C. LA CRISE A MIS SOUS PRESSION LE SYSTÈME DE L'HÉBERGEMENT D'URGENCE

Les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence sont dans le projet de loi de finances pour 2021 d'un montant de 891,5 millions d'euros, en hausse de 106,7 millions d'euros (+ 13,6 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.

Toutefois, l'exécution réelle en 2020 sera bien supérieure , dans la mesure où 200 millions d'euros de crédits ont été ouverts par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 sur des dispositifs qui relèvent pour une grande part de ce dispositif.

Les crédits de l'hébergement d'urgence financent le parc d'hébergement pour les personnes sans domicile :

- centres d'hébergement d'urgence (CHU), où sont hébergées des personnes et des familles sans abri. Elles y trouvent également une aide dans leurs démarches d'accès aux droits et recherche d'un logement ou d'une structure d'insertion adaptée ;

- places d'hébergement de stabilisation et d'insertion , visant à assurer à un public similaire à celui des CHU un accompagnement social et un hébergement favorisant leur autonomisation ;

- nuitées d'hôtel , dispositif d'hébergement temporaire de familles en situation de détresse, à défaut de places disponibles dans les CHU ;

- places temporaires en cas de situation exceptionnelle, notamment lors de la période hivernale.

La hausse des crédits de l'hébergement d'urgence au cours des dix dernières années (voir supra ) correspond à une augmentation massive du parc d'hébergement d'urgence, qui comptait 154 000 places fin 2019, soit une augmentation de 64 % par rapport à 2013.

L'augmentation des moyens en 2021 devrait permettre de pérenniser 14 000 places d'hébergement d'urgence et de financer la cinquième année du marché public engagé en 2016 pour créer 5 000 places d'hébergement avec accompagnement social.

1. La crise sanitaire a suscité une forte mobilisation de l'hébergement d'urgence

L'hébergement d'urgence est en première ligne face aux crises , car il répond au principe d'inconditionnalité de l'accueil et de continuité de la prise en charge, prévu par l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. C'est pourquoi les crises économiques, sociales ou migratoires qui se sont multipliées ces dernières années ont accru de manière importante les besoins de ces dispositifs.

La crise sanitaire a entraîné la prolongation de la trêve hivernale jusqu'au 10 juillet.

Une opération sans précédent de mise à l'abri des personnes à la rue a été décidée par les pouvoirs publics 4 ( * ) et mise en oeuvre dans des conditions exceptionnelles par les associations qui sont allées à la rencontre des personnes sans abri. La mise à l'abri a mobilisé 34 000 places supplémentaires 5 ( * ) , portant le parc d'hébergement à 178 000 places financées par l'État sur le programme 177.

La fermeture des places temporaires a été conditionnée à la proposition d'une orientation vers une solution de logement plus pérenne. Le parc temporaire a ainsi connu une décrue au cours de l'été, après un pic atteint au cours des premières semaines du mois de mai.

En outre des équipes mobiles ont agi dans les centres d'hébergement et les logements adaptés, afin de détecter les cas d'infection, de suivre les patients atteints de covid-19 et de conseiller les équipes des structures d'hébergement.

Il ressort à ce sujet d'une enquête menée par Médecins sans frontières (MSF), Epicentre et l'Institut Pasteur entre le 23 juin et le 2 juillet 2020 en région parisienne que la promiscuité inévitable dans des lieux où les personnes hébergées doivent souvent partager chambre, douches et cuisine aurait conduit à une circulation du virus particulièrement active 6 ( * ) .

Plusieurs organismes auditionnés par le rapporteur spécial soulignent toutefois que l'interprétation de ces résultats doit prendre en compte le nombre limité de lieux d'accueil étudiés, à savoir 14, et le fait que les résultats portaient sur la séroprévalence des personnes, ce qui signifie qu'elles avaient été porteuses du virus à un moment donné mais pas nécessairement qu'elles avaient été contaminées dans le lieu d'accueil.

La direction générale de la cohésion sociale (DGCS), pour sa part, a indiqué au rapporteur spécial avoir identifié 2 211 contaminations depuis le mois de mars, ce nombre n'incluant que des personnes présentant des symptômes, pour 180 000 personnes hébergées.

Des centres d'hébergement spécialisés (CHS) ont été créés pour l'accueil des personnes sans domicile atteintes de covid-19 sans gravité, lorsque l'isolement n'était pas possible dans une structure d'hébergement. Le nombre maximal de places ouvertes a été de 3 620 places au coeur de la crise, le 5 mai 2020. Au 25 août, il n'était plus que de 757 places ouvertes.

Les places de CHS sont financées à hauteur de 80 euros par jour pour l'accueil, l'hébergement, la restauration et les soins des personnes accueillies, ce qui représentait un coût total de 27,3 millions d'euros à la fin août. Les CHS n'ont toutefois été utilisés qu'à 10 % de leur capacité, ce que certaines personnes auditionnées ont expliqué par les efforts réalisés au sein des centres d'hébergement traditionnels pour permettre de réaliser l'isolement en leur sein.

