C. AUDITION DE MME MURIEL PÉNICAUD, MINISTRE DU TRAVAIL (19 JUIN 2018)

Réunie le mercredi 19 juin 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Vincent Éblé , président . -

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Après avoir entendu Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, nous poursuivons notre cycle d'auditions sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017 en recevant Muriel Pénicaud, ministre du travail, que je remercie de sa présence parmi nous.

Nous souhaitions vous entendre, madame la ministre, pour que vous nous présentiez l'exécution du budget de votre ministère, qui représente un montant de près de 15,6 milliards d'euros. Celui-ci a en effet été marqué par d'importants événements : généralisation de la Garantie jeunes, prorogation du plan « 500 000 formations », suppression de l'aide à l'embauche dans les PME, etc. Nous souhaiterions en particulier que vous puissiez revenir sur la décision prise par le Gouvernement à l'été 2017 de ne pas augmenter le nombre de contrats aidés, comme cela était attendu, et qui a suscité de nombreux débats, y compris dans notre assemblée.

Après vous avoir entendue, je donnerai la parole aux rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Travail et emploi » et du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage », Sophie Taillé-Polian et Emmanuel Capus, puis à l'ensemble des collègues qui le souhaiteront.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Comme vous le savez, j'ai hérité l'année dernière d'une situation budgétaire difficile avec, notamment, une consommation au premier semestre de 80 % des volumes de contrats aidés inscrits en loi de finances initiale (LFI), ainsi qu'un plan exceptionnel sur les formations partiellement financé. Nous avons donc dû prendre très vite des décisions permettant à l'État d'assumer ses engagements passés en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle, tout en limitant les dépassements budgétaires de la LFI. Une gestion rigoureuse au second semestre a permis de tenir les crédits disponibles sur l'exercice et d'engager de premières inflexions fortes en termes de politiques publiques, pour davantage d'efficacité : des changements de modèle sur le champ de l'inclusion pour l'emploi, des réformes structurelles, avec les ordonnances pour le renforcement du dialogue social et le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que je présenterai demain devant vos collègues de la commission des affaires sociales, sous réserve du vote solennel de l'Assemblée nationale. Cette ambition d'une ampleur sans précédent pour ce qui concerne les compétences se traduit également dans le plan d'investissement dans les compétences (PIC). Doté d'un montant de 15 milliards d'euros sur cinq ans, il permettra de former et d'accompagner un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes décrocheurs.

En 2017, la dépense totale de la mission « Travail et emploi » a été de 15,6 milliards d'euros en crédits de paiement, soit 99 % des crédits ouverts. L'année 2018 s'est inscrite dans la continuité de l'année 2017 avec un contrat budgétaire porteur de choix forts : sincérité des programmations ; recentrage des dispositifs d'insertion sur leur coeur de cible et réallocation de moyens au bénéfice d'un grand plan d'investissement dans les compétences.

Je concentrerai mon propos liminaire sur deux sujets qui, dès le second semestre 2017, touchent à la stratégie de transformation des dispositifs pour l'emploi vers davantage d'inclusion : les contrats aidés et la transformation des compétences.

Comme nous avons pu en parler lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, la surmobilisation des contrats aidés au premier semestre 2017 a engendré une situation budgétaire extrêmement tendue, qui a nécessité d'engager une transformation dès l'été 2017. J'ai ainsi obtenu, dans l'urgence, l'ouverture d'une enveloppe complémentaire au titre des contrats aidés pour répondre aux besoins d'accompagnement des élèves en situation de handicap identifiés pour la rentrée scolaire de 2017, mais également aux besoins du secteur de l'urgence sanitaire et sociale et des territoires ultra-marins. Ainsi, près de 227 000 contrats aidés ont été prescrits dans le secteur non-marchand en 2017, soit 30 000 contrats de plus que les 200 000 contrats aidés inscrits en LFI, auxquels s'ajoutent 14 400 contrats reportés en 2018 pour couvrir les besoins de l'éducation nationale, notamment l'accompagnement des élèves handicapés, jusqu'à la prochaine rentrée scolaire.

Nous assumons une nouvelle approche : moins de contrats, mais mieux ciblés, avec un meilleur taux de transformation.

Une démarche de transformation des contrats aidés a ainsi été engagée dès 2017 : la part des travailleurs handicapés a atteint 16 % en 2017 et celle des seniors 36 %. La part représentée par chaque type d'employeurs est également restée très stable malgré la diminution des volumes, à savoir 37 % des prescriptions pour les associations et 21 % pour les collectivités territoriales. J'ai ainsi respecté mes engagements et les crédits ouverts en 2017 par une gestion maîtrisée de ces contrats supplémentaires ainsi qu'une mobilisation majeure de mes services. Au total, ce sont 2,7 milliards d'euros qui ont été consacrés à ce dispositif en 2017, contre 2,4 milliards d'euros votés en loi de finances initiale. C'est le triptyque « mise en situation de travail, accompagnement personnalisé et formation » qui donne les meilleurs résultats. Les contrats aidés « ancienne formule », si je puis dire, aboutissaient à un taux de sortie durable de 24 %, avec soit une entrée en qualification, soit un contrat à durée déterminée (CDD) de six mois ou plus ou un contrat à durée indéterminée (CDI), alors que le taux est supérieur à 50 % pour la plupart des autres dispositifs d'insertion. La seule mise en situation de travail ne permet pas d'utiliser ces outils comme un tremplin pour avoir une qualification ou un emploi.

