B. UNE MONTÉE EN CHARGE DES TRANSFERTS OPÉRÉS EN 2018 QUI POURRAIT SE POURSUIVRE DANS LES ANNÉES À VENIR

1. Le compte professionnel de prévention et l'élargissement du dispositif de retraite anticipée

La loi du 15 septembre 2017 pour le renforcement du dialogue social 92 ( * ) a habilité le Gouvernement à simplifier par ordonnance les dispositions législatives relatives au compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et son régime juridique 93 ( * ) . Sur ce fondement, une ordonnance du 22 septembre 2017 94 ( * ) a profondément réformé le dispositif de pénibilité :

- le C3P est désormais dénommé « compte professionnel de prévention » (C2P). Le périmètre du C2P comprend désormais six facteurs de risques professionnels : travail de nuit, travail répétitif, travail en équipes successives alternantes, activités exercées en milieu hyperbare, températures extrêmes et bruit. En cas d'exposition à l'un de ces facteurs, le salarié acquiert chaque année un certain nombre de points qu'il peut mobiliser pour suivre une formation, financer une réduction de son temps de travail ou organiser un départ anticipé en retraite ;

- quatre facteurs de risques professionnels (manutention de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux), les plus difficilement évaluables par les employeurs, ont été extraits du périmètre du C2P et font désormais l'objet d'un mécanisme de compensation spécifique distinct dans le cadre d'un élargissement du dispositif de départ en retraite anticipée en cas d'incapacité permanente créé par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. La condition d'exposition de 17 ans en cas de taux d'incapacité permanente compris entre 10 % et 19 % est supprimée pour les maladies professionnelles liées à ces quatre facteurs, permettant un élargissement du nombre de bénéficiaires. Les victimes concernées pourront ainsi bénéficier d'une retraite à taux plein dès l'âge de 60 ans ;

- le financement du compte professionnel de prévention n'est plus assuré par des cotisations spécifiques versées par les entreprises mais supporté par la branche AT-MP, au prix d'une hausse de la majoration M4 du taux de cotisation AT-MP.

Selon les données communiquées par le ministère des solidarités et de la santé à votre commission, 651 119 salariés ont été déclarés exposés à l'un ou plusieurs des dix facteurs de risques professionnels au titre de la pénibilité au cours de l'année 2017 95 ( * ) .

Répartition des déclarations au titre de la pénibilité
par facteurs de risques professionnels en 2017

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la commission des affaires sociales

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 fixe la contribution de la branche AT-MP au financement de ces deux dispositifs à :

- 254,2 millions d'euros pour la branche AT-MP du régime général, dont :

? 93,2 millions d'euros au titre du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente, en hausse de 42 % par rapport à 2018 ;

? 161 millions d'euros au titre du C2P, en hausse de 52 % par rapport à 2018 ;

- 8 millions d'euros pour la branche AT-MP du régime des salariés agricoles, soit un niveau équivalent à celui initialement prévu pour l'année 2018, dont :

? 5,5 millions d'euros au titre du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente ;

? 2,5 millions d'euros au titre du C2P.

La montée en charge de ces deux dispositifs jusqu'en 2022 pour la branche AT-MP du régime général serait la suivante :

Évolution du financement de la pénibilité

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

2021

Compte professionnel de prévention

106

161

160

160

Élargissement du dispositif de retraite anticipée

15

93,2

100

120

Source : Direction de la sécurité sociale

2. L'intégration du solde de la branche AT-MP des marins

Depuis le 1 er janvier 2018, le solde des charges et produits du risque AT-MP du régime des marins est retracé dans les comptes de la branche AT-MP du régime général. Cette mesure a augmenté les charges de la branche en 2018 de 60 millions d'euros.

Selon les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2017, le besoin de financement au titre des prestations AT-MP des marins diminue tendanciellement, en cohérence avec la baisse des prestations légales 96 ( * ) .

3. L'enjeu à venir de l'indemnisation des victimes du chlordécone

Lors d'un déplacement aux Antilles à la fin du mois de septembre 2018, le Président de la République a confirmé le lancement d'une procédure destinée à reconnaître comme maladie professionnelle l'exposition au chlordécone , pesticide jugé cancérogène utilisé pendant une vingtaine d'années jusqu'en 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et Martinique. Selon Santé publique France, la contamination des sols aurait conduit à toucher plus de 90 % de la population adulte de ces territoires, le chlordécone étant présumé avoir un lien avec des cancers de la prostate, des naissances prématurées ou encore des retards de développement cérébral.

Le Président de la République a ainsi annoncé que « la procédure d'ouverture du registre des maladies professionnelles sera engagée par le gouvernement, dès le 2 octobre, pour le régime général des maladies professionnelles et le 9 octobre pour le régime agricole. » 97 ( * ) Afin d'actualiser les tableaux des maladies professionnelles, l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) devront rendre d'ici mars 2019 leurs travaux d'évaluation de l'impact du chlordécone, à partir desquels les partenaires sociaux entameront leur négociation sur les conditions de reconnaissance des maladies en lien avec l'exposition à cette molécule.

Par analogie avec l'amiante, il sera difficile d'imputer l'indemnisation correspondante à des entreprises déterminées pour faute inexcusable, d'autant qu'il s'agit bien souvent d'exploitations agricoles dont certaines ont disparu ou dont les responsables et leurs familles ont eux-mêmes directement été exposés. Par ailleurs, la responsabilité de l'État dans le retard pris dans l'interdiction de l'utilisation du chlordécone est en également jeu. Dans ces conditions, votre commission estime que la prise en charge de l'exposition au chlordécone comme maladie professionnelle par la branche AT-MP devra vraisemblablement intervenir sous forme mutualisée , selon un dispositif analogue aux fonds amiante, combinant dotation de la branche AT-MP alimentée par la hausse d'une ou plusieurs majorations du taux de cotisation et dotation de l'État.

Dans cette logique, notre collègue député Olivier Serva a déposé en juillet 2018 une proposition de loi 98 ( * ) visant à instituer un régime d'indemnisation des victimes du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, le fonds correspondant étant appelé à être alimenté par une contribution de l'État et une contribution de la branche AT-MP.


* 92 Loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

* 93 1° de l'article 5 de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017.

* 94 Ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention

* 95 Il s'agit toutefois de données provisoires dans la mesure où environ 140 000 déclarations n'ont pas encore intégrées, en raison de la généralisation progressive des nouvelles modalités déclaratives (déclaration sociale nominative).

* 96 - 3,7 % entre 2015 et 2016, - 0,6 % prévu entre 2017 et 2018.

* 97 Déclaration du Président de la République dans une exploitation agricole de Martinique, 30 septembre 2018.

* 98 Proposition de loi tendant à la création d'un régime d'indemnisation des victimes du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, n° 1159, déposée le mercredi 11 juillet 2018.

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