B. ENTRE HAUSSE DU MONTANT DE L'AAH ET DISCRÈTES MESURES D'ÉCONOMIE : QUAND L'ÉTAT DONNE D'UNE MAIN ET REPREND DE L'AUTRE

1. Une revalorisation significative de l'AAH, mais toujours pas de « déconjugalisation »

Conformément à un engagement du président de la République, le montant à taux plein de l'AAH a été significativement revalorisé . Celui-ci a d'abord été porté de 820 à 860 euros en LFI 2018 avant d'être relevé à 900 euros en LFI 2019. Compte-tenu de son indexation à l'évolution des prix, celui-ci est aujourd'hui de 903,60 euros mensuels au 1 er avril 2021 . Selon les informations communiquées aux rapporteurs spéciaux, le coût de cette revalorisation est estimé à 0,8 milliard d'euros par an.

Par ailleurs, l'article 51 du présent projet de loi de finances, rattaché à la mission, prévoit d'instaurer une mesure d'abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint du bénéficiaire de l'AAH .

Cette mesure doit effectivement permettre un gain financier estimé à 120 euros par mois pour 130 000 bénéficiaires, représentant un coût total estimé à 185 millions d'euros en 2022.

Pour autant, le dispositif ne saurait en aucun cas être assimilé à une réelle « déconjugalisation » de l'AAH , soit l'absence totale de prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation. Une telle évolution est défendue par les associations représentant les personnes en situation de handicap - entendues sur ce point par les rapporteurs spéciaux. Celle-ci témoignerait de la pleine reconnaissance de la spécificité du public ciblé par l'AAH, qui, en raison de son montant et de ses conditions d'accès plus favorables, ne saurait être regardée comme un minimum social comme un autre. Elle permettrait de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. En risquant d'accroître la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint, la « conjugalisation » constitue en effet un frein à cette logique d'autonomie.

La proposition de « déconjugalisation » de l'AAH constitue même l'objet de la première pétition à recueillir plus de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat en février 2021 . L'atteinte de ce seuil a entraîné l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale 11 ( * ) . Le Sénat a adopté dans ce cadre une disposition tendant à la déconjugalisation de l'AAH en première lecture le 9 mars 2021 . En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a ensuite modifié le texte en adoptant un dispositif d'abattement forfaitaire identique à celui de l'article 51 du présent PLF, avant que le Sénat ne rétablisse sa version dans le texte adopté le 12 octobre 2021 .

Enfin, les rapporteurs relèvent également que, conformément aux annonces du président de la République lors de la Conférence nationale du handicap du 11 février 2020, des travaux seront engagés pour réformer l'appréciation du critère de la restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, afin d'élargir les possibilités de cumuler l'AAH avec des revenus d'activité. Une telle réforme, qui va dans le sens d'une meilleure inclusion sociale des personnes en situation de handicap, constituerait une avancée très positive.

2. Dans le même temps, de discrètes mesures d'économies ont été prises

Si les rapporteurs spéciaux ne peuvent que saluer cet effort conséquent en faveur des personnes en situation de handicap les plus modestes, ils rappellent cependant que la revalorisation s'est accompagnée de discrètes mesures d'économies :

- la réforme du plafond de ressources pour les bénéficiaires de l'AAH en couple , traduisant un rapprochement des règles de prise en compte des revenus d'un couple à l'AAH avec celles d'un couple au RSA . Le coefficient multiplicateur entrant dans le calcul du plafond de ressources est abaissé progressivement. Le plafond de ressources, qui correspond depuis novembre 2018 à 189 % de celui appliqué aux personnes seules, est égal à 181 % de celui-ci à compter du 1 er novembre 2019. Cet abaissement de plafond permettra d'économiser 270 millions d'euros chaque année entre 2020 et 2022 et concerne environ 14 % des allocataires. La mesure pose un problème de principe dans la mesure où, en étant susceptible d'accroître la dépendance financière de la personne en situation de handicap vis-à-vis de son conjoint, elle va à l'encontre de la logique d'autonomie recherchée ;

- la disparition du complément de ressources au 1 er janvier 2020 . Ce complément de ressource - d'un montant de 179 euros mensuel - était versé à près de 67 000 bénéficiaires. Il bénéficiait aux personnes handicapées qui ont un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, qui reçoivent une allocation à taux plein et vivent dans un logement indépendant (sans percevoir d'aide au logement) et qui ont une capacité de travail inférieure à 5 % . Cette mesure s'applique aux bénéficiaires de l'AAH à compter de son entrée en vigueur (flux) mais ne concerne pas les droits des anciens bénéficiaires (stock) du complément de ressources pendant 10 ans. Elle engendre une diminution de la dépense estimée à 5,7 millions d'euros par an à partir de 2020 ;

- la sous-indexation de la revalorisation légale annuelle de l'AAH par rapport à l'évolution des prix en 2019 et en 2020, limitée à 0,3 % en lieu et place de l'indexation sur l'inflation. Cette mesure a permis de générer en 2019 et en 2020 une économie de 100 millions d'euros.

Ces mesures sont destinées à modérer l'impact budgétaire de la revalorisation, absorbant in fine plus du tiers de la hausse des dépenses qu'elle aurait spontanément provoquées (voir tableau infra ). Selon les caractéristiques des bénéficiaires, elles peuvent avoir pour effet d'en atténuer considérablement la portée.

