B. UNE OPÉRATION AUX PROLONGEMENTS DIFFICILEMENT APPRÉCIABLES

La fusion des programmes 307 et 333 et les compléments apportés par les transferts d'emplois et de crédits hors titre 2 répondait à une préoccupation d'améliorer l'efficience de l'action publique territoriale.

Dans la réponse fournie sur ce point à votre rapporteur spécial, le ministère de l'intérieur se réfère au rapport de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale de l'administration et de l'inspection générale des affaires sociales d'avril 2016 relatif à la mutualisation des moyens de fonctionnement courant des services déconcentrés placés sous l'autorité des préfets.

Il est piquant de relever que ledit rapport envisageait de transférer certains moyens de gestion, non au ministère de l'intérieur, mais aux services du premier ministre dans le cadre du programme 333. Ce scénario avait fait l'objet des plus vives oppositions du ministère de l'intérieur au nom de la préservation des moyens d'exercice de sa mission de coordination de l'action de l'État.

Plutôt que d'être absorbés par le budget du Premier ministre, le ministère a préféré absorber une partie de celui-ci.

En ce qui concerne les effectifs, il s'agit de l'ensemble des emplois et des crédits de rémunération des agents des services du Premier ministre affectés en administration déconcentrée :

- au niveau régional , les effectifs regroupent les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et leurs adjoints, les chargés de mission (dont les directeurs des plates-formes régionales « achats » - PFRA - et les directeurs des plates-formes d'appui à la gestion des ressources humaines - PFRH) et leurs collaborateurs n'ayant pas le statut de chargé de mission (conseillers et assistants en PFRH, acheteurs en PFRA, ainsi que les gestionnaires locaux du programme 333), soit au total 386 ETPT ;

- au niveau départemental , les effectifs regroupent les directeurs départementaux des directions départementales interministérielles et leurs adjoints , ainsi que les directeurs départementaux délégués des DRDJSCS et leurs adjoints, soit 498 ETPT, ainsi que, depuis 2016, les agents affectés dans les services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication (SIDSIC), soit 1 121 ETPT.

Les crédits de fonctionnement et d'investissement disponibles s'élevaient à 346,6 millions d'euros en 2019.

Quant aux nouveaux transferts prévus en direction du programme 354 , ils contrastent fortement avec les perspectives explorées par le rapport mentionné , les moyens attribués au ministère de l'intérieur étant à la fois plus larges et plus restreints que les transferts alors envisagés.

Plus larges en ce sens que ces derniers ne portaient que sur des crédits hors titre 2. Plus restreints en ce sens que les transferts réalisés ne portent que sur des crédits de titre 2.

La fusion des secrétariats généraux des DDI dans le cadre de l'opération finalisée en 2020 concerne en effet les personnels transférés à partir des programmes suivants :

- 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, de sport, de la jeunesse et de la vie associative » (258 ETPT) ;

- 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » (1 149 ETPT) ;

- 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (155 ETPT) ;

- 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » de la mission agriculture alimentation, forêt et affaires rurales (213 ETPT) ;

- 134 « Développement des entreprises et du tourisme » (40 ETPT).

Les crédits de personnel correspondant s'élèvent à 106,4 millions d'euros, soit davantage que les 80 millions d'euros de crédits transférables selon le rapport concerné qui n'envisageait que le transfert des crédits de fonctionnement.

Les nouveaux moyens apportés au programme 354 n'identifient pas de transferts de crédits de fonctionnement au titre des transferts complémentaires mis en oeuvre en 2020.

Au total, les opérations proposées suscitent des interrogations.

Au regard de la déconcentration de la gestion des moyens, elles n'apportent pas de transformations majeures.

