C. HORS L'AUGMENTATION DES CRÉDITS AFFECTÉS À L'ACCESSIBILITÉ DES SERVICES PUBLICS, LES MOYENS DES DIFFÉRENTS DISPOSITIFS NON CONTRACTUELS DU PROGRAMME CONTINUENT LEUR BAISSE

1. Vers la disparition de la prime d'aménagement du territoire

La prime d'aménagement du territoire pour l'industrie et les services (PAT) est une aide directe à l'investissement des entreprises destinée à promouvoir l'implantation et le développement d'entreprises créatrices d'emplois et d'activités durables.

Le montant maximal de la prime est de 15 000 euros par emploi créé et maintenu , dans la limite des crédits disponibles et dans le respect des plafonds d'aide à l'investissement fixés par la réglementation européenne.

D'après les informations fournies à votre rapporteur spécial, en 2018, au total 22 projets ont reçu une prime d'aménagement du territoire (PAT), ce qui représente 14 millions d'euros, soit près de 2 800 emplois soutenus dont 2 000 créations d'emplois nouveaux et 637 millions d'euros réalisés en investissements . L'effet levier de la PAT en 2018 est estimé à 33 emplois par tranche de 100 000 euros engagés .

En revanche, les prévisions d'efficience de la PAT en 2020 ont été revues à la baisse, du fait du placement en redressement judiciaire de la société Saint Nazaire Aéroprod (objectif initial de 100 emplois) et surtout par la cession du site de production de l'entreprise Norske Skog (objectif initial de 390 emplois).

Ces évènements ponctuels ne doivent cependant pas conduire à remettre en cause le dispositif . La PAT a fait ses preuves et permet pour un coût relativement limité de maintenir des emplois tout en ciblant les espaces géographiques qui en ont le plus besoin . En effet, outre les emplois directement soutenus, les entreprises visées permettent également le maintien d'un grand nombre d'emplois indirects.

De plus, le budget de la PAT reste limité en comparaison des budgets des dispositifs similaires à l'étranger (jusqu'à 1,2 milliard d'euros pour le dispositif allemand similaire).

Évolution des crédits consacrés à la prime d'aménagement du territoire

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir du projet annuel de performances pour 2019 et des rapports annuels de performances des années précédentes)

En dépit du bilan positif de la PAT le présent projet de loi de finances prévoit de réduire encore de 4 millions d'euros les autorisations d'engagements au titre de la PAT. Cette nouvelle baisse revient à opérer une baisse de près de 70 % depuis 2017 .

La réduction des moyens de la PAT laisse peu de marges de manoeuvre pour mobiliser cet outil qui offre pourtant un soutien essentiel à l'investissement dans les territoires prioritaires.

Alors que dans ses réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial, le ministère de la cohésion des territoires indique que « la PAT constitue un outil solide et pertinent pour soutenir le développement économique des territoires fragiles », la baisse des autorisations d'engagement s'inscrit à rebours de ce constat .

Dès lors, votre rapporteur spécial vous propose d'adopter un amendement de crédit visant à restaurer des moyens d'actions pour la PAT . Il s'agit d'un amendement a minima , afin de sauver le dispositif de la disparition.

En application des règles de recevabilité des amendements applicables en vertu de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, votre rapporteur vous propose de compenser l'augmentation des crédits concernant sur cette action par une diminution des crédits de l'action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ».

En réalité, votre rapporteur considère que la PAT devrait être renforcée dans des proportions beaucoup plus importantes dans la mesure où elle constitue un outil à fort effet de levier en faveur de l'emploi dans l'ensemble des territoires.

2. Les maisons France service, un label pour répondre aux critiques ?

Dès le 1 er janvier prochain, les maisons de services au public (MSAP) sont appelées à évoluer, pour renforcer leur offre de service. Cette montée en gamme donne lieu à la délivrance d'un label, les maisons France service (MFS) . En effet, dans un discours du 25 avril dernier, le président de la République a affiché son projet de disposer, dans chaque canton d'ici la fin du quinquennat, d'une MFS (soit 2 000 MFS contre 1 344 MSAP actuellement) .

Le financement de chacune des MSAP pour 2019 a été arrêté à une base forfaitaire de 30 000 euros par maison existante, dont 50 % au titre du FNADT et 50 % au titre du fonds inter-opérateur (FIO). Pour les MSAP portées par le groupe La Poste, la somme forfaitaire portée par l'État et les collectivités territoriales est en revanche fixé à 26 000 euros, complétés par 4 000 euros du FIO.

