primordiale. Le recueil et l'écoute de la parole sont également indispensables. Les professionnels doivent faciliter la libération de la parole des enfants.

Rappelons-nous aussi l'affaire d'Outreau : des personnes ont été désignées coupables, sans possibilité de se défendre, et leur vie est devenue un enfer. La présomption d'innocence doit donc être défendue avec la plus grande rigueur.

Le Sénat va affronter des commentaires forts désagréables car les médias nous reprocheront de ne pas avoir trouvé la réponse miraculeuse qui consiste à fixer un âge. Je salue le courage de cette proposition de loi qui ramène de la raison dans ce débat.

M. Philippe Bas , président . - Nous vivons dans une démocratie représentative et parlementaire et pas dans une démocratie d'opinion. Nous avons mandat de traiter les affaires compliquées avec sérieux.

M. Arnaud de Belenet . - Quelle bonne idée d'avoir créé ce groupe de travail pour être prêt le jour où un projet de loi arriverait. Je rends hommage à la hauteur de vue de notre rapporteur.

Je constate une convergence de fond avec le Gouvernement : les sujets de prévention, de formation, d'éducation font consensus. Celui de la prescription aussi : certains magistrats étaient plutôt sereins lorsque nous avons évoqué le passage de 20 à 30 ans du délai de prescription de l'action publique des viols commis à l'encontre des mineurs. Ce délai a le mérite d'intégrer la problématique de l'amnésie post-traumatique. L'essentiel a été dit sur l'imprescriptibilité.

La notion de présomption de contrainte avec la prise en compte du discernement et de la différence d'âge valide implicitement l'âge de 15 ans. Notre assemblée n'aurait-elle pas intérêt à valider cet âge pour ne pas passer pour rétrograde aux yeux de l'opinion ?

Stendhal disait à Delacroix : « Ne négligez rien de ce qui peut vous faire grand ». J'imagine que nous le serons.

Nos auditions ont démontré que les mineurs handicapés étaient les premières victimes : 81 % des filles handicapées seraient victimes mineures d'atteintes sexuelles et cela concernerait plus de 90 % des mineurs autistes. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) devraient mener des actions de prévention en ce domaine.

Mme Maryse Carrère . - En tant que membre du groupe de travail, je suis heureuse de cette proposition de loi. Nos avis ont évolué au cours des auditions que nous avons menées. Nous avons aussi découvert la vie quotidienne des professionnels confrontés à ces violences.

Nous avons pris en compte les spécificités des violences subies, avec les tabous, l'omerta, le déni, l'amnésie post-traumatique...

Nous avons également pris en compte les victimes : je me souviens d'une jeune fille qui nous disait, alors que nous nous interrogions sur le bienfondé de l'allongement du délai de prescription, « Ne décidez pas à la place des victimes ».

La présomption de contrainte est une innovation juridique : nous avons inversé la charge de la preuve, ce qui est essentiel pour les victimes. Il nous a semblé difficile de fixer un seuil d'âge. Je me réjouis que ce texte aille au-delà d'une simple modification juridique : nous prenons en compte les failles lors de l'accueil des victimes.

J'ai signé cette proposition de loi et je veux rendre hommage à l'humanité de Mme Mercier.

M. Philippe Bas , président . - Cet hommage est unanime.

M. François-Noël Buffet . - La question de l'augmentation du délai de prescription sur les agressions sur mineur avait été posée lors de l'examen de la loi du 27 février 2017, dont j'étais le rapporteur. Nous n'avions pas jugé utile de modifier ce délai, considérant alors que les choses n'étaient pas suffisamment mûres. Nous avions privilégié le statu quo .

Au printemps 2018, les choses ont changé, suite à l'écho médiatique de certains procès, et je me réjouis d'avoir refusé l'amendement de M. Kanner car il a généré une réflexion dont les fruits sont devant nous. Pendant de nombreuses années, nous avons réagi comme des juristes purs, considérant que seul le droit permettait de raisonner sainement. Malheureusement, la rationalité ne doit pas seule être prise en compte en cette matière, puisqu'il s'agit de victimes faibles, à savoir des enfants.