L'année 2018 marque une rupture, avec le choix clair du Gouvernement de budgéter sincèrement la dépense des contrats aidés, à rebours des exercices précédents, et ce dans le prolongement des acquis du second semestre de 2017, qui ont visé à sortir d'une logique purement quantitative pour recentrer ce dispositif sur ses attendus qualitatifs et le public. Ce changement de paradigme a nécessité un temps d'appropriation par l'ensemble des acteurs, mais le système amélioré tourne maintenant à plein régime. Nous avons également supprimé les contrats aidés dans le secteur marchand : il n'y a pas de raison de financer l'emploi marchand dans un contexte de reprise. Nous mobilisons néanmoins d'autres dispositifs en matière de formation, d'aide à l'emploi pour les publics les plus en difficulté.

Les crédits en faveur des contrats aidés et de l'insertion par l'activité économique ont par ailleurs été regroupés dans un fonds d'inclusion dans l'emploi. Cette mesure, qui figurait parmi les recommandations du rapport de M. Jean-Marc Borello sur l'inclusion, la formation et l'accompagnement remis en janvier 2018, a pour objet de décloisonner et de territorialiser la politique d'inclusion dans l'emploi, afin de réfléchir davantage en termes de besoins des territoires et des individus. Certains bassins d'emploi sont aujourd'hui en situation de plein emploi quand d'autres connaissent encore un taux de chômage extrêmement élevé. Il nous a semblé important de placer sous l'autorité des préfets les enveloppes déconcentrées et fongibles entre les contrats aidés, les aides à l'insertion par l'activité économique et les aides à l'inclusion de façon générale, pour que ceux-ci s'adaptent au mieux aux besoins du terrain, en lien avec les collectivités territoriales.

L'accompagnement des publics fragilisés est notamment renforcé par la mise en place de l'entretien tripartite à la signature du contrat, avec Pôle emploi ou la mission locale, la collectivité territoriale ou l'association employeur et le bénéficiaire, qui permet d'identifier les compétences à développer et de structurer le parcours du bénéficiaire pendant le contrat. De plus, la logique qualitative se poursuit avec la mise en place d'un entretien à l'issue du contrat. Aujourd'hui, 78 % des personnes visées ont déjà eu un entretien avec un conseiller de Pôle emploi.

Par ailleurs, j'ai dû accompagner au mois de juin dernier la fin des mesures prévues dans le plan d'urgence pour l'emploi engagé par mon prédécesseur, à savoir l'aide en faveur de l'embauche dans les TPE-PME, avec une fin programmée à la fin du mois de juin, et le plan « 500 000 formations ». En l'absence d'études démontrant l'effet de levier de l'aide à l'embauche pour les PME, malgré la mobilisation importante du dispositif - 1,8 million d'aides validées pour une dépense de 1,6 milliard d'euros -, j'ai pris acte de la décision prise par mon prédécesseur d'arrêter les entrées dans le dispositif au 30 juin 2017. Seul le financement en cours des aides validées en 2017 est inscrit dans le budget de 2018, soit 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement.

En revanche, j'ai choisi de prolonger le plan « 500 000 formations » au second semestre 2017 afin de garantir la continuité de l'effort de formation en faveur des personnes en recherche d'emploi, dans l'attente du démarrage, en 2018, du plan d'investissement dans les compétences. Au total, 165 000 formations supplémentaires ont été financées par l'État en 2017. L'enjeu clé du PIC est d'intensifier l'effort de formation et d'en améliorer la qualité et l'efficacité, tout en évitant certains écueils du plan « 500 000 formations ». Lorsque les plans mis en oeuvre sont sitôt arrêtés, l'expérience prouve des effets d'aubaine sur le marché de l'appareil de formation, puis un effet de rupture pour les bénéficiaires. Il importe donc d'avoir une visibilité sur plusieurs années. Voilà pourquoi nous proposons un plan sur cinq ans.

En 2018, des conventions d'amorçage sont engagées dans 16 régions sur 18 entre l'État et les régions - une autre région a annoncé la signature de la convention l'an prochain -, à la condition que celles-ci s'engagent à ne pas diminuer ou à rattraper leur budget dévolu à la formation professionnelle des personnes ayant un faible niveau de qualification. En clair, l'État ne saurait se substituer aux régions qui auraient fait le choix de diminuer leur budget consacré à la formation professionnelle pour les plus éloignés de l'emploi. L'État apportera 6,8 milliards d'euros de plus durant cinq ans. Les régions pourront ainsi maintenir leur effort d'entrées en formation pour les personnes en recherche d'emploi sur la base de 2016 et disposer d'un volume assez considérable - plus de 160 000 places - à l'endroit de personnes peu ou pas qualifiées ou pour la formation de maîtrise des savoirs de base.

À la différence des exercices précédents, les entrées supplémentaires sont ventilées par région en fonction du public ciblé par le PIC, les jeunes décrocheurs et les demandeurs d'emploi de longue durée notamment, et non pas en fonction des entrées de l'année précédente, ce qui constituerait un système quelque peu pervers. Cette collaboration avec les régions permet une personnalisation très forte du plan selon les réalités du territoire. Pour la période 2019-2022, des pactes pluriannuels viendront structurer la démarche autour d'un flux annuel d'environ 200 000 parcours de formation. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, cette contribution financière supplémentaire de l'État sera conditionnée à un engagement pluriannuel réciproque et mesurable entre l'État et les régions, mais n'entrera pas dans le calcul des dotations de fonctionnement.

