EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Assurer une meilleure prévisibilité de l'organisation des services
de la navigation aérienne en cas de mouvement social et un meilleur équilibre entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic

Cet article vise à assurer une meilleure prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et un meilleur équilibre entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic.

À cette fin, il crée une obligation pour tout agent, dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols, d'informer l'autorité administrative de sa participation à la grève au plus tard à midi l'avant-veille du mouvement.

La commission a adopté trois amendements pour renforcer la clarté du texte et placer les informations contenues dans la déclaration individuelle de participation à la grève sous la protection du secret professionnel.

I. Le cadre actuel relatif à l'exercice du droit de grève du personnel des services de la navigation aérienne ne permet pas d'assurer une organisation efficace des services

A. Les contrôleurs aériens, des fonctionnaires de la fonction publique d'État au rôle essentiel afin d'assurer le bon fonctionnement du trafic aérien

Les contrôleurs aériens sont des fonctionnaires de la fonction publique d'État, rattachés, au sein de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), à la direction des services de la Navigation aérienne (DSNA). Ils sont divisés en deux corps :

- les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) - catégorie A ;

- les techniciens supérieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile (TSEEAC) - catégorie B.

Leur mission au sein de l'écosystème de l'aviation est double. Ils garantissent tout d'abord la sécurité du trafic aérien en maintenant les avions dans des couloirs aériens précis afin d'éviter les collisions. Ils doivent également assurer la fluidité d'un trafic en croissance dans un espace aérien limité. Leur performance se mesure alors à leur capacité à assurer la ponctualité des avions.

Les contrôleurs aériens exercent leur métier dans deux types de structures : les centres de contrôle en route de la navigation aérienne (CRNA) et les services régionaux chargés du contrôle d'approche et du contrôle d'aérodrome (SNA). Il y a 5 CRNA en France et 12 SNA, dont 9 en métropole.

La performance des services de la navigation aérienne est cruciale dans le bon fonctionnement du secteur. Or, parmi d'autres facteurs, les mouvements sociaux peuvent influer sur cette performance.

B. Des abattements de vols préventifs avant les mouvements sociaux disproportionnés par rapport à l'ampleur des mouvements

Aujourd'hui, les grèves des contrôleurs aériens ont des conséquences extrêmement fortes, car, en cas de mouvement de grève, la DGAC n'est pas en mesure de déterminer le nombre exact de grévistes.

En effet, l'obligation qu'ont les syndicats de déposer un préavis de grève cinq jours avant le mouvement ne permet pas réellement d'anticiper dans quelle mesure le mouvement sera suivi. Ce délai permet seulement d'engager des négociations afin de prévenir la grève, ce qui n'est pas toujours possible. En outre, la DGAC, administration publique d'État, est concernée par les préavis de grève nationaux de la fonction publique. En cas de grève de cette nature, les syndicats de la DGAC n'ont aucune obligation de relayer en interne le préavis de grève.

Ce caractère imparfait de l'information s'explique par le fait que les contrôleurs aériens, à la différence de tous les autres travailleurs du secteur aérien, dont la grève à un impact sur le trafic, ne sont pas soumis à une obligation de se déclarer individuellement grévistes préalablement au mouvement.

Les déclarations individuelles de participation à la grève
en vigueur dans le secteur des transports

La loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 prévoit que les salariés indispensables à l'exécution des services publics de transport terrestre doivent informer leur employeur de leur intention de participer à une grève au plus tard 48 heures avant, sous peine de sanctions disciplinaires.

La loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 dite « loi Diard » a créé une obligation analogue pour les travailleurs du secteur aérien. Elle s'applique au personnel navigant (personnel navigant commercial et pilotes de ligne) et au personnel d'assistance au sol. La déclaration individuelle doit être transmise à l'employeur 48 heures avant la participation au mouvement de grève. Les salariés ont jusqu'à 24 heures avant le mouvement pour renoncer à participer à la grève.