Nous avons réussi à bousculer nos modes de pensée : les délais rassurent les juges, les juristes. L'article 3 témoigne de la nécessité, avant tout, de protéger l'enfant mineur. La présomption simple, et non pas irréfragable qui serait interdite en la matière, a l'avantage de nous libérer de ces limites d'âge avec ses effets de seuil. Entourés d'avis médicaux, les magistrats auront la possibilité d'apprécier chaque situation.

L'article 2 instaure une prescription de 30 ans pour les viols commis à l'encontre des mineurs. C'est une avancée. J'entends ce qui est dit sur l'imprescriptibilité : je m'interroge sur le sujet. L'imprescriptibilité est limitée aux crimes contre l'humanité. Un des buts était de se protéger contre la perte de preuves ou d'éléments susceptibles de caractériser les crimes commis. En la matière, nous devons nous interroger sur la révélation par la victime de l'infraction qu'elle a subie. Or, certaines personnes ont besoin de temps pour parler, d'où cette tentation d'instaurer l'imprescriptibilité. L'amnésie post-traumatique pourrait peut-être nous permettre de résoudre ce problème. Des éléments objectifs semblent permettre de caractériser les amnésies post-traumatiques : ainsi, un médecin est capable de dire si une personne est victime d'amnésie post-traumatique. Dans la loi du 27 février 2017, nous avons écrit que l'obstacle insurmontable à révéler un évènement constitue une cause possible de suspension de la prescription. Nous pourrions considérer valablement que la personne reconnue victime d'amnésie post-traumatique constituerait un obstacle insurmontable qui entraînerait la suspension de la prescription. Cela nous permettrait d'avoir sur ce point une capacité pour la victime d'ester en justice en dehors des délais dont nous débattons. Je vous propose de travailler sur un tel amendement avant la séance publique.

M. Philippe Bas , président . - Lorsque j'entends de tels débats, je suis très fier de présider la commission des lois.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Cette proposition de loi n'aurait pas été possible sans la grande cohésion du groupe de travail. Tout le monde a posé sa pierre. Je me félicite de la confiance et de l'ouverture d'esprit qui a présidé à nos travaux. Nous avions un but commun : celui de protéger nos enfants.

M. Kanner a parlé d'engagement moral : effectivement, nous avons montré notre capacité à travailler ensemble. Le prêt à penser n'a jamais eu droit de cité dans notre groupe.

Merci infiniment à Mme Benbassa pour ses apports et merci pour votre abstention.

Effectivement, nous protégeons les Roméo et Juliette, madame Jourda. Tout le monde ne doit pas aller aux assises.

Je remercie M. Bigot pour ses remarques judicieuses.

Les membres du groupe ont eu la gentillesse de dire combien nous avons partagé des moments communs.

M. de Belenet a eu raison de rappeler le sort inhumain réservé aux personnes handicapées.

Nous reparlerons du syndrome post-traumatique : la science n'a pas encore déterminé précisément ce qu'est une amnésie post-traumatique. L'armée travaille autour du stress post-traumatique. Il ne fait pas de doute que nous parviendrons à l'objectiver un jour.

M. Philippe Bas , président . - Nous allons passer à l'examen des amendements.

EXAMEN DES ARTICLES

L'article 1 er est adopté sans modification, ainsi que l'article 2.

Article 3

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'amendement COM-1 est délibérément rédigé en reprenant l'intégralité des dispositions déjà contenues dans la proposition de loi sur la présomption de contrainte pour que le lecteur comprenne que nous ne proposons que de compléter l'article. La présomption de contrainte nous convient en effet tout à fait. Pour autant, nous voulons affirmer qu'il n'est pas envisageable de tergiverser lorsqu'il y a une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 13 ans.