Le budget de l'emploi et de la formation professionnelle que je porte depuis mon arrivée est un budget de transition pour l'année 2017, avec les prémices de la transformation, et un budget de transformation des politiques de retour dans l'emploi, mais également de responsabilité budgétaire pour l'année 2018. Il n'est pas question de demander en permanence des rallonges, comme ce fut le cas auparavant ; ce n'est pas de bonne gestion et je ne m'inscris pas dans cette démarche.

Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - Quelques interrogations subsistent sur les contrats aidés : la diminution très forte du nombre de contrats aidés à la fin de l'année 2017 et en 2018 a provoqué parmi les employeurs, les associations, les collectivités territoriales et les bénéficiaires de ces contrats un choc brutal, même si l'on peut comprendre la volonté de les transformer pour les rendre plus efficaces, par le biais de l'accompagnement et de la formation. Le ministre Gérald Darmanin nous a dit que la diminution de 5 euros des aides personnalisées au logement n'était peut-être pas la décision la plus intelligente du Gouvernement. Dans le même ordre d'idées, la réduction du nombre de contrats aidés n'est-elle pas une erreur ? D'ailleurs, le rapport Borello a souligné l'importance de ces contrats et le rapport d'information de nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur la réduction des contrats aidés a relevé les difficultés qui découlaient de cette mesure.

Je m'interroge en outre sur la façon dont vous envisagez l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi au regard des effectifs de Pôle emploi : des suppressions de postes sont prévues en 2018 ; le plafond d'emplois n'a pas été atteint en 2017, on entend même parler de 4 000 suppressions de postes, étalées sur trois ans. On note certes une diminution du chômage, mais on constate aussi de très fortes attentes des demandeurs d'emploi en matière d'accompagnement.

Je me félicite en revanche de la prolongation du plan « 500 000 formations », qui a été amélioré dans le cadre du PIC.

Par ailleurs, je m'interroge sur la suppression des emplois dans votre ministère, qui a été plus importante que prévu - 263 suppressions d'emploi au lieu de 150. Quels services ont été concernés ? Quid des agents de contrôle de l'inspection du travail ?

Enfin, vous avez indiqué la fin des emplois aidés dans le secteur marchand, alors que ce dernier va bénéficier des emplois francs. Je partage votre philosophie de favoriser l'emploi pour les personnes discriminées par leur lieu d'habitation. Cela dit, le manque de critères précis nous fait redouter l'effet d'aubaine que vous avez évoqué.

M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Pour ma part, je ne partage pas l'analyse de ma collègue Sophie Taillé-Polian sur les contrats aidés ; je vous adresse plutôt un satisfecit : pour une fois, le Gouvernement a respecté l'enveloppée votée par le Parlement, avec 293 000 contrats aidés, contre 280 000 prévus.

Je poserai cinq questions très précises. Premièrement, disposez-vous d'une première évaluation des emplois francs dans les cinq territoires d'expérimentation ? Quel est le ratio entre les CDD et les CDI ? Deuxièmement, savez-vous pourquoi le nombre d'entrées de la Garantie jeunes est inférieur de 70 000 aux prévisions ? Étaient-elles trop optimistes ? Les missions locales ont-elles rencontré des difficultés spécifiques ? Troisièmement, quel est le coût de la prolongation du plan « 500 000 formations supplémentaires » ? Quel est le bilan de ce plan ? Comment s'est opérée la transition entre ce plan et le PIC ? Quatrièmement, pouvez-vous nous donner les raisons de la sous-exécution du plafond d'emplois de Pôle emploi à hauteur de 638 équivalents temps plein travaillé (ETPT) ? Cinquièmement enfin, pourriez-vous établir un bilan du changement de statut de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui est devenue un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) au 1 er janvier 2017, nous présenter la situation financière de cet opérateur ainsi que les solutions envisagées ?

M. Vincent Éblé , président . - Permettez-moi de compléter ces questions. Comme le disait Victor Hugo, « l'avenir est une porte, le passé en est la clé ». Aussi, je ferai un lien entre la loi de règlement et la loi de programmation des finances publiques.

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoit une diminution importante des crédits de votre ministère, à hauteur de plus de 2 milliards d'euros en 2019 et de 300 millions d'euros en 2020. Avez-vous pu identifier, au regard de l'exécution 2017 et des premiers mois de l'exécution 2018, les dispositifs susceptibles de subir cette baisse ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Je reviendrai tout d'abord sur la question des contrats aidés. En 2016, on dénombrait 516 000 contrats aidés ; le précédent gouvernement en avait programmé et budgété 281 000 en 2017, dont 80 % avaient été consommés au premier semestre. La première conséquence pour les associations, les collectivités territoriales et les employeurs fut la diminution de plus de la moitié du nombre de contrats. La consommation ayant été excessive au premier semestre, l'effet fut plus durement ressenti encore au cours de l'été dernier. Comme je l'ai souligné, nous avons ajouté 30 000 contrats aidés. Quand on met en place un tel dispositif dans un délai aussi court, on aboutit forcément à des taux d'insertion qui ne sont pas satisfaisants. L'objectif est d'aider non pas les associations, les collectivités territoriales ou les employeurs, mais les demandeurs d'emploi, sinon cette question ne ressortirait pas de la politique d'inclusion dans l'emploi. Certaines associations et collectivités réalisaient un travail d'insertion remarquable selon le triptyque « mise en situation de travail-accompagnement et formation », mais c'était une minorité. Nous avons dû traiter deux difficultés : le second semestre n'était pas budgété, ce qui confine à l'insincérité budgétaire, pour parler franc,...

