III. UNE MAJORATION INÉVITABLE DES CRÉDITS VERSÉS AU TITRE DE L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT FAUTE DE RÉFORME D'ENVERGURE

Détaillée au sein de l'action n° 2, l'aide médicale d'État (AME) représente 99,3 % des crédits du programme 183. Elle comprend cinq volets :

- l'aide médicale d'État de droit commun est dédiée à la protection de la santé des personnes étrangères démunies et vivant en France depuis au moins trois mois consécutifs en situation irrégulière et, de ce fait, non éligibles à la couverture maladie universelle. Elle permet un accès de ce public à des soins préventifs et curatifs et doit permettre de juguler le risque d'extension d'affections contagieuses non soignées au sein de la population. Gérée par l'assurance maladie, elle représente 989,5 million d'euros dans le présent projet de loi de finances, soit 93,6 % des crédits de l'action n° 2 ;

- l'AME pour soins urgents concerne les étrangers en situation irrégulière, sans condition de résidence, dès lors que leur pronostic vital est engagé ou qu'ils sont victimes d'une altération grave et durable de leur état de santé. Les soins sont réglés par l'assurance maladie, qui bénéficie d'une subvention forfaitaire annuelle de 40 millions d'euros versée par l'État. Celle-ci est constamment inférieure aux sommes effectivement versées, conduisant à la création d'une dette de l'État à l'égard de l'assurance-maladie ;

- l'AME humanitaire vise les prises en charge ponctuelles de soins hospitaliers de personnes françaises ou étrangères ne résidant pas sur le territoire. Cette couverture est accordée au cas par cas par le ministère chargé de l'action sociale et doit permettre, chaque année, à une centaine de personnes disposant de faibles revenus de régler une dette hospitalière. L'AME humanitaire donne lieu à une délégation de crédits aux directions départementales chargées de la cohésion sociale pour paiement ;

- les évacuations sanitaires d'étrangers résidant à Mayotte vers les hôpitaux de la Réunion voire ceux de la métropole. Elles sont financées via une délégation de crédits aux délégations départementales de la cohésion sociale concernées ;

- l'aide médicale accordée pour les personnes gardées à vue qui se limite à la prise en charge des médicaments - si l'intéressé ne dispose pas des moyens nécessaires à leur acquisition - et aux actes infirmiers prescrits. Elle donne également lieu à une délégation de crédits aux directions départementales chargées de la cohésion sociale.

Les derniers exercices sont marqués par une nette progression des dépenses liées à l'aide médicale d'État de droit commun et par une baisse concomitante du dispositif « soins urgents ».

Répartition des dépenses de l'AME 2013-2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports annuels de performances

1. Une augmentation continue des dépenses

En 2019, les dépenses d'AME ont représenté 965 millions d'euros soit une augmentation de 46 millions d'euros par rapport au montant enregistré en 2018 (+ 5 %) 5 ( * ) .

Cette progression est principalement imputable à l'AME de droit commun : + 29 millions d'euros d'une année sur l'autre. Depuis 2012, à la progression du nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun de 32 % correspond à une majoration des dépenses de près de 51 % Le nombre de bénéficiaires atteignait 334 456 personnes au 31 décembre 2019.

38 275 bénéficiaires résident en outre-mer. La population des bénéficiaires est, d'après la direction de la sécurité sociale, plutôt jeune : 70,5 % ont moins de 40 ans, 21 % des bénéficiaires étant mineurs. Les hommes représentent 54 % de l'effectif total.

L'augmentation régulière du nombre de bénéficiaires se conjugue à une forte concentration territoriale. 10 caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM) ou caisses générales de sécurité sociale (CGSS) sur 106 concentrent 64,7 % de la dépense d'AME de droit commun. La CPAM de Paris et les autres caisses d'Île-de-France financent 50 % de la dépense totale (20,3 % pour la CPAM de Paris). Les caisses de Cayenne (8,5 %) et Marseille (5,5 %) sont, en dehors de la région parisienne, les plus concernées par l'AME de droit commun.

Le taux de prise en charge hospitalière s'élève à 66 %. 34 % des dépenses concernent des prestations de ville. Médicaments et dispositifs médicaux constituent 40 % des soins de ville.

