N° 9

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux,

Par Mme Dominique ESTROSI SASSONE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Sénat :

494 (2022-2023) et 10 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi de Mme Sophie Primas visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux a été déposée début avril 2023 et a été signée par plus de quatre-vingts sénateurs.

Recevant à l'Élysée 220 maires, le 25 juin 2023, après les émeutes qui ont touché nombre de villes de France, le Président de la République a fait part de son intention de travailler sur les attributions de logements sociaux afin de laisser une plus grande marge de manoeuvre aux maires et leur donner une meilleure maîtrise du « peuplement » de leur commune.

Convaincue depuis longtemps que le bloc communal doit pouvoir jouer un rôle plus important en matière de logement, la commission formalise, en adoptant cette PPL, une première proposition qui replace les maires au coeur des attributions.

I. LA PLACE INSUFFISANTE DES MAIRES DANS L'ATTRIBUTION DES LOGEMENTS SOCIAUX

L'article L. 441 du code de la construction et de l'habitation (CCH)1(*) prévoit que les bailleurs sociaux attribuent les logements sociaux.

Pour ce faire, en application de l'article L. 441-2 du CCH2(*), il est créé par chaque bailleur social une commission d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements (CALEOL). Une commission intercommunale peut toutefois être créée dès lors que le bailleur dispose de plus de 2 000 logements sur le territoire de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Cette commission est composée de six représentants du bailleur, dont le président, du maire de la commune où sont implantés les logements, qui dispose d'une voix prépondérante en cas de partage, du représentant de l'État et de celui de l'EPCI. Par ailleurs, peuvent participer avec voix consultative des maires d'arrondissement ou les autres réservataires.

« Nous devons combattre un véritable sentiment de dépossession des maires
dans l'attribution des logements sociaux »

Or, la place des maires dans les CALEOL n'est pas à la mesure de leur rôle central dans le développement du logement social, notamment à travers l'attribution des permis de construire et la garantie des emprunts. De fait, l'attribution des logements leur échappe majoritairement. Ils pèsent peu dans les commissions d'attribution à côté de l'État ou des organismes HLM, étant seuls parmi une dizaine de membres.

Nombreux sont ceux, aujourd'hui, qui déplorent le sentiment de dépossession des maires vis-à-vis de l'attribution des logements sociaux. Ces difficultés impactent négativement la construction et l'acceptation de nouveaux logements sociaux. Cette perception semble alimentée par quatre facteurs principaux :

- le manque de logements sociaux face à une demande croissante alors que le parcours résidentiel, de la location vers la propriété, est bloqué ;

- la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du logement d'abord ou du droit au logement opposable (DALO), qui préemptent le peu de logements disponibles et échappent aux maires et à leurs administrés ;

- la très grande complexité, et l'incompréhension qui en découle, de la gestion en flux3(*) et de la cotation4(*) des demandes de logements sociaux créées par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ( ELAN5(*)) du 23 novembre 2018 et qui doivent entrer en vigueur fin 2023 ;

- et, enfin, la montée en puissance des intercommunalités en matière de logement6(*) qui peut contribuer à complexifier encore plus les modalités de la décision.

II. LA PPL ET LA POSITION DE LA COMMISSION : REPLACER LES MAIRES AU CENTRE DE LA DÉCISION D'ATTRIBUTION

L'article unique de la PPL conduirait à deux modifications :

- le maire deviendrait le président de la CALEOL, en lieu et place d'un représentant de l'organisme de logement social ;

et la représentation de la commune serait renforcée et portée au même niveau que celle de l'organisme de logement social, soit six membres, choisis parmi les élus du conseil municipal.

L'objectif de ces deux changements est de renforcer le poids des communes en les rendant incontournables dans le processus d'attribution des logements puisque, par ailleurs, depuis la loi ELAN, les maires disposent à nouveau d'une voix prépondérante dans ces commissions.

En revanche, cette PPL ne vient pas modifier les règles définissant les publics prioritaires, découlant de la mise en oeuvre du droit au logement opposable ou encore la future mise en oeuvre de la gestion en flux et de la cotation à partir de la fin de cette année. La PPL est bien centrée sur le rôle des maires dans le processus d'attribution.

« La place des maires dans les CALEOL est un élément aussi symbolique
que central. »

Cependant, l'augmentation importante de la représentation des élus dans ces commissions pose de réels problèmes pratiques de disponibilité et de quorum, car elles sont beaucoup plus fréquentes - parfois plusieurs par mois - que d'autres instances locales. Elle pourrait donc entraîner des difficultés de fonctionnement et un ralentissement des attributions.

À défaut donc d'établir l'égalité numérique entre la délégation du bailleur social et celle de la commune, la commission des affaires économiques a adopté un amendement du rapporteur ( COM-27(*)) donnant au maire un droit de veto plutôt qu'une voix prépondérante en cas de partage. Ce veto devrait être motivé et pourrait par exemple s'appuyer sur la qualification du parc social et de son occupation établie par le bailleur8(*) et d'ores et déjà prévue par les textes.

Par ailleurs, la commission des affaires économiques estime essentiel d'attribuer aux maires la présidence de ces commissions, tout en veillant à conserver leur caractère intercommunal lorsque c'est le cadre de fonctionnement établi. Dans ce cas, il apparaît cohérent qu'elles soient présidées par le représentant de l'EPCI, responsable de la politique du logement sur un territoire donné.

