LES PRINCIPAUX ENJEUX DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVILE »

A. UN SOUTIEN MODESTE DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES ACTEURS DE LA SÉCURITÉ CIVILE

1. Un soutien de l'État à l'égard des SDIS qui demeure marginal, mais des évolutions législatives qui permettront une meilleure couverture de leurs charges

Le financement de la sécurité civile repose essentiellement sur les dépenses locales. En effet, le budget consolidé des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) , financés par les collectivités territoriales, s'est élevé à 5,16 milliards d'euros pour l'année 2020 , soit près de dix fois les crédits du programme 161 « Sécurité civile ». Les contributions des départements versées au SDIS demeurent prépondérantes (58 %) dans ce budget.

Le soutien financier de l'État pour les SDIS reste marginal en 2022, après la réduction importante la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours (DSIS²), depuis 2017. Ainsi en 2022, les 7 millions d'euros de la DSIS² iront exclusivement au bénéfice du système « NexSIS 18-112 ». Ce projet, lancé en avril 2017, consiste à déployer un système d'information et de commandement unifié par l'ensemble des SDIS (voir infra ).

Si 2020 a été marquée par une relative stabilité des dépenses des SDIS (+ 30 millions d'euros, soit + 0,6 %), après l`augmentation significative en 2019 (+ 3,2 % par rapport à 2018), cette période, marquée par la crise sanitaire, ne peut constituer une année de référence. Ce ralentissement de l'augmentation des dépenses doit en effet être analysé à la lumière de l'évolution de la pression opérationnelle pesant sur les SDIS. Ainsi, l'année 2020 est marquée par une baisse de mobilisation, le nombre d'interventions des SDIS ayant été réduit de 11 % par rapport à 2019.

Évolution du nombre d'interventions des SDIS de 2010 à 2020

Source : recueil des statistiques des SDIS, édition 2021

Toutefois, malgré cette diminution des interventions par rapport à 2019, la mobilisation des SDIS demeure élevée, notamment en matière de secours d'urgence aux personnes (SUAP) qui représente aujourd'hui 84,2 % des 4,3 millions d'interventions effectuées en 2020 .

Les revendications exprimées ces dernières années par les sapeurs-pompiers en contrepartie de cet engagement opérationnel ont été en partie satisfaites par les évolutions législatives et réglementaires récentes. C'est notamment le cas de la revalorisation de l'indemnité de feu décrétée par le ministre de l'intérieur à l'été 2020 2 ( * ) . Les SDIS avaient obtenu, dans le cadre des discussions sur le PLFSS 2021, une compensation de cette augmentation de charges à travers la suppression de la sur-cotisation employeur versée à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRAL). La suppression de la part salariale de cette sur-cotisation a également été introduite dans le cadre du PLFSS 2022.

En outre, le président de la République, dans le cadre de son intervention au congrès des sapeurs-pompiers à Marseille le 16 octobre dernier, a annoncé une revalorisation de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) à destination des sapeurs-pompiers volontaires , dont le montant fera l'objet prochainement de discussion entre les deux co-financeurs à parité que sont l'État et les départements.

La question du remboursement des frais d'interventions réalisées par les sapeurs-pompiers en cas de carence ambulancière a également été traitée récemment par le législateur dans le cadre de l'adoption de la proposition de loi dite « Matras » 3 ( * ) , dans la perspective d'un meilleur remboursement des charges des SDIS.

Les carences ambulancières recouvrent les cas où, à la demande des SAMU, les SDIS réalisent des transports sanitaires pour pallier l'absence d'autres moyens, dont ceux des ambulanciers privés. Ces carences sont dénoncées par les acteurs de la sécurité civile car, d'une part, la qualification d'une mission en carence relève principalement de l'appréciation du médecin régulateur du SAMU et, d'autre part, le montant de l'indemnisation des SDIS, revalorisé chaque année, s'élève à 124 euros par carence alors que le coût moyen qu'ils supportent est estimé entre 450 et 500 euros, tandis que ces créances sont parfois difficilement recouvrées.