Certains évoquent un risque d'inconstitutionnalité que je ne vois pas : on nous oppose une atteinte au principe de la présomption d'innocence qui a valeur constitutionnelle. Ma rédaction ne veut bien évidemment pas dire que la peine est automatique : les magistrats ne sont pas des distributeurs de sanctions pénales. Tout dépend des circonstances.

Le Haut conseil de l'égalité et le procureur Molins ont beaucoup travaillé sur le sujet : ils nous disent qu'ils ont besoin d'une limite d'âge. Nous considérons qu'en-dessous de l'âge de 13 ans, toute relation sexuelle avec un majeur doit être interdite. Je ne désespère pas de vous convaincre.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Votre amendement veut envoyer un signal clair et renforcer la répression en instaurant un seuil d'âge. Néanmoins, pour moi, le discernement n'a pas d'âge.

Surtout, l'article 227-25 du code pénal pose déjà une règle intangible.

Avec votre amendement, l'infraction de viol serait rendue automatique, ce qui n'est pas envisageable en matière criminelle. On ne peut pas introduire la criminalisation automatique de tous les actes sexuels entre un majeur même de 18 ans et un mineur de 13 ans, sans aucune possibilité de défense. Il faut pouvoir punir sévèrement lorsqu'il s'agit d'un viol, sans entrer dans cette criminalisation automatique dans laquelle nous entrerions avec cet amendement.

M. Jacques Bigot . - Dans cet amendement, nous proposons de dire que la contrainte est présumée alors que vous dites la « contrainte morale » est présumée. Pourquoi « morale » ?

S'agissant de la création du nouvel article 222-23-1 du code pénal que nous proposons, la présomption d'innocence n'est pas mise en cause. Lorsqu'un cambrioleur vole un objet, on ne se demande pas s'il avait l'intention ou non de le voler. Ici, c'est la même chose.

En revanche, la notion d'irréfragabilité existe en droit civil mais pas en droit pénal.

Lorsqu'un acte de pénétration sexuelle est avéré, l'auteur majeur ne doit pas pouvoir évoquer un consentement lorsqu'il s'agit d'un mineur de 13 ans.

En revanche, entre 13 et 18 ans, une marge d'appréciation doit être laissée aux magistrats car il faut s'interroger sur la capacité de discernement de la victime et la différence d'âge, pour éviter qu'un majeur de 18 ans et quelques jours se retrouve poursuivi pour viol alors qu'un rapport d'amour existe avec la mineure.

Mais il faut affirmer qu'un mineur de 13 ans ne peut pas avoir consenti à un acte de pénétration sexuelle.

M. François Pillet . - Le texte de cette proposition de loi a l'avantage d'englober toutes les situations. Cet amendement rajoute un élément définitif sur l'âge. C'est dangereux car il va affaiblir notre texte : avec cet automatisme, nous sommes condamnés à un effet de seuil. En outre, on entendra ce qu'on dit systématiquement dans ces affaires, à savoir que la jeune fille faisait beaucoup plus vieille que son âge. Il faudra démontrer l'intention criminelle dans ce genre d'affaire. La rédaction de la proposition de loi comprend toutes les hypothèses.

Mme Esther Benbassa . - Tout à fait !

M. François Pillet . - Je préfère donc le texte de la proposition de loi à celui de l'amendement.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Votre amendement revient à créer une présomption irréfragable. Ça ne marchera pas. En outre, l'atteinte sexuelle existe déjà pour protéger les mineurs de 15 ans.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Certains raisonnements ne tiennent pas. Notre rédaction ne promeut pas la présomption irréfragable. M. Pillet se méfie d'un effet de seuil, mais nous maintenons le dispositif de la proposition de loi ! Et nous disons qu'en-dessous de 13 ans, il n'y a pas de sujet. En droit pénal, il y a toujours les circonstances de l'espèce : l'auteur pourra toujours dire qu'il ne savait pas que la victime avait moins de 13 ans. Vous refusez simplement de fixer ce seuil.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Ce n'est pas un refus de posture. L'atteinte sexuelle pour les moins de 15 ans existe déjà et je vous mets en garde car vous proposez une présomption de culpabilité irréfragable.