Enfin, la commission propose de généraliser la délégation des droits de réservation de l'État au maire lors de la première mise en location d'un programme neuf, comme le rend déjà possible une lecture souple du décret de 2020 qui régit la mise en oeuvre de la cotation, de la gestion en flux et des conventions de réservation. Cela se pratique déjà dans les Yvelines et dans d'autres territoires, selon les témoignages recueillis.

Non seulement cela redonnerait une vraie capacité au maire pour maîtriser le peuplement d'une résidence en lui donnant la possibilité d'attribuer environ la moitié des nouveaux logements, mais cela paraît également de nature à soutenir la construction de nouveaux logements sociaux et l'application de la loi SRU en permettant de répondre à la demande locale et donc de légitimer ce type de construction par rapport aux critiques récurrentes que nous connaissons.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Renforcement du rôle des maires dans les commissions d'attribution
des logements sociaux

Cet article vise à renforcer le rôle des maires dans les commissions d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements sociaux (CALEOL) en augmentant le nombre de représentants de la commune et en confiant la présidence de ces commissions aux maires.

La commission a adopté un amendement (COM1) supprimant l'accroissement du nombre des représentants de la commune et la voix prépondérante du maire, mais créant un droit de veto en sa faveur et généralisant la délégation du contingent de l'État au maire lors de la première attribution d'un programme neuf.

I. La situation actuelle - Le maire au centre du développement du logement social, mais marginalisé dans les attributions

A. Les responsabilités particulières du maire dans le développement du logement social

1) Les responsabilités éminentes du maire

Les maires ont une responsabilité éminente en matière de développement du logement social puisqu'il leur revient de prendre trois décisions clefs : accorder le permis de construire, apporter un terrain ou un financement et garantir des emprunts.

Cette responsabilité est d'ailleurs reconnue négativement par la « loi SRU » qui prévoit des sanctions importantes contre les maires qui ne respectent pas leurs obligations en la manière et dont la commune ne compte pas assez de logements sociaux.

Plus généralement, les maires sont responsables de la qualité de vie et du bien vivre ensemble des habitants de leur commune. Ils définissent les politiques de l'habitat et ce sont eux qui bien souvent reçoivent en premier les demandes et doléances de leurs habitants en matière de logement.

2) La gouvernance intercommunale de la politique du logement

Toutefois, dès 2014, la loi ALUR, complétée depuis, a souhaité positionner l'échelon intercommunal comme chef de file, car c'est lui qui dispose d'une vision large du bassin de vie, de travail et donc d'habitat.

Les EPCI doivent déployer une série d'outils que sont :

- le programme local de l'habitat (PLH), qui est un document stratégique déclinant sur six ans les réponses locales aux besoins d'habitat ;

- la conférence intercommunale du logement (CIL), instance de gouvernance de cette politique, qui doit notamment définir les orientations de la politique d'attribution, les objectifs en termes de mixité sociale ou de relogement des publics prioritaires bénéficiant notamment du droit au logement opposable (DALO) ;

- les orientations définies par la CIL sont mises en oeuvre via une convention intercommunale d'attribution (CIA) qui comporte les engagements précis annuels et quantifiés des bailleurs et de leurs partenaires locaux ;

- le guichet enregistreur de la demande de logement social si l'EPCI le souhaite ;

- le plan partenarial de gestion de la demande de logement social et d'information des demandeurs (PPGDID), document qui prévoit notamment les modalités de cotation des demandes et un dispositif de qualification du parc social et de son habitation (article L. 441-2-8 du CCH).

B. Des maires marginalisés malgré plusieurs dispositions correctives

1) Plusieurs dispositions ont été prises pour donner des marges de manoeuvre aux maires

Plusieurs dispositions partielles sont venues conforter les prérogatives des maires en matière d'attribution au regard de leur rôle clef dans le développement du parc, mais, il est vrai, sans y parvenir de manière complètement satisfaisante.

On peut citer notamment :

- Un droit de réservation de 20 % des logements dès lors qu'ils apportent une garantie d'emprunt, droit qui peut être majoré en cas d'apport de terrains et de financements (articles R. 441-5-3 et R. 441-5-4 du CCH) ;

- Dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), lorsque l'attribution d'un logement à un candidat proposé par un réservataire a échoué, le logement est mis à la disposition du maire pour qu'il désigne des candidats (article L. 441-1 du CCH) ;

- Dans ces mêmes quartiers, à la demande du maire, peut être créée une commission chargée de désigner d'un commun accord les candidats pour l'attribution des logements disponibles (article L. 441-1-5 du CCH) ;

- Enfin, le maire peut être entendu à sa demande par le conseil d'administration du bailleur (article L. 441-2-4 du CCH).

2) Les maires restent néanmoins marginalisés dans les attributions et ont un sentiment de dépossession

L'article L. 441 du code de la construction et de l'habitation (CCH) dispose que ce sont les bailleurs sociaux qui attribuent les logements sociaux dans les conditions prévues par l'article L. 441-1 du CCH qui définit notamment les règles de priorité et de réservation.

Pour l'attribution des logements sociaux, est créée, dans chaque organisme d'habitations à loyer modéré, une commission d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements, la CALEOL (article L. 441-2 du CCH).

La CALEOL est aujourd'hui composée de :

- six membres représentant l'organisme HLM, issus de son conseil d'administration et dont un représente les locataires. Ils élisent le président ;

- du maire ou de son représentant qui dispose d'une voix prépondérante en cas d'égalité des voix ;

- du préfet ou de son représentant ;

- du président de l'établissement public soit de coopération intercommunale soit territorial de la métropole du Grand Paris ou son représentant ;

- d'éventuellement un représentant d'un organisme ayant confié des logements en gérance.