Les contrôleurs aériens, en tant que fonctionnaires de la fonction publique d'État ne sont pas concernés par cette loi qui s'applique au secteur privé.

Cette information lacunaire amène la DGAC à annuler de nombreux vols préventivement afin d'éviter les annulations de dernière minute, bien plus dommageables pour le trafic aérien que les abattements de vols en amont. Ainsi, un total de 580 000 minutes de retard a été enregistré sur les 6 jours de grève de 2021-2022.

Plus généralement, de 2004 à 2016, 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe se sont produits en France, causant 96 % des retards enregistrés sur cette période. Cela représente 254 jours de grèves des contrôleurs aériens en France, contre 4 pour l'Allemagne. Plus grave encore, chaque jour de grève en France a un impact sur le trafic aérien européen beaucoup plus fort que dans les autres pays européens, puisqu'il est évalué à 35 000 minutes par jour de grève contre, par exemple, 1 800 en Grèce.

Les grèves au sein de la navigation aérienne ont un impact financier très élevé pour tous les acteurs du secteur aérien. Il est ainsi couramment admis qu'une minute de retard pour un avion entraîne un coût de 100 euros pour la compagnie aérienne2(*).

Outre les compagnies aériennes, les entreprises d'assistants d'escale sont également touchées par les annulations. Ce sont les entreprises auxquelles les compagnies aériennes sous-traitent la gestion des bagages, l'enregistrement des passagers, le nettoyage des avions, et diverses tâches effectuées au sol. Elles ont des coûts fixes élevés, liés en particulier à leurs coûts de main-d'oeuvre, mais sont rémunérées par les compagnies au nombre d'avions qu'elles traitent. La Chambre syndicale des assistants d'escale estime ainsi que, depuis 2012, chaque pour cent de vols annulés à l'aéroport de Roissy-CDG représente une perte de 20 000 euros pour les entreprises de ce secteur.

Une situation paradoxale découle de ces annulations préventives. Avant même que la grève commence, la DGAC a procédé à des abattements importants de vols. De la sorte, l'objectif de la grève en termes d'impact sur le trafic aérien et de retombées médiatiques est déjà atteint. Il n'est donc plus nécessaire de participer réellement à la grève. Même sans aucun gréviste effectif dans un service, les vols sont annulés, sans qu'il soit possible de revenir sur cette annulation.

Cette situation est particulièrement problématique s'agissant des grèves au sein de la « fonction publique » qui, au contraire des grèves catégorielles, sont peu suivies par les fonctionnaires de la DGAC, mais conduisent à la mise en place de restrictions préventives du trafic aérien, et donc à des abattements de vols. Or, sur les 43 jours de grèves à la DGAC entre 2021 et 2023, seuls 4 jours ont fait suite à des mouvements sociaux strictement internes à la DGAC. Le trafic aérien pâtit donc fortement de grèves la plupart du temps non liées à la DGAC et peu suivies en interne.

Si certains aéroports bénéficient d'un dispositif de service minimum (cf. infra, « D. Un recours fréquent au service minimum qui limite fortement le droit de grève des contrôleurs aériens »), ce n'est pas le cas pour tous. Pour les tours de contrôle ne faisant pas partie du périmètre bénéficiant du service minimum, l'absence de contrôleurs conduira à annuler tous les vols pendant la durée de la vacation du personnel gréviste. C'est par exemple le cas des aéroports de Montpellier et de Cannes.

C. D'inévitables annulations de vols « à chaud » face à l'impossibilité de prévoir l'ampleur réelle du mouvement

Il arrive parfois qu'en dépit d'un premier abattement préventif de vols, le nombre de grévistes se révèle supérieur à la prévision effectuée par la DGAC. Dans ce cas de figure, des annulations « à chaud » sont inévitables.

Or, ces dernières sont les plus pénalisantes pour les passagers, qui se sont rendus pour rien à l'aéroport et n'ont pas bénéficié d'un laps de temps suffisant pour chercher un trajet alternatif.

