Rapport n° 659 (2019-2020) de M. Jean-Marie VANLERENBERGHE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 21 juillet 2020

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N° 659

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juillet 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi organique ,
adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la dette sociale
et à l' autonomie et sur le projet de loi ,
adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
relatif à la
dette sociale et à l' autonomie ,

Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, M. Xavier Iacovelli, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

Voir les numéros :

Première lecture : 3018 , 3019 , 3066 , 3067 , T.A. 439 et 440

Commission mixte paritaire : 3188 et 3189

Nouvelle lecture : 3179 , 3180 , 3200 , 3201 , T.A. 464 et 465

Première lecture : 517 , 518 , 551 , 556 , 557 , 558 , T.A. 115 et 116 (2019-2020)

Commission mixte paritaire : 610, 611 et 612 (2019-2020)

Nouvelle lecture : 655 , 656 et 660 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Les commissions mixtes paritaires réunies le 8 juillet 2020 à l'Assemblée nationale ont constaté qu'elles ne pouvaient parvenir à établir de textes communs sur ces deux projets qui doivent donc examinés en nouvelle lecture .

Réunie le mardi 21 juillet 2020 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, les projets de loi organique (n° 655, 2019-2020) et ordinaire (n° 656, 2019-2020) relatifs à la dette sociale et à l'autonomie.

La commission a adopté pour ces deux textes une motion tendant à opposer la question préalable.

I. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE TRANSFERTS DE DETTE SOCIALE À LA CADES ET L'INSERTION D'UN VOLET RELATIF À L'AUTONOMIE

A. L'EXPLOSION DE LA DETTE SOCIALE NE REND PLUS RÉALISTE SON APUREMENT D'ICI À 2024

1. Une trésorerie de la sécurité sociale fortement tendue par la crise économique

Le dépôt, en procédure accélérée, du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la dette sociale et à l'autonomie répondait, en premier lieu, à des besoins de trésorerie de court terme : la nécessité, du fait de l'ampleur des conséquences financières de la crise du covid-19, de transférer à brève échéance une partie des déficits de la sécurité sociale accumulés au sein de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

En effet, l'Acoss est chargée d'assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches de la sécurité sociale et ne peut contracter d'emprunts d'une durée supérieure à douze mois.

Or la crise du covid-19 s'est traduite par un effondrement du montant des recettes de la sécurité sociale à partir de mars 2020 , sous le double effet de l'érosion des assiettes (en particulier, de la masse salariale soumise à cotisations) et des possibilités de reports consenties aux employeurs pendant la crise, pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans.

Liquidation et encaissement des cotisations
et contributions sociales de janvier à mai 2020

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres de l'ACOSS

En conséquence, des décrets ont porté l'autorisation de découvert de l'Acoss à 70, puis 95 milliards d'euros , au lieu du montant de 39 milliards d'euros voté en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Malgré cette autorisation, une telle situation serait difficilement gérable par l'agence.

Il était donc nécessaire d'apporter une réponse à cette forte tension sur la trésorerie de l'Acoss au travers de nouveaux transferts de dette sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

La Cades et l'objectif d'extinction de la dette sociale

L'objectif d'extinction de la dette de la sécurité sociale, poursuivi depuis 1996, repose sur une idée simple : il revient à chaque génération de financer ses dépenses de protection sociale sans en transmettre le coût aux générations suivantes. L'amortissement de cette dette, en intérêts et en capital, a donc été l'objectif assigné à la Cades dès sa création.

La caisse s'est acquittée de sa mission au moyen d'une recette spécifique, la CRDS , à laquelle ont été adjointes au fil du temps une fraction de 0,6 point de CSG et un versement annuel du Fonds de réserve des retraites (FRR). Le montant de l'ensemble des ressources ainsi mobilisées pour l'amortissement de la dette sociale s'est élevé à 18,6 milliards d'euros en 2019.