M. Vincent Delahaye . - Absolument.

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - ... et l'appréciation sur les résultats du dispositif était mitigée : des enquêtes ont montré que le taux d'insertion était décevant. Sans vouloir être polémique, peut-on parler de politique d'inclusion de l'emploi quand des collectivités territoriales, y compris des grandes communes, embauchent la totalité de leur personnel des cantines scolaires sous contrat aidé, alors que le besoin est permanent, avec une rotation tous les huit mois ? En revanche, le soutien à la vie associative est une véritable question. La transformation du CICE en baisse de charges apportera plus de un milliard d'euros aux associations à partir du 1 er janvier 2019.

Sans insincérité budgétaire, nous aurions pris plus de temps pour traiter le sujet. Mais à un moment donné, on ne peut pas continuer d'ajouter des contrats. Je me suis engagée à ne pas dépasser les 200 000 contrats aidés programmés cette année.

Lorsque vous offrez sur tout le territoire à tout employeur privé et public la possibilité d'avoir recours à des contrats aidés, rémunérés à hauteur de 50 % ou 75 % par l'État, des effets d'aubaine existent. À un niveau de qualification et d'expérience égal, un habitant d'un quartier prioritaire de la ville a deux ou trois fois moins de chances d'être recruté pour un même emploi - c'est un fait observé, analysé, documenté. Cette profonde injustice contribue à mettre à mal la promesse républicaine d'égalité des chances. Les emplois francs sont donc extrêmement ciblés sur les personnes discriminées en termes d'embauche. Une expérimentation concerne 25 % des habitants des quartiers prioritaires de la ville. Seront mobilisés le secteur associatif, les missions locales, Pôle emploi et les collectivités territoriales. À la grande différence des emplois francs créés il y a quelques années, l'employeur ne doit pas forcément se situer dans le quartier prioritaire de la ville. Nous avons décidé de mener l'expérimentation durant deux ans, avant de généraliser le dispositif, ce qui permettra, si besoin, de l'encadrer un peu plus. Le dispositif étant opérationnel depuis la fin du mois d'avril, je ne puis vous dresser un bilan précis. Je sais, en revanche, que 78 % des emplois francs conduisent à des CDI, ce qui est plutôt encourageant.

Je mentionnerai plusieurs différences entre le PIC et le plan « 500 000 formations ». La programmation dans la durée permet de faire un travail qualitatif. Des formations ont, par exemple, été mises en place dans les domaines du numérique, des métiers verts, dans les savoir-être professionnels, l'innovation en matière sociale. Le plan est personnalisé en fonction des priorités fixées par les régions en matière de développement économique. Nous avons aussi prévu des formations qualifiantes plus longues, avec, en moyenne 3 500 euros par formation. Il vaut mieux former une fois efficacement que multiplier les stages courts.

Le travail que nous faisons avec les branches professionnelles et les régions est très important. Comme vous le savez, la France recrute, mais Pôle emploi estime qu'il y a 300 000 postes non pourvus. Plusieurs études convergentes le montrent, la moitié d'entre eux ne sont pas pourvus faute de compétences.

La sous-exécution du plafond d'emplois de Pôle emploi est frictionnelle, avec une exécution de 46 742 emplois, contre quelque 50 000 emplois inscrits. La dématérialisation est l'explication principale de cette situation. Aujourd'hui, les demandeurs d'emploi sont invités à remplir toutes leurs formalités de façon dématérialisée ; seuls 10 % d'entre eux ne seraient pas en mesure de le faire de manière autonome. La seconde explication tient au fait que Pôle emploi travaille de manière de plus en plus personnalisée sur les territoires : vingt-sept agences sont aujourd'hui des pilotes d'innovation, une méthode que j'encourage, en vue d'adapter les outils en fonction des réalités économiques et sociales des territoires. Je l'ai dit et je le redis, rien n'est décidé concernant les effectifs à venir. Tout le monde peut le comprendre, une décrue durable du chômage entraîne une diminution des moyens que la collectivité consacre à ce sujet. Pour l'instant, les signaux sont positifs, avec la création l'an dernier de 288 000 emplois nets, dont 48 800 au premier trimestre. On en est au tout début du cycle de la décrue du chômage. Les mesures contenues dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et le PIC contribueront à accélérer et à amplifier ce phénomène. Nous demanderons un effort à Pôle emploi en fonction de la décrue constatée du chômage. À cet égard, j'ai confié une mission à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour que nous définissions une méthodologie robuste ; nous en discuterons dans le cadre de la convention tripartite avec les organisations patronales et syndicales.

Avec son nouveau statut, l'AFPA a clarifié ses missions : ses missions de service public et les activités concurrentielles, et ce, notamment, pour se mettre en conformité avec le droit européen. Mais cela n'est pas suffisant, le budget de l'AFPA s'aggrave année après année : depuis une quinzaine d'années, 600 millions d'euros ont été rajoutés pour combler le déficit structurel. En clair, si l'AFPA était autonome, elle aurait fait faillite depuis longtemps. On lui a trop demandé d'être dans le secteur concurrentiel, sans lui en donner les moyens. Nous en avons précisément besoin pour des publics ou des savoir-faire qui n'existent pas ou peu sur le marché. Une réflexion est engagée sur le plan stratégique, pour trouver une organisation et un équilibre budgétaire durables. Avec la décentralisation, cette agence a perdu des parts de marché. Dans le cadre du projet de budget pour 2019, l'État accompagnera l'agence pour lui permettre de se recentrer et de se redresser.

