II. DES PERSPECTIVES INCERTAINES

A. UNE MINORATION DES CRÉDITS EN TROMPE L'OEIL

1. Déséquilibre démographique et avantages spécifiques constituent des caractéristiques communes aux régimes spéciaux...

La baisse, relative, des crédits dédiés à la mission « Régimes sociaux et de retraite » dans le présent projet de loi de finances ne saurait occulter l'important déséquilibre financier des caisses qu'elle subventionne. Cette situation délicate résulte tout à la fois d'un ratio démographique défavorable et de la permanence d'avantages spécifiques coûteux et insuffisamment financés par les cotisations. Compte-tenu de cette insuffisance, la diminution en valeur absolue du financement de l'État ne saurait présumer d'un désengagement à court-moyen terme.

Le déséquilibre démographique est, bien évidemment, accentué dans les régimes fermés qui voient leur population de cotisants décroître. Ainsi, le régime des mines présente un nombre très limité de cotisants alors que celui de la Seita ne dispose plus d'un seul cotisant. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a, de son côté, transformé le régime de retraites de la SNCF en un régime fermé, matérialisé par l'arrêt des recrutements sous statut au 1 er janvier 2020 3 ( * ) . Cette fermeture induit à terme, une attrition des volumes de cotisations et, par conséquent, une augmentation du besoin de financement du régime. Celle-ci est cependant atténuée par la mise en place, en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 4 ( * ) , d'une compensation entre les régimes de droit commun auxquels seront désormais affiliés les nouveaux salariés recrutés par le groupe SNCF, en l'espèce la CNAV et l'Agirc-Arrco, et la CPRP SNCF 5 ( * ) .

Évolution du ratio démographique des régimes de retraite de la SNCF, de la RATP et des marins 6 ( * )

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

SNCF

0,68

0,68

0,68

0,67

0,66

0,65

0,64

0,63

0,60

RATP

0,89

0,89

0,88

0,88

0,86

0,85

0,84

0,84

0,85

Marins

0,30

0,30

0,30

0,30

0,30

0,30

0,30

0,28

0,27

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les différents régimes spéciaux ouverts financés par la mission se caractérisent, par ailleurs, par des âges d'ouverture des droits à retraite plus précoces que 62 ans pour la grande majorité des agents affiliés. Ces âges précoces sont associés à des bonifications de durée.

En outre, les durées d'assurance de référence de ces régimes sont plus faibles que les autres régimes, même si elles convergent désormais toutes vers la durée harmonisée de 172 trimestres. Comme au sein de la fonction publique, la liquidation s'effectue, par ailleurs, sur la base de la rémunération des 6 derniers mois.

2. ... mais restent imparfaitement évaluées par le Gouvernement

Les incidences du déséquilibre démographique et des avantages spécifiques sur la situation financière des régimes spéciaux demeurent cependant insuffisamment documentées, alors qu'elles conditionnaient pourtant une partie du projet de loi portant création d'un système universel des retraites présenté par le Gouvernement avant la crise sanitaire.

La rapporteure spéciale s'étonne à cet effet que dans une réponse au questionnaire budgétaire, la direction du budget indique qu'aucune analyse des déséquilibres de chacun des régimes subventionnés n'ait été effectuée en faisant ressortir la situation démographique et les effets des avantages spécifiques. Cette étude nécessiterait, en effet, « des développements informatiques coûteux et de nombreuses hypothèses pour mesurer a posteriori, dans les pensions déjà liquidées, ce qui pourrait être désormais assimilé à un avantage spécifique au régime ». Cette absence d'évaluation fragilise la crédibilité de toute réforme desdits régimes. Elle limite également la portée de l'examen des crédits de la mission, qui ne peut donc permettre d'évaluer précisément la part des avantages spécifiques actuellement financée par le budget de l'État. La rapporteure spéciale rappelle que si la solidarité nationale doit permettre de pallier le déséquilibre démographique de ces régimes, son rôle dans le financement d'avantages dérogatoires au droit commun reste sujet à caution.

Le Gouvernement admet dans une autre réponse au questionnaire budgétaire que le coût de ces dispositifs de solidarité au sein des régimes spéciaux est relativement mal appréhendé , à l'exception des suppléments de pension (majorations de pension pour enfants par exemple). Les dispositifs sont en effet fondus dans les masses de prestations des assurés et font rarement l'objet d'un suivi spécifique par les régimes.

Seule une estimation des dispositifs explicites a été réalisée, en 2016, par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé 7 ( * ) . Cette estimation exclut l'effet de bonification de durée d'assurance ou la prise en compte des six derniers mois de salaire comme base de calcul de la pension. Cette évaluation, aboutit à un coût prévisionnel de 3,76 milliards d'euros en 2020 pour quatre régimes - SNCF, Mines, RATP, Marins - visés par la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Le coût des dispositifs explicites serait relativement stable en 2025 pour atteindre 3,73 milliards d'euros.

Estimation du coût des dispositifs « explicites » de solidarité au sein des régimes des retraites de la SNCF, de la RATP, des mines et des marins
en 2016, en 2020 et en 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Pour mémoire, la subvention d'équilibre versée par l'État à ces quatre caisses dans le présent projet de loi de finances a atteint 5,93 milliards d'euros en 2020. Le montant des cotisations perçues par la SNCF, l'ENIM ou le régime des mines est ainsi inférieur à celui des dispositifs explicites servis par ces caisses. Il est à peine supérieur s'agissant de la RATP.

Cotisations perçues et coûts de dispositifs explicites en 2020 au sein des régimes des retraites de la SNCF, de la RATP, des mines et des marins

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire


* 3 Loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.

* 4 Article 25 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

* 5 La convention tripartite du 18 janvier 2021 prévoit ainsi que les deux régimes versent à la CPRP SNCF une dotation correspondant à l'équivalent des cotisations perçues pour les nouveaux salariés de la SNCF. Le montant de cette compensation est estimé à 56 millions d'euros en 2022. L'État assure quant à ainsi le besoin de financement restant et correspondant au différentiel de taux de cotisations entre les régimes de droit commun et le régime spécial, soit environ 40 % de la perte de cotisations pour la CPRP SNCF liées à la fermeture du statut.

* 6 Le ratio démographique consiste en le rapport entre d'une part la somme du nombre de retraités directs et la moitié de retraités de droit dérivé et, d'autre part, le nombre de cotisants.

* 7 Dossier solidarité et santé, Droits familiaux et dispositifs de solidarité du système de retraite, n° 72, janvier 2016.

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