2. Des transferts d'un montant total de 136 milliards d'euros et une prolongation de la Cades jusqu'en 2033

Les deux projets de loi proposent donc de transférer à la Cades de nouvelles dettes d'un montant maximal de 136 milliards d'euros (soit plus de la moitié des dettes jusqu'alors confiées à la caisse depuis sa création) :

- 31 milliards pour la reprise de déficits passés ;

- 92 milliards à titre provisionnel pour couvrir les déficits des années 2020 à 2023, du fait de la crise actuelle ;

- et 13 milliards ne correspondant à aucun déficit mais à la prise en charge du coût d'un tiers de la dette des hôpitaux.

Ces transferts nécessitent de prolonger une nouvelle fois la date limite de l'amortissement de la dette sociale, dont l'extinction était jusqu'alors prévue en 2024. L'article 1 er du projet organique décale cette date au 31 décembre 2033 . Comme en 1996, le nouvel horizon d'amortissement est donc de treize ans.

Transferts à la Cades et durées successives votées par le Parlement
pour l'amortissement de la dette sociale

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres de la Cades

B. L'INTRODUCTION SURPRISE DE LA CRÉATION D'UNE BRANCHE « AUTONOMIE » PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. Des moyens publics éclatés

Le financement de la dépendance est éclaté et dépend de plusieurs types d'acteurs :

- l'État , sur qui repose notamment la charge de différents crédits d'impôts et la prise en charge de prestations telles que l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ;

- la sécurité sociale, essentiellement au travers de l'assurance maladie , à la fois au travers du financement direct des soins stricto sensu, et au travers du versement de deux contributions à la CNSA (l'une au titre des établissements et services pour personnes âgées et l'autre au titre des établissements et services pour personnes handicapées) ;

- la CNSA , attributaire de ressources fiscales propres ;

- les conseils départementaux , qui assurent le cofinancement des dépenses de dépendance sur le terrain avec les crédits de la CNSA répartis sur le territoire par les agences régionales de santé (ARS). Il incombe également aux départements de financer certaines prestations comme l'aide sociale à l'hébergement (ASH) pour les personnes les plus précaires accueillies en établissements ;

- les personnes elles-mêmes ou via leurs organismes complémentaires, au travers du « reste à charge ».

Le rapport de la concertation « grand âge et autonomie » rédigé par Dominique Libault a résumé dans le schéma suivant la répartition des charges en matière de dépendance à partir des données de la DREES pour l'année 2014.

Répartition des dépenses en matière de dépendance

Source : Rapport sur la concertation grand âge et dépendance

Les usagers se trouvent donc face à une multiplicité de guichets, source de complexité.

2. Un besoin de ressources supplémentaires de plus de 10 milliards d'euros en 2030

Le rapport « Libault » a permis de donner une certaine visibilité financière sur les besoins de financement à assurer au cours des prochaines années, tant pour ce qui concerne l'évolution due à l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes et les dépenses nécessaires pour améliorer la qualité du service rendu.

S'agissant du simple facteur démographique , le rapport estime ainsi que, par rapport à l'année 2018, la hausse des dépenses devrait s'élever à 2,1 milliards d'euros en 2024 (1,6 milliard pour les soins à domicile et 0,5 milliard pour la demande en établissement) et à 4,3 milliards d'euros en 2030 (3,3 milliards d'euros pour les soins à domicile et 1 milliard en établissement).

S'agissant de l'amélioration du service rendu, dont l'opportunité politique sera à apprécier dans un autre cadre que le présent rapport, le rapport « Libault » a identifié un besoin de financement supplémentaire, toujours par rapport à 2018, de 4,8 milliards d'euros d'ici à 2024 et de 6,1 milliards d'euros à l'horizon 2030.

Globalement , le besoin de financement supplémentaire à assurer par rapport à 2018, devrait donc s'élever à 6,9 milliards d'euros en 2024 et 10,4 milliards d'euros en 2030 .

L'enjeu du financement apparaît donc très lourd pour les prochaines années.

3. La demande d'un rapport dont le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale anticipe les conclusions

Face à ces enjeux, les deux projets de loi proposaient, dans leur version initiale :

- de flécher vers la perte d'autonomie, à partir de 2024, une part de CSG de 2,3 milliards d'euros actuellement consacrée au remboursement de la dette sociale ;

- de mieux identifier les dépenses consacrées à l'autonomie dans les lois de financement de sécurité sociale ;

- de transmettre au Parlement avant fin septembre un rapport étudiant l'opportunité de créer un nouveau risque et, éventuellement, une nouvelle branche de la sécurité sociale.