Estimation de l'impact budgétaire des mesures positives et négatives prises ou proposées sur 2018-2022 en matière d'AAH

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

2021

2022

Total

2018-2022

Mesures positives

52

648

775

775

960

3 210

Revalorisation plafond

52

648

775

775

775

3 025

Abattement forfaitaire revenus du conjoint (art. 51 PLF 2022)

-

-

-

-

185

185

Mesures négatives

- 10

- 250,5

- 375,7

- 275,7

- 275,7

- 1 187,6

Réforme plafond de ressources couples

- 10

- 150

- 270

- 270

- 270

- 970

Suppression complément de ressources

-

- 0,5

- 5,7

- 5,7

- 5,7

- 17,6

Sous-indexation revalorisation légale

-

- 100

- 100

- 200

Bilan

42

397,5

399,3

499,3

684,3

2 022,4

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

3. Pour un renforcement du pilotage de l'AAH, dans une logique d'équité territoriale et non d'économies budgétaires

Les rapporteurs spéciaux ont mené en 2021 un travail de contrôle budgétaire sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans la gestion de l'AAH (voir encadré ci-dessous).

Face au constat de disparités géographiques importantes entre les MDPH en matière de délais de traitement des demandes et de taux d'attribution de l'AAH , les rapporteurs en avaient appelé à un renforcement de leur pilotage national par l'État et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en vue d'harmoniser leurs pratiques.

La DGCS, entendue sur ce point, a assuré que les services de l'État souscrivaient pleinement à cet objectif.

Les rapporteurs spéciaux ne peuvent cependant que s'étonner du fait qu'ils l'aient adossé à un objectif d'économies budgétaires, fixé à 80 millions d'euros en 2021 . Tout d'abord, rien ne permet d'affirmer avec certitude que l'harmonisation des pratiques conduira à une baisse de la dépense. Surtout, cet objectif d'économies introduit une confusion sur la finalité d'une telle harmonisation, qui est l'égalité territoriale entre les citoyens pour l'accès à un droit relevant de la solidarité nationale. Ce risque de confusion avait déjà été identifié dans leur rapport, raison pour laquelle ils préconisaient une clarification des compétences de la mission nationale d'audit et de contrôle (MNAC) des MDPH, appelée à être instituée dans le cadre de la Feuille de route « MDPH 2022 ».

Les propositions des rapporteurs spéciaux pour renforcer les moyens et le pilotage des MDPH

Dans leur rapport du 7 juillet 2021 consacré au rôle des MDPH dans la gestion de l'AAH, les rapporteurs pointent le contraste existant entre la relative stabilité des moyens dont ces structures sont dotées et la hausse considérable de leur activité, notamment au titre de l'AAH. Ils en appellent donc à une augmentation structurelle de leurs moyens, au financement de laquelle l'État doit prendre sa juste part. Ils considèrent également que les MDPH peuvent contribuer à améliorer notre connaissance de l'AAH et de ses bénéficiaires, notamment grâce à la poursuite de l'effort d'harmonisation de leurs systèmes d'information et en les associant davantage à une démarche d'objectivation des phénomènes de fraude et de non recours au droit. Enfin, face au constat de disparités territoriales persistantes, les rapporteurs appellent de leurs voeux le renforcement du pilotage national des MDPH qui doit mettre au coeur de ses préoccupations l'harmonisation des pratiques, dans un souci de justice territoriale, tout en sachant prendre en compte les situations particulières.

Leurs principales recommandations sont les suivantes :

- réformer les dotations nationales aux MDPH en remettant notamment à plat la méthode de valorisation des emplois vacants compensés par l'État ;

- mener un travail de qualification et de quantification des compétences dont doit disposer une MDPH pour assurer ses missions convenablement, en portant un diagnostic précis sur les effectifs et la composition des équipes pluridisciplinaires dans les MDPH ;

- évaluer rigoureusement l'action de la « task force » mise en place par la CNSA en faveur des MDPH les plus en difficulté d'ici 2022, afin d'examiner l'opportunité d'une pérennisation voire d'un renforcement de l'enveloppe ponctuelle qui lui a été attribuée ;

- examiner, à plus long terme, les avantages qui pourraient être tirés du passage à un système d'information unique, en capitalisant sur les acquis du système d'information harmonisé en cours de déploiement ;

- améliorer l'offre de formation des agents des MDPH, en partenariat avec le CNFPT ;

- harmoniser les pratiques d'appréciation de la réduction substantielle et durable d'emploi (RSDAE) servant de base à l'instruction des dossiers d'AAH-2 ;

- clarifier la gouvernance, le rôle et les objectifs de la mission nationale de contrôle et d'audit devant être constituée auprès de la DGCS ;

- veiller à ce que la remontée de données serve de support à un véritable dialogue individualisé entre la CNSA et la MDPH afin d'en faire un levier d'amélioration de la performance.

Source : « Gestion de l'allocation aux adultes handicapés : propositions pour renforcer les moyens et le pilotage des MDPH », rapport d'information n° 748 (2020-2021) de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet fait au nom de la commission des finances du Sénat, 7 juillet 2021.


* 11 Proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale déposée par les députés Jeanine DUBIÉ, Charles de COURSON, Yannick FAVENNEC et plusieurs de leurs collègues le 30 décembre 2019.

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