De même, les compagnies aériennes, en particulier les compagnies françaises, plus touchées par ce phénomène que les compagnies étrangères, sont fortement affectées par ces annulations.

Ces annulations peuvent aussi mener à des situations préjudiciables pour l'ordre public dans les aéroports. De nombreux voyageurs apprennent dans les terminaux, et parfois même quand ils sont déjà à bord de leur avion, que leur vol est annulé, ce qui peut donner lieu à des situations complexes à gérer par la force publique au sein des aérogares.

Ces divers impacts sont d'autant plus forts qu'en cas d'annulations massives de vols « à chaud », les aéroports concernés mettent fréquemment plusieurs jours, voire une à deux semaines, pour complètement s'en remettre. Les retards non anticipés s'accumulent fortement et sont difficilement rattrapables parce que les avions, en particulier les long-courriers, sont utilisés de façon quasi permanente.

Ces annulations « à chaud » amènent des retards et des annulations de vols non seulement dans les aéroports et les zones de contrôle en route touchées par la grève, mais également dans de nombreux aéroports en France et en Europe.

D. Un recours fréquent au service minimum qui limite fortement le droit de grève des contrôleurs aériens

Ce système est également très pénalisant pour les contrôleurs aériens eux-mêmes.

Cette absence de prévisibilité incite la DGAC à avoir fortement recours au service minimum par précaution. L'article L. 114-4 du code général de la fonction publique définit en effet un certain nombre de missions devant être assurées, même en cas de grève, par les services de la navigation aérienne.

Les missions assurées par le service minimum

Selon l'article L. 114-4 du code général de la fonction publique :

En cas de cessation concertée du travail dans les services de la navigation aérienne, doivent être assurés en toute circonstance :

1° La continuité de l'action gouvernementale et l'exécution des missions de la défense nationale ;

2° La préservation des intérêts ou besoins vitaux de la France et le respect de ses engagements internationaux, notamment le droit de survol du territoire ;

3° Les missions nécessaires à la sauvegarde des personnes et des biens ;

4° Le maintien de liaisons destinées à éviter l'isolement de la Corse et des collectivités ultra-marines ;

5° La sauvegarde des installations et du matériel de ces services.

Le décret d'application3(*) de l'article L. 114-4 du code général de la fonction publique précise les services de la navigation aérienne qui sont nécessaires à l'exécution de ces missions, et impose que la capacité offerte pour les survols, dans les espaces aériens gérés par la France, soit égale à la moitié de celle qui serait normalement offerte au cours de la période concernée.

Par ailleurs, il impose que les services chargés de la sécurité de la navigation aérienne dans certains aéroports soient ouverts, pour qu'un certain nombre de vols à l'arrivée et au départ soient assurés.

In fine, le service minimum consiste à assurer 50 % des vols. Il implique la réquisition de personnel nécessaire pour assurer cet objectif. Or, fréquemment, lorsque la DGAC constate que le nombre de grévistes est, finalement, plus faible que prévu, elle peut lever le service minimum. Il n'en reste pas moins que les agents réquisitionnés sont venus, et n'ont pas réellement eu l'opportunité d'exercer leur droit de grève.

En outre, cette absence de prévisibilité a une seconde conséquence néfaste pour les contrôleurs aériens. Avec le cadre juridique actuel, chaque mouvement social, quelle que soit son ampleur réelle parmi les contrôleurs aériens, a des conséquences très lourdes. Un mouvement minoritaire à des conséquences assez analogues à celles d'un mouvement social très suivi. Il y a donc une disproportion entre l'ampleur d'un mouvement et la réduction du trafic.

Or, cette situation cache la réalité du dialogue social au sein de la DGAC, qui est particulièrement dense. Les grèves catégorielles sont très peu nombreuses en comparaison des mouvements qui impliquent toute la fonction publique.

Il y a ainsi une forme d'instrumentalisation du système actuel, qui dégrade l'image des contrôleurs aériens de façon injustifiée. Les syndicats de la DGAC déplorent d'ailleurs que certaines compagnies aériennes profitent de cette situation en affirmant fréquemment que des retards divers sont dus à une grève des contrôleurs aériens, quand bien même ce n'est pas le cas.