Risque et branche

En matière de sécurité sociale, la notion de risque, se définit comme tout type d'événement susceptible de réduire le revenu des travailleurs et justifiant l'affiliation à un ou plusieurs régimes. Le code de la sécurité sociale identifie aujourd'hui pas moins de neuf hypothèses d'affiliation : maladie, invalidité, maternité, paternité, vieillesse, veuvage, décès, accidents du travail, maladies professionnelles.

La notion de branche apparaît également du code de la sécurité sociale à l'article L. 200-2, qui en dénombre en effet quatre : « 1° maladie, maternité, invalidité et décès ; 2° accidents du travail et maladies professionnelles ; 3° vieillesse et veuvage ; 4° famille » .

La notion de branche est devenue essentiellement financière, chaque branche devant se maintenir à l'équilibre. Les LFSS fixent ainsi, par branche, les objectifs de dépense de l'ensemble des régimes obligatoires de base. Elle répond également à une logique d'organisation autour d'une caisse centrale (CNAM, CNAV, CNAF) et d'un réseau territorial.

Les députés ont conservé le schéma proposé par les textes initiaux, mais ont anticipé les conclusions du rapport en inscrivant dès à présent dans le projet de loi la création d'un nouveau risque et d'une nouvelle branche « Autonomie » de la sécurité sociale , gérée par la CNSA.

II. EN PREMIÈRE LECTURE, UN ACCORD DES DEUX ASSEMBLÉES SUR LE VOLET « AUTONOMIE » MAIS D'IMPORTANTES DIFFÉRENCES SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA DETTE SOCIALE

A. AUTONOMIE : L'APPROBATION DU DISPOSITIF VOTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE SOUS RÉSERVE DE CERTAINES AMÉLIORATIONS

En matière d'autonomie, le Sénat a conservé le schéma adopté par l'Assemblée nationale.

Considérant néanmoins que les principales mesures, en termes d'organisation et de financement, seront à définir lors de l'examen du prochain PLFSS sur la base des analyses du rapport que Gouvernement doit remettre au Parlement, il a, au stade la commission, adopté un amendement de M. Dominique Théophile, sous-amendé par M. Philippe Mouiller, afin d'assurer que les différents acteurs du grand âge et du handicap, les collectivités territoriales et les aidants seront pleinement associés à l'élaboration de ce rapport.

B. LES GARDE-FOUS DU SÉNAT POUR ENCADRER LES NOUVEAUX TRANSFERTS DE DETTE SOCIALE

En première lecture, le Sénat a confirmé la position de sa commission des affaires sociales. Il a ainsi accepté le principe d'un transfert à la Cades des déficits passés et à venir de la sécurité sociale et, en conséquence la prolongation de la Cades jusqu'au 31 décembre 2033. Il a toutefois introduit deux dispositions importantes pour encadrer la dette sociale .

1. Le refus de la prise en charge par la Cades d'une partie de la dette des hôpitaux qui devrait être assumée par l'État

Tout d'abord, sur proposition du rapporteur général, la commission a adopté un amendement qui supprime le transfert à la Cades de 13 milliards d'euros au titre de la prise en charge d'un tiers de la dette des hôpitaux . En effet, cette dette est constituée principalement d'investissements immobiliers lancés à l'initiative de l'État. C'est donc à l'État et non à la sécurité sociale qu'il revient d'assumer le coût de l'engagement pris par le Gouvernement à l'automne dernier dans le cadre de son « plan hôpital ». De plus, un tel précédent porte le risque que la dette sociale ne s'éteigne jamais si, à l'avenir, le Parlement acceptait le transfert à la Cades de n'importe quel type de dette.

Par ailleurs, l'utilisation de la Cades dans ce montage complexe ne présente aucune valeur ajoutée particulière en termes d'amortissement : la caisse ne faisant qu'octroyer aux hôpitaux concernés via l'assurance maladie les sommes nécessaires à l'apurement de leur dette, en intérêts et en capital, le transfert de cette mission à l'État aboutirait au même résultat.