Par ailleurs peuvent en être membres à titre consultatif :

- un représentant d'organismes sociaux agréés,

- les maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille,

- les réservataires qui ne sont pas membres de droit.

De ce fait, le maire, quoique membre de droit, est isolé et dispose de peu de poids au sein d'une commission composée d'une douzaine de membres. La voix prépondérante qui lui est attribuée depuis 20039(*), à la place du président de l'organisme de logement social, et qui lui avait été retirée en 201710(*) puis redonnée par la loi ELAN en 201811(*), n'est guère utile compte tenu de la composition de la commission où, mécaniquement, le partage des voix est rare.

Au-delà même de la CALEOL, nombreux sont ceux, aujourd'hui, qui déplorent le sentiment de dépossession des maires vis-à-vis de l'attribution des logements sociaux. Ces difficultés impactent négativement la construction et l'acceptation de nouveaux logements sociaux. Cette perception semble alimentée par quatre facteurs principaux :

- le manque de logements sociaux face à une demande croissante, alors que le parcours résidentiel, de la location vers la propriété, est bloqué ;

- la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du logement d'abord ou du droit au logement opposable (DALO), qui préemptent le peu de logements disponibles et échappent aux maires et, bien souvent, à leurs administrés ;

- la très grande complexité, et l'incompréhension qui en découle, de la gestion en flux et de la cotation des demandes de logements sociaux créées par la loi portant sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) du 23 novembre 2018 et qui doivent entrer en vigueur fin 2023 ;

- et, enfin, la montée en puissance des intercommunalités en matière de logement qui peut contribuer à complexifier encore plus les modalités de la décision.

II. Le dispositif envisagé - Renforcer le rôle des maires au sein des commissions d'attribution

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent apporter des solutions aux difficultés des maires à maîtriser l'attribution des logements sociaux dans leur commune.

Dans ce but, il est proposé deux évolutions principales :

- porter le nombre des représentants de la commune au même niveau que ceux du bailleur social ;

- confier la présidence de la CALEOL au maire.

Comme cela a été rappelé, le bailleur dispose aujourd'hui de six sièges et de la présidence de la commission, alors que le maire ou son représentant ne dispose que d'une seule voix et se trouve en minorité. La voix prépondérante en cas de partage, dont il dispose à nouveau depuis 2018, ne suffit pas à rétablir un certain équilibre.

Le texte propose donc que les deux délégations du bailleur et de la commune soient à égalité. En sus du maire ou de son représentant, cinq membres supplémentaires seraient élus par le conseil municipal en son sein à la représentation proportionnelle au plus fort reste. La voix prépondérante du maire prendrait alors tout son sens dans la discussion avec les autres membres.

Par ailleurs, dans ces CALEOL rénovées, le maire exercerait la présidence de la commission, car il est le principal responsable du développement et du peuplement de sa commune.

Les auteurs soulignent qu'une telle formule est devenue habituelle dans la plupart des instances locales comme les conseils de surveillance des établissements publics de santé (article L. 6143-5 du code de la santé publique), les conseils d'administration des établissements publics sociaux et médicosociaux (article L. 315-10 du code de l'action sociale et des familles), les centres communaux d'action sociale (article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles) et d'autres organismes consultatifs tels que la commission consultative des services publics locaux (article L. 1413-1 du code général des collectivités territoriales) ou la commission communale pour l'accessibilité aux personnes handicapées (article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales), c'est-à-dire leur présidence par le maire et une représentation à la proportionnelle du conseil municipal, garantissant son pluralisme politique et la transparence des procédures.

III. La position de la commission - Renforcer les pouvoirs du maire lors des premières attributions et en lui donnant un droit de veto sur les attributions suivantes

La commission n'a pas retenu l'augmentation du nombre des représentants de la commune pour des raisons pratiques. Mais elle propose de la remplacer, tout comme la voix prépondérante du maire, par la création d'un droit de veto ainsi que la généralisation de la délégation du contingent préfectoral au maire lors de la première attribution d'un programme neuf.

A. Augmenter le nombre des représentants de la commune pose des problèmes pratiques

Quoiqu'accueillie favorablement par nombre d'élus, les auditions du rapporteur ont fait apparaître plusieurs obstacles pratiques et opérationnels à l'augmentation du nombre d'élus communaux dans les CALEOL.

En effet, à la différence d'autres instances locales, les commissions d'attribution peuvent se réunir plusieurs fois par mois, voire sur un rythme hebdomadaire. Il pourrait devenir très difficile de mobiliser suffisamment d'élus provoquant un défaut de quorum qui retarderait les attributions au bénéfice des demandeurs et créerait de la vacance. C'est d'autant plus le cas qu'une commission peut se réunir pour n'attribuer qu'un seul logement dans une commune donnée en même temps qu'elle en attribuera d'autres situés ailleurs.

Les bailleurs se sont en outre inquiétés du risque d'importer au sein de la CALEOL des débats politiques entre sensibilités différentes, alors qu'il s'agit d'une instance fonctionnant habituellement par consensus.

Enfin, donner la majorité à la commune dans les choix d'attribution et de classement des dossiers peut présenter des inconvénients en désignant cette dernière comme directement responsable.

La commission n'a donc pas souhaité retenir cette proposition.

B. Donner un droit de veto au maire sur les attributions de logements

En revanche, la commission propose de donner un droit de veto au maire sur les attributions de logements en lieu et place de sa voix prépondérante en cas de partage, qui n'est pas opérante.

