C. UN SCHÉMA DE FIN DE GESTION 2022 REFLÉTANT LE CARACTÈRE EXCEPTIONNEL DE LA SITUATION MAIS QUI CONTINUE DE FAIRE L'IMPASSE SUR LE FINANCEMENT DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES ET DES MISSIONS INTÉRIEURES

Le second projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022 en cours d'examen au Parlement prévoit une ouverture nette de crédits de 1,3 milliard d'euros en AE et près de 1,2 milliard d'euros en CP , soit un montant près de 10 fois supérieur aux ouvertures réalisées dans le cadre du schéma de fin de gestion pour l'année 2021, traduisant le caractère exceptionnel de l'exercice 2022.

Les ouvertures brutes à hauteur de 1,7 milliard euros en AE et 1,6 milliard d'euros en CP permettent de financer des besoins constatés en 2022 ainsi que des moyens à reporter sur 2023 .

Au titre des besoins constatés en 2022, le PLFR prévoit d'ouvrir :

- près de 400 millions d'euros en AE et en CP de surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT) par rapport à la provision prévue en LFI 2022 (1,2 milliard d'euros) ;

- près de 700 millions d'euros en AE et 600 millions d'euros en CP au titre de la participation de la France aux opérations de réassurance sur le flanc oriental de l'Otan ;

- près de 200 millions en AE et en CP au titre de la hausse des coûts liés aux carburants opérationnels.

Au titre des moyens à reporter sur 2023, le PLFR prévoit d'ouvrir :

- près de 255 millions d'euros en AE et en CP pour tirer les premiers enseignements de la guerre en Ukraine et financer la mise en cohérence des moyens des forces (activité, matériels de déploiement...), incluant notamment 29 millions d'euros pour des munitions ;

- 100 millions d'euros en AE et en CP au titre du fonds de soutien à l'Ukraine. En première lecture à l'Assemblée nationale, son montant a été portée à 200 millions d'euros par un amendement du Gouvernement.

En parallèle, le PLFR porte des annulations à hauteur de 400 millions d'euros en en AE et en CP.

Le rapporteur spécial ne peut qu'approuver l'apport de crédits frais pour le financement des opérations menées en Roumanie et en Estonie ainsi que l'activation de la « clause de sauvegarde carburants » prévue par l'article 5 de la LPM 2019-2025 (voir encadré) .

Les clauses de sauvegardes prévues par les articles 4 et 5 de la loi de programmation militaire 2019-2025

« Article 4 - (...) En gestion, les surcoûts nets, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État. Si le montant des surcoûts nets ainsi défini est inférieur à la provision, l'excédent constaté est maintenu au profit du budget des armées (...)

« Article 5 - En cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces. »

En revanche, comme l'illustre le tableau ci-dessous et compte tenu des reports prévus, le montant des annulations correspond exactement aux surcoûts des OPEX et MISSINT en 2023, qui ont donc été financés par redéploiements internes à la mission « Défense », à rebours des dispositions prévues par l'article 4 de la LPM (voir encadré).

Synthèse du schéma de fin de gestion 2022 de la mission « Défense »

(en millions d'euros)

Besoin à financer

Coût

Financement PLFR de fin de gestion

Exercice 2022

Surcoût OPEX/MISSINT

400

Annulations

400

Surcoût réassurance flanc oriental OTAN

600

Ouvertures nettes (consommation en fin de gestion)

800

Surcoût carburants

200

Exercice 2023

Renforcement des capacités de projection sur le flanc oriental OTAN

255

Ouvertures nettes
(à reporter)

455

Fonds de soutien à l'Ukraine

200

Total

1 655

1 655

Note : montants arrondis

Source : commission des finances du Sénat

Le rapporteur réitère donc ses critiques déjà formulées lors des exercices précédents concernant :

- le caractère chroniquement insuffisant de la provision OPEX/MISSINT de la LFI , même si son relèvement à 1,2 milliard d'euros depuis 2020 a permis de réduire le surcoût annuel ;

- surtout, le financement des surcoûts par redéploiement des crédits au sein de de la mission « Défense » et non par des crédits frais, à rebours des dispositions de l'article 4 de la LPM 2019-2025. Ainsi, pour faire face aux dépassements de la provision fixée par la LPM, la mission « Défense » devrait financer un surcoût de près de 2 milliards d'euros sur la période 2018-2022.

