B. UNE UTILITÉ INCERTAINE

Au-delà des effets négatifs que pourraient induire les dispositions de la proposition de loi, les personnes consultées par votre rapporteur se sont également interrogées sur leur utilité .

Force est en effet de constater que les délais de récupération de points actuellement fixés par la loi ne paraissent pas déséquilibrés dans la mesure où ils ne conduisent que très rarement les conducteurs vertueux et globalement respectueux de la réglementation routière à perdre leur permis de conduire.

Si, comme indiqué précédemment, une part significative des points retirés chaque année le sont à l'issue de la commission d'infractions « légères » au code de la route, nombre d'entre eux sont récupérés automatiquement. Ainsi, en 2017, 6 089 033 points ont été récupérés au bout de six mois, soit environ les trois quarts des points retirés éligibles à une récupération dans ce délai. 3 063 168 permis ont vu leur capital de points rétabli, après deux ou trois ans sans commission de nouvelles infractions.

Les statistiques établies par l'ONISR permettent également d'observer que les invalidations de permis en raison d'un solde nul de points sont plutôt la conséquence de la commission d'infractions lourdes au code de la route. Sur les 61 714 personnes qui ont vu, en 2017, leur permis invalidé à la suite de la perte de tous leurs points, 121 seulement l'ont perdu uniquement en raison de la commission de petites infractions, c'est-à-dire un point par un point.

Évolution du nombre de points retirés et récupérés depuis 2010

Source : ONISR - Bilan statistique 2017

Dès lors, il n'est pas certain que la réduction de la durée de récupération de points prévue par l'article L. 223-6 du code de la route, qui ne concerne que les points perdus pour les infractions punies du retrait d'un seul point, aurait, conformément au souhait des auteurs de la proposition de loi, une incidence majeure sur les invalidations de permis de conduire.

C. UNE RÉFLEXION PERTINENTE MAIS INABOUTIE SUR LE RÉÉQUILIBRAGE DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ ROUTIÈRE

Assurément, la proposition de loi présentée par nos collègues répond à une attente majeure de nos concitoyens qui, comme l'a relevé il y a quelques mois le récent rapport d'information du groupe sénatorial sur la sécurité routière auquel participait votre rapporteur 6 ( * ) , peinent à accepter le renforcement récent de la réglementation routière, en particulier l'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.

Elle pose un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière de lutte contre l'insécurité routière . La compréhension et l'acceptabilité des mesures de sécurité routière étant une condition essentielle de leur efficacité, il apparaît en effet pertinent de s'interroger, comme le font les auteurs de la proposition de loi, sur la manière de lutter efficacement contre la « délinquance routière » sans pour autant que les mesures adoptées ne soient jugées injustes et pénalisantes par les usagers de la route les plus responsables et ne commettant qu'exceptionnellement des infractions « légères » au code de la route.

Cette même interrogation est à l'origine du lancement, par le Gouvernement, d'une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route , annoncée dans le cadre du plan de lutte contre l'insécurité routière présentée le 9 janvier 2018 (mesure n° 3). Le soin de procéder à cette réflexion a été confié au Conseil national de la sécurité routière (CNSR). Entendu par votre rapporteur, son président, M. Yves Goasdoué, a confirmé qu'une étude avait été engagée et que des propositions devraient être remises au Premier ministre au début de l'année 2019.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, cette réflexion porterait sur les moyens de récompenser les conducteurs exemplaires disposant de tous leurs points sur leur permis de conduire, ainsi que sur les moyens d'alléger les sanctions pour les conducteurs aux comportements responsables et qui commettraient une première infraction de faible gravité, comme un petit excès de vitesse. Parmi les mesures étudiées figurent ainsi l'instauration d'un bonus de points au permis de conduire, assimilable à un fonctionnement assurantiel de « bonus-malus », ainsi que l'introduction d'un sursis pour les retraits de points encourus pour les infractions au code de la route les moins graves.

La proposition de loi dont votre commission est saisie, dans la mesure où elle entend alléger, à titre de compensation du durcissement de la réglementation routière, les sanctions appliquées aux usagers de la route ne commettant que des infractions légères au code de la route, paraît s'inscrire dans la droite ligne de cette réflexion plus globale .

Pour autant, au regard des difficultés précédemment évoquées, votre commission a estimé la solution proposée inaboutie et insuffisante pour répondre à l'enjeu soulevé. Elle a jugé préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à une étude d'impact approfondie, afin tant de garantir l'efficacité des mesures proposées que d'éviter tout effet de bord.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi n° 392 (2017-2018) relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.


* 6 Rapport d'information de M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois du Sénat, « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité », avril 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r17-436/r17-436.html

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page