Mme Esther Benbassa . - Tout à fait !

M. Philippe Bas , président . - L'originalité même de notre proposition repose sur l'idée qu'un seuil d'âge crée des angles morts et qu'il a pour effet de ne pas permettre d'apprécier la réalité des situations, alors qu'elle est extrêmement diverse. Nous savons que l'âge de la maturité sexuelle est très divers. L'âge n'est pas l'outil le plus pertinent car il ne permet pas de cerner correctement les réalités individuelles.

En droit pénal, pour caractériser une infraction, il faut deux éléments : un élément matériel et un élément intentionnel. Dans votre texte, le deuxième fait défaut. La question constitutionnelle se poserait donc si nous adoptions votre amendement. Je suis certain que le Gouvernement apprécierait la main secourable que vous lui tendez, mais ayant lui-même renoncé après l'avis du Conseil d'État à créer une forme de présomption irréfragable, il ne pourrait néanmoins vous suivre. Il sera intéressant de lire ce que dit le Conseil d'État dont l'avis devrait être rendu public après le Conseil des ministres. Le Gouvernement lui-même a changé de pied pour des raisons d'inconstitutionnalité. Et nous irions à son secours en créant un seuil d'âge qui se ramène à une présomption irréfragable ? Notre objectif est de protéger tous les enfants, mais il ne peut être atteint au mépris des droits de la défense.

Que resterait-il à démontrer si l'on caractérisait le viol par l'âge de la victime ?

Mme Esther Benbassa . - Rien !

M. Philippe Bas , président . - Vous essayez de trouver un compromis entre deux courants de réflexion distincts, mais ils sont antagonistes. Nous allons voter sur cet amendement.

Mme Esther Benbassa . - Je m'abstiens.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 4

L'amendement de cohérence COM-4 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

L'article 5 est adopté sans modification.

Article 6

L'amendement de clarification COM-6 est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles additionnels après l'article 6

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-2 rectifié tend à renforcer les sanctions encourues par les professionnels soumis au secret. Mais l'obligation de dénoncer les mauvais traitements subis par les mineurs existe déjà pour les médecins. Il serait préférable de renforcer la formation des professionnels pour que les signalements soient rapides. Je pense que la commission des affaires sociales pourrait se saisir de ce sujet.

Mme Brigitte Lherbier . - Je suis venue en politique suite à une expérience très douloureuse dans ce genre de situation. Nous voulons tous protéger les enfants. Par principe, le code pénal, et particulièrement l'article 431-1, oblige toute personne qui a connaissance d'un crime d'en informer les autorités judiciaires ou administratives. Il existe cependant deux exceptions à ce principe : l'une pour la famille proche de l'auteur du crime et l'autre pour les personnes soumises au secret professionnel. Seules les personnes soumises à ce secret ne sont pas dans l'obligation d'informer les autorités quand il s'agit d'un crime sur mineur. La famille de l'auteur d'un crime n'est pas dispensée d'alerter les autorités lorsque le crime est commis à l'encontre d'un mineur alors que les professionnels soumis au secret le seraient. Les professionnels jugés pour ne pas avoir alerté les autorités dans ces cas-là ont été condamnés sur le fondement de l'article 223-6 du code pénal définissant la non-assistance à personne en danger. Il s'agit donc de mettre en conformité le code pénal. Cette mesure permettrait aussi de protéger les enfants victimes car les professionnels ont le devoir de les protéger.