Enfin, une telle opération pourrait contrevenir au principe d'équilibre financier de la sécurité sociale , dont le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle 1 ( * ) . En effet, le fléchage d'une fraction de CSG, ressource fiscale de la sécurité sociale, vers le financement de la dette de personnes morales n'appartenant pas à la sécurité sociale, dégradera nécessairement, à terme, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

2. La mise en place d'une « règle d'or » à partir de la LFSS 2025 pour tarir enfin le flux des déficits qui alimentent la dette sociale

La commission a également adopté un amendement du rapporteur inscrivant dans la loi organique une « règle d'or » qui encadrera les futures lois de financement de la sécurité sociale afin de cesser d'alimenter constamment la Cades par de nouveaux déficits .

Ainsi, à l'issue de la crise, à partir du PLFSS pour 2025, chacune de ces lois devra assurer un équilibre des comptes de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse sur cinq ans - délai pouvant être porté à dix ans en cas de « circonstances exceptionnelles » telles que la crise du covid-19. Le Haut Conseil des finances publiques et le Conseil constitutionnel devront assurer la sincérité de la trajectoire figurant dans le texte.

III. UNE CONVERGENCE IMPOSSIBLE APRÈS LA RÉAFFIRMATION DE SES POSITIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE

Après l'échec des commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte commun sur les dispositions des deux projets de loi restant en discussion, l'Assemblée nationale a, en nouvelle lecture :

- d'une part, rétabli , à l'article 1 er du projet de loi « ordinaire », la prise en charge par la Cades du remboursement d'un tiers de la dette hospitalière ;

- d'autre part, supprimé l'article 1 er bis du projet de loi organique , introduit par le Sénat, qui portait les dispositions relative à la « règle d'or » sur les comptes de la sécurité sociale.

Dans ces conditions, la commission des affaires sociales n'a pu que constater l'impossibilité de rapprocher les divergences entre les deux assemblées dans la suite de la navette, pour chacun des deux projets de loi .

C'est pourquoi, sur la proposition du rapporteur général, elle a adopté, pour chaque texte, une motion tendant à opposer la question préalable .

EXAMEN EN COMMISSION

___________

M. Alain Milon , président . - Nous examinons ce matin, en nouvelle lecture, les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie, sur le rapport de notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Les commissions mixtes paritaires (CMP) se sont conclues par un échec. La navette poursuit donc son cours sur ces deux textes, avec une nouvelle lecture dans chaque assemblée.

Sans surprise, l'Assemblée nationale a rétabli en nouvelle lecture sa version sur les deux points majeurs de divergence qui ont conduit à l'échec des CMP.

Ainsi, à l'article 1 er du projet de loi ordinaire, l'Assemblée nationale a réintroduit la prise en charge par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) d'une fraction de la dette des hôpitaux, représentant 13 milliards d'euros. Nous nous étions opposés à ce dispositif pour des raisons de fond : les hôpitaux ne sont pas la propriété de l'assurance maladie, qui n'assure pas davantage la gestion de ces établissements. En outre, l'essentiel de la dette hospitalière provient d'investissements immobiliers, lancés notamment dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, à l'initiative de l'État. Une telle situation créerait enfin un précédent dangereux, qui pourrait être utilisé à l'avenir pour transférer n'importe quoi à la Cades, ce qui n'a pas échappé au ministère des comptes publics à en croire certains articles de presse. Il pourrait d'ailleurs être utile que le Conseil constitutionnel précise si un tel transfert de dette d'une personne autre que la sécurité sociale est bien compatible avec le principe constitutionnel d'équilibre financier de la sécurité sociale. Nous avons donc considéré que c'était à l'État d'assumer lui-même le coût de sa promesse, faite l'automne dernier, de reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux - et non à la sécurité sociale au travers de la Cades.

Par ailleurs, au sein du projet de loi organique, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 1 er bis que nous avions introduit afin d'encadrer les lois de financement de la sécurité sociale par une règle d'or à compter du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Il s'agissait de poser le principe d'un équilibre des comptes sociaux par périodes glissantes de cinq ans afin de cesser d'alimenter la Cades par un flux continu de déficits une fois passée l'actuelle crise de la covid-19.