En ce qui concerne les effectifs, le ministère du travail contribue, comme tous les autres, à la maîtrise des dépenses de l'État. S'agissant de l'inspection du travail, la question tient moins aux effectifs - nous sommes au-dessus des normes de l'Organisation internationale du travail (OIT) - qu'aux priorités qui lui sont dévolues. Aujourd'hui, les effectifs se maintiennent, avec 2 000 agents inspecteurs au sens opérationnel du terme, soit un ratio de 1 agent pour 9 000 salariés, ce qui est là encore dans les normes.

En revanche, la question des priorités est importante. Avec la Direction générale du travail, nous avons précisé quatre priorités : la santé et les conditions de travail, la lutte contre le travail illégal - nous allons passer de 30 % à 50 % de contrôles conjoints avec l'URSSAF, les services fiscaux, la police et la gendarmerie -, la lutte contre la fraude au travail détaché, eu égard à la forte augmentation du nombre de travailleurs détachés - + 40 % de travailleurs détachés l'année dernière en France - et l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. À cet égard, des mesures fortes sont prévues dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en vue de parvenir enfin à l'égalité salariale à travail égal. Il importe de renforcer les contrôles : aujourd'hui il y a moins d'un contrôle par an et par inspecteur.

En ce qui concerne le schéma d'emplois du ministère, la loi de finances pour 2017 prévoyait une diminution de 150 équivalent temps plein (ETPT). Cette évolution englobe plusieurs mouvements de sens différents : par exemple, la limitation des cabinets ministériels à dix personnes augmente les responsabilités des administrations centrales, tandis que la fin du processus de décentralisation vers les régions du dispositif « Nouvel accompagnement pour la création ou la reprise d'entreprise » (Nacre) réduit les compétences du ministère.

Vous le savez, des réflexions sont en cours dans le cadre du programme « Action publique 2022 » pour établir la feuille de route des années qui viennent ; les décisions ne sont pas encore prises, mais je peux vous dire que notre objectif est de définir clairement les missions des uns et des autres pour éviter la confusion des rôles. L'efficacité de l'action publique passe notamment par la responsabilisation des agents et la clarté des missions qui leur sont assignées.

Enfin, nous avons entamé des travaux de dématérialisation afin d'affecter les effectifs là où l'humain apporte une réelle valeur ajoutée.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je vous prie d'excuser mon retard, madame la ministre ; je participais à une réunion avec Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, au sujet du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Nous avons notamment évoqué la question de la fraude sociale, car plusieurs dispositions du projet de loi concernent l'échange d'informations entre les administrations concernées. Selon vous, l'arsenal législatif est-il suffisant en la matière ?

En ce qui concerne les emplois aidés, je ne vais pas désapprouver la politique du Gouvernement, d'ailleurs j'ai eu des désaccords à ce sujet avec la partie gauche de notre commission... Mon interrogation porte sur la nature des emplois aidés : en effet, nous avions constaté que, dans le secteur public ou associatif, ces contrats débouchaient moins sur un emploi durable que dans le secteur marchand. La différence des publics constitue peut-être une réponse, partielle, à ce taux de retour à l'emploi plus faible.

Aujourd'hui, dans un contexte de baisse du chômage, certaines personnes restent très éloignées de l'emploi, mais les entreprises hésitent encore à les recruter, que ce soit pour des raisons de formation ou de coût, alors même que certains besoins ne sont pas couverts. Vous avez fait le choix de restreindre les emplois aidés dans le secteur marchand. Ce choix ne nous prive-t-il pas d'une solution adaptée pour les publics les plus éloignés de l'emploi ? Il est vrai que, dans le secteur non-marchand, il a pu y avoir un dévoiement du dispositif avec l'affectation de contrats aidés sur des emplois permanents.

M. Jérôme Bascher . - Il me semble que la loi organique relative aux lois de finances prévoit, contrairement à ce qui se faisait auparavant, que l'examen du projet de loi de règlement est l'occasion d'examiner l'ensemble de la mission budgétaire, pas seulement l'exécution des crédits votés.

Dans cette logique, quel impact ont, selon vous, les contrats aidés sur le chômage, en particulier pour les jeunes ? Quelle est, au fond, votre politique à ce sujet ? Vous nous dites qu'un instrument unique devra viser plusieurs objectifs et publics. Cela me semble peu rationnel.

Au sujet des cofinancements - Pôle emploi, AFPA, contrats aidés... -, on peut craindre que la multiplication des acteurs ne réduise la lisibilité et l'efficacité de la politique qui est menée. Qu'en pensez-vous ?

M. Philippe Dallier . - Une fois n'est pas coutume, j'aurai un point de vue légèrement différent de celui du rapporteur général... Madame la ministre, vous avez eu raison de rappeler la situation que vous avez trouvée à l'été 2017, où 80 % de l'enveloppe d'emplois aidés était consommée. Rappelez-vous, mes chers collègues, la pression que les préfets mettaient sur les élus locaux à la fin de l'année 2016 et au début de l'année 2017 pour signer des contrats aidés ! Cela étant, la décision du Gouvernement a été brutale et a posé de grandes difficultés à nombre de partenaires - collectivités territoriales ou associations. Il est vrai que, dans le secteur marchand, il pouvait exister un certain effet d'aubaine, en particulier pour de grandes entreprises que je ne citerai pas... Mettre un terme à cela était plutôt une sage décision. Madame la ministre, vous avez cependant été sévère en ce qui concerne le rôle des collectivités territoriales : certaines ont sûrement abusé du dispositif, mais pas toutes !