Mon amendement COM-3 rectifié concerne l'article 434-3 qui oblige toute personne qui a connaissance des privations, mauvais traitements ou d'agression ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie ou d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, à en informer les autorités judiciaires ou administratives. Le dernier alinéa de cet article dispense les personnes soumises au secret professionnel. Il est donc proposé de supprimer cet alinéa.

Je vous propose de retirer ces deux amendements, car ils concernent plus spécifiquement la commission des affaires sociales. Je déposerai une proposition de loi qui concernera toutes les personnes vulnérables, et pas seulement les enfants.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour votre esprit coopératif. Il serait préoccupant que nous nous prononcions sur le secret médical sans avoir préalablement demandé à la commission des affaires sociales de se saisir de ce sujet. Pour autant, j'ai été l'auteur de la loi de mars 2007 sur la protection de l'enfance comme de celle sur les tutelles. Peut-être faudrait-il déposer un texte qui ne relèvera alors pas exclusivement de notre commission.

M. François Pillet . - Le Sénat a déjà pris des initiatives en ce sens : vos amendements visent tous les professionnels médicaux qui se plaignaient que n'ayant pas dénoncé certains faits, ils pouvaient être poursuivis et que, les dénonçant, ils pouvaient également être poursuivis pour violation du secret professionnel.

À la suite d'une initiative de notre collègue Giudicelli, tous ces points ont été réglés : à l'heure actuelle, les professionnels médicaux ont la possibilité de signaler ces faits sans risquer d'être poursuivis pour non-respect du secret professionnel.

Mme Brigitte Lherbier . - Il faudrait que la dénonciation de ces faits soit rendue obligatoire.

Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont retirés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-6 concerne l'outre-mer.

L'amendement COM-6 est adopté et devient un article additionnel.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je voudrais dire à M. Buffet que la Cour de cassation a rendu le 7 novembre 2014 une décision en assemblée plénière qui a reconnu le principe de la possibilité de suspendre la prescription en cas d'obstacle insurmontable.

M. François-Noël Buffet . - Vous avez raison : la particularité du sujet est qu'il faudrait que l'amnésie post-traumatique soit considérée comme un obstacle insurmontable.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Il s'agissait d'une aide-soignante qui avait étouffé huit de ses enfants : personne n'avait vu qu'elle était enceinte et personne ne s'était rendu compte qu'elle avait accouché. La poursuite n'était donc pas possible. Ici, le système est inversé : la victime ne se rappelle pas qu'elle a été violée.

M. Philippe Bas , président . - Il faudrait que nous n'ayons pas à nous prononcer nous-même sur la réalité de l'amnésie post-traumatique : seuls les professionnels peuvent le faire. Nous pourrions rendre possible que le juge considère cette amnésie comme un élément qui puisse suspendre le délai de prescription.

M. François-Noël Buffet . - Il ne nous appartient pas de qualifier l'amnésie post-traumatique mais de dire qu'elle peut constituer un obstacle insurmontable pour la victime et que donc la prescription est suspendue. Il appartiendra au juge appuyé de médecin d'établir l'existence même de l'amnésie.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 3
Répression du viol lorsqu'il est commis à l'encontre d'un mineur

Mme de la GONTRIE

1

Réécriture de la présomption de contrainte

Rejeté

Article 4
Extension de la surqualification pénale d'inceste

Mme Marie MERCIER, rapporteur

4

Cohérence

Adopté

Article 6
Prescription de l'action publique du délit de non-dénonciation

Mme Marie MERCIER, rapporteur

5

Clarification

Adopté

Articles additionnels après l'article 6

Mme LHERBIER

2

Renforcement des sanctions encourues par les professionnels soumis à un secret

Retiré

Mme LHERBIER

3

Renforcement des sanctions encourues par les professionnels soumis à un secret

Retiré

Mme Marie MERCIER, rapporteur

6

Application outre-mer

Adopté

LISTE DES CONTRIBUTIONS REÇUES

Défenseur des droits

Jacques Toubon , défenseur des droits

Conférence nationale des procureurs généraux

Jeanne-Marie Vermeulin , procureur général près la cour d'appel d'Amiens

Conférence nationale des procureurs de la République

Marc Cimamonti , procureur de la République près le tribunal de grande instance

Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)

