D. AIDE ALIMENTAIRE : UNE HAUSSE DES CRÉDITS QUI MASQUE LA DÉLICATE GESTION BUDGÉTAIRE DU FEAD

L' aide alimentaire permet de mettre à disposition des personnes les plus démunies des denrées qui sont distribuées par des réseaux associatifs nationaux 21 ( * ) ou locaux . Les crédits budgétaires finançant l'aide alimentaire sont ainsi inscrits à l'action 14 du programme 304.

Vos rapporteurs avaient montré, dans un rapport, présenté en octobre 2018 et intitulé : « Un dispositif vital, un financement menacé ? un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver » 22 ( * ) , que l'aide alimentaire est un dispositif vital qui a bénéficié à 5,5 millions de personnes en 2017, représentant une masse financière estimée à près d'1,5 milliard d'euros , dont un tiers de financements publics (aides européennes, dépenses budgétaires de l'État et des collectivités territoriales, dépenses fiscales), un tiers de financements privés (dons en nature et numéraires des particuliers et entreprises), et un tiers correspondant à la valorisation du bénévolat au sein des associations intervenant dans le domaine de l'aide alimentaire.

1. Une augmentation des crédits budgétaires entre 2019 et 2020...

Les crédits budgétaires nationaux connaissent une légère augmentation entre 2019 et 2020, ce que ne peuvent que saluer vos rapporteurs. On observe ainsi une augmentation des crédits dédiés aux épiceries sociales et solidaires, et à l'aide alimentaire déconcentrée en raison des denrées distribuées en outre-mer et à Calais à destination des personnes migrantes. Néanmoins, il convient de noter également que la majeure partie de l'augmentation des crédits est due à la hausse de la contribution nationale complémentaire, permettant de compenser les dépenses inéligibles au remboursement de la Commission européenne.

Évolution des crédits nationaux en faveur de l'aide alimentaire
entre 2019 et 2020

(en millions d'euros)

2019

2020

FEAD

Contribution nationale

13,1

13,3

Contribution nationale complémentaire

9

( campagnes FEAD 2015 et 2016)

27

( campagnes FEAD 2017 et 2018)

Épiceries sociales

8,2

8,9

Subventions aux têtes de réseau associatives nationales

4,7

4,7

Aide alimentaire déconcentrée

14,4

18,4

Subvention pour charge de service public à FranceAgriMer

2,2

2,17

Total

51,6

74,5

Source : commission des finances du Sénat, à partir du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2019 et 2020

Pour mémoire, les crédits - inscrits au programme 304 - recouvrent deux principaux types de financements de l'État.

D'une part, la contribution de la France au fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) mis en place pour la période 2014-2020 et dont le programme opérationnel prévoit d'octroyer à la France une dotation de 587,39 millions d'euros. Cette dotation est financée par des crédits européens à hauteur de 499 millions d'euros (85 %), via un fonds de concours relevant du programme 304, ainsi que par des crédits nationaux à hauteur de 15 %.

La contribution nationale au FEAD s'élève, en 2020, à 13,3 millions d'euros pour un montant total consacré à l'aide alimentaire au titre du FEAD de 75,63 millions d'euros.

D'autre part, des crédits complémentaires destinés à soutenir les épiceries sociales - celles-ci n'étant pas éligibles au FEAD 23 ( * ) -, à subventionner les têtes de réseau associatives nationales afin de prendre en charge une partie de leurs coûts de fonctionnement au titre de l'aide alimentaire (logistique, formation des bénévoles, etc.), à financer les services déconcentrés qui mettent en oeuvre la distribution de l'aide alimentaire, ainsi qu'à verser une subvention pour charges de service public à FranceAgriMer en tant qu'organisme intermédiaire de gestion du FEAD.

2. ... qui masque plusieurs sources d'inquiétude

Cette hausse des crédits dédiés à l'aide alimentaire ne saurait masquer plusieurs sources d'inquiétude , dont certaines déjà pointées par vos rapporteurs, dans leur rapport de contrôle précité.

a) La programmation FEAD 2014-2020 : des pertes budgétaires estimées à 70 millions d'euros

Tout d'abord, le système d'aide alimentaire français apparait comme, plus que jamais, fragilisé par les difficultés de gestion liées au FEAD, qui font peser des risques de pertes budgétaires conséquentes sur la France. Ces difficultés sont en partie dues à la complexité des règles européennes , mais également à la gestion opérationnelle française du fonds.

La France n'a pas encore procédé à tous les appels de fonds pour obtenir de la Commission européenne les remboursements de la campagne 2016 . Restera encore d'ici à 2022 à obtenir les fonds des campagnes suivantes. Ce décalage persistant entre les dépenses FEAD et le niveau des remboursements européens a créé une forte tension sur la trésorerie de FranceAgrimer.

Plus largement, la gestion du FEAD va conduire, très certainement à des pertes budgétaires qui sont actuellement - selon les informations communiquées à vos rapporteurs - estimées à 70 millions d'euros . Il semblerait que ce montant - correspondant aux crédits non remboursés par l'Union européenne - ne soit qu'une première estimation dont la réalité sera bien supérieure.

L'enjeu des négociations post-FEAD

Le FEAD d'un montant de 3,8 milliards d'euros sur la période 2014 - 2020 est une réponse essentielle aux situations de grande pauvreté. Il représente près de 30 % des denrées fournies aux quatre associations nationales.

Les négociations concernant l'après 2020 - date jusqu'à laquelle le FEAD actuel est garanti - ont commencé , avec la publication de la proposition de Règlement FSE+ le 29 mai 2018 par la Commission européenne. Ce projet de règlement, publié dans le cadre des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027), prévoit de regrouper sous la dénomination « FSE+ » tous les fonds structurels, y compris le FEAD.