Abondement du fonds inter-opérateur destiné
à financer la dotation forfaitaire des MSAP

(au 1 er janvier 2019)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial

La montée en gamme des MSAP souhaitée par le président de la République à compter du 1 er janvier 2020 doit permettre de répondre en partie aux réserves formulées par la Cour des comptes dans son rapport de mars dernier 4 ( * ) .

La Cour a en effet indiqué que d'importantes marges d'amélioration étaient possibles. L'offre de service des MSAP est jugée trop hétérogène et insuffisamment connue. Elle dresse également un bilan sévère des services rendus dans les maisons portées par le groupe La Poste.

Le rapport de la Cour des comptes sur l'accessibilité
des services publics dans les territoires ruraux

Pour la Cour, « la qualité de l'offre de services au sein des MSAP est tout aussi hétérogène que l'offre elle-même. Pour la CAF, après deux années de fonctionnement, les remontées d'information de son réseau indiquent que nombre de MSAP ne sont pas en mesure d'accomplir les missions définies dans le cahier des charges. De la même manière, les remontées d'information des agences de Pôle emploi font apparaître l'hétérogénéité des services proposés par les MSAP selon le type d'acteurs qui les portent. Afin de garantir une certaine qualité de l'accompagnement des usagers, les formations des agents des MSAP assurées au plan local par les opérateurs sont cruciales . »

[...]

« Au-delà de leur fréquentation bien moindre, les MSAP portées par La Poste concentrent les critiques les plus nettes. En dépit du maillage territorial de l'opérateur et de sa relation de proximité avec les usagers, la qualité du service rendu n'est pas à la hauteur des attentes. La conciliation de l'activité commerciale des agents de La Poste avec l'offre de prestations au titre des MSAP apparaît difficile »

[...]

« Il est inhérent au modèle de MSAP de pouvoir offrir un accompagnement de qualité des usagers, ce qui impose une certaine polyvalence. C'est pourquoi, la professionnalisation des MSAP doit être renforcée et un métier d'agent polyvalent d'accompagnement du public créé. La formation continue de ces agents devrait devenir obligatoire. »

Les recommandations de la Cour pour développer la qualité et l'attractivité des offres mutualisées de services publics des MSAP sont les suivantes :

- revoir les modalités de financement des MSAP en intégrant une contractualisation pluriannuelle et en augmentant le nombre de partenaires ;

- conditionner la création de nouvelles MSAP de La Poste, d'une part, à un enrichissement et à un élargissement préalable des prestations et, d'autre part, à une évaluation du besoin au regard du maillage préconisé dans chaque SDAASP ;

- créer le métier d'agent polyvalent d'accompagnement du public avec une obligation de formation continue pour ces agents, en particulier pour l'aide numérique au public.

Source : Cour des comptes, L'accès aux services publics dans les territoires ruraux, mars 2019

La labellisation maison France service doit donc répondre à ces critiques . Le Gouvernement fixe trois objectifs :

- améliorer l'accessibilité aux services publics en faisant croître le réseau des MSAP et en mettant en place de services itinérants, les bus France services ;

- simplifier les démarches des usagers en regroupant effectivement dans un même lieu les différents services, sans avoir à rediriger les usagers vers d'autres services ;

- renforcer substantiellement la qualité du service rendu et offrir un panier de services homogène entre les différentes maisons.

Conformément à la Charte France services, chaque structure devra installer un accès libre et gratuit à un point numérique ou à tout outil informatique permettant de réaliser des démarches administratives dématérialisées .

Afin d'éviter que le rôle des MFS ne se limite à la réorientation des usagers et à la prise de rendez-vous, il est prévu que les opérateurs et administrations disposent de référents locaux, qui tiendront lieu de « back office » facilement joignables par téléphone par les agents locaux, ou même par visio-conférence directement par les usagers.

Votre rapporteur spécial s'interroge sur les coûts supplémentaires qui pourraient être engendrés par ces nouveaux objectifs fixés aux MFS. En effet, la mise en place d'un tel service téléphonique ou de visio-conférence suppose des mutations dans l'organisation des services et l'affectation d'un certain nombre d'agents à cette tâche.

De plus, la confidentialité des échanges supposera l'aménagement d'espaces dédiés au sein des MFS pour échanger par téléphone ou par visio-conférence avec les conseillers.