Laurent Gebler , président de l'AFMJF

Union syndicale de la magistrature

Syndicat de la magistrature

Association française des magistrats instructeurs (AFMI)

Marc-Emmanuel Gounot , secrétaire général de l'AFMI, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Lyon

Brigade de protection des mineurs (BPM) de la direction régionale de police judiciaire (DRPJ) de Paris

Vianney Dyevre , chef de la brigade de protection des mineurs (BPM)

Direction générale de la gendarmerie nationale

Colonel Fabrice Bouillié , chef du bureau de la police judiciaire

Conseil français des Associations pour les Droits de l'Enfant (COFRADE) et Association Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE)

L'Enfant bleu

Éric Corbaux , procureur de la République au tribunal de grande instance de Pontoise

Jean-Pierre Rosenczveig , magistrat honoraire, auteur de « L'enfant victime d'infractions et la justice » (Octobre 2015, Actualités Sociales Hebdomadaires)

Agnès Ravat-Sandre , bâtonnier de l'ordre des avocats de Chalon-sur-Saône

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

ARTICLE 3

Amendement n° COM-1 présenté par

Mmes  de la GONTRIE et ROSSIGNOL, MM.  KANNER, Jacques BIGOT, SUEUR et les membres du groupe socialiste et républicain

Rédiger comme suit cet article

I - L'article 222-23 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 222-23 . - Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

« Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle.

« La contrainte est présumée lorsque l'acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d'un mineur incapable de discernement ou lorsqu'il existe une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur des faits. »

II - Après l'article 222-23 du code pénal, il est inséré un article 222-23-1 :

« Art. 222-23-1 . - Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis par un majeur sur un mineur de 13 ans est un viol puni de 20 ans de réclusion criminelle.»

OBJET

Cet amendement complète la modification de l'article 222-23 du code pénal.

Si cette présomption de contrainte fondée sur le discernement et la différence d'âge est une protection nouvelle importante qui permet de protéger tous les mineurs, il est nécessaire de poser également une limite d'âge au-dessous duquel un mineur ne peut avoir consenti à un acte de pénétration sexuelle de quelque nature que ce soit commis sur sa personne par un majeur.

Cet amendement pose le principe que tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis par un majeur sur un mineur de 13 ans est qualifié de viol et puni de 20 ans de réclusion criminelle, sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve que cet acte a été commis par violence, contrainte, menace ou surprise.

ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE 6

Amendement n° COM-2 rect. présenté par

Mmes  LHERBIER et Anne-Marie BERTRAND, MM.  CHAIZE et DAUBRESSE, Mmes  DEROMEDI, DUMAS, EUSTACHE-BRINIO, GARRIAUD-MAYLAM et GRUNY, MM.  JOYANDET et LAMÉNIE, Mme LAMURE, MM.  LEFÈVRE, Henri LEROY, MAGRAS et PANUNZI, Mme PUISSAT et MM.  SAURY et SAVIN

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au dernier alinéa de l'article 343-1 du code pénal, après les mots « personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13 », insérer les mots « sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs »

OBJET

L'alinéa 1 de l'article 434-1 du code pénal oblige toute personne qui a connaissance d'un crime d'en informer les autorités judiciaires ou administratives. L'alinéa 2 et suivants dispensent le conjoint, les parents en ligne directe, les frères et soeurs et leurs conjoints, de l'auteur ou du complice du crime, sauf pour les crimes commis sur les mineurs.

Cependant, le dernier alinéa de l'article 434-1 du code pénal protège les personnes soumises au secret professionnel sans préciser, contrairement aux alinéas précédents, si un crime commis sur mineur fait obstacle à l'application de la disposition.