E. Un cadre qui a montré ses limites les derniers mois

Le cadre actuel a particulièrement montré ses limites lors du mouvement social consécutif à la réforme des retraites.

Le samedi 11 février dernier, alors qu'aucune organisation syndicale n'avait officiellement repris le préavis de grève nationale fonction publique lié à la réforme des retraites, de nombreux agents ont fait grève. « »-De nombreux vols ont été annulés « à chaud ». Sur les 472 mouvements initialement prévus à Paris-Orly et Roissy-CDG, seuls 297 ont été maintenus. Le retard moyen sur cette journée a été de 117 minutes par vol.

Par la suite, au cours du mois de mars 2023, 2 038 vols, soit 4 % du total, ont été annulés au départ des aéroports de Paris-Orly et Roissy-CDG. Le trafic aérien en mars 2023 n'a atteint que de 85,4 % son niveau de mars 2019. Le groupe ADP estime que sans les grèves, il aurait été de 89,9 %.

De façon générale, sur le début de l'année 2023, dans tous les aéroports français, il y a eu 37 jours de grève, menant à 2,4 millions de minutes de retard.

Ces annulations touchent plus les compagnies aériennes françaises que les compagnies étrangères. Ainsi, l'impact des grèves au sein de la navigation aérienne française pour le groupe Air France est estimé à plus de 400 000 minutes de retard entre janvier et avril 2023. Sur la même période, le groupe a annulé plus de 3 000 vols. L'impact financier de ces seules annulations pour le groupe Air France est estimé à plus de 10 millions d'euros en 2023.

Pour la seule journée du 1er mai, les abattements de vols à l'aéroport Roissy-CDG (25 % des vols) ont eu un coût de 485 000 euros pour les entreprises d'assistants d'escale selon l'Union syndicale des assistants d'escale.

Hier encore, la DGAC était obligée de demander aux compagnies aériennes de réaliser un abattement de 33 % des vols à Paris-Orly et de 20 % à Bordeaux, Marseille, Lyon, Nantes, Toulouse et Nice.

Alors que la Coupe du monde de rugby puis les Jeux olympiques vont se tenir très prochainement en France, ces derniers mois ont montré combien une réforme rapide du système actuel d'encadrement du droit de grève des contrôleurs aériens est nécessaire.

Les contrôleurs aériens ont également vécu des semaines extrêmement difficiles, avec la mise en place d'un service minimum très éprouvant. Le système des réquisitions brise en effet toutes les souplesses qui permettent une conciliation équilibrée entre vie privée et vie professionnelle. Il dégrade également les conditions de travail et le dialogue social.

II. Créer une obligation de déclaration individuelle de participation à la grève deux jours avant le mouvement résoudrait ces difficultés tout en respectant le droit de grève des contrôleurs aériens

A. La déclaration individuelle et son cadre d'utilisation

La proposition de loi crée pour tout agent des services de la navigation aérienne dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols une obligation de se déclarer gréviste au plus tard à midi l'avant-veille de chaque journée de grève.

Tout agent qui a déclaré son intention de participer à la grève a la possibilité de renoncer à y participer. Il doit alors en informer l'autorité administrative avant dix-huit heures le même jour.

Ces déclarations individuelles peuvent alors être utilisées de trois façons différentes.

Tout d'abord, la DGAC peut utiliser les informations qu'elles contiennent pour décider, le cas échéant, du déclenchement du service minimum. Elle peut le faire, au plus tard, à dix-huit heures l'avant-veille de chaque journée de grève. La mise en place de ce tour de service ne peut intervenir qu'après avis du comité social d'administration compétent.

Ces informations peuvent également mener la DGAC à constater qu'il n'est pas nécessaire de mettre en place le service minimum, si le nombre de grévistes est inférieur à son seuil de déclenchement.