Le volet FEAD de ce nouveau fonds suscite de nombreuses interrogations et craintes quant à son montant et mode de fonctionnement :

- le « seuil plancher » fixé initialement à 2 % a été relevé à 3 % par le Parlement européen, mais reste largement en deçà de l'enveloppe actuelle . Selon les informations communiquées aux rapporteurs, le Gouvernement pourrait s'engager à compenser cette diminution des crédits européens par une augmentation des crédits nationaux. Cette solution n'est toutefois pas pleinement satisfaisante pour vos rapporteurs, qui voient dans la programmation pluriannuelle des crédits européens une prévisibilité nécessaire pour les associations, et dans l'annualité des crédits nationaux un facteur d'insécurité.

- en outre , la France doit absolument peser dans ces négociations pour obtenir un assouplissement des modalités de gestion du fonds (nombre de contrôles, application pénalités, etc.) afin de parvenir à un équilibre entre exigence administrative et action bénévole. À cet égard, une mission menée par l'IGAS est en cours dont les conclusions intéresseront fortement vos rapporteurs.

b) Les associations, piliers de cette politique publique, fragilisées

Par ailleurs, les associations - qui sont les indispensables piliers de cette politique publique - font face à des difficultés financières certaines . La suppression de la « réserve parlementaire » et la baisse brutale du nombre de contrats aidés avaient déjà fragilisé ces acteurs associatifs.

Pour mémoire, la perte de la réserve parlementaire constituait pour les associations d'aide alimentaire , un manque à gagner de 2,2 millions d'euros 24 ( * ) , qui n'a pas été compensé, à hauteur, par le fonds de développement pour la vie associative (FDVA) dont les modalités de mise en oeuvre se sont avérées, en plus, très complexes.

Par ailleurs, plusieurs difficultés ont émaillé la gestion du FEAD, qui ont conduit à la non-livraison ou la non-confirmé de certains produits , dont l'affaire des « steacks hachés » est le point d'orgue. Ainsi, les Restos du Coeur n'ont pas bénéficié de près de 4 millions d'euros depuis 2014 sur l'enveloppe qui leur était initialement destinée.

Notre collègue Fabien Gay a mis en évidence, dans un rapport d'information, les défaillances de l'État dans cette affaire 25 ( * ) et chiffré les coûts stockage et de rachat des produits, pour les associations, à un million d'euros. Cependant, à ce stade, aucun crédit n'a été budgété au sein du programme 304 pour compenser ces frais aux associations. Vos rapporteurs le regrettent et ne peuvent qu'appeler le Gouvernement à présenter un amendement de crédits en ce sens, en cours de navette du présent projet de loi de finances.

Enfin, vos rapporteurs souhaitaient alerter sur l'impact de la réforme du mécénat telle que prévue par l'article 50 du projet de loi de finances pour 2020. Cet article prévoit la diminution du taux de défiscalisation de 60 % à 40 % pour les dons au-delà de 2 millions d'euros. Les associations d'aide alimentaire - dites « loi Coluche » - ont été exclues du champ d'application du dispositif, ce dont se félicitent vos rapporteurs. Néanmoins, cette dérogation s'applique seulement aux structures « qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté », et tend donc à exclure les épiceries solidaires. En effet, ces structures distribuent des denrées aux personnes en difficulté en échange d'une participation minime.

Vos rapporteurs souhaiteraient ainsi que le Gouvernement dépose un amendement visant à rectifier ce champ d'application, afin de ne pas laisser subsister cette inégalité de traitement entre structures , qui risque d'affaiblir voire, à terme, de faire disparaitre ce modèle d'épiceries solidaires.

Les principales recommandations du rapport des sénateurs A. Bazin et E. Bocquet sur le financement de l'aide alimentaire

Recommandation n° 1 : renforcer la gestion opérationnelle du financement de l'aide alimentaire dans le cadre de l'actuelle programmation du FEAD.

Recommandation n° 2 : repenser l'architecture institutionnelle du dispositif en réfléchissant dès à présent aux adaptations souhaitables dans le cadre de la prochaine programmation du FSE +.

Recommandation n° 3 : poursuivre la simplification du système d'achat des produits en préservant un juste équilibre convenant aux besoins des associations et à l'État.

Recommandation n°4 : mieux sensibiliser les bénévoles aux exigences réglementaires.

Recommandation n° 5 : mieux prendre en compte la spécificité de l'action bénévole de la part des autorités nationales.

Recommandation n° 6 : maintenir un niveau de financement public satisfaisant tout en encourageant la diversification des sources de financement des structures d'aide alimentaire.

Recommandation n° 7 : conforter le modèle associatif fondé sur le bénévolat et mieux agir sur le territoire.

Recommandation n° 8 : peser dans la négociation du FSE+ ; conserver une enveloppe similaire et obtenir une simplification de gestion.

Source : rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat, « Un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver » (octobre 2018)


* 21 Essentiellement les restos du Coeur.

* 22 Rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat, « Un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver » (octobre 2018).

* 23 La gratuité de la distribution des denrées est imposée par le règlement du FEAD, ce qui exclut les épiceries sociales, qui soutiennent les personnes en difficulté contre une participation financière symbolique.

* 24 1,7 millions d'euros sur la mission, et 0,5 millions d'euros sur le programme 177 de la mission « Cohésion des territoires ».

* 25 Rapport d'information de M. Fabien GAY, fait au nom de la commission des affaires économiques, « Affaire des « faux steaks hachés » : les défaillances de l'État doivent être corrigées », 24 juillet 2019.

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