Sur le fond, je crois que nous devrions nous inspirer de certaines mesures qui existaient il y a une vingtaine d'années - je pense aux contrats emploi-solidarité (CES) et aux contrats emplois consolidés (CEC). Ces contrats étaient de longue durée, puisqu'ils allaient jusqu'à cinq ans, et permettaient de donner du temps à la fois à l'employeur et à l'employé pour développer pleinement une démarche de formation et d'insertion. À l'époque, l'État prenait en charge l'assurance chômage pour les personnes qui ne trouvaient pas un emploi à la fin du dispositif, mais cette mesure a cessé il y a une dizaine d'années, ce qui a obligé les collectivités à verser des allocations chômage, puisqu'elles sont souvent leur propre assureur. C'est à ce moment-là que les choses ont changé.

Beaucoup de collectivités ont utilisé les CES et les CEC pour intégrer à terme les personnes concernées, en utilisant la pyramide des âges. Dans ma commune, une quarantaine de personnes sont ainsi devenues fonctionnaires. Dans ce contexte, quel rôle voulez-vous que les collectivités locales jouent dans la démarche d'insertion et de retour à l'emploi ?

M. Roger Karoutchi . - Le Gouvernement précédent a connu quelques errances et nous sommes assez d'accord avec l'analyse que le Gouvernement fait en ce qui concerne les contrats aidés. Toutes les majorités ont mis en place des dispositifs pour trouver des solutions, qu'elles voulaient durables, au problème de l'emploi...

Ce qui doit nous inquiéter, c'est que le Gouvernement a pris un certain nombre de positions en s'appuyant sur des perspectives de croissance bien supérieures à celles que l'Insee ou l'OCDE évaluent aujourd'hui. Ainsi, certains dispositifs que vous pensiez pouvoir éviter grâce à la croissance et à la baisse du chômage pourraient, Madame la ministre, se trouver à nouveau utiles. Dans ce contexte de croissance moindre, la politique du Gouvernement va-t-elle dans le bon sens ?

M. Antoine Lefèvre . - Je reviens sur la question des effectifs de Pôle emploi : il semblerait que 4 000 emplois y seront supprimés d'ici à trois ans sur les 55 000 actuels, soit 7 % des effectifs.

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Antoine Lefèvre . - On peut comprendre les inquiétudes. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ?

Par ailleurs, je suis président d'une maison de l'emploi et de la formation et je peux vous dire que les acteurs locaux regrettent vivement le désengagement de l'État, notamment pour l'accompagnement des jeunes. Vous l'avez, dit, le rôle du tissu associatif est essentiel sur ces sujets.

Enfin, je confirme ce qui a été dit : les contrats aidés ont pu constituer un effet d'aubaine pour certains, mais ce dispositif a aussi donné de bons résultats quand il était bien utilisé.

M. Claude Raynal . - Je voudrais vous remercier, Madame la ministre, de vous plier à cet exercice d'examen des politiques que vous menez, et je ferai deux commentaires d'ordre général.

Je crois, en premier lieu, que nous pouvons tous nous rassembler sur l'idée qu'il est très difficile de connaître de manière précise et à l'avance quels seront les résultats des politiques de l'emploi. Trouver la bonne formule en la matière n'est pas évident ! Une certaine humilité est donc nécessaire. Parler constamment de « transformation » ne constitue pas un gage de réussite ou d'amélioration. Certaines politiques ont bien fonctionné, en particulier celles qui ont été destinées à conduire jusqu'à la retraite les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans - c'était notamment l'objectif des CEC qui ont déjà été mentionnés.

En second lieu, Madame la ministre, je vous enjoins de ne pas reprendre l'argument avancé par Gérald Darmanin sur une supposée insincérité budgétaire !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - C'est la Cour des comptes qui le dit.

M. Claude Raynal . -La Cour des comptes n'a absolument pas dit cela. Une telle formulation n'est pas utilisée par la Cour des comptes, puisqu'elle relève de la jurisprudence constitutionnelle. La Cour des comptes a parlé, il est vrai, « d'éléments » d'insincérité budgétaire.

M. Emmanuel Capus . - Et ce n'est pas pareil ?

M. Claude Raynal . - Les nuances sont importantes.

M. Philippe Dallier . - Tout allait bien, alors !

M. Claude Raynal . - Depuis fort longtemps, nous critiquons, tous, la sous-budgétisation de quelques lignes budgétaires, mais je vous rappelle que, selon un rapport que vous avez vous-mêmes commis, Monsieur le rapporteur général, les montants en question s'élèvent à 1,2 milliard d'euros, soit environ 0,3 % des 322 milliards de dépenses de l'État. Je vous souhaite, Madame la ministre, de vous en tenir à une si faible différence ! Vous le voyez, l'année 2017 n'avait rien d'exceptionnel.

Et comment expliquer cette sous-budgétisation ? Tout simplement par le niveau de la croissance. Durant les années au pouvoir du gouvernement que nous soutenions, la croissance a oscillé entre 0,2 % et 1,2 %. Établir un budget dans ces conditions est beaucoup plus compliqué qu'avec une estimation - peut-être exagérée d'ailleurs... - de 1,9 %. Les plans changent du tout au tout entre les deux situations.

Il y avait 517 000 emplois aidés en 2016 et, selon vous, seulement 280 000 prévus pour 2017. Ce n'est qu'optiquement vrai !

Mme Fabienne Keller . - C'est vrai ou c'est faux ?

M. Claude Raynal . - En réalité, c'est faux, parce que tous les ans, le budget était construit de la même façon.

M. Jérôme Bascher . - Cinq ans d'insincérité donc...

M. Claude Raynal . - Le Gouvernement qui précédait celui que je soutenais nous a laissé 0,2 % de croissance et 5,2 % de déficit. Souvenez-vous-en !