Deuxièmement, les informations issues des déclarations individuelles permettent aussi d'anticiper plus tôt le nombre exact d'abattements de vols qu'il sera nécessaire de réaliser. De la sorte, il est possible d'en informer plus tôt les compagnies aériennes, et donc in fine les passagers.

En outre, une troisième finalité est également poursuivie. Les informations issues des déclarations individuelles des agents peuvent en effet servir, une fois anonymisées, à l'information des organisations syndicales.

Ce texte, enfin, protège les contrôleurs aériens contre l'utilisation des déclarations individuelles à toute fin autre que l'organisation du service, l'information des passagers et celle des organisations syndicales. Des sanctions pénales sont prévues si ce cadre d'utilisation n'est pas respecté.

B. La déclaration individuelle, un instrument efficace de correction des principaux défauts du système actuel vis-à-vis des passagers

Grâce au système de déclaration individuelle, l'ampleur des grèves deviendrait plus prévisible. Il serait possible de ne pas annuler préventivement trop de vols par rapport au nombre réel de grévistes. Le service minimum n'est activé que lorsqu'il y a un nombre élevé de grévistes, et, de façon plus générale, le programme d'abattements de vol est strictement proportionné à l'ampleur du mouvement de grève. Un mouvement n'aurait de conséquences notables que s'il est réellement suivi par le personnel de la DSNA.

Dans les aéroports exclus du dispositif du service minimum, la déclaration préalable redonnera une prévisibilité sur l'activité de ces terrains, qu'il est impossible de donner avec certitude aujourd'hui.

Cette prévisibilité accrue permettra d'éviter d'avoir recours à des annulations « à chaud » en cas de sous-estimation de l'ampleur de la grève. Ces annulations sont en effet les plus préjudiciables pour les passagers, venus pour rien à l'aéroport, et pour le maintien de l'ordre public dans les terminaux.

Éviter les annulations « à chaud » permet également de laisser aux compagnies aériennes et aux sociétés aéroportuaires un délai suffisant pour s'organiser au mieux face à la grève, si bien que la contagion des effets de celle-ci dans d'autres aéroports, souvent à l'étranger, sera contenue.

Connaître l'ampleur de la grève permettrait d'informer plus tôt les passagers de ses conséquences. Ceux-ci disposeraient d'un laps de temps pour trouver, si c'est possible, une alternative à leur vol annulé. Les situations les plus problématiques avec, par exemple, des correspondances impossibles à effectuer seraient évitées.

Enfin, le délai limite imposé à la DGAC pour mettre en place le service minimum est de nature à faciliter son organisation, tant pour l'administration que pour les contrôleurs. Le personnel réquisitionné est prévenu plus tôt et plus facilement. Cette organisation évite des difficultés pratiques telles que l'incapacité à trouver un fonctionnaire réquisitionné absent de son domicile ou la venue des forces de l'ordre pour lui signifier sa réquisition.

Pour que le dispositif soit efficace, il est donc apparu nécessaire de mettre en place des délais différents de ceux mis en place par la loi « Diard » pour les compagnies aériennes. Alors qu'avec la loi « Diard », les salariés ont jusqu'à 24 heures avant le vol pour renoncer à leur participation à la grève, les contrôleurs aériens ne peuvent le faire que jusqu'à 18 heures l'avant-veille de chaque journée de grève. Ce délai supplémentaire facilite la réponse de tout l'écosystème du transport aérien en cas de grève.

C. Un exercice du droit de grève des contrôleurs aériens pleinement respecté, et même renforcé par cette disposition

Le recours au service minimum sera bien plus limité qu'aujourd'hui puisqu'il ne sera plus activé par précaution alors que le nombre de grévistes sera en réalité plus faible que prévu.

Ainsi, cette déclaration, loin de s'apparenter à une restriction du droit de grève, aboutira en réalité à le renforcer dans la pratique. De nombreux contrôleurs aériens, qui sont dans l'impossibilité de faire grève puisqu'ils sont réquisitionnés, auront la possibilité de participer au mouvement lorsque la DGAC constatera qu'il n'est pas nécessaire d'activer le service minimum.

