III. LE PROGRAMME 380 : UN RECYCLAGE DES CRÉDITS DU PLAN DE RELANCE

Le programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires » est un nouveau programme de la mission Écologie, développement et mobilité durables, inscrit dans le projet de loi de finances pour 2023 . La création du programme, qui est aussi appelé « Fonds vert », a été annoncée le 27 août 2022, et il a été placé sous la responsabilité de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature.

Pour 2023, il est doté de 1,5 milliard d'euros en AE et 375 millions d'euros en CP , et il comporte trois actions. Il est prévu que les fonds soient engagés sur quatre ans.

AE et CP du programme 380 dans le PLF pour 2023

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de
paiement

01 - Performance environnementale

505,0

126,25

02 - Adaptation des territoires au changement climatique

525,0

131,25

03 - Amélioration du cadre de vie

470,0

117,5

Total

1 500,0

375,0

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

L'Assemblée nationale a adopté l'amendement n° 3106, qui majore les crédits du fonds vert de 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 125 millions d'euros en crédits de paiement. Ces sommes ont notamment vocations à financer des politiques en faveur de la biodiversité.

Les mesures présentes au sein du fonds vert sont détaillées de la manière suivante.

L'action 01, « Performance environnementale », a vocation à financer la rénovation des bâtiments publics des collectivités territoriales, le soutien au tri à la source et à la valorisation des déchets, et la rénovation des parcs de luminaires d'éclairage publique.

L'action 02, « Adaptation des territoires au changement climatique », vise surtout à financer des politiques de prévention des risques. Elle comprend la lutte contre l'érosion côtière, la prévention des incendies, le renforcement de la protection contre les vents cycloniques, la prévention des inondations et l'appui aux collectivités de montagne soumises à des risques émergents (crues, avalanches, chutes de blocs). Elle doit également financer des politiques de renaturation des villes.

Enfin, l'action 03, « Amélioration du cadre de vie », comprend des politiques de natures diverses. Elle doit permettre l'accompagnement du déploiement de zones à faibles émissions mobilité, de prendre des mesures de reconquête des friches, de favoriser la restructuration des locaux d'activité, et de mettre en oeuvre la Stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB).

Les crédits du programme 380 sont présentés comme entièrement nouveaux, à l'exception du fonds friche, et leur gestion est censée être presque décentralisée. Selon les informations transmises au rapporteur spécial, c'est cette gestion spécifique, « à la main des collectivités territoriales », qui a justifié l'inscription de ces crédits dans un programme nouveau , plutôt que dans les programmes existants de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Toutefois, ces deux affirmations peuvent être mises en doute au regard des informations disponibles. La majorité des politiques présentées dans le fonds vert sont en réalité des reprises de mesures du plan de relance, et non pas uniquement le fonds friches. Les indications disponibles aujourd'hui montrent que, pour une grande partie, la gestion des crédits ne sera pas réellement décentralisée .

A. UNE GRANDE PARTIE DES CRÉDITS DU FONDS VERT NE FERA PAS L'OBJET D'UNE VÉRITABLE GESTION DÉCENTRALISÉE

1. Le financement des mesures du fonds vert a été annoncé au compte-goutte dans la presse, ce qui pose un problème d'information au Parlement, et met en doute le caractère décentralisé de la gestion des crédits

La répartition des crédits au sein de ces différentes actions n'est pas détaillée dans les documents budgétaires , à l'exception du fonds de renaturation des villes, qui est doté de 500 millions d'euros en AE sur cinq ans.

La justification qui a été donnée au rapporteur spécial est que les trois actions seraient entièrement fongibles , et dès lors préciser la répartition des financements aurait pour conséquence de limiter le choix des collectivités territoriales dans les politiques menées. Toutefois, le financement de nombreuses politiques du fonds a été détaillé après coup dans la presse ou en audition devant le Parlement .

Le président de la République a annoncé le 17 octobre 2022 que 150 millions en AE du fonds seront fléchés vers l'accompagnement du déploiement des zones à faibles émissions .

Le ministre de la transition écologique et des territoires a déclaré devant les députés lors d'une audition le 13 septembre dernier que le fonds friches serait abondé de 350 millions d'euros . Fin octobre, il a également indiqué que 100 millions d'euros en AE seront consacrés à la prévention des incendies .

Enfin, la secrétaire d'État à l'écologie a indiqué au début du mois d'octobre que la Stratégie nationale biodiversité bénéficiera de 150 millions d'euros en AE , qui seront répartis de la manière suivante :

- 50 millions d'euros pour la mise en oeuvre de la Stratégie nationale pour les aires protégées ;

- 15 millions pour la protection des insectes pollinisateurs ;

- 10 millions d'euros en faveur de la conservation et la restauration d'espèces menacées ;

- 20 millions d'euros dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes ;

- 20 millions d'euros pour la dépollution ;

- 35 millions d'euros pour la résorption des principaux obstacles aux continuités écologiques.