Les administrations déconcentrées de l'État directement concernées par la fusion des deux programmes (préfectures, sous-préfectures, directions régionales et directions départementales interministérielles) sont déjà, aujourd'hui, sous l'autorité du préfet. Par exemple, les secrétariats généraux pour les affaires régionales sont placés auprès des préfets de région ; ils exercent les missions définies autour de deux axes principaux : l'animation et la coordination de l'action des services de l'État en région et l'organisation et la mutualisation des moyens de l'État dans les régions (budgets et gestion financière, immobilier, politique des achats, ressources humaines).

La fusion des programmes n'introduit donc pas d'évolution concernant l'autorité hiérarchique des préfets sur les personnels rémunérés par le programme 333.

D'un point de vue budgétaire, si la gestion des crédits hors titre 2 inscrits au programme 333, soit les crédits de fonctionnement courant du réseau des quatre directions régionales concernées par la REATE, passent sous l'autorité du ministère de l'intérieur, le préfet de région était déjà responsable des budgets opérationnels de programme (BOP) régionaux correspondants.

Le transfert concerne donc essentiellement le BOP central auparavant géré par le directeur des services administratifs et financiers du Premier ministre. Mais ce dernier n'était dépositaire que de 10 unités opérationnelles centrales.

Par ailleurs, s'agissant des autres transferts, ceux proposés par le projet de loi de finances, l'article 13 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration dispose déjà que le préfet est chargé de la mise en oeuvre des mutualisations nécessaires à un meilleure fonctionnement des services déconcentrés de l'État.

L'absence de transferts de crédits hors titre 2 limite l'intérêt de ces transferts.

Dans ces conditions, la modification la plus substantielle concernerait la programmation des dotations budgétaires correspondant aux crédits transférés (rémunérations des personnels du réseau pris en charge par le programme 333 et les crédits hors titre 2 de ce programme et dotations correspondant aux personnels nouvellement transférés au programme 354) placée sous la responsabilité du ministre de l'intérieur.

Ce dernier disposera donc d'une influence budgétaire plus forte dès le stade de la programmation des crédits et pourra exercer une influence plus directe sur les 1 778 emplois nouvellement transférés.

En l'état, les modifications opérées n'équivalent pas à la concrétisation du projet de constituer des secrétariats généraux communs, projet auquel le défaut de nouveaux transferts de crédits de fonctionnement associés aux transferts d'emplois proposés dans le cadre du projet de budget pour 2020 apporte d'emblée une limite par la réduction de l'amplitude des mutualisations possibles. Il est de surcroît de nature à freiner l'accentuation des mobilités professionnelles qui sont généralement recherchées dans le cadre de la mutualisation des moyens.

En outre, l'expérience de la gestion passée du programme 333 ne laisse pas présager que les possibilités de mutualisation légèrement accrues permettront réellement une plus grande flexibilisation des moyens déployés sur le territoire.

Le rapport précité relevait que malgré la création du programme 333 par le projet de loi de finances pour 2011 pour intégrer les 238 nouvelles directions départementales interministérielles résultant de la REATE, la structuration des crédits accordés aux différentes DDI n'avait que peu évoluée.

A titre d'exemple, il indiquait que la convergence des crédits entre les DDI avait tardé.

Il mettait l'accent sur l'absence d'impact appréciable des réorganisations territoriales face à des réseaux aux ancrages locaux inertes, observation largement partagée par tous les rapports consacrés à cette thématique.

Quelques inquiétudes peuvent être légitimement énoncées.

La première d'entre elles concerne l'articulation entre les nouvelles responsabilités attribuées au ministère de l'intérieur dans le cadre de la constitution de secrétariats généraux communs étoffés et les crédits correspondants laissés aux ministères. Le sort de ces crédits tant en gestion qu'en programmation laisse perplexe.

On peut également s'interroger sur les incidences des transferts d'emplois proposés dans le projet de loi de finances sur les moyens de pilotage des politiques publiques correspondantes, dont la responsabilité est laissée aux différents ministères. Il s'agit certes d'emplois correspondant à des actions de support mais il est difficile d'imaginer que les effectifs concernés soient totalement dénués d'une culture métier par laquelle ils sont à même de comprendre les enjeux spécifiques des politiques publiques auxquelles ils contribuent.