Cette proposition de loi n'est pas une simple transposition de la loi « Diard » aux contrôleurs aériens. Un simple renvoi au code des transports pour des fonctionnaires de la fonction publique d'État ne serait en effet pas adapté. C'est la raison pour laquelle il est proposé créer un nouvel article au sein du code de la fonction publique.

Toutefois, les principales garanties mises en place par la loi « Diard » relative à l'utilisation des déclarations individuelles sont pleinement reprises dans cette proposition de loi. C'est en particulier le cas de l'existence de sanctions pénales en cas de mésusage des déclarations individuelles.

De même, la loi « Diard » prévoit une équivalence entre, d'une part, le délai limite laissé à un salarié pour renoncer à sa participation à la grève, et, d'autre part, celui laissé à la compagnie aérienne pour informer les passagers. Une équivalence analogue est prévue dans la proposition de loi entre le délai limite laissé à un contrôleur aérien pour renoncer à sa participation à la grève et celui dont dispose l'administration pour réquisitionner le personnel.

Ce délai limite de réquisition crée une obligation analogue pour l'administration à celle créée pour les contrôleurs aériens.

Cette proposition de loi prévoit d'inclure également des garanties supplémentaires pour le personnel, qui prennent en compte les spécificités de la DSNA, et en particulier l'existence d'un service minimum. C'est le cas, par exemple, de l'obligation qu'a l'autorité administrative de consulter le comité social d'administration compétent en cas d'activation du tour de service. De la sorte, même dans le cas où cette procédure est lancée, le dialogue social reste une priorité et le point de vue du personnel est pris en compte. L'information des organisations syndicales serait également prévue.

D. Un dispositif qui encadre de façon strictement proportionnée le droit constitutionnel de grève

Le droit de grève est « un principe de valeur constitutionnelle »4(*). Cependant, il revient au législateur d'opérer « la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; il est, à ce titre, loisible au législateur de tracer la limite séparant les actes et les comportements qui constituent un exercice licite de ce droit des actes et comportements qui en constitueraient un usage abusif » 5(*).

Plus particulièrement, il revient également au législateur de concilier le droit de grève et la continuité du service public : « en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ; que ces limitations peuvent aller jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays »6(*).

Or, le dispositif proposé a pour objectif d'assurer une meilleure prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne, et donc, in fine, une meilleure information des passagers, ainsi qu'une adéquation plus étroite entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic.

Cet objectif peut être défini comme un objectif d'intérêt général dans la mesure où il réduit pour les passagers les situations difficiles consécutives aux grèves et leurs conséquences économiques pour les entreprises, et permet surtout d'assurer le bon ordre et la sécurité des personnes dans les aérodromes et, par suite, la préservation de l'ordre public qui est un objectif de valeur constitutionnelle.

L'encadrement du droit de grève des contrôleurs aériens est mené de façon strictement proportionnée aux objectifs d'intérêt général du texte et à la nécessaire continuité du service public.

C'est afin de respecter cette proportionnalité que l'obligation de déclaration individuelle de participation à la grève proposée ne concerne que les agents « assurant des fonctions de contrôle, d'information de vol et d'alerte et dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols ». Il ne serait pas justifié au regard des objectifs de la proposition de loi que soient inclus dans son champ des agents de la DSNA dont l'absence n'affecterait pas directement la réalisation des vols.

Dans sa décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, le Conseil constitutionnel a jugé que cette obligation de déclaration préalable n'est pas contraire à la Constitution, seulement si elle « n'est opposable qu'aux seuls salariés dont la présence détermine directement l'offre de service ».

En outre, l'utilisation des déclarations individuelles est strictement encadrée, et toute utilisation hors cadre de ces dernières est passible de sanctions pénales.