On peut toujours regretter que la croissance n'ait pas permis de prévoir, dès la loi de finances initiale, les crédits nécessaires. Évidemment, chacun aurait préféré qu'il n'y ait pas de collectif budgétaire, mais faire ainsi était indispensable pour s'adapter aux évolutions du contexte économique. Laisser penser que nous n'avions prévu que 280 000 emplois aidés n'est pas juste. Certes, nous pensions pouvoir passer de 500 000 à 400 000, mais pas en dessous. Quand la croissance est limitée, il faut pouvoir s'adapter en cours d'année. C'est ce que nous avons fait.

Surtout, je vous rappelle que le décret d'avance de 2017, qui comprenait aussi la réduction de 5 euros des APL, n'a porté que sur un montant de 774 millions d'euros, alors même que l'exécution budgétaire a finalement permis de dégager un excédent de plus de 6 milliards d'euros ! Certains députés du groupe La République En Marche ont même parlé d'une cagnotte...

Sincèrement, nous avons surtout été confrontés à la volonté de faire peser sur l'ancien gouvernement certaines turpitudes, alors qu'il était largement possible de faire différemment, en particulier sur la question des emplois aidés.

Mme Fabienne Keller . - Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui bénéficient peu de la reprise de la croissance économique, les perspectives restent inquiétantes en termes de nombre d'emplois aidés. Comment le Gouvernement entend-il agir pour que les personnes concernées dans ces quartiers gardent espoir ?

Par ailleurs, on constate malheureusement que l'apprentissage régresse, en particulier dans certains secteurs économiques. Dans le bâtiment et les travaux publics, certains chefs d'entreprise parlent d'un effet d'éviction entre les apprentis et les travailleurs détachés, au détriment des premiers. La nouvelle directive sur le travail détaché prévoit d'améliorer les contrôles et de mieux encadrer ce dispositif : quand la France entend-elle la transposer ? J'espère que nous irons aussi vite que dans les pays nordiques : là-bas, la transposition se fait dans la foulée de l'adoption d'un texte...

M. Jean-Marc Gabouty . - L'émoi suscité par la baisse du nombre de contrats aidés a permis de mettre en lumière la manière, déviante, dont ces contrats étaient perçus : il s'agit bien d'aider certaines personnes qui rencontrent des difficultés à retrouver un emploi, pas les entreprises qui les recrutent. Il convenait, je le crois, de rectifier cette dérive dans la perception qu'avaient certains des contrats aidés.

J'ai connu la même expérience que Philippe Dallier dans ma collectivité : des contrats plus longs permettaient davantage de formation, et donc d'intégration. Comment le Gouvernement entend-il cibler ce dispositif, en particulier pour les services à la personne et l'éducation ?

Je relève aussi qu'il était difficile de comparer les secteurs marchand et non-marchand en termes de taux de retour à l'emploi, parce que le secteur privé sélectionnait plus fortement les personnes qu'il recrutait. On comprend que la pérennisation de l'emploi était plus facile dans ces conditions.

En ce qui concerne les charges sociales, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi permet une réduction pour les salaires allant jusqu'à 1,6 SMIC. Or, si l'aide aux emplois les moins qualifiés permet de résister aux importations, elle ne soutient pas les entreprises qui exportent, le niveau des salaires de leurs employés étant souvent plus élevé. Quelle est la stratégie du Gouvernement sur ce sujet ?

Enfin, je suis favorable à ce que des règles strictes s'appliquent sur le détachement des travailleurs. La loi « El Khomri » avait introduit à ce sujet des dispositions sur la sous-traitance. Pour autant, il faut le savoir, ceux qui emploient des travailleurs détachés sont parfois des entrepreneurs français qui ont une filiale à l'étranger et auto-alimentent le système... La meilleure réponse aux abus ne serait-elle pas de développer la formation professionnelle, plutôt que de mettre en place des contrôles excessifs ou de prévoir des clauses ubuesques comme la clause dite « Molière » sur la langue française ? Je rappelle que des chantiers emblématiques comme ceux de Flamanville ou de Saint-Nazaire emploient, sur des contrats longs, des travailleurs détachés parce que les entreprises ne réussissent pas à recruter en France.

M. Éric Bocquet . - Le chiffre, souvent avancé, de 300 000 emplois non pourvus est largement débattu. Pierre Gattaz a parlé un temps de 500 000 ; certes, chacun connaît l'enthousiasme et le tempérament du président du MEDEF... Au-delà du chiffre lui-même, il faudrait tout de même comprendre pourquoi ces emplois ne sont pas pourvus ; 77 % des entrepreneurs reconnaissent qu'il existe des raisons objectives : l'image de certains métiers, les horaires décalés, la faiblesse des rémunérations...

J'insiste sur ce point, parce que ce discours alimente la « petite musique » sur un chômage qui serait volontaire : il y a de l'emploi, mais les gens n'en voudraient pas. Cela n'est évidemment pas si simple ; il suffit de rapprocher ce chiffre de celui du chômage et de l'emploi : 3,2 millions d'offres d'emploi sont faites chaque année ! Il faut donc relativiser les choses.

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - J'ai déjà évoqué les contrats aidés et, sans revenir sur l'insincérité budgétaire, je rappelle que le maintien en 2017 du niveau de contrats aidés consommés en 2016 aurait demandé un milliard d'euros supplémentaires. Certes, cette situation était récurrente, mais en ce qui nous concerne, nous ne ferons pas de même.