Le dispositif « soins urgents » n'est pas documenté dans le projet annuel de performances s'agissant de l'exercice 2019. Il couvrait 7 711 séjours hospitaliers et 2 621 séances de soins en 2018. Près des deux tiers des personnes concernées ont moins de 40 ans. Près du tiers des séjours hospitaliers sont effectués dans les services d'obstétrique. Le nombre de bénéficiaires n'est pas, cependant, précisément connu, les soins ne donnant pas lieu à une immatriculation via un numéro de sécurité sociale.

Évolution du nombre des bénéficiaires et du montant des dépenses
d'AME de droit commun depuis 2004

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports annuels de performances

2. Une progression importante des crédits en 2021 qui vient sanctionner une réforme insuffisante en 2020

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale d'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, en vue notamment de maîtriser la dépense 6 ( * ) .

La réforme de l'aide médicale d'État de 2019

À l'initiative du Gouvernement, plusieurs amendements visant à réformer l'aide médicale d'État afin de mieux juguler les risques de fraudes et de détournements abusifs à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020. Ces amendements reprenaient les préconisations du rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales rendu à la ministre de la santé le 5 novembre 2019.

La réforme vise à :

- clarifier les conditions pour bénéficier de l'aide en modifiant l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles. L'ouverture du droit à l'AME ne sera effective qu'au terme d'un délai de trois mois en situation irrégulière. La précédente rédaction pouvait permettre une ouverture du droit dans les semaines suivant l'expiration d'un visa touristique ;

- conditionner la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des bénéficiaires majeurs de l'aide médicale d'État à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide, en modifiant l'article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles. Les opérations visant les prothèses de la hanche, de genou, la chirurgie de la cataracte ou encore certaines prestations de transport seraient ainsi concernés. Une dérogation est envisageable si le délai peut avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de la personne. Le délai été fixé à 9 mois maximum.

- limiter les possibilités de dépôt de demande d'AME à une comparution physique en caisse primaire d'assurance-maladie ou en cas d'empêchement, à un dépôt par l'intermédiaire de l'hôpital ou de la permanence d'accès aux soins de santé. Le dispositif existant est néanmoins maintenu en cas de renouvellement de demande d'aide, afin d'éviter un engorgement des caisses d'assurance-maladie et des hôpitaux. Les demandeurs peuvent être accompagnés par un représentant des services sociaux ou des associations agréés dans leurs démarches auprès des organismes d'assurance-maladie.

Source : commission des finances du Sénat

Le Gouvernement tablait ainsi sur une réduction de la dépense de 15 millions d'euros à l'issue de l'exercice 2020 , ce qui peut apparaître modique, au regard des crédits dédiés à l'AME. Cette somme représente en effet 1,6 % des crédits versés en 2019. Reste que cette réforme n'est que partiellement opérante :

- le décret précisant les conditions de dérogation à l'obligation de présence lors de la première demande n'a toujours pas été publié, cette obligation ayant par ailleurs été suspendue jusqu'au 31 juillet 2020, en raison de la crise sanitaire 7 ( * ) ;

- le décret visant le délai de carence de 9 mois auquel est subordonné la réalisation de certaines prestations ne revêtant pas un caractère d'urgence n'a pas non plus été publié.

Enfin, les droits à l'AME expirant entre le 12 mars et le 31 juillet 2020 ont été prolongés de trois mois en raison de la crise.

Cette diminution attendue est, de surcroît, contrebalancée par l'impact de l'article 265 de la loi de finances pour 2020 qui vise à limiter le recours à la demande d'asile pour bénéficier de la protection universelle maladie (PUMa). La suppression de cette couverture induit un accès à l'AME pour soins urgents. L'ouverture des soins urgents à une nouvelle catégorie de population pourrait conduire à une explosion des coûts - 132 826 personnes ont déposé un dossier de demande d'asile en 2019, soit une progression de 7,4 % par rapport à 2018 8 ( * ) . Aucun amendement de crédits n'avait été adopté en ce sens à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, aucune étude d'impact n'étant, par ailleurs, fournie. La mesure apparaissait pourtant clairement non-financée.

Le présent projet de loi de finances tire les conséquences de cette évolution du droit pour 2021, la dotation passant de 919,35 millions d'euros à 1,061 milliard d'euros (AE = CP), soit une progression de 15,40 %.