Cette décision devrait naturellement être motivée puisque le demandeur a droit à ce que les motifs de refus d'un logement soient expliqués par écrit (article L. 441-2-2 du CCH).

L'objectif d'un tel droit de veto n'est pas de créer une situation de défiance au sein des CALEOL qui doivent rester un lieu de débat et de décision collégiale, mais de permettre au maire de s'opposer à des attributions qui présenteraient des risques.

Ce veto pourrait tout particulièrement s'appuyer sur le travail de qualification du parc social et de son occupation par le bailleur, et sur l'identification de résidences fragiles à enjeu priorité de mixité sociale, notion que le Sénat a fait inscrire aux articles L. 441-1-6 et L. 441-2-2 du CCH.

Si le décret d'application de ces dernières dispositions se fait attendre malgré les engagements à nouveau pris par le ministère du logement auprès du rapporteur, le travail de qualification du parc est d'ores et déjà entamé par les bailleurs dans de nombreux territoires.

Il s'agit de définir une stratégie d'équilibre territorial et d'identifier selon les secteurs et résidences des enjeux différenciés d'attribution sur la base de critères objectifs. Cette démarche doit être menée dans le cadre du Plan partenarial de gestion de la demande en logement social et d'information des demandeurs (PPGID) prévu par l'article L. 441-2-8 du CCH. Les critères utilisés s'articulent avec ceux retenus pour la cotation de la demande.

Cette démarche doit permettre d'identifier les secteurs ayant une capacité d'accueil et ceux qui ne l'ont pas.

L'Union sociale pour l'habitat (USH) a ainsi pu présenter au rapporteur plusieurs exemples de mise en oeuvre territoriale à Valenciennes, à Limoges, à Grenoble ou encore en région parisienne à Plaine Commune ou Boucle Nord Seine.

C. Généraliser la délégation du contingent préfectoral au maire lors de la première attribution des logements

La commission a également décidé sur proposition du rapporteur de généraliser la délégation du contingent préfectoral au maire lors de la première attribution des logements dans un programme neuf, à l'exception de ceux réservés aux fonctionnaires civils et militaires de l'État.

En effet, la première attribution est une occasion unique d'attribuer en une seule fois un nombre significatif de logements et d'agir effectivement sur le peuplement d'une résidence et d'un quartier en disposant d'environ la moitié des droits d'attribution.

C'est également un moment très important pour les maires, qui ont soutenu un programme de logement social, pour démontrer qu'il est au profit des demandeurs de la commune. On peut penser que ce sera une forte incitation et une facilitation pour l'application de la loi SRU qui reste difficile dans nombre de territoires.

Or, cette possibilité existe déjà et se pratique dans plusieurs territoires, dont les Yvelines, mais reste peu connue.

En effet, elle résulte de l'interprétation souple de l'article 2 du décret n° 2020-145 du 20 février 2020 qui a été codifié dans l'article R. 441-5 du CCH qui porte sur les conventions de réservation entre les réservataires et les bailleurs et la gestion en flux des attributions.

Si les réservations s'exercent dès la première mise en location des logements et au fur et à mesure qu'ils se libèrent, la convention de réservation peut préciser « les modalités de la concertation que l'organisme bailleur organise avec l'ensemble des réservataires concernés relativement aux désignations sur les logements mis en location lors de la première mise en service d'un programme ».

La commission a donc décidé de formaliser beaucoup plus explicitement et de généraliser dans la loi ce qui n'est aujourd'hui qu'une faculté.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 5 octobre 2023, la commission a examiné le rapport de Mme Dominique Estrosi Sassone sur la proposition de loi n° 494 (2022-2023) visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente, rapporteur. - Nous passons maintenant à l'examen de la proposition de loi de Mme Sophie Primas visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux. Ce texte, déposé début avril 2023, a été signé par plus de quatre-vingts de nos collègues. Le groupe Les Républicains en a demandé l'inscription à l'ordre du jour de la Haute Assemblée le mardi 10 octobre prochain, à seize heures trente.

Cette proposition de loi a pris une actualité nouvelle après les émeutes de juin dernier. En effet, le Président de la République a indiqué, devant les 220 maires qu'il recevait le 25 juin à l'Élysée, vouloir travailler sur les attributions de logements sociaux afin de laisser une plus grande marge de manoeuvre aux maires et de leur donner une meilleure maîtrise du peuplement de leur commune, selon l'expression habituellement utilisée.

Cette proposition de loi ne contient qu'un seul article, qui conduirait à deux modifications. En premier lieu, le maire deviendrait le président de la commission d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements (Caleol), en lieu et place d'un représentant de l'organisme de logement social. En second lieu, la représentation de la commune serait renforcée et portée au même niveau que celle de l'organisme de logement social, soit à six membres, choisis parmi les élus du conseil municipal.

L'objectif de ces deux changements est de renforcer le poids des communes en les rendant incontournables dans le processus d'attribution des logements puisque, depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), les maires disposent à nouveau d'une voix prépondérante dans ces commissions.

Comme vise à le souligner l'exposé des motifs de la proposition de loi, les maires ont un rôle central dans le développement du logement social au travers des permis de construire et de la garantie des emprunts, mais cette centralité ne leur est pas reconnue dans l'attribution des logements, qui leur échappe largement. Ils pèsent peu dans les commissions d'attribution à côté de l'État ou des organismes HLM, étant chacun seul parmi une dizaine de membres.

