EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Préservation des « biens communs mondiaux »

L'article 1 er de la proposition de loi constitutionnelle vise à compléter le premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution par une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l'environnement, de la biodiversité, du climat, de l'eau, de la santé, des communs informationnels et de la connaissance et des autres biens communs mondiaux ».

Malgré la puissance d'attraction et le potentiel théorique de la notion de « biens communs », la commission l'a estimée trop mal définie en droit pour pouvoir être inscrite au sommet de notre ordre juridique interne . Certes, il serait envisageable (quoique inédit) d'introduire une définition dans le corps même de la Constitution. Mais on risquerait d'y perdre une partie des significations que l'on souhaite couramment attacher à cette expression. La réflexion théorique doit se poursuivre au sein de la communauté juridique avant de parvenir à une définition.

Le sens des termes « biens communs » n'étant pas défini, il est d'autant plus hasardeux d'énoncer une liste non exhaustive des items susceptibles de recevoir cette qualification . Quelle serait l'autorité chargée de compléter cette liste ? L'on risque d'offrir ainsi au juge constitutionnel une base illimitée pour opérer son contrôle, ce qui serait la source d'une grave insécurité juridique. Par ailleurs, la référence à des « biens communs mondiaux » est problématique, puisqu'il n'existe pas d'instance mondiale ou internationale habilitée à déterminer quels sont ces « biens ».

Enfin, pour les raisons déjà exposées, la rédaction proposée ne renforcerait en rien les exigences constitutionnelles liées à la protection de l'environnement et de la santé , même si la référence expresse au climat est peut-être symboliquement souhaitable.

La commission n'a pas adopté l'article 1 er .

Article 2
Extension du domaine de la loi aux principes fondamentaux
de la protection du sol et de la garantie de la sécurité
et de l'autonomie alimentaires

L'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle vise à ajouter au domaine de la loi, tel que défini à l'article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux « de la protection du sol et de la garantie de la sécurité et de l'autonomie alimentaires ».

Pour mémoire, l'article 34 de la Constitution n'a pas pour objet d'énoncer des règles de fond, mais de fixer l'étendue de la compétence du législateur, les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ayant, conformément à l'article 37, un caractère réglementaire.

La seule question est donc de savoir si, en l'espèce, la rédaction proposée a bien pour effet d'élargir le domaine de compétence du législateur. On peut néanmoins en douter : les matières énumérées font d'ores et déjà l'objet de dispositions législatives fondées sur d'autres chefs de compétence, notamment la fixation des principes fondamentaux de la préservation de l'environnement, du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, sans parler de la détermination des crimes et délits.

En réalité, l'intention des auteurs de la proposition de loi est sans doute de consacrer par ce biais de nouveaux objectifs de valeur constitutionnelle résidant dans la protection du sol ainsi que la sécurité et l'autonomie alimentaires de la nation. Il ne fait aucun doute que ces objectifs sont d'intérêt général ; la rédaction proposée rehausserait seulement le niveau de protection juridique dont ils bénéficient et élargirait ainsi la marge d'appréciation dont dispose le législateur pour les poursuivre, lorsque cela implique de porter atteinte à d'autres exigences constitutionnelles.

À cet égard, le rapporteur considère qu'il pourrait être utile de donner valeur constitutionnelle à l'objectif de sécurité alimentaire de la nation - ce qui impliquerait plutôt de modifier l'article 1 er de la Constitution, qui comprend déjà des dispositions de fond, ou d'ajouter un nouvel article à sa suite. Les autres objectifs affichés laissent en revanche plus dubitatif. Si la « protection du sol » est évidemment nécessaire à la préservation de l'environnement comme à la qualité et à la quantité de la production agricole, il ne paraît pas indispensable de l'ériger en objectif distinct. Quant à « l'autonomie alimentaire », tout dépend de l'échelle à laquelle on se situe : s'il peut être souhaitable de rechercher l'autosuffisance alimentaire à l'échelle de l'Europe, il est certainement illusoire et sans doute inopportun de vouloir l'atteindre à l'échelle du territoire français. Ce serait en tout cas contradictoire avec l'édification d'un marché agricole commun.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

Article 3
Principe de conciliation entre le respect des biens communs,
le droit de propriété et la liberté d'entreprendre

L'article 3 de la proposition de loi constitutionnelle a pour objet d'ajouter à l'article 34 de la Constitution un alinéa aux termes duquel « La loi détermine les mesures garantissant le respect des biens communs par l'encadrement du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre . »

En première analyse, l'article 34 de la Constitution déterminant l'étendue de la compétence du législateur, cette disposition pourrait être lue comme une extension de compétence, au détriment du pouvoir réglementaire.

Il s'agit sans doute plutôt, dans l'esprit des auteurs du texte, d'un principe de conciliation entre une nouvelle exigence constitutionnelle de « respect des biens communs » et certains droits et libertés déjà garantis par la Constitution, considérés comme potentiellement conflictuels.

Pour les raisons déjà exposées, la commission a estimé que la notion de « biens communs » était trop mal définie en droit pour pouvoir être inscrite dans notre texte fondamental. Elle considère que certaines exigences d'ores et déjà consacrées par la Constitution, notamment le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, l'objectif de protection de l'environnement en tant que « patrimoine commun des êtres humains », le droit à la santé, mais aussi le droit à un logement décent ou encore le droit à l'emploi, assurent déjà très largement la protection des « biens communs » tels que compris par les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.

Par ailleurs, il est superflu d'inscrire expressément dans notre loi fondamentale un principe de conciliation entre plusieurs exigences constitutionnelles. La pluralité des droits, principes et objectifs constitutionnels implique par elle-même qu'ils puissent entrer en conflit et doivent alors être conciliés, ce à quoi le législateur s'attache quotidiennement, sous le contrôle du juge.

La commission n'a pas adopté l'article 3.

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En conséquence, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance publique, le 10 décembre 2020, sur le texte de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

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