Les crédits se répartissent de la façon suivante :

- 989,5 millions d'euros au titre de l'aide médicale d'État de droit commun, soit une progression de 12,7 % par rapport au PLF 2020 ;

- 70 millions d'euros au titre des soins urgents ;

- 1,5 million d'euros au titre des autres dispositifs.

Évolution comparée des dépenses d'AME entre 2012 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données des rapports annuels de performances successifs.

La réforme annoncée de l'AME à la fin de l'année dernière en vue de maîtriser son coût, n'empêche donc pas, un an plus tard, une majoration conséquente des crédits qui lui sont dédiées, vampirisant un peu plus les crédits de la mission « Santé » - 80 % des crédits qu'elle contient sont dédiés à l'AME - au point de réduire ladite mission à une enveloppe de financement de ce dispositif. Une telle évolution annonce par ailleurs une exécution 2020 délicate. 349 844 bénéficiaires de l'AME de droit commun étaient ainsi comptabilisés au 31 mars 2020, soit une progression de 4,6 % en trois mois.

La dotation pour soins urgents bénéficie d'une mesure de périmètre avec le transfert de 30 millions d'euros en provenance du budget de l'assurance-maladie. Ce transfert permet de financer la mesure de réduction du maintien de droit de l'assurance-maladie de un an à six mois pour les assurés dont le titre de séjour a expiré qui devrait se traduire par un effet de déport vers le recours à l'aide médicale d'État. La majoration des crédits dédiés aux soins d'urgence ne résout donc en rien la question de la sous-budgétisation et de la dette vis-à-vis de l'assurance-maladie .

3. La question de la dette

La sous-budgétisation affichée des soins urgents, ajoutée à celle constatée lors d'exercices précédents pour l'AME de droit commun, a conduit à la constitution d'une dette de l'État vis-à-vis de la Caisse nationale d'assurance-maladie. Celle-ci avance en effet le remboursement des dépenses des bénéficiaires de l'AME.

En 2019, la sous exécution des crédits dédiés à l'AME de droit commun a permis de dégager 21 millions de crédits fléchés vers la réduction de la dette. La dette atteignait ainsi 15 millions d'euros fin 2019.

L'exécution 2020 pourrait remettre en cause cette trajectoire d'apurement, faute d'avoir anticipé les incidences de la réforme de l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière.

Dette de l'État à l'égard de la Caisse nationale d'assurance maladie
au titre de l'AME

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Écart dépenses AME / crédits consommés

12,9

5,7

12,5

- 1

38,3

- 14,5

-21

Apurement

0

0

- 57,3

0

0

0

Dette en fin d'exercice

51,7

57,3

12,5

11,4

49,7

35,3

15

Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la Cour des comptes et les réponses au questionnaire budgétaire

4. Des solutions insuffisantes pour endiguer le flux

Au-delà d'une réforme de l'accès à l'AME pas encore véritablement entrée en vigueur et de prime abord insuffisante, le Gouvernement table sur un renforcement des contrôles pour juguler la hausse tendancielle des prestations. Le rapport annuel de performance 2018 tablait sur un objectif de contrôle de 12 % des dossiers AME à l'horizon 2020, facilité par la centralisation attendue cette année de l'instruction des demandes d'AME au sein des caisses d'assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille. Les caisses devaient ainsi bénéficier, d'ici à la fin de l'année 2019, d'un accès à la base VISABIO, qui permet de détecter en amont les fraudes pour l'accès à l'AME de droit commun et aux soins urgents. Il s'agit de vérifier si les titulaires d'un visa tentent de bénéficier de ces dispositifs. Reste que la période de confinement a conduit à réviser cette perspective, le taux de dossiers contrôlés ne devrait ainsi s'élever qu'à 10 % à la fin du présent exercice.

À ces enquêtes a priori , s'ajoutent des contrôles ciblés sur des soins présentant des montants élevés ou des anomalies, en vue de détecter d'éventuels abus. Un programme national de contrôle rénové a ainsi été mis en oeuvre depuis juin 2019 afin de vérifier la stabilité de la résidence, via des enquêtes visant les multi-hébergeurs ou des échanges avec les consulats, les caisses d'allocations familiales ou Pôle emploi. Il s'agit de vérifier que les bénéficiaires résident en France depuis au moins trois mois à l'ouverture des droits puis au moins six mois durant l'année de versement des prestations. 3,2 millions d'euros auraient ainsi été récupérés en 2019, contre 0,5 million d'euros en 2018. Ce montant peut néanmoins sembler relativement faible au regard des sommes en jeu.