En effet, la Cour des comptes rappelait dans un rapport de 2019 que « selon plusieurs SDIS, le forfait de remboursement ne couvrirait pas les charges réellement supportées » 4 ( * ) . Ainsi 79 SIS ont déclaré fin mai 2020 avoir perçu 26 250 972 euros sur les 35 182 806 euros facturés aux centres hospitaliers au titre des carences faites en 2019.

Il a par ailleurs été constaté une augmentation continue des indisponibilités des transporteurs sanitaires privés ces dernières années.

Nombre d'interventions pour carence du transport sanitaire entre 2012 et 2020

Source : réponses au questionnaire budgétaire, d'après Infosdis

Le développement de ces carences ajouté à leur mauvais remboursement conduit à un transfert de charges, de fait, entre l'État qui finance les SAMU et les collectivités, au premier rang desquelles les départements, qui financent les SDIS .

C'est pourquoi la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, adoptée le 26 octobre dernier au Sénat, prévoit notamment une définition précise de la notion de la carence ambulancière, qui permettre d'obtenir in fine un meilleur remboursement de ces déplacements au bénéfice des SDIS.

La loi précitée prévoit également la possibilité d'une requalification de ces carences a posteriori , à la demande des SDIS . Il acte également la création d'une commission de conciliation paritaire pour gérer les désaccords entre SAMU et SDIS sur ces requalifications.

Le président de la République a par ailleurs annoncé, dans le cadre de son intervention au congrès des sapeurs-pompiers, une revalorisation du montant de l'indemnisation des carences, qui devrait ainsi prochainement être portée à hauteur de 200 euros par voie réglementaire.

2. Un soutien essentiellement orienté vers le programme NexSIS, dont le déploiement nécessitera toutefois de nouveaux moyens

Le programme NexSIS est un projet de mutualisation des systèmes d'information des SIS. Sa conception, son déploiement et sa maintenance sont assurées par l'agence du numérique de la sécurité civile (ANSC ), créée en 2018, et dont la tutelle est assurée conjointement par la direction du numérique et par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l'intérieur. L'ANSC est financée par la dotation de soutien aux investissements structurants des SIS (DSIS²) du programme 161.

a) Une année 2021 perturbée, qui ne remet toutefois pas en cause la poursuite du projet à court terme

Le déploiement de NexSIS a été perturbé en 2021 par la persistance de la crise sanitaire , qui a impliqué de nombreuses contraintes (ralentissement des développements par des personnels travaillant en télétravail, des retards de livraison des équipements techniques dus à des contraintes d'approvisionnement...) qui ont conduit l'ANSC à réévaluer, en concertation avec les SIS pilotes, le calendrier.

L'ANSC est toutefois en ordre de marche pour assurer dès la fin 2021 la mise à disposition d'une version de NexSIS 18-112 au SDIS préfigurateur, ainsi qu'aux 6 SDIS pilotes. Selon les réponses aux questionnaires budgétaires, l'ANSC devrait également être en capacité, à fin 2022 :

- de finaliser la mise à disposition de NexSIS dans 10 à 12 SIS ;

- de réaliser la migration vers NexSIS au sein de 6 SIS par une version répondant aux exigences fonctionnelles et techniques et leur permettant de disposer d'un outil capable de traiter de manière opérationnelle les demandes d'assistance.

L'introduction d'un indicateur de performance spécifique, conformément à
la recommandation du rapporteur spécial

Le projet annuel de performance annexé au PLF pour 2022 prévoit pour la première fois un indicateur spécialement dédié au suivi du développement du projet NexSIS. Cet indicateur rend compte du taux de déploiement de NexSIS à travers le territoire. Il s'appuie sur une prévision de 6,06 % en 2022 et une cible de 17,17 % pour 2023. Le rapporteur spécial se félicite de l'introduction d'un indicateur spécifique, tel qu'il l'avait recommandé dans son rapport d'information de juin dernier sur NexSIS 18-112 5 ( * ) .

Néanmoins, cet indicateur ne semble aujourd'hui pas le plus approprié pour rendre compte de l'efficacité de l'action de l'ANSC , dans la mesure où le projet, dont la phase de déploiement généralisée n'a pas encore été engagée, ne saurait être jugé uniquement à l'aune du taux de déploiement de NexSIS. D'autres indicateurs prévus dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'agence 2019-2022, tel que le pourcentage de SDIS ayant formalisé un engagement avec l'agence, auraient pu s'avérer plus pertinents. Toutefois, si ce taux de déploiement ne sera pas significatif en 2022, il le sera à mesure de l'avancée du projet dans les années à venir.