Lors des auditions que j'ai menées, j'ai constaté qu'un assez large consensus se dégageait autour de l'idée qu'il fallait renforcer la place des maires. Au-delà, nombreux sont ceux, à commencer par l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui déplorent leur sentiment de dépossession concernant l'attribution des logements sociaux. Cette perception semble alimentée par plusieurs facteurs.

Le premier facteur est le manque de logements sociaux face à une demande croissante, alors que le parcours résidentiel est bloqué.

Le deuxième facteur est la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du Logement d'abord ou du droit au logement opposable (Dalo), qui préemptent les logements disponibles.

Le troisième facteur est la très grande complexité et l'incompréhension qui en découlent, au sujet de la gestion en flux et de la cotation des demandes.

Le quatrième facteur est la montée en puissance des intercommunalités, qui est sans doute nécessaire mais qui contribue à complexifier encore plus les modalités de la décision.

Face à ce constat partagé se pose la question de savoir comment redonner des marges de manoeuvre et une meilleure maîtrise aux élus en la matière. Leur place dans les commissions d'attribution est bien identifiée comme un élément aussi symbolique que central.

Pratiquement, plusieurs ont souligné la difficulté d'augmenter de manière importante la représentation des élus dans ces commissions, qui ne sont pas forcément comparables à d'autres instances locales en raison de leur fréquence. Il peut en effet y avoir plusieurs réunions par mois et cela pourrait rapidement poser des problèmes de disponibilité et donc de quorum et de fonctionnement de ces instances.

En revanche, tant l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) que l'association Ville et Banlieue ont jugé très positive l'idée que le maire en prenne la présidence. L'association France Urbaine, comme d'ailleurs l'USH, a souligné toutefois que ces commissions ont souvent un caractère intercommunal, qu'il ne faut pas ignorer. Il peut alors être cohérent de prévoir qu'elles soient présidées par le représentant de l'établissement de coopération intercommunale, l'EPCI, responsable de la politique du logement sur un territoire donné.

Ainsi, à défaut de l'égalité numérique entre la délégation de l'organisme de logement social et celle de la commune, émerge des auditions la proposition de donner au maire un droit de veto plutôt qu'une voix prépondérante en cas de partage. Naturellement, ce veto devrait être motivé au regard des règles d'attribution, mais il pourrait par exemple s'appuyer sur la qualification du parc social et de son occupation établie par le bailleur et d'ores et déjà prévue par les textes.

Enfin, les auditions ont mis en évidence que, comme le rend déjà possible une lecture souple du décret de 2020 qui régit la mise en oeuvre de la cotation, de la gestion en flux et des conventions de réservation, il serait souhaitable de généraliser la délégation des droits de réservation de l'État au maire lors de la première mise en location d'un programme neuf. Cela se pratique déjà dans les Yvelines et dans d'autres territoires, selon les témoignages que j'ai recueillis. Non seulement cela redonnerait une vraie capacité au maire pour maîtriser le peuplement d'une résidence en lui donnant la possibilité d'attribuer environ la moitié des nouveaux logements, mais cela me paraît également de nature à soutenir la construction de nouveaux logements sociaux et l'application de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), en permettant de répondre à la demande locale, et donc de légitimer ce type de construction par rapport aux critiques récurrentes que nous connaissons.

Vous retrouverez ces différents points dans l'amendement que je vous proposerai d'adopter, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, Mme Sophie Primas.

Enfin, je tiens à souligner que ce texte ne modifie pas les règles définissant les publics prioritaires découlant de la mise en oeuvre du droit au logement opposable ou encore la future mise en oeuvre de la gestion en flux et de la cotation des demandes à partir de la fin de cette année.

En revanche, et c'est pour moi un point essentiel, elle a pour objectif de redonner la main aux maires et de les reconnaître comme des acteurs centraux de ces politiques, dont la responsabilité échoit, selon nos concitoyens, à leur maire.

Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi. - Le logement dans notre pays est sans doute, avec l'insécurité, à l'origine de la pire des inégalités. Les problématiques tenant à la construction de logements, notamment sociaux, sont actuellement fortes. Nous allons connaître la pire des crises en la matière.

Les maires tentent d'apporter des réponses, malgré les injonctions contradictoires auxquelles ils sont soumis - construire sans densifier, foncier limité, peuplement équilibré -, mais ils ont très largement perdu la main sur cette question, notamment en ce qui concerne l'attribution des logements sociaux.

Tout cela débouche sur l'incompréhension des administrés, qui voient arriver des populations travaillant parfois très loin, et qui ne s'intègrent donc pas dans le tissu urbain où elles logent. Face à ce problème, les maires se trouvent en porte-à-faux. Ils sont de surcroît frappés de plein fouet par une baisse de leurs recettes fiscales.

Avec cette proposition de loi, je me suis efforcée de redonner la main aux maires, sans bouleverser les conditions d'attribution. Je juge fondamental de faire confiance à la connaissance de proximité des élus locaux pour loger convenablement leurs concitoyens. Au sortir de cette campagne électorale, aucun de nous ne peut rester insensible au désarroi des maires face à ce problème.

Je remercie Mme Dominique Estrosi Sassone d'avoir travaillé sur ce texte durant l'été et j'accepte les modifications qu'elle en a proposées.

M. Bernard Buis. - Ce texte a pour objet d'augmenter la présence des représentants de la commune au sein des commissions d'attribution des logements sociaux et d'en confier la présidence au maire. Nous ne sommes pas contre le principe, mais nous regrettons que ne soient pas pris en compte les intercommunalités et les départements. Le groupe RDPI proposera un amendement pour y remédier.

