B. UNE PROPOSITION DE LOI BIENVENUE SUR UN SUJET TROP LONGTEMPS MÉCONNU

Dans ce contexte, la présente proposition de loi, présentée le 17 décembre 2019 par Bruno Studer, Président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation et adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 12 février 2020, propose de traiter la question particulière de l'exploitation de l'image des mineurs sur Internet.

1. Des « chaînes » profitables

Depuis plusieurs années, des « chaînes » mettant en scène des enfants se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne 4 ( * ) . Certaines disposent en France d'une audience importante, pouvant atteindre plusieurs millions d'abonnés et totaliser des dizaines de millions de vues. Les vidéos, présentées sous format « amateur », présentent généralement les enfants au travers de plusieurs types d'activités, qu'il s'agisse de déballer une multitude de jouets, de dévoiler des scènes de leur vie quotidienne ou encore de relever divers défis. Elles sont souvent réalisées et partagées par des membres de la famille et peuvent représenter une source de revenus importantes pour les vidéastes 5 ( * ) , grâce à la publicité, à des contrats passés à des fins de placement de produits et, éventuellement, à la vente de produits dérivés.

2. Des interrogations éthiques nombreuses : l'exposition précoce constitue-t-elle une menace pour les mineurs ?

Ces nouvelles pratiques, qui rencontrent un succès croissant en France comme à l'étranger, soulèvent toutefois des interrogations quant aux intérêts des enfants qu'elles mettent en scène.

En premier lieu, le rythme de publication des contenus, à raison de plusieurs vidéos par semaine sur certaines chaînes, suppose pour les enfants d'y consacrer un temps important, notamment en raison des prises de vues susceptibles d'être répétées. Or, contrairement aux « enfants du spectacle », leurs heures de tournage ne sont pas encadrées par le droit du travail et sont donc susceptibles de nuire à leur équilibre et à leur épanouissement dans d'autres activités.

Ensuite, au-delà de la question du contenu des vidéos, qui peut parfois se révéler dégradant ou humiliant pour les enfants 6 ( * ) , il manque encore le recul nécessaire pour mesurer les effets psychologiques à long terme de cette exposition médiatique précoce, parfois comparable à celle des enfants stars du cinéma. Les commentaires haineux et les « dislikes » sur les contenus de ces chaînes peuvent, en tout état de cause, se révéler difficiles à gérer pour de jeunes enfants. De même, une potentielle augmentation des risques de cyberharcèlement, voire de pédopornographie, ne peut être exclue.

Enfin, sur le plan financier, les revenus générés sont directement perçus par les créateurs de ces chaînes - le plus souvent les parents - les enfants ne bénéficiant pas des dispositions protectrices du code du travail applicables aux enfants du spectacle, dont les rémunérations sont versées, jusqu'à leur majorité, sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations. Il n'existe pas de statut spécifique pour les créateurs de « chaînes », qui peuvent être de simples particuliers, ou bien créer une micro société, voire, pour certains, plusieurs sociétés pour gérer le site et les revenus générés.

3. Une éducation aux usages et aux risques du numérique plus que jamais à parfaire pour tous

Ce phénomène s'inscrit dans le cadre, plus large, du manque d'éducation numérique auquel est confrontée notre société. La commission a déjà eu l'occasion de souligner par le passé la nécessité et l'urgence de former l'ensemble des citoyens aux enjeux du numérique. En particulier, dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi et de ses nombreux enjeux, l'inconscience ou l'ignorance de certains parents quant aux conséquences et aux risques d'une exposition non raisonnée de l'image de leur enfant sur Internet ne peut qu'être relevée .

Les dangers liés à une pratique non maitrisée du numérique pour le développement des enfants sont désormais établis. Dans un rapport de la commission de la culture « Prendre en main notre destin numérique : l'urgence de la formation 7 ( * ) », Catherine Morin-Desailly notait ainsi : « Il est donc plus que jamais urgent d'éduquer l'ensemble des citoyens aux enjeux du numérique, à la fois pour assurer leur insertion professionnelle durable dans un monde en pleine mutation, mais également pour leur permettre d'avoir un regard distancié et critique sur les nouvelles technologies et leur impact sur notre société . [...] Si la formation initiale doit faire l'objet d'un effort particulier dans la mesure où elle concerne les futures générations, aucune catégorie de population ne doit être laissée de côté et tous les outils à la disposition des pouvoirs publics - formation tout au long de la vie, éducation populaire, etc. doivent être mobilisés . »


* 4 La plus connue d'entre elles étant YouTube.

* 5 Le chiffre de 150 000 euros par mois a ainsi pu être évoqué pour les chaînes les plus importantes devant votre rapporteur, sans qu'il soit possible de le confirmer.

* 6 On peut penser, à titre d'exemple, au « cheese challenge », consistant à lancer des tranches de fromage au visage d'un enfant généralement en bas âge et à filmer sa réaction.

* 7 https://www.senat.fr/rap/r17-607/r17-607.html

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