Sources : projet annuel de performance et COP 2019-2022 de l'ANSC

b) Une stabilité des ressources allouées à l'ANSC, qui apparait incompatible avec la montée en puissance du projet

Le PLF pour 2022 prévoit, comme en 2021, une subvention de 7 millions d'euros pour l'ANSC destinée exclusivement au financement du programme NexSIS 18-112.

Par ailleurs, les SIS disposent de l'opportunité de participer au financement des travaux de mise en oeuvre de la solution NexSIS 18-112, en avance de phase via le versement de subventions d'investissement. Depuis le lancement du projet, plusieurs SIS ont choisi de contribuer au financement de NexSIS 18-112 par ce mécanisme.

Il ressort des auditions du rapporteur que certains coûts définis en amont du projet ait fait l'objet d'une sous-évaluation, certaines fonctionnalités initialement non prévues ayant finalement été jugées nécessaires au développement de l'outil NexSIS. Le coût global du projet a ainsi été réévalué à 239,6 millions d'euros, contre 237 millions d'euros précédemment , en raison notamment d'une hausse de l'enveloppe prévue sur le marché de télécommunications. Ces surcoûts ne se sont en tout cas pas traduits par une augmentation du soutien budgétaire accordé par l'État au projet, la DSIS² restant stable en 2022.

En outre, le plafond d'emplois de l'ANSC a été maintenu à 12 ETPT dans le PLF 2022 , malgré les demandes de moyens humains supplémentaires formulées par l'agence.

Cette stabilisation des moyens de l'ANSC est une source de préoccupation, dans la mesure où le déploiement effectif du programme à partir de 2022 nécessitera une mobilisation de l'agence pour fournir une assistance aux SDIS. L'ANSC sera en effet mobilisée pour assurer la fonction support du dispositif, qu'elle n'avait pas à prendre en charge dans la phase de conception de l'outil. Les moyens dont dispose l'ANSC ne lui permettent pas, à l'heure actuelle, d'assurer ces missions.

Il est envisagé, pour répondre à ces nouveaux besoins, de solliciter la mise à disposition d'ETPT par les SDIS prenant part au projet, afin d'éviter le recours à des externalisations potentiellement couteuses.

En tout état de cause, le rapporteur spécial sera vigilant à ce que les moyens de l'ANSC soient renforcés dans les programmations budgétaires à venir afin de répondre aux exigences qu'implique le déploiement du projet, conformément aux recommandations qu'il avait déjà formulées dans son rapport de juin 2021 sur le sujet 6 ( * ) .

3. L'expérimentation d'un numéro unique d'appel d'urgence : une association des SDIS au dispositif qui devra s'accompagner d'un soutien budgétaire accru

Depuis plusieurs années, les acteurs de la sécurité civile préconisaient de façon unanime un développement de plateformes communes d'appels d'urgence, adossées à un numéro unique pour la réception de ces appels. La loi dite « Matras », adoptée par le Sénat le 26 octobre 2021, prévoit l'expérimentation pour deux ans d'un numéro unique d'appel d'urgence pour 2 ans, et pourrait conduire à la généralisation d'une telle plateforme sur l'ensemble du territoire à l'issue de ce délai . Le président de la République, dans le cadre d'un discours prononcé au Congrès des Sapeurs-Pompiers de France le 16 octobre dernier, a par ailleurs mis en évidence le soutien de l'État envers cette initiative.