Toutes ces estimations auraient dû figurer dans le projet annuel de performance . La distillation au compte-goutte des sommes consacrées au fonds d'accélération à la transition écologique des territoires ne permet pas une information adéquate du Parlement en vue de l'examen du projet de loi de finances.

En outre, il faut relever que certaines de ces annonces sont difficilement conciliables avec les chiffres inscrits dans le projet de loi de finances . Le fonds de renaturation des villes, dont le montant est de 400 millions d'euros en AE sur quatre ans, et les montants accordés pour la prévention contre les incendies, 100 millions d'euros en AE sur quatre ans, ne laissent pratiquement plus de marge pour les autres politiques de l'action 02.

En réalité, ces annonces ont vraisemblablement été faites en incluant la rallonge de 500 millions d'euros pour le fonds verts annoncée le 11 octobre 2022, ce qui vient encore davantage brouiller les prévisions budgétaires.

Enfin, le détail du financement des politiques vient mettre en doute la justification initiale du peu d'informations présentes dans le projet annuel de performance, qui est d'éviter de limiter le choix des collectivités territoriales dans les politiques menées. Il s'agit d'une première indication que la gestion des crédits du fonds verts ne sera en réalité pas entièrement à la main des collectivités territoriales.

2. De nombreuses politiques du fonds vert ne seront pas « à la main » des collectivités territoriales

Durant son audition du 13 septembre dernier, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a déclaré que le fonds vert devait, sauf exceptions, faire l'objet d'une gestion entièrement décentralisée . Le ministre a également annoncé que les crédits du fonds ne seront pas distribués par appels à projets, et que la méthode d'attribution des fonds n'était pas encore tranchée.

Dans son discours à la 32 ème Convention des intercommunalités de France du 7 octobre, Élisabeth Borne a réaffirmé que les financements ne seront pas distribués par appel à projets, et a précisé que le fonds sera entièrement délégué aux préfets . Le fonds devra permettre de financer des projets identifiés par les CRTE. Elle a ajouté que le fonds inclura une « offre d'ingénierie nouvelle pour accompagner les collectivités dans la transition écologique, qui devra être articulée avec l'offre d'ingénierie des autres partenaires, comme le Céréma, l'ADEME ou la Banque des territoires . »

Ce mode de répartition « décentralisé » des crédits est utilisé comme justification pour la création d'un nouveau programme au sein de la mission Écologie, développement et mobilité durables, plutôt que de l'ajout de crédits aux programmes existants. Toutefois, cette justification est problématique à plusieurs égards .

Premièrement, il apparaît que le fonds friches continuera, comme c'était le cas dans le cadre du plan de relance, de faire l'objet d'une gestion par appels à projets pilotés par l'ADEME et par le préfet de région .

Deuxièmement, la mise en oeuvre des politiques menées dans le cadre du fonds vert ne semble pas différente de celle qu'elles étaient dans le cadre du plan de relance ou d'autres programmes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » .

Les crédits attribués à la Stratégie nationale biodiversité (SNB) 2030 sont pilotés par l'État, et relèvent du champ du programme 113 . La présence de crédits d'intervention territoriaux dans la SNB 2030 ne justifie pas à elle-seule son rattachement au programme 380, dans la mesure où la gestion de ces crédits restera pour sa majeure part centralisée.

De plus, il est peu probable que l'ensemble des politiques mentionnées à l'action 02, « adaptation des territoires au changement climatique » fassent l'objet d'une gestion nouvelle des crédits. Il s'agit essentiellement de politiques de prévention des risques, dont le caractère systémique suppose déjà une coordination entre les collectivités territoriales et les services et opérateurs de l'État . Mis à part le fonds de renaturation des villes, ces crédits auraient pu être inscrits dans le programme 181 .

Les mesures relatives au tri des déchets étaient opérées par l'ADEME dans le plan de relance, et l'Agence continuera de piloter cette politique dans le cadre du fonds vert.

Ainsi, l'inscription de ces dispositifs dans le programme 380 plutôt que dans les programmes existants de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » interroge. Il apparaît que, à l'instar de la mission « plan de relance » en 2021 et 2022, certaines politiques ont été incluses dans le programme 380 davantage dans le but de provoquer un effet d'annonce que pour des raisons de pilotage budgétaire .

La création de ce programme masque également le fait que la gestion de ces crédits restera majoritairement à la main de l'État, dans la continuité des dispositifs qui ont été conduits dans le cadre du plan de relance ou qui sont opérés dans le reste de la mission Écologie, développement et mobilité durables .

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