Des chèques services ont été distribués dès le début du mois d'avril 2020, afin d'aider les personnes sans domicile et sans ressources à régler des achats de première nécessité : denrées alimentaires, produits d'hygiène et produits à destination des enfants en bas âge. Cinq livraisons ont été effectuées dans l'ensemble des départements, pour un montant de 43,3 millions d'euros, une enveloppe de 6,3 millions d'euros étant constituée pour couvrir les besoins pendant la période estivale. Les distributions ont concerné plus de 90 000 personnes, dont 25 % à 40 % de personnes logées à l'hôtel et 12 % à 20 % en hébergement.

Au début de juillet 2020, le Gouvernement a lancé un nouveau plan d'urgence de 55 millions d'euros afin de prendre le relais des chèques services et de maintenir l'accès aux biens essentiels des publics précaires (alimentation, hygiène) dans le contexte de la crise.

Enfin, c'est sur le programme 177 qu'est compensé le versement en 2020 d'une prime exceptionnelle , d'un montant maximum de 1 000 euros, aux personnels des établissements et services sociaux relevant de ce programme (centres d'hébergement d'urgence, CHRS, acteurs de la veille sociale dont les SIAO et le Samu social Paris, pensions de famille, résidences hôtelières à vocation sociale, associations d'intermédiation locative). Cette prime est exonérée de cotisations et contributions sociales ainsi que d'impôt sur le revenu. Le coût global est estimé à 20 millions d'euros.

Un total de 14 000 places d'hébergement devraient être pérennisées (7 000 en décembre 2020 et 7 000 en 2021), dont 10 000 relevant de l'hébergement généraliste, 3 000 de l'intermédiation locative et 1 000 réservées à des femmes victimes de violence.

Le rapporteur spécial souligne la forte mobilisation des services de l'État comme des opérateurs et associations qui ont oeuvré sur le terrain, obligés d'élaborer des solutions nouvelles dans une situation que rien ne laissait prévoir. La politique volontariste de mise à l'abri a peut-être évité à la crise sanitaire d'avoir des conséquences catastrophiques pour les personnes en grande précarité.

2. Le recours aux nuitées hôtelières poursuit sa progression

La gestion dans l ' urgence du programme 177 apparaît dans le recours aux nuitées hôtelières .

La crise sanitaire du printemps a ainsi mobilisé 12 000 nuitées 7 ( * ) . Or avant même la crise sanitaire, le nombre de nuitées hôtelières poursuivait sa croissance, le rythme de celle-ci ayant été seulement infléchi au cours des dernières années.

Évolution du nombre de nuitées hôtelières financées par l ' État
au titre de l ' hébergement d ' urgence de droit commun

(en nombre de places)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des réponses aux questionnaires budgétaires et de l'instruction « AHI » d'août 2020)

La DGCS a fixé l'objectif en 2021 , par circulaire aux administrations déconcentrées, de substituer à des places d'hôtel des places d'hébergement d'urgence pérennes, des places dans les CHRS, ou des places en intermédiation locative ou de pensions de famille.

Un schéma pluriannuel doit être élaboré en ce sens, avec la possibilité de financer par exemple des projets d'intermédiation locative par la suppression de places hôtelières.

Il est même envisagé de racheter des hôtels qui n'ont pas pu reprendre une opération commerciale normale à l'issue de la première phase de la crise. Ils pourraient être transformés en centres d'hébergement, en places de logement accompagné (intermédiation locative, pensions de famille) ou en résidences sociales à vocation hôtelière.

La DGCS encourage également les services à recourir à des plateformes régionales d'achats pour faciliter la passation des marchés publics relatifs à la gestion des nuitées hôtelières.

Le rapporteur accueille favorablement cet objectif qui va dans le sens d'une meilleure prise en charge des familles , avec une meilleure maîtrise du coût et une meilleure qualité de l'accueil.

Pour mémoire, le coût d'une nuitée hôtelière a été estimé à près de 7 000 euros par an, contre 6 400 euros pour un hébergement en CHRS, où les personnes sont beaucoup mieux accompagnées, et 2 600 euros dans un hébergement d'urgence hors CHRS.

3. L'organisation et le fonctionnement des SIAO présentent encore des marges d'amélioration

Les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) sont des acteurs importants de la régulation du dispositif d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans domicile. Ils assurent notamment la gestion du 115 et coordonnent les demandes d'hébergement aux places disponibles, ainsi que l'évaluation sociale et médicale. Ils ont une mission de suivi des personnes vers des solutions d'hébergement d'urgence et d'insertion, de logement adapté.

En principe, chaque département doit disposer d'un SIAO, sur convention avec l'État. Les deux tiers des SIAO sont portés par une association.

Selon une enquête menée par l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA) 8 ( * ) , les services des 115 ont une activité très variable puisqu'ils ont reçu en 2018 entre 1,6 et 7 800 demandes par jour 9 ( * ) , essentiellement d'hébergement. Environ la moitié des SIAO reçoit moins de 40 demandes par jour en moyenne et dix SIAO reçoivent plus de 250 demandes.