En refusant ce principe - nous étions prêts à débattre des modalités pratiques et les rapporteurs de l'Assemblée nationale y étaient favorables -, l'Assemblée nationale a suivi le Gouvernement. L'extinction de la dette sociale demeure-t-elle réellement un objectif aux yeux du Gouvernement ?

Dans ces conditions, même si l'Assemblée nationale a conservé quelques améliorations relatives à l'élaboration du rapport du Gouvernement sur la mise en place de la future branche autonomie de la sécurité sociale, je constate le caractère irréconciliable des divergences qui subsistent entre les deux assemblées, et je proposerai en conséquence, pour chacun des deux projets de loi, l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable.

Mme Laurence Cohen . - Je ne suis pas étonnée des constats de notre rapporteur général. Mon groupe avait anticipé ce scénario et avait fait des propositions en conséquence. Ne soyons pas naïfs. Le Sénat discute, échange et débat, mais l'Assemblée nationale défait tout le travail consensuel que nous réalisons. Et ce n'est pas la première fois : tirons-en les conséquences ! Notre groupe fait des propositions constructives dont il faut tenir compte.

Nous assistons à un assèchement progressif des recettes de la sécurité sociale. Les annonces faites dans le cadre du Ségur constituent un premier pas positif au regard des revendications des personnels de santé, mais elles sont insuffisantes et nous inquiètent : l'État annonce dans un premier temps qu'il va prendre en charge, mais au bout du bout, il se défausse et reporte des charges sur la sécurité sociale. À terme, nous risquons d'aller vers la disparition du budget de la sécurité sociale, une orientation que nous ne partageons pas, quelles que soient nos familles politiques.

M. Yves Daudigny . - Mon groupe est totalement opposé au transfert de dette à la Cades. Nous pensons que cette solution n'apporte aucune garantie pour l'avenir. En outre, elle pénalise toute tentative de rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale, alors que celle-ci doit faire face aux défis de l'autonomie, de l'hôpital, des thérapies nouvelles, etc.

Nous sommes favorables à la création de la cinquième branche, même si elle reste à ce stade une coquille vide.

EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - S'agissant du désaccord relatif au transfert à la Cades d'un tiers de la dette hospitalière, pour les raisons invoquées précédemment, je vous propose d'adopter la motion COM-1 , qui vise à opposer la question préalable au projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie.

M. Dominique Théophile . - Je ne voterai pas cette motion, ni la seconde. En effet, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) est le principal financeur des hôpitaux, la dette des hôpitaux n'est pas seulement immobilière et la reprise de cette dette est une bouffée d'oxygène attendue par les hôpitaux.

En outre, nous vivons une période difficile, dans laquelle nous manquons de vision à moyen terme : il est donc trop tôt pour instaurer une règle d'or.

La motion COM-1 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie.

EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - En dépit d'un accord intervenu entre les deux assemblées sur plusieurs dispositions du projet de loi organique - notamment celles qui sont relatives à l'autonomie et au report au 31 décembre 2033 de la date limite pour l'amortissement de la dette sociale -, un point de désaccord majeur subsiste quant à l'opportunité d'accompagner ce report de l'instauration d'une règle d'or encadrant les comptes sociaux à partir du PLFSS pour 2025. Le refus de l'Assemblée nationale et du Gouvernement du principe même de la mise en place d'une telle règle d'or n'est pas compatible avec le nécessaire objectif d'équilibre du budget de la sécurité sociale à moyen terme, une fois estompés les effets de l'actuelle crise économique. L'absence d'un tel encadrement des futures lois de financement de la sécurité sociale risque de se traduire par la perpétuation des déficits des comptes sociaux et de la dette de la sécurité sociale bien au-delà du 31 décembre 2033. Un tel choix revient à transférer aux générations suivantes le coût de notre propre protection sociale : cela n'est pas acceptable. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la motion COM-1 , qui vise à opposer la question préalable au projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie.

La motion COM-1 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie.

LA LOI EN CONSTRUCTION

___________

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat aux adresses suivantes :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl19-517.html

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl19-518.html


* 1 Cf., par exemple, décision n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010.

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