B. LE PRIX DES DENRÉES ALIMENTAIRES

L'article 2 du projet de loi prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour prolonger, initialement jusqu'à 30 mois, la durée d'application de « tout ou partie » des dispositions de l'ordonnance du 12 décembre 2018 135 ( * ) .

Prise sur le fondement de l'article 15 de la loi dite « Égalim » du 30 octobre 2018 136 ( * ) , cette ordonnance prévoit :

- le relèvement de 10 % du prix d'achat effectif des denrées alimentaires et des produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie (article 2) ;

- l'encadrement des avantages promotionnels qui ne doivent pas être supérieurs (article 3) :

§ à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente ;

§ à 25 % du chiffre d'affaires prévisionnel, du volume prévisionnel et des engagements de volume.

L'application de ces dispositions a d'emblée été limitée à deux ans : jusqu'au 1 er février 2021 pour la revalorisation du SRP 137 ( * ) , au 1 er janvier 2021 pour l'encadrement des promotions en valeur et au 1 er mars 2021 pour la majorité des contrats concernés par l'encadrement des promotions en volume (articles 1 er et 7).

Par ailleurs, l'ordonnance a prévu que le Gouvernement remette un rapport d'évaluation avant le 1 er octobre 2020 (article 4).

L'habilitation demandée permettrait, dans le même temps, au Gouvernement :

- de renforcer le contrôle du respect des dispositions de cette ordonnance ;

- de modifier certaines dispositions de cette ordonnance portant sur les avantages promotionnels « dans l'objectif de faciliter la commercialisation de certains produits, d'établir des conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs et de meilleur équilibre dans les filières alimentaires » .

Par un amendement adopté en séance publique à l'initiative Guillaume Kasbarian, rapporteur de l'Assemblée nationale, le délai laissé au Gouvernement a été abaissé de 30 à 18 mois .

Les éléments indiqués dans l'étude d'impact sont trop parcellaires pour permettre d'apprécier la finalité de l'ordonnance . Le Gouvernement se contente en effet d'un renvoi à une « analyse précise » dans le cadre de la fiche d'impact devant accompagner l'ordonnance à venir.

À la lumière de l'étude d'impact, on comprend néanmoins qu'il entend prolonger tout à la fois le relèvement du SRP et l'encadrement des promotions. Pour cette seconde disposition, cependant, il indique que « le périmètre de cet encadrement devra [...] être rééxaminé » pour répondre aux difficultés rencontrées par certaines entreprises du fait du plafonnement des promotions sous forme d'annonces de réduction de prix.

En tout état de cause, l'habilitation proposée par le Gouvernement soulève une difficulté de principe.

Au mois de mars dernier, le Sénat s'est déjà prononcé, par la négative, sur l'opportunité d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur un éventuel prolongement des dispositions précitées. Le contexte de crise sanitaire ne justifie pas de revenir sur cette position, a fortiori par le biais d'un autre texte, alors que l'examen du projet de loi ASAP n'est pas encore achevé.

Sur le fond, l'habilitation présentée par le Gouvernement pose également plusieurs difficultés .

Tout d'abord, le Gouvernement demande au Parlement une autorisation à légiférer par ordonnance alors même que l'expérimentation n'est pas terminée - puisqu'elle s'achèvera en février 2021 pour le relèvement du SRP et en mars de la même année pour l'encadrement des promotions - et n'a pas même été évaluée - le rapport d'évaluation devant être remis au Parlement en octobre prochain.

Cette situation est surprenante puisque le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, avait exclu, lors de l'examen en séance publique le 14 janvier dernier d'une proposition de loi modifiant la loi dite « Égalim » 138 ( * ) , de légiférer sur le sujet en ces termes : « Le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport d'évaluation au plus tard le 1 er octobre 2020. C'est pourquoi il nous paraît préférable, plutôt que de modifier la loi dès maintenant et par petits bouts, d'attendre l'automne prochain. À la suite du bilan que nous ferons, nous saurons précisément s'il faut revoir la loi et penser différemment la construction des prix agricoles. »

Plus encore, l'habilitation à légiférer par ordonnance est encore moins satisfaisante que celle initialement proposée dans le cadre du projet de loi ASAP, dans la mesure où l'habilitation actuelle prévoit de « modifier » certaines dispositions de l'ordonnance alors que la précédente prévoyait de les « aménager » plus substantiellement.

Enfin, l'habilitation envisagée par le Gouvernement soulève un problème de forme .

Entre le texte initial du projet de loi ASAP, un amendement déposé par le Gouvernement au cours de l'examen de ce texte et le présent projet de loi, ce sont pas moins de trois versions différentes d'un même dispositif qui se sont succédé devant la représentation nationale en quelques mois. Cela n'est pas admissible au regard des impératifs de clarté des débats et de stabilité des normes.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a décidé de supprimer l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance (amendements COM-29 de Daniel Gremillet et COM-26 de Franck Montaugé) .

Parallèlement, elle a adopté deux amendements des mêmes auteurs, tendant à porter directement dans la loi des aménagements au régime prévu par l'ordonnance du 12 décembre 2018 139 ( * ) .

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .


* 135 Ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 136 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 137 Décret n° 2018-1304 du 28 décembre 2018 fixant l'entrée en vigueur de l'article 2 de l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 138 Proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues.

* 139 Voir le commentaire de l'article 2 bis A pour plus de précisions.

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