Enfin, l'encadrement du droit de grève prévu ici est limité. L'objectif de ce texte n'est pas de remettre en cause le droit des agents de la navigation aérienne à faire grève. Ils pourront continuer de participer à un mouvement social, mais ils devront le déclarer au préalable à leur hiérarchie. Comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012, « l'obligation de déclaration préalable ne s'oppose pas à ce qu'un salarié rejoigne un mouvement de grève déjà engagé, auquel il n'avait pas initialement l'intention de participer, ou auquel il avait cessé de participer, dès lors qu'il en informe son employeur au plus tard quarante-huit heures à l'avance ; qu'en outre, la méconnaissance de ces obligations de déclaration individuelle préalable n'a de conséquences ni sur le caractère licite de la grève ni sur l'obligation pour l'employeur de rémunérer le salarié pour les heures pendant lesquelles il n'est pas en grève ».

III. Une proposition approuvée par la commission, sous le bénéfice de clarifications du texte bienvenues et d'une mesure pour renforcer la protection du secret des informations contenues dans la déclaration individuelle de participation à la grève

La commission a ainsi adopté l'article unique de la proposition de loi. Elle a adopté deux amendements visant à en clarifier les dispositions et un amendement qui place les informations contenues dans la déclaration individuelle de participation à la grève sous la protection du secret professionnel.

Un premier amendement ( COM-1) porte sur le deuxième alinéa de l'article unique. Il concerne le type de préavis de grève à l'occasion de laquelle l'obligation de déclaration individuelle est mise en place. La rédaction originelle mentionnait qu'il s'agit de grèves « concernant les personnels des services de la navigation aérienne ». Cela aurait pu laisser penser que le périmètre du champ d'application de l'article était restreint aux seuls préavis de grève internes à la DGAC. En auraient donc été exclus les préavis de grève nationaux de la fonction publique. Les grèves consécutives à un préavis national sont pourtant les plus fréquentes et celles qui ont l'impact le plus fort sur le trafic aérien. Il était donc nécessaire de les inclure sans aucune ambiguïté dans le périmètre de la proposition de loi.

Un deuxième amendement ( COM-2) porte sur la première phrase du sixième alinéa de l'article unique. On pouvait déduire de la rédaction originelle de la première phrase de l'alinéa 6 que l'information des passagers concernait uniquement « l'organisation de l'activité durant la grève dans les conditions prévues au présent article », et donc seulement le cas de la mise en place d'un service minimum.

Or, l'information transmise aux passagers pourrait s'étendre, d'une part, aux vols concernés par le service minimum, et, d'autre part, en cas de grève de faible ampleur ne nécessitant pas sa mise en place, les vols affectés par la grève. Cette nouvelle formulation permet de clarifier le texte en précisant que l'information des passagers englobe bien les adaptations du trafic aérien consécutives à un mouvement de grève, quelles que soient les adaptations qui en résultent.

Enfin, un troisième amendement ( COM-3) porte sur le sixième alinéa de l'article unique. Il introduit, après la première phrase, la mention selon laquelle les déclarations individuelles sont protégées par le secret professionnel. Cet amendement renforce la confidentialité des déclarations individuelles des agents qui participent au mouvement de grève. Il aligne la protection de ces déclarations sur la protection des déclarations analogues déjà existantes transmises à leurs employeurs par les personnels du secteur aérien entrant dans le périmètre de la « loi Diard ».

Ces trois amendements sont en parfaite continuité avec l'esprit d'équilibre qui anime cette proposition de loi. Ils en renforcent la clarté ainsi que la protection essentielle des contrôleurs aériens contre tout mésusage qui pourrait être fait de leur déclaration individuelle.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.


* 2 Cook, A.J. et Tanner, G. 2015. European airline delay cost reference values. Brussels EUROCONTROL Performance Review Unit

* 3 Décret n° 85-1332 du 17 décembre 1985 portant application de la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne.

* 4 Conseil constitutionnel, Décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979

* 5 Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012

* 6 Conseil constitutionnel, Décision n°  79-105 DC du 25 juillet 1979