PREMIÈRE PARTIE
UNE ABSENCE DE MAÎTRISE DES FLUX MIGRATOIRES ENTRAINANT UNE FORTE AUGMENTATION DES DÉPENSES DE LA MISSION

I. UN CONTEXTE MIGRATOIRE TENDU ET INCONTRÔLÉ

A. UNE ABSENCE DE DONNÉES FIABLES PRÉJUDICIABLE À L'EXAMEN PAR LE PARLEMENT DU BUDGET DE L'IMMIGRATION

L'examen de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances s'effectue dans un contexte marqué par l'absence de données fiables permettant d'évaluer clairement la situation migratoire de la France ce qui en réduit grandement la portée.

La situation de l'immigration irrégulière en constitue l'exemple le plus alarmant . Dans leur rapport sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, nos collègues députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo ont ainsi estimé que « la seule certitude est l'incertitude dans laquelle l'État est plongé concernant le chiffre d'étrangers en situation irrégulière en Seine-Saint-Denis. Incertitude que traduisent les estimations reconnues comme officielles données par le directeur de l'immigration du ministère de l'intérieur, entendu par les rapporteurs : “le chiffre de 150 à 200 000 personnes est crédible, si l'on s'appuie sur le calcul consistant à multiplier par trois les 56 000 ou 57 000 bénéficiaires de l'AME, un chiffre déjà minoré par rapport au public potentiellement concerné, car il exclut tous les étrangers qui ne remplissent pas l'un des deux critères d'admission à cette aide“ . Cette estimation également reprise par M. Pierre-André Durand, préfet de Seine-Saint-Denis, lors de son audition par les rapporteurs, et qualifiée de « crédible » se laisse une marge d'erreur de 33 %... » 1 ( * ) . Ces observations peuvent, bien entendu, s'étendre à l'ensemble des territoires de la République touchés par l'immigration. Ainsi, votre rapporteur spécial souscrit-il aux conclusions de ces deux parlementaires appartenant à la majorité de l'Assemblée nationale, selon lesquelles « définir et mener une politique publique à partir de données démographiques affichant une marge d'erreur et donc d'imprécision aussi grande ne peut pourtant mener qu'à l'échec de l'État, et en conséquence de la République » 2 ( * ) .

En répondant à votre rapporteur spécial lors de son audition, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur a démontré que le Gouvernement n'avait pas pris la mesure du problème : « sur la situation en Seine-Saint-Denis, il y a effectivement eu ce rapport parlementaire, qui a entrainé un plan gouvernemental [mais] je ne pourrai pas vous répondre sur la question de la quantification de l'immigration irrégulière, qui par nature est difficile à appréhender. Ce que peux vous dire, est que nous consacrons des moyens humains importants dans le cadre de la politique que nous menons ». De même, sur l'effectivité des mesures d'éloignement, le secrétaire d'État a indiqué que la stagnation du taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) s'expliquait par une augmentation du nombre de mesures prononcées 3 ( * ) . Cette explication n'est toutefois pas corroborée par les données transmises (cf. infra ).

Ce problème d'insuffisance de chiffres fiables et de sincérité de la part de l'exécutif est accentué par l'absence de consolidation des différents coûts de l'immigration.

Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,2 milliards d'euros en 2019 et de 6,7 milliards d'euros en 2020.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française de l'immigration et de l'intégration »

(en %)

Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

Ce coût est issu du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2020, auquel contribuent 9 ministères, en plus du ministère de l'intérieur, ne prend en réalité en compte que les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers.

Votre rapporteur spécial regrette, à cet égard, que le ministère de l'intérieur, pourtant chef de file de cette politique publique, ne soit pas en mesure d'apporter de réponse aux questions de votre rapporteur spécial 4 ( * ) relatives aux coûts de l'immigration supportés par les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.


* 1 Rapport d'information déposé le 31 mai 2018 au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis et présenté par MM. François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo.

* 2 Ibid.

* 3 Audition de M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur par la commission des lois du Sénat, jeudi 14 novembre 2019.

* 4 Réponses aux questionnaires budgétaires et à la question de votre rapporteur spécial lors de l'audition du secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.

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