Votre rapporteur spécial relève encore que des ministères et des opérateurs de l'État restent à l'écart du processus engagé.

Si, pour certains d'entre eux des motifs forts le justifient (ainsi de la justice), le poids des forces administratives permet de préserver la plupart du secteur sanitaire et les services du ministère des finances de la perspective d'une mutualisation de la gestion de leurs moyens généraux.

Or, la situation plus que difficile qui frappe ces pans essentiels de l'activité pourrait justifier de rechercher des économies de dépenses de fonctionnement afin de préserver le déploiement nécessaire de ces services sur le territoire.

On peut s'étonner que le ministère de l'économie et des finances, qui a coutume de rappeler son goût pour l'efficience, ait préféré agir en solo.

Votre rapporteur spécial n'est, pour autant, pas opposé aux réaménagements entrepris dès lors que les économies réalisées grâce à une plus forte mutualisation des fonctions de support seraient redéployées vers des activités opérationnelles susceptibles d'améliorer l'apport de l'État aux collectivités territoriales et aux populations pour lesquelles l'État de proximité a régressé ces dernières années.

Toutefois, les perspectives ouvertes sont loin d'être à la hauteur des besoins de comblement du déficit d'État de proximité.

Les services déconcentrés de l'État, en particulier ceux placés sous l'autorité des préfets ont connu une forte réduction de leurs effectifs, la baisse des moyens des autres services ayant été plus mesurée.

Évolution des effectifs des services déconcentrés entre 2011 et 2015 en équivalent temps plein (ETP)

Source : Cour des comptes

De 2001 à 2015, sur une période très courte donc, les effectifs des services placés sous l'autorité des préfets ont perdu près de 10 000 emplois, soit un recul proche de 11 %.

Tous services confondus, en incluant les opérateurs de l'État, la « France de province » accueille 1,8 million d'emplois financés par le budget de l'État sur les 2,4 millions d'emplois décomptés à ce titre.

Hors personnels de l'éducation nationale, ce ne sont plus que 766 300 emplois qui sont concernés (sur un total métropolitain de plus d'un million d'emplois).

L'Ile-de-France absorbe à elle seule un quart de ces derniers emplois, contribuant aux déséquilibres constatés dans la répartition des effectifs sur le territoire.

Répartition territoriale des effectifs de la fonction publique d'État

Source : commission des finances du Sénat

Dans son rapport de 2017 sur les services déconcentrés de l'État, la Cour des comptes a pu estimer que la mission de pilotage des politiques gouvernementales confiée aux préfets n'était pas assurée dans des conditions satisfaisantes. Elle a ainsi jugé que « dans les territoires, l'unité de commandement de l'État est loin d'être assurée : si les préfets, représentant du Gouvernement, ont autorité sur l'administration territoriale de l'État et assurent une place prééminente de représentation, nombre d'administrations civiles échappent à leur autorité, notamment celles relevant des ministères chargés de l'Éducation nationale et des Finances, sans compter les services locaux de ces agences ou opérateurs ».

Dans le même temps, les services hors « champ préfectoral » ont enregistré une réduction de leurs effectifs plus mesurée d'un point de vue relatif (un recul de 1,2 %) tandis que le développement d'agences disposant d'entités territorialisées à l'autonomie très poussée, dans des domaines clefs de l'action publique (la santé, l'environnement, l'emploi...) tend à accentuer l'étrécissement des domaines d'intervention des préfets.

On relèvera que dans ce contexte d'attrition des échelons administratifs placés sous l'autorité des préfets, les organes préfectoraux eux-mêmes, s'ils ont perdu des personnels, ont plutôt moins mal résisté dans un premier temps. De 32,2 % des emplois du champ préfectoral en 2011, ils en représentaient 34,1 % en 2015. Cependant, les réductions d'emplois effectuées depuis 2015 ont modifié le panorama dressé par la Cour des comptes.

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