De manière générale, tout effort en matière de contrôle s'avèrera insuffisant en l'absence de mesure structurelle. Deux audits menés par l'IGF et l'IGAS en 2007 et 2010 avaient ainsi pu déboucher sur des mesures d'économies comprises entre 82 et 197 millions d'euros par an. Ces dispositions visaient la tarification des séjours dans les services d'obstétrique, l'annulation de la prise en charge des médicaments à faible rendement et une réduction des délais de facturation.

La priorité semble devoir aller vers le panier de soins. La réforme adoptée en loi de finances pour 2019 ne conditionne l'accès à l'AME qu'au travers du critère de la durée minimale de résidence, considéré comme un des principaux biais pour la fraude. Elle ne vise en aucun cas l'offre de soins, qui reste un des facteurs déterminants de la progression des crédits budgétaires dédié à l'AME. Une réflexion doit cependant être lancée sur le panier de soins, à la lumière de ce qui a pu être mis en place dans d'autres pays européens :

- au Danemark, en Espagne et en Italie, l'assistance sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière est limitée aux cas d'urgence, de maternité ou de soins aux mineurs. Les personnes concernées peuvent également bénéficier, en Espagne et en Italie, des programmes de santé publique, notamment en matière de vaccination ou de prévention des maladies infectieuses ;

- en l'Allemagne, seul l'accès gratuit aux soins urgents est garanti : traitement de maladies graves et de douleurs aigües, grossesses, vaccinations réglementaires et examens préventifs ;

- en Belgique, les soins dits de confort tels que déterminés dans la nomenclature locale ne sont pas remboursés aux centres publics d'action sociale qui les dispensent aux personnes en situation irrégulière dépourvues de ressources.

À l'aune de ces exemples, il semble nécessaire que le panier de soins soit, en France, circonscrit au traitement des maladies graves, aux douleurs aigües, aux vaccinations réglementaires, au suivi de grossesse et aux mesures de médecine préventive .

La question d'un rétablissement du droit de timbre supprimé par la loi de finances pour 2012 mériterait également d'être posée.

Ces dispositions n'éludent pas, bien évidemment, une réflexion à mener sur la gestion des flux migratoires en France. Au plan budgétaire, il y a d'ailleurs lieu de s'interroger sur le maintien de l'AME au sein de la mission « Santé » à la mission « Immigration, asile et intégration », tant elle constitue un facteur de croissance de l'immigration irrégulière.

LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a adopté, en première délibération, les crédits de la mission « Santé » avec modifications.

À l'initiative de M. Raphaël Gérard, l'Assemblée nationale a adopté, après avis défavorable du Gouvernement, un premier amendement revalorisant les crédits du programme 204 à hauteur de 90 000 euros afin de sanctuariser le budget alloué aux actions destinées à oeuvrer en faveur de la santé sexuelle et revaloriser les subventions versées aux associations menant des actions de réduction des risques en direction des personnes prostituées. Les crédits du programme 183 sont minorés en conséquence de la même somme.

À l'initiative de M. Jean-Louis Touraine, après avis favorable du Gouvernement, un second amendement de crédits, a été adopté, afin de majorer de 20 000 euros les crédits du programme 204 dédiés aux actions destinées à soutenir les orientations stratégiques de la stratégie nationale de santé sexuelle, notamment celles relatives à la lutte contre le Sida. Les crédits du programme 183 sont minorés en conséquence de la même somme.


* 5 La dépense réelle d'AME de droit commun enregistrée par la CNAM a été moins importante que prévue et s'est élevée à 877 millions d'euros. La prévision budgétaire tablait sur une dépense de 898 millions d'euros. Le solde, 21 millions d'euros, a donc été affecté à la réduction de la dette de l'État auprès de la CNAM au titre de l'AME « soins urgents » (cf infra).

* 6 Article 264 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 7 Ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020.

* 8 Rapport annuel d'activité 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

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