Évolution des surcoûts liés aux opérations extérieures
et aux missions intérieures (« hors Ukraine »)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

L'activation de la « clause de sauvegarde OPEX/MISSINT » prévue à l'article 4 de la LPM 2019-2025 aurait pourtant été d'autant plus nécessaire que les exercices 2022 et 2023 sont et seront marqués par la ré-articulation du dispositif Barkhane au Sahel depuis l'été 2021 (voir encadré), qui se traduit par une augmentation des surcoûts par rapport à la provision.

L'opération Barkhane dans la bande sahélo-sahélienne

Née de la fusion en 2014 des deux opérations Epervier (établie depuis 1986 sur le territoire du Tchad) et Serval (lancée en 2013 au Mali), l'opération Barkhane repose sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) et les autres acteurs de la stabilisation de la région (MINUSMa, EUTM Mali, Force conjointe du G5 Sahel). Elle a pour but de lutter contre les groupes armés terroristes (GAT) qui sévissent dans la région tout en aidant les forces armées des pays du Sahel à acquérir l'autonomie nécessaire au traitement des menaces.

Opération d'envergure régionale avec 4 900 militaires engagés en moyenne en 2021, Barkhane représente toujours le plus important des déploiements des forces françaises en opérations extérieures. Elle est aujourd'hui engagée dans une profonde réorganisation.

Jusqu'à l'été 2021, Barkhane a orienté son effort tactique sur l'attrition des GAT dans le Gourma et dans le Liptako au Mali tout en se concentrant sur le partenariat de combat avec les forces armées maliennes (FAMa). Le sommet de N'Djamena en février 2021 a consacré cet effort et le renforcement du dispositif français jusqu'à l'été permettant notamment le maintien du tempo opérationnel en zone des 3 Frontières et le ciblage des hauts cadres des groupes terroristes.

Cette phase cinétique, décidée par le Président de la République et marquée par un renforcement des effectifs de Barkhane, a précédé le désengagement progressif de l'opération annoncé à l'été 2021 dans le contexte d'un deuxième coup d'état au Mali le 24 mai et du rapprochement opéré par la junte malienne avec la Russie et la société militaire privée Wagner.

La première phase de la transformation de notre dispositif militaire au Sahel s'est achevée le 14 décembre 2021 par la rétrocession de l'emprise de Tombouctou aux autorités maliennes. Cette première phase, conduite en coordination avec les Maliens, a d'ailleurs coïncidé avec le déploiement fin décembre des premiers personnels russes à Tombouctou. Depuis la fermeture des emprises du nord du Mali fin 2021 (Kidal, Tessalit, Tombouctou), la Force est engagée dans la phase 2 de la ré-articulation du dispositif français en BSS qui doit se traduire par le retrait de Barkhane du Mali ( Task Force Takuba incluse) en sécurité, en bon ordre et dans les délais impartis, tout en poursuivant les actions de partenariat avec les Forces armées nigériennes, en favorisant l'appui aux opérations des Forces armées burkinabè et de la force conjointe G5 Sahel et en poursuivant les opérations de réassurance au profit de la MINUSMa et d'EUTM-Mali.

Source : Rapport du Gouvernement au Parlement sur les opérations extérieures et missions intérieures de la France, juin 2022

S'agissant enfin des financements prévus au titre du renforcement des capacités de projection (255 millions d'euros), il est permis de s'interroger sur le choix d'ouvrir ces crédits en PLFR de fin de gestion 2022 alors même que les besoins avaient déjà pu être identifiés au moment de la budgétisation. À l'instar du choix de financer l'impact de l'inflation par le report de charges, le Gouvernement semble là encore avoir fait primer, en PLF 2023, l'affichage d'un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées en 2023.

Page mise à jour le

Partager cette page