Les contrats aidés ne doivent pas servir à la gestion conjoncturelle du chômage ; ils constituent l'un des outils de la politique de l'emploi, sont destinés à certains publics très éloignés de l'emploi et permettent une mise en situation professionnelle, en particulier depuis que nous avons renforcé les aspects liés à la formation. Les dispositifs d'insertion par l'activité économique font aussi partie de la palette des instruments dont nous disposons pour cela, et j'ai décidé d'augmenter de 200 millions d'euros les crédits qui leur sont consacrés.

Certaines collectivités territoriales et associations ont fait un travail remarquable, et nous nous sommes appuyés sur ces expériences pour mettre en place le Parcours emploi compétences, qui repose sur un triptyque : mise en situation, accompagnement personnalisé et formation.

Une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le service statistique du ministère, a montré que la sélectivité des publics était plus grande dans le secteur marchand et que 65 % des personnes embauchées dans une entreprise après un contrat aidé l'auraient été dans les mêmes conditions sans ce contrat. L'effet d'aubaine était donc important. Pour autant, nous avons conservé le secteur marchand en outre-mer compte tenu de la faiblesse du tissu économique.

Beaucoup de départements cofinancent les contrats aidés pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), ce qui me paraît très positif et correspondre pleinement à la démarche d'insertion de ces personnes.

Pour le secteur marchand, nous avons renforcé le dispositif de Pôle emploi appelé POEC, préparation opérationnelle à l'emploi collective, qui est plus réactif et correspond mieux aux besoins.

Quant aux emplois francs, la durée de l'aide - trois ans pour les embauches en contrats à durée indéterminée - permettra d'éviter l'effet de rotation afin que les personnes concernées, qui résident dans un quartier prioritaire éligible de la politique de la ville, soient capables de faire leurs preuves et de monter en compétences au sein de l'entreprise.

En ce qui concerne la Garantie jeunes, la loi de finances initiale pour 2017 prévoyait 150 000 entrées et 81 265 se sont effectivement réalisées. C'est un bon dispositif, financé par l'Union européenne, et l'année 2017 était celle de la généralisation. Nous avons prévu 100 000 places en 2018 ; je pense que le dispositif va continuer de monter en puissance.

Les Parcours emploi compétences donnent une certaine priorité aux quartiers de la politique de la ville, puisque 15 % de l'enveloppe leur est réservée, alors qu'ils représentent 8 % de la population. Comme je vous le disais, ce dispositif vise prioritairement, en termes de publics, les demandeurs d'emploi de longue durée, les handicapés et les seniors et, en termes de territoires, les quartiers de la politique de la ville, les zones rurales enclavées et les Outre-mer.

L'an dernier, Pôle emploi a constaté que 300 000 emplois étaient non pourvus. Il est tout de même dommage que les PME ne puissent pas conquérir certains marchés faute de compétences, tandis que 2,7 millions de personnes ne trouvent pas d'emploi. Il est donc très important de réduire le décalage, qui touche de nombreux secteurs économiques. Or les études montrent que, dans la moitié des cas, l'absence de compétences est responsable de cette situation. Je vous donne un exemple : il y a quelques semaines, j'étais en déplacement en Alsace et on m'a expliqué que les employeurs ne réussissaient pas à recruter de soudeurs, même à 6 000 euros par mois !

En ce qui concerne le travail détaché, je vous rappelle que, dès son élection, le Président de la République s'est fortement mobilisé sur cette question, et l'action de la France a permis de faire bouger les lignes de manière très sensible. La directive vient d'être approuvée par l'Union européenne, elle doit être transposée dans les deux ans et la France a l'intention de faire au plus vite.

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel contient deux mesures complémentaires : la possibilité pour le préfet de faire arrêter un chantier et la numérisation de la carte professionnelle du secteur du BTP. Nous avons aussi l'intention d'interdire le travail détaché de Français en France - cela existe et ce n'est pas vraiment l'esprit du travail détaché...

Le sujet le plus important concerne la formation. C'est pourquoi le projet de loi autorisera davantage d'acteurs, notamment les filières industrielles, à créer des centres de formation des apprentis. Le travail détaché, qui continuera évidemment d'exister, constitue un marqueur de certains déficits accumulés par la France en termes de formation.

En ce qui concerne les effectifs de Pôle emploi, aucun chiffre n'est fixé a priori : une méthodologie doit être définie pour que leur décrue accompagne, et non précède, celle du chômage.

Je n'ai pas compétence sur la question générale des aides sociales, qui concerne ma collègue ministre des solidarités et de la santé, mais, dans mon champ ministériel, il est vrai qu'il existe une petite minorité de chômeurs qui ne recherchent pas d'emploi activement - je ne parle pas de ceux qui sont légitimement découragés et qu'il est nécessaire d'accompagner pour les remobiliser. Il faut renforcer les contrôles pour trouver un équilibre entre les droits et les devoirs. Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel va dans ce sens et prévoit de rendre plus logique et progressive l'échelle des sanctions.

La stratégie du Gouvernement pour l'emploi repose, depuis le début, sur trois piliers : le renforcement du dialogue social, dont les ordonnances que nous avons prises l'été dernier sont l'exemple - les PME nous disent clairement que, dorénavant, elles n'ont plus peur d'embaucher - ; l'amélioration des compétences grâce à la formation professionnelle et à l'apprentissage ; l'inclusion, qui passe par des emplois aidés, l'insertion par l'activité économique, etc. Tous les leviers doivent être utilisés pour que la croissance soit riche en emplois, car, si la croissance ne permet pas d'inclure tout le monde, nous nous dirigeons vers de graves fractures sociales.

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