IV. LES « BIENS COMMUNS MONDIAUX » ET LA SOUVERAINETÉ DE L'ÉTAT

Hormis le fait qu'elle autoriserait le législateur à porter plus largement atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre, l'introduction dans la Constitution de la notion de « biens communs »
- et plus exactement, à l'article 1 er , de « biens communs mondiaux » - serait également de nature, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle, à répondre au besoin d'une plus grande coopération au niveau mondial pour la protection de l'environnement et la promotion d'autres intérêts communs à toute l'humanité.

Les auteurs du texte déplorent, en effet, l'affaiblissement de la coopération interétatique multilatérale .

Plus radicalement, ils mettent en question le modèle actuel de gouvernance ou de régulation mondiale, en tant qu'il est fondé sur la souveraineté des États , principe cardinal du droit international public. Citant le professeur Mireille Delmas-Marty, ils considèrent que « pour être efficaces, les solidarités supposent la responsabilité juridique des acteurs les plus puissants, autrement dit, un état de droit opposable aux États . Certes, la création d'un État mondial n'est ni faisable, ni souhaitable. En revanche, il est faisable - et urgent - de transformer la souveraineté solitaire des États en souveraineté solidaire et leurs irresponsabilités illimitées en responsabilités communes mais différenciées . »

Ces préoccupations sont légitimes, et le rapporteur les partage en grande partie. La question est de savoir quel est le bon moyen d'y répondre .

À l'évidence, le renforcement de la coopération internationale, l'accroissement des obligations des États vis-à-vis des autres États et de l'ensemble des êtres humains, la consolidation de leur responsabilité juridique internationale, voire la mise en place de nouveaux mécanismes de décision au niveau mondial n'impliquant pas l'unanimité des États, ne passent pas d'abord par une modification des textes de droit interne, mais par la négociation et la conclusion de nouvelles conventions internationales, voire (hypothèse d'école) par la constitution d'un nouveau sujet de droit ayant compétence pour imposer ses décisions aux États.

Néanmoins, une révision de la Constitution française serait-elle dénuée de tout effet juridique sur l'action de la France envisagée dans sa dimension mondiale - pour s'en tenir à une formulation englobante ? La réponse à cette question appelle plusieurs distinctions.

A. DES RÈGLES CONSTITUTIONNELLES DE FOND RELATIVES À L'ACTION DE LA FRANCE DANS LE MONDE : PRÉCÉDENTS

À titre liminaire, il convient de noter que le bloc de constitutionnalité comprend déjà des dispositions de fond touchant à l'action de la France dans le monde .

Si l'on excepte le principe général selon lequel la République se conforme aux règles du droit public international, ainsi que les dispositions du titre XV de la Constitution (relatives à la participation de la France à l'Union européenne), il s'agit principalement :

- de la seconde phrase du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon laquelle la République française « n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple » ;

- du quinzième alinéa du même Préambule, qui dispose que « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix . » ;

- de l'article 10 de la Charte de l'environnement, selon lequel celle-ci « inspire l'action européenne et internationale de la France » ;

- de l'article 87 de la Constitution, ainsi rédigé : « La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage. »

Ces dispositions n'ont, en l'état de la jurisprudence, qu'une très faible portée juridique .

S'agissant du principe selon lequel la France consent, « sous réserve de réciprocité, (...) aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix », visé dans plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ayant trait à la construction européenne, il a été jugé que, par lui seul, il n'autorisait aucun transfert « de tout ou partie de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit 64 ( * ) ».

Tout en reconnaissant la valeur constitutionnelle du principe selon lequel la République « n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple », le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de sa prétendue violation lorsqu'il a été saisi de la loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores 65 ( * ) . Il n'exerce par ailleurs aucun contrôle sur la décision du Parlement d'autoriser une déclaration de guerre. Quant au Conseil d'État, il refuse également de connaître de la décision prise par les autorités de l'État d'engager les forces armées 66 ( * ) .

Quant à l'article 10 de la Charte de l'environnement et à l'article 87 de la Constitution, ils n'ont jamais été invoqués devant le Conseil constitutionnel, non plus, semble-t-il, que devant la juridiction administrative.


* 64 Décision du Conseil constitutionnel n° 76-71 DC du 30 décembre 1976.

* 65 Décision du Conseil constitutionnel n° 75-59 DC du 30 décembre 1975.

* 66 CE, 5 juillet 2000, n os 206303 et 206965.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page