Le 115 ne permet toutefois pas d'avoir une connaissance exhaustive de la demande, car certains services sont saturés et un certain nombre de personnes n'y ont pas recours, d'autant que certains SAIO ont une amplitude horaire limitée.

L'enquête met également en cause la difficulté que rencontrent de nombreux SIAO à avoir des données complètes et à jour sur les places de logement adapté disponibles. En outre, la mission d'accès au logement pose des difficultés pour la plupart des SIAO, qui manquent de partenariats avec les acteurs du logement ou d'accès aux outils dédiés. Les liens sont mieux établis avec les acteurs de la veille sociale, par exemple avec les associations d'accueil des femmes victimes de violence ou les services de l'aide sociale à l'enfance.

Le rapporteur spécial note qu'il y a encore une marge de manoeuvre importante pour que les SIAO soient en capacité d'exercer pleinement leur rôle non seulement d'accueil des personnes sans abri, mais aussi d'orientation vers un logement.

C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'indicateur de performance 1.1 du programme 177 : si le taux de réponses positives du SIAO aux demandeurs d'hébergement est, selon les années, de 33 % à 47 %, il n'est que de 0,7 % à 1,3 % pour les demandes de logement adapté.

À ces difficultés s'ajoutent , selon ce qui a été rapporté au rapporteur spécial, des problèmes techniques ponctuels qui, à l'automne 2020, ont affecté le système d'information (SI) des SIAO, application Web qui permet de recenser les places d'hébergement et de logement adapté et d'orienter les personnes vers les structures les mieux adaptés à leur situation.

La mise en production d'une nouvelle version, le 21 septembre, a causé des dysfonctionnements majeurs pendant plusieurs semaines (données supprimées, saisies impossibles, indicateurs erronés, etc.), entraînant la création d'une cellule de crise au sein de la DGCS. Le rapporteur spécial s'étonne que la mise à jour d'un système d'information qui occupe une place critique dans l'activité des SIAO puisse rencontrer de telles difficultés sans qu'une possibilité de retour en arrière ait été prévue .

Or la mise en oeuvre d'un système d'information efficace et fiable est une condition indispensable pour avoir enfin une meilleure connaissance du public à la rue ou hébergée , la dernière grande enquête de l'Insee remontant à 2012.

4. Certains dispositifs de financement de l'hébergement sont placés dans la mission « Plan de relance »

L'action 08 « Soutien aux personnes précaires » de la nouvelle mission « Plan de relance » prévoit notamment de consacrer des crédits de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement et 37 millions d'euros en crédits de paiement à des mesures en faveur de l'hébergement .

Il s'agit en premier lieu de construire de nouvelles structures d'hébergement en zone tendue et d'humaniser les centres d'hébergement et les accueils de jour sur l'ensemble du territoire, pour 50 millions d'euros.

Des expérimentations doivent également être conduites en matière de rachat d'hôtels , de construction de logements modulaires et d'accélérer le traitement des foyers de travailleurs migrants .

Enfin, des aires d'accueil des gens du voyage seront réhabilitées.

Le rapporteur spécial apprécie que des moyens supplémentaires soient ainsi consacrés à l'hébergement, au moins pendant deux années, durée prévue pour l'exécution de cette mission.

Il s'interroge toutefois sur l'inscription de ces actions dans la mission « Plan de relance » , alors qu'elles relèvent des politiques de l'hébergement et auraient dû à ce titre être portées par le programme 177 .

Le rattachement de ces projets à la mission « Plan de relance » signifie que leurs crédits, loin d'être sanctuarisés, pourraient faire l'objet de redéploiement au profit de projets du même programme qui s'exécuteraient plus vite. Le Gouvernement a en effet mis l'accent sur l'objectif de consommation rapide des crédits , les gestionnaires de programme (c'est-à-dire la direction du budget) étant encouragés à réallouer les crédits entre les actions au profit de celles qui ont la plus grande capacité à les consommer.


* 4 Instruction interministérielle du 23 mars 2020 : « Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, l'hébergement des personnes à la rue, quel que soit leur statut, est la première priorité. »

* 5 Direction générale de la cohésion sociale, Instruction « Accueil, hébergement et insertion » (AHI) pour 2020 et 2021, 21 août 2020.

* 6 Médecins Sans Frontières, Covid-19: une enquête épidémiologique révèle une sur-contamination dans des lieux de regroupement de personnes en grande précarité en Ile-de-France , 5 octobre 2020.

* 7 Direction générale de la cohésion sociale, Instruction « Accueil, hébergement et insertion » (AHI) pour 2020 et 2021, 21 août 2020.

* 8 ANSA, Enquête nationale sur les SIAO , février 2020.

* 9 Les SIAO ont des tailles très variables, les effectifs variant de 1 à 78 équivalents temps-plein (ETP).

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