En revanche, nous sommes sceptiques sur la réécriture proposée par Mme le rapporteur. Le veto n'est qu'un refus et nous ne voyons de toute façon pas en quoi il améliorerait les problèmes de construction en France.

M. Franck Montaugé. - La question du logement doit être abordée dans un cadre beaucoup plus large compte tenu des difficultés auxquelles doit faire face notre pays actuellement. Nous avons besoin d'un grand texte et d'un important débat au Parlement pour embrasser toutes les problématiques.

La question du peuplement est centrale, mais elle ne peut être traitée à l'échelle d'une commune ou d'une intercommunalité. Elle n'est de surcroît pas définie juridiquement. Seule la loi peut poser des principes objectifs et républicains en la matière.

Le groupe SER s'opposera à cette proposition de loi.

Mme Viviane Artigalas. - Cette proposition de loi est peu compatible avec la nouvelle gestion en flux qui sera applicable au 24 novembre 2023. La faible construction de logements reste le problème principal : les commissions d'attribution sont de plus en plus en difficulté. Les maires, qui présideront ces commissions avec un droit de veto, feront face à de nombreux recours.

Les personnes en grande précarité doivent être logées et mieux accompagnées quand elles accèdent à des logements sociaux.

Par ailleurs, les commissions d'attribution sont organisées non commune par commune, mais à une échelle plus large. Convoquer l'ensemble des maires lors de chaque réunion de la commission d'attribution n'est pas opérationnel.

Enfin, les commissions intercommunales d'attribution sont certes perfectibles, mais, épaulées par des plans partenariaux de gestion, elles permettent de mieux orienter les attributions. Voilà la voie que je souhaiterais privilégier.

M. Yannick Jadot. - J'ai un grand plaisir à rejoindre le Sénat et cette commission en particulier.

Encore 2,5 millions de familles attendent un logement social, la pression est considérable. Les conditions d'attribution ont évolué, car pesaient de lourds soupçons de clientélisme. Heureusement, la loi a organisé la contrainte sur les maires qui ne voulaient pas créer de logements sociaux. Il existe encore des mairies qui ne respectent pas la loi.

La collégialité et l'objectivité des critères pour attribuer les logements sociaux sont fondamentales. Nous risquons de faire peser une pression encore plus forte sur le maire et de le mettre en difficulté. Eu égard aux exigences de protection des élus, cette proposition de loi ne me semble pas être la meilleure des idées. Cette objectivité des critères, liée à la forte représentativité des bailleurs sociaux, est nécessaire pour éviter clientélisme et discriminations.

J'ai interprété les propos du Président de la République, qui parlait de « peuplement », en termes de mixité sociale. Il serait très grave d'autoriser toute forme de discrimination par le nom ou l'origine, ce serait contraire à nos principes républicains. Nous nous opposerons à ce droit d'exclure que vous proposez.

Mme Amel Gacquerre. - Je salue votre volonté de redonner aux maires un pouvoir d'agir et de choisir leur population dans leur commune, sujet essentiel. Les maires sont désemparés de ne pas pouvoir accompagner leurs habitants. Madame Primas, vous assumez le fait de dire qu'il y a un lien direct avec les événements de juillet ; je suis d'accord. Nous soutiendrons votre texte.

L'intercommunalité joue aujourd'hui un rôle prépondérant en matière de logement : quelle place lui accordez-vous dans ce texte ?

Vous disiez ne pas vouloir toucher aux critères d'attribution, notamment pour les personnes prioritaires. Cependant, le contingent préfectoral pose problème, car il fait passer le maire à côté de son objectif de mixité sociale. Il faudra mettre le sujet sur la table.

Quant à la mise en oeuvre opérationnelle de vos propositions, j'ai encore des interrogations.

M. Fabien Gay. - Je salue notre présidente, qui organisera - j'en suis sûr - des débats contradictoires apaisés et constructifs, car les défis sont grands.

Cette proposition de loi est une première étape, avant un débat très large sur le logement.

Nous ne réglerons pas la question des violences urbaines et des révoltes - question très politique - seulement en donnant un pouvoir au maire d'attribution des logements. Les crédits votés en juillet dernier ne régleront rien non plus. La colère perdure : le chômage est endémique, le mal-logement est une réalité, les services publics reculent. Accorder 20 logements sur 8 000 demandes laissera 7 980 familles sur le carreau. On ne va pas régler les problèmes par la pénurie. Le Gouvernement a ponctionné le secteur du logement social de 10 milliards d'euros. Les maires risquent d'être mis en très grande difficulté. Pourtant, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste - Kanaky défend la commune comme échelon prioritaire pour répondre aux besoins humains.

J'en viens à la mixité. Je suis un enfant des quartiers populaires. Sans services publics, sans débat sur le mal-logement et la rénovation urbaine, la mixité sociale restera un leurre. Qui veut habiter dans un quartier très dégradé ? Personne.

Enfin, je m'oppose au droit de veto, bien différent de la notion de voix prépondérante. Où iront les familles refusées ? Quel sera leur parcours résidentiel ensuite ? À quelle porte iront-elles frapper ?

M. Denis Bouad. - Le Président du Sénat nous demande de moins légiférer pour mieux légiférer. Or cette proposition de loi ne servira pas à régler les difficultés des mal-logés et elle est inapplicable.