Sans modification de l'enveloppe forfaitaire dédiée à chaque maison, la montée en gamme des services rendus n'est pas couverte financièrement par l'État.

Votre rapporteur spécial s'inquiète donc de ne pas voir de financement complémentaire en prévision de la labellisation des maisons .

Les préfets ont été mobilisés pour procéder à des contrôles de la qualité des services rendus dans les MSAP, ce à partir du 26 septembre dernier et jusqu'à la fin du mois d'octobre . Ils ont pour l'instant labelisé 460 maisons .

Pour autant, les financements ne semblent pas au rendez-vous, les nouveaux moyens affectés au renforcement des MSAP restant relativement limités au regard des objectifs affichés. En effet, les AE prévues pour 2020 sont au même niveau que celles prévues pour 2017 et 2018 et légèrement supérieures à 2019 (+ 2,8 millions d'euros).

3. Les zones de revitalisation rurale, outil indispensable à l'économie des territoires ruraux, sont menacées

Créées en 1995, les zones de revitalisation rurale (ZRR) ont pour objectif de compenser le différentiel d'attractivité que subissent les territoires ruraux . Ce dispositif « vise à compenser les handicaps territoriaux [et] fixe des dispositions dérogatoires modulant les charges imposées à chacun » 5 ( * ) .

Les ZRR permettent d'adapter le niveau de la fiscalité pour favoriser le développement de territoires moins bien dotés en services, tant publics que privés et dont la faible densité de population a des conséquences importantes sur le niveau d'activité . Comparée aux territoires les plus densément peuplés, l'attractivité des territoires ruraux est en effet limitée.

Votre rapporteur spécial considère que ce constat justifie le recours à une logique de traitement différencié : il est indispensable de conforter les choix de l'implantation en milieu rural en offrant des avantages spécifiques visant à compenser les difficultés inhérentes à la création et au développement de leurs activités.

De plus, il est nécessaire d'aider directement au maintien et au développement d'activités dans les territoires les plus fragiles en offrant notamment des exonérations fiscales à destination des entreprises.

Ces exonérations permettent, comme le soulignaient déjà les députés Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier dans leur rapport de 2014, « de sécuriser les projets en phase de démarrage en leur donnant une meilleure lisibilité financière et de pérenniser les activités en accompagnant dans la durée les petites entreprises » 6 ( * ) .

Ainsi, votre rapporteur spécial a mené un travail de contrôle sur l'avenir des ZRR 7 ( * ) avec nos collègues sénateurs Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau. À l'issue de ce travail, les trois co-rapporteurs ont dressé plusieurs constats et appelé à des mesures d'urgence pour sauver les ZRR et en améliorer l'efficience.

Votre rapporteur spécial considère en effet qu'il est indispensable de voter dès la loi de finances pour 2020 la prorogation de l'ensemble des mesures en vigueur dans les ZRR pour l'ensemble des communes bénéficiant actuellement du dispositif, et ce jusqu'au 31 décembre 2021 . Cette période transitoire permettra de définir des critères plus adaptés pour tenir compte des fragilités des territoires et d'améliorer le ciblage ainsi que l'efficience des dispositifs associés au zonage.

D'ici au 31 décembre 2021, votre rapporteur spécial s'engage à participer à une réflexion sur la réforme des ZRR à partir des leviers qu'il a pu identifier avec ses co-rapporteurs.

Des simulations ultérieures, réalisées dans le cadre d'une étude, permettront de chiffrer les mesures proposées par votre rapporteur spécial et ses co-rapporteurs afin de définir les seuils les plus adaptés aux besoins des territoires ruraux.

Cette réforme devra définir des critères de classement permettant des zonages plus justes et différenciés en fonction du degré de fragilité des territoires ruraux et de proportionner les dispositifs de soutien au niveau de fragilité des territoires, à travers des bouquets d'aides renforcés , ainsi qu'un meilleur accompagnement des acteurs concernés par les ZRR dans le cadre d'une clarification de la gestion du dispositif.

Les propositions du rapport
Sauver les zones de revitalisation rurale (ZRR),
un enjeu pour 2020

Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau

Dès l'examen de la loi de finances pour 2020, proroger jusqu'au 31 décembre 2021 la totalité des mesures en vigueur dans les ZRR pour l'ensemble des communes actuellement incluses dans le zonage. Cette période transitoire doit permettre de définir des critères plus adaptés pour tenir compte des fragilités des territoires et d'améliorer le ciblage et l'efficience des dispositifs associés au classement en ZRR.