Plateformes communes et numéro unique : un objectif réaffirmé par le président de la République à l'occasion du dernier Congrès des sapeurs-pompiers

« Je crois que la loi (Matras) permet une avancée majeure en ce qu'elle permet d'avancer sur le chemin du pragmatisme, c'est-à-dire utiliser cette voie qui a fait l'unanimité, celle de l'expérimentation. Concrètement, seront mises en place dans une zone de défense - en quelque sorte une grande région qui correspond au commandement ainsi défini- dès l'année prochaine trois types de plateformes regroupant selon diverses modalités numéro d'urgence et permanence des soins. Temps de réponse, qualité d'accompagnement des usagers, prises en charge des victimes, prise d'un premier appel au titre du dé-bruitage et bascule vers une plateforme d'envoi des moyens : nous évaluerons méthodiquement au bout de deux ans quelle est la solution la plus efficace. Et donc, ce texte correspond totalement - et c'est le fruit de votre travail, donc je le complimente aisément parce que ça n'est pas le mien - mais il correspond à ce que je porte et ce en quoi je crois. »

Source : discours de clôture du 127ème Congrès national des Sapeurs-Pompiers de France, 16 octobre 2021, présidence de la République

L'article 31 de la loi précise que cette expérimentation doit permettre d'évaluer les bénéfices d'une colocalisation physique de l'ensemble des services d'incendie et de secours, de police et de gendarmeries nationales et d'aide médicale urgente sur un plateau commun. Elle permettra de tester, au niveau départemental , les configurations suivantes :

- un modèle rassemblant les SIS, les services de police et de gendarmerie nationales, les SAMU ;

- un modèle rassemblant les mêmes services hors 17 « police secours » ;

- un modèle testant le regroupement du 15 et de la permanence des soins et leur interconnexion avec les autres services d'urgence .

L'expérimentation sera mise en oeuvre dans une « zone de défense et de sécurité ». Le dispositif de la loi « Matras » prévoit également une gouvernance plurielle , l'expérimentation étant placée sous l'autorité conjointe du préfet de zone et du directeur général de l'ARS. Le dispositif réserve toutefois une place importante aux SDIS , dont les présidents de conseil d'administration définissent les conditions matérielles de mise en oeuvre, conjointement avec les présidents des conseils de surveillances des établissements de santé sièges d'un SAMU.

Il est également souhaitable que la participation des SDIS s'accompagne de moyens budgétaires leur permettant de réaliser les investissements nécessaires à la réussite de cette expérimentation. Il est à cet égard regrettable qu'aucun levier d'investissement autre que celui prévu pour NexSIS ne soit prévu dans les DSIS². Ce constat s'applique par ailleurs pour d'autres dispositifs prévus par la loi « Matras », dont la disposition prévoyant la généralisation du déploiement de caméras mobiles nécessiterait par exemple, selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, un soutien budgétaire à l'acquisition d'équipements de lutte contre les agressions.

Il serait dès lors souhaitable d'une part, d'augmenter le montant de cette dotation, dont le montant a été progressivement ramené de 20 millions en 2017 à 7 millions dès 2018, et d'autre part, d'en élargir le périmètre, la DSIS² étant aujourd'hui uniquement dédiée au financement de NexSIS. Ce renforcement de la DSIS² permettrait de favoriser la mise en adéquation des leviers d'investissements dont disposent les SDIS, avec les ambitions légitimes qui caractérisent aujourd'hui la politique de sécurité civile. L'annonce par le président de la République dans le cadre du congrès des sapeurs-pompiers de l'intégration d'un pilier « sécurité civile » dans une future loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (LOPSI), constitue à cet égard une perspective intéressante, qui fera l'objet d'une attention particulière du rapporteur spécial .

Il est outre souhaitable que l'expérimentation puisse s'appuyer sur les outils existants permettant de répondre au cahier des charges de l'expérimentation afin de minimiser les coûts de développement du dispositif. L'ANSC a ainsi fait part de son souhait de voir l'outil NexSIS pleinement associé à cette expérimentation.


* 2 Décret n° 2020-903 du 24 juillet 2020 portant revalorisation de l'indemnité de feu allouée aux sapeurs-pompiers professionnels.

* 3 Proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels .

* 4 Cour des comptes, rapport public thématique, « Les personnels des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) et de la sécurité civile », mars 2019 .

* 5 Rapport d'information n° 658 (2020-2021), NexSIS 18-112 : un projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, dont l'intérêt sur le plan économique et opérationnel doit être garanti - 2 juin 2021.

* 6 Ibid.

Page mise à jour le

Partager cette page