Je suis favorable à la voix prépondérante pour les maires ; mais comment penser qu'un Gouvernement, qui a ponctionné plusieurs dizaines de milliards d'euros aux bailleurs sociaux, pourra réussir une politique de peuplement ? La difficulté est bien de choisir les familles qui obtiendront un logement, dans ce contexte de grande pénurie.

D'un point de vue opérationnel, allons-nous changer de président tous les quarts d'heure au sein des commissions d'attribution, en fonction de la commune concernée ?

Il nous faut une vraie politique, un « plan Marshall » pour la construction de logements. Voyez la précarité des populations, l'insalubrité de certains logements ou encore la situation des Restos du coeur. Il nous faut être force de proposition, pour que le Gouvernement enfin nous entende.

M. Henri Cabanel. - Dans cette commission, nous dressons le même constat face à cette politique du logement peu ambitieuse, pour ne pas dire inexistante. Cette proposition de loi contient des mesures avec lesquelles nous pouvons être d'accord, malgré des difficultés opérationnelles ; mais nous nous opposons au droit de veto : il représente une trop grande responsabilité pour les maires.

Sur le papier, élargir la commission d'attribution à des conseillers municipaux peut sembler pertinent, mais comment trouver les conseillers ? Les absents seront nombreux.

M. Philippe Grosvalet. - La question du logement social se gère sur un temps très long. Or c'est le sujet numéro un pour nos maires et nos populations. En la matière, les inégalités territoriales sont immenses. À Saint-Nazaire, un tiers des habitants est logé en logement social, alors que La Baule paie de très fortes amendes car elle ne respecte pas les quotas de logement social. Nous héritons de très grandes disparités sociales historiques ; or les politiques du logement ont été menées par les maires. Assumons cette histoire. Sur le logement social, il faudra une loi plus importante. Tout sénateur a une grande confiance envers les maires, mais concernant le logement social, ma confiance n'est pas absolue envers certains maires de notre pays.

M. Daniel Gremillet. - Notre commission aura de très grands défis à traiter : énergie, alimentation et logement notamment. Je remercie Mme Primas d'avoir eu le courage de déposer ce texte. Traitons enfin la question, car nous sommes face à un mur. Commencer ce nouveau mandat par le logement est un signal fort adressé aux maires, qui seuls ont la connaissance si précieuse du terrain et des habitants. Mettons le pied dans la porte : ce texte nous permet d'ouvrir les débats.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente, rapporteur. - Le Sénat fut précurseur pour alerter sur la crise du logement. Nous avons tiré la sonnette d'alarme très souvent auprès du Gouvernement, notamment lors de l'examen des lois de finances et grâce à de nombreux véhicules législatifs. Depuis 2017, le Président de la République et la majorité présidentielle n'ont jamais fait du logement leur priorité.

Le Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement est un échec : il a mobilisé tous les acteurs, de la Fondation Abbé Pierre à la Fondation des promoteurs immobiliers (FPI), contre ses conclusions, à savoir un grand vide.

Nous avons tous dit que cette crise du logement serait sans précédent. Le nombre de constructions de logements neufs n'a jamais été aussi bas et la situation empirera en 2024. Tous les chefs d'entreprise du secteur du bâtiment s'inquiètent : des entreprises risquent de fermer, comme le craignent la Fédération française du bâtiment (FFB) ou la FPI. Quant aux dernières mesures annoncées, comme le dramatique recentrage du prêt à taux zéro (PTZ), elles vont laisser sur le bord du chemin 80 % de nos concitoyens.

On nous a promis une grande loi sur le logement, grâce à la décentralisation de la politique du logement, mais nous n'avons aucune visibilité. Quant à ce premier outil législatif, il a été balayé d'un revers de la main par le ministre, au nom même de cette décentralisation. Aujourd'hui, le Président de la République et la Première ministre n'ont que ce mot à la bouche : « décentralisation ». Cependant, mettre toutes les charges sur les épaules des collectivités, dès le printemps 2024, ne fera pas une politique du logement. On a aussi entendu dire que plusieurs petits textes traiteraient la question avec le risque d'un saucissonnage illisible et inefficace. Nous sommes dans le flou le plus complet.

Ce texte de Mme Primas rappelle que le logement est un sujet prioritaire. Il permet de lancer le débat, notamment avec le nouveau ministre chargé du logement.

L'échelon intercommunal est chef de file en matière de politique du logement. Or très peu de commissions intercommunales existent ; dans ce cas, c'est bien le président de l'intercommunalité qui présidera. Par ailleurs, le président de l'intercommunalité ou son représentant est déjà membre des commissions d'attribution.

Vous évoquez des difficultés opérationnelles, mais les commissions d'attribution concernent déjà un grand nombre de communes. Les maires ou leurs représentants y sont bien présents, le maire concerné pourra parfaitement prendre la présidence.

La voix prépondérante du maire reste très peu utilisée ; elle ne concerne que les cas d'égalité de voix. Nous ne voulons pas mettre les maires en porte-à-faux. Cependant, nous voulons qu'il puisse exercer ce droit de veto quand il pense que les conditions ne sont pas réunies par un ménage pour l'attribution de tel logement. Les maires sont des personnes responsables qui avant tout savent négocier. Tout veto doit être dûment motivé, il ne s'agit pas d'un droit discrétionnaire. De plus, des recours sont possibles.

Monsieur Jadot, j'entends vos remarques sur le clientélisme, mais c'est du passé et cela relève de la caricature. Le maire doit répondre avant tout aux demandes de ses habitants, de ceux qui vivent dans sa commune.