Proposition n° 1 : maintenir l'ensemble des communes sortantes au 1 er juillet 2020 pour une période transitoire allant jusqu'au 31 décembre 2021 et réévaluer, au plus vite et au cas par cas, la situation de ces communes au regard des modifications des périmètres intercommunaux intervenues depuis le 1 er juillet 2017.

Proposition n° 2 : maintenir à droit constant l'ensemble des dispositifs en vigueur dans les ZRR, en particulier les exonérations fiscales, jusqu'au 31 décembre 2021.

D'ici au 31 décembre 2021, préparer une réforme des ZRR à partir des leviers identifiés par les rapporteurs. Des simulations ultérieures, réalisées dans le cadre d'une étude, permettront de chiffrer les mesures proposées par les rapporteurs et de définir les seuils les plus adaptés aux besoins des territoires ruraux.

Proposition n° 3 : mieux prendre en compte les fragilités et la diversité des territoires dans les grands ensembles intercommunaux, en affinant les critères de classement par secteurs géographiques au sein des intercommunalités.

Proposition n° 4 : revoir les critères de classement en ZRR pour définir trois niveaux de zonage (ZRR1/ZRR2/ZRR3) avec un critère principal de densité démographique et cinq critères secondaires. Des simulations ultérieures, réalisées dans le cadre d'une étude, permettront de définir les seuils les plus adaptés pour ces différents critères :

1. densité démographique ;

2. déclin démographique sur plusieurs années ;

3. revenu par habitant ;

4. dévitalisation constatée par l'évolution des services publics ou privés : nombre d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs et de professionnels de santé ;

5. âge moyen de la population ;

6. nombre de logements vacants et de bâtiments d'exploitation vacants ou abandonnés.

En fonction du nombre de critères remplis, un indice de fragilité permettra de classer le territoire concerné en ZRR 1, 2 ou 3 et de bénéficier des mesures associées à chaque niveau de zonage.

Proposition n° 5 : mettre en place un panel de mesures dont l'ampleur serait adaptée à chaque niveau de zonage. Des moyens renforcés devront être consacrés aux territoires les plus fragiles sur la base des différents leviers identifiés par les rapporteurs :

1. des exonérations fiscales facilitant l'installation, la reprise et le maintien de l'ensemble des secteurs d'activité ;

2. des exonérations de cotisations patronales mieux ciblées sur les niveaux de revenus appropriés et la suppression de la condition d'augmentation nette d'effectif afin d'étendre le dispositif à toute nouvelle embauche ;

3. la création d'un fonds spécifique aux ZRR accordant des aides directes aux entreprises localisées dans les territoires les plus fragiles ;

4. une bonification de la dotation globale de fonctionnement, en particulier de la dotation de solidarité rurale, et une majoration des dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales proportionnées à la fragilité des territoires concernés.

Proposition n° 6 : clarifier la gouvernance de la politique de l'État en matière de ZRR, en confiant à la future ANCT un rôle d'animation territoriale, et créer une section dédiée au suivi des ZRR au sein de l'Observatoire des territoires.

Source : rapport d'information n° 41 (2019-2020), Sauver les zones de revitalisation rurale (ZRR), un enjeu pour 2020 de Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau

Alors que la version initiale du projet de loi de finances pour 2020 ne prévoyait aucune prorogation des communes sortantes du classement ZRR, les députés ont pris en compte les recommandations du rapport en introduisant par amendement, avec avis favorable du Gouvernement, une mesure visant à proroger les communes sortantes au 31 juillet prochain jusqu'au 31 décembre 2020.

Cependant, comme cela est indiqué dans le rapport, ce délai ne permettra pas de faire émerger une réforme ambitieuse du zonage . De plus, les acteurs ont besoins de visibilité et l'arrivée à échéance au 1 er janvier 2020 de l'ensemble des mesures d'exonérations fiscales envoie un signal très négatif.

Dès lors, votre rapporteur spécial envisage de déposer un amendement sur ce sujet lors de l'examen en séance des articles non rattachés de la deuxième partie du PLF.


* 4 Cour des comptes, L'accès aux services publics dans les territoires ruraux, mars 2019.

* 5 Loi n°95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire .

* 6 Rapport d'information précité.

* 7 Sauver les zones de revitalisation rurale (ZRR), un enjeu pour 2020, rapport d'information de Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau, 9 octobre 2019 .

Page mise à jour le

Partager cette page