Il est par conséquent proposé de préciser, comme au deuxième alinéa, que les crimes commis sur les mineurs ne soient pas concernés par cette disposition.

Amendement n° COM-3 rect. présenté par

Mmes  LHERBIER et Anne-Marie BERTRAND, MM.  CHAIZE et DAUBRESSE, Mmes  DEROMEDI, DUMAS, EUSTACHE-BRINIO, GARRIAUD-MAYLAM et GRUNY, MM.  JOYANDET et LAMÉNIE, Mme LAMURE, MM.  LEFÈVRE, Henri LEROY, MAGRAS et PANUNZI, Mme PUISSAT et MM.  SAURY et SAVIN

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l'article 434-3 du code pénal est supprimé.

OBJET

L'article 434-3 du code pénal oblige toute personne qui a connaissance « de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse » à en informer les autorités judiciaires ou administratives.

Le dernier alinéa de l'article 434-3 du code pénal dispose : « Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. ». Cette disposition fait ainsi obstacle à la dénonciation de mauvais traitements ou d'agressions sexuelles infligés à un mineur ou à une personne en état de faiblesse, lorsque la personne qui en a connaissance est astreinte au secret.

Elle contredit l'article 223-6 du code pénal. Cet article définit la "non-assistance à personne en danger », et punit toute personne qui s'abstient d'agir, alors qu'elle peut empêcher par son action immédiate, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle.

Il est par conséquent proposé de supprimer le dernier alinéa de l'article 434-3 du code pénal.


* 1 Outre votre rapporteur, qui était également le rapporteur de ce groupe de travail, celui-ci comprenait un représentant par groupe politique : nos collègues Esther Benbassa, Maryse Carrère, Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, Arnaud de Belenet, François-Noël Buffet et Dany Wattebled.

* 2 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information n° 289 (2017-2018) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois du Sénat par le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, déposé le 7 février 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/rp17-289.html

* 3 Selon les données issues du casier judiciaire national, 49 % des condamnés au titre de la qualification pénale de viol commis sur un mineur de 15 ans (article 222-24, 2° du code pénal) sont mineurs.

* 4 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 5 Infraction définie à l'article 222-12 du code pénal.

* 6 Infraction définie à l'article 222-29-1 du code pénal.

* 7 Infraction définie à l'article 227-26 du code pénal.

* 8 Sur ce point, votre rapporteur renvoie aux développements du rapport d'information précité, pages 88-91.

* 9 Sur ce point, votre rapporteur renvoie aux développements du rapport d'information précité, pages 102-112.

* 10 Sur ce point, votre rapporteur renvoie aux développements du rapport d'information précité, pages 77-86.

* 11 Lorsque le viol est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d'actes de barbarie.

* 12 Dans ce dernier cas, la relation sexuelle sera néanmoins toujours pénalement qualifiée « d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » et susceptible d'être réprimée d'une peine d'emprisonnement de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (ou sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende en application de l'article 5 de la proposition de loi).

* 13 En application de l'article 338-1 du code civil, « le mineur capable de discernement est informé par le ou les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, le tuteur ou, le cas échéant, par la personne ou le service à qui il a été confié de son droit à être entendu et à être assisté d'un avocat dans toutes les procédures le concernant. »

* 14 En application de l'article 122-8 du code pénal, « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation dont ils peuvent faire l'objet. »

* 15 Sur ce point, votre rapporteur renvoie aux développements du rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! » de M. Philippe Bas (pages 57-60).

Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de M. Philippe Bas, président-rapporteur, Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, par la mission d'information sur le redressement de la justice, déposé le 4 avril 2017. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-495-notice.html

* 16 Sur ce point, votre rapporteur renvoie aux développements du rapport d'information précité, page 101.

* 17 Le délit concerne également toute personne vulnérable, c'est-à-dire, « qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse ».

* 18 Soit le délai de prescription de droit commun pour les délits, en application de l'article 8 du code de procédure pénale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page