Concernant les logements neufs, il faut que le contingent de l'État soit dévolu au maire. C'est un encouragement et une marque de confiance envers lui. Cela permettra au maire de distribuer plus de logements aux habitants de sa commune. Ces mesures sont déjà appliquées par Mme Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes : grâce à cette mesure, les problèmes sont évités dans les logements neufs de sa commune. En effet, un seul ménage peut contribuer à rompre les équilibres trouvés.

Enfin, monsieur Montaugé, l'USH fournit un document présentant les indicateurs, des critères républicains, permettant de qualifier la demande déterminer l'occupation du parc social. Ce document est la feuille de route de l'ensemble des bailleurs sociaux pour analyser les dossiers. Cette proposition de loi n'a pas pour objet de modifier ces critères mais au contraire de s'appuyer sur ce travail.

Il nous faut prendre rapidement la mesure de la crise du logement qui se profile et organiser rapidement, au-delà des futures dispositions du projet de loi de finances, une table ronde avec tous les acteurs du secteur, de la Fondation Abbé Pierre jusqu'aux fédérations de promoteurs et de constructeurs.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, je vous propose d'adopter le périmètre suivant : sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux prérogatives des maires et des communes dans l'attribution des logements sociaux et à l'organisation et au fonctionnement des commissions d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements définis à l'article L. 441-2 du code de la construction et de l'habitation.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'amendement  COM-1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. L'amendement  COM-2 vise à ne pas retenir l'augmentation du nombre de membres de la délégation communale au sein de la commission d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements, car elle présentait des difficultés pratiques tant de disponibilité des élus que de quorum.

En compensation, l'amendement tend à instaurer un droit de veto du maire en lieu et place de l'actuelle voix prépondérante en cas de partage des voix, qui est rarement utilisée et peu utilisable compte tenu de la composition de la commission. Ce veto devra être motivé puisque la décision de refus doit elle-même être explicitée au demandeur.

S'il retient le principe d'une présidence de la Caleol par le maire, l'amendement a également pour objet de permettre que cette fonction soit exercée par l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dès lors qu'il est à l'origine de la constitution d'une Caleol intercommunale.

L'amendement vise enfin à systématiser et à inscrire dans la loi une pratique d'ores et déjà autorisée dans le cadre des conventions de réservation et usuelle, à savoir la délégation des droits de réservation de l'État au maire lors de la première location d'un programme neuf. Cela permettrait donc au maire d'attribuer de droit environ la moitié des nouveaux logements, ce qui lui assurerait une réelle maîtrise du peuplement et, en outre, constituerait une véritable incitation à la construction de nouveaux logements sociaux.

L'amendement COM-2 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme ESTROSI SASSONE, rapporteur

2

Suppression de l'augmentation de la délégation du conseil municipal et de la voix prépondérante du maire mais création d'un droit de veto du maire sur les attributions et généralisation de la délégation au maire des droits de réservation de l'État lors de la première attribution d'un programme.

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

M. WATTEBLED

1

Non prise en compte de la population carcérale dans le cadre de l'application de l'article 55 de la loi SRU.

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION
DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION
ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 12(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie13(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte14(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial15(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires économiques a arrêté, lors de sa réunion du jeudi 5 octobre 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 494 (2022-2023) visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux.

Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives :

- aux prérogatives des maires et des communes dans l'attribution des logements sociaux,

- et à l'organisation et au fonctionnement des commissions d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements (CALEOL) définis à l'article L. 441-2 du code de la construction et de l'habitation.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 22 septembre 2023

- Union sociale pour l'habitat (USH) : MM. Thierry ASSELIN, directeur Politiques urbaines et sociales, et Antoine GALEWSKI, directeur des relations institutionnelles et parlementaires.

- Audition conjointe du cabinet du ministère du logement et de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) :

- Cabinet du ministre : MM. Arnaud CURSENTE, directeur de cabinet, Guillaume VOISARD, conseiller logement, et Mme Laure-Emmanuelle BARILLET, conseillère parlementaire ;

- DHUP : M. Damien BOTTEGHI, directeur, Mme Amélie RÉNAUD, adjointe au directeur, MM. Luc-André JAXEL-TRUER, sous-directeur législation de l'habitat, et Sébastien GORLIN, adjoint au sous-directeur.

Lundi 25 septembre 2023

- Audition conjointe d'associations d'élus : Mme Isabelle LE CALLENNEC, maire de Vitré, présidente de Vitré Communauté, secrétaire générale adjointe de l'AMF et co-présidente du groupe de travail logement, M. Hugo DEMAILLE, conseiller logement - département aménagement du territoire (AMF), Mme Charlotte DE FONTAINES, chargée des relations avec le Parlement (AMF), et Mme Catherine ARENOU, 1ère vice-présidente de l'Association Ville & Banlieue, maire de Chanteloup-les-Vignes.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- France urbaine

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-494.html


* 1 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037667676

* 2 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045211440

* 3 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_politique_attribution_logements_locatifs_sociaux_gestion_flux_droits_reservation_logements_sociaux.pdf

* 4 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_cotation_des_demandes_de_logement_social.pdf

* 5 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-567.html

* 6 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_politique_attribution_logements_locatifs_sociaux_gouvernance_intercommunale.pdf

* 7 https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/494/Amdt_COM-2.html

* 8 https://boutique.union-habitat.org/publications/la-qualification-du-parc-social-et-de-son-occupation-elements-de-methode-et-retours

* 9 Article 58 de la loi n° 2003-710 du 1 août 2003.

* 10 Article 75 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 11 Article 109 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 12 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 13 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 14 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 15 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.