TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (27 SEPTEMBRE 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes. En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le Haut Conseil rend un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l'année.

Lorsque le Gouvernement révise les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement son projet, le Haut Conseil rend également un avis sur ces prévisions et sur l'estimation de PIB potentiel sur lesquelles repose cette programmation. C'est ce qu'il a fait à l'occasion de la révision du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour la période 2023-2027 proposée par le Gouvernement en vue de la nouvelle lecture, après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) de décembre dernier.

Alors que la croissance devrait être très modérée en 2024, dans le contexte d'un nouveau durcissement de la politique monétaire et d'une stagnation de la croissance mondiale, votre éclairage sur la sincérité et la crédibilité de la trajectoire budgétaire, présentée à la fois, pour l'année qui vient, mais également pour la période quinquennale à venir, sera précieux. Je note en particulier le fait que le scénario macroéconomique sur lequel repose la programmation pluriannuelle, et dans certaines hypothèses le PLF pour 2024, vous paraît optimiste. Dès lors, il est permis de penser que la trajectoire pourrait être difficile à respecter...

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Le Haut Conseil, qui avait rendu un avis sur la programmation des finances publiques l'année dernière, a de nouveau été saisi, conformément à la Lolf, par le Gouvernement, celui-ci-ayant modifié ses hypothèses macroéconomiques et mis à jour la trajectoire de finances publiques associée.

Dans un premier temps, je présenterai l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2024.

Le Haut Conseil des finances publiques a examiné les prévisions économiques ainsi que le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses. Il a bénéficié de la part de l'administration fiscale d'informations enrichies sur les finances publiques, et ce dans des délais normaux. Je me félicite de cet échange de bonne qualité car le Haut Conseil peut ainsi mieux remplir son mandat, conformément à la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2024 repose sur une prévision de croissance de +1,4 %, que le Haut Conseil juge élevée. La prévision d'un solde public de -4,4 points de PIB paraît, de ce fait, optimiste. En effet, la croissance mondiale a faibli en 2023 et devrait rester globalement inchangée en 2024, pénalisée par une inflation certes en baisse, mais toujours assez élevée, et par des politiques monétaires durablement restrictives au sein des pays développés. L'environnement économique mondial est donc peu porteur pour la croissance française et nos finances publiques. Le rebond de la croissance chinoise, résultant de la fin de la politique zéro covid, a été de courte durée. Parallèlement, les pays de la zone euro traversent une phase de ralentissement. La croissance allemande, dont le retour est prévu pour 2024, devrait demeurer modeste, entre 1 % et 1,3 %, sur une base dégradée. Au niveau mondial, l'incertitude règne concernant l'inflation et l'impact du durcissement des politiques monétaires opéré par les banques centrales.

Selon le Gouvernement, la croissance du PIB de la France s'établirait à +1 % en 2023 et à +1,4 % en 2024. La prévision pour 2023, jugée un peu élevée par le HCFP l'année dernière, est désormais plausible. C'est l'occasion pour moi de rappeler que la qualité d'une prévision économique doit être jugée par rapport au moment où elle est faite et aux informations disponibles. Il peut arriver qu'une prévision soit dépassée ; pour autant, elle doit être « centrale ».

Le HCFP considère que la prévision de croissance gouvernementale pour 2024 est élevée. Elle est ainsi supérieure à celle résultant du consensus des économistes, qui s'établit à +0,8 %, ainsi qu'aux prévisions des institutions consultées par le Haut Conseil, qui prévoient une croissance située entre +0,4% et - pour la Banque de France - +0,9 %. Certaines hypothèses du Gouvernement sont fragiles. Ce dernier suppose ainsi que le durcissement des conditions de crédit aura un impact limité sur l'investissement des entreprises et entraînera un faible recul de l'investissement des ménages. Même si cette prévision n'est pas inatteignable, elle ne constitue pas pour autant une bonne base en vue de l'élaboration de la loi de finances.

La prévision de solde public de -4,4 points de PIB, sans être là encore inatteignable, paraît optimiste. Du côté des recettes, la prévision de prélèvements obligatoires pour 2024 est élevée, tirée par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts : croissance de la TVA supérieure à celle de la base taxable ; arrêt prévu de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Quant aux dépenses, elles augmenteraient en 2024 de 3 % en valeur et de 0,5 % en volume. La progression serait nettement plus sensible, une fois neutralisées les mesures exceptionnelles de soutien face à la hausse des prix, soit 4,8 % en valeur et 2,2 % en volume. L'essentiel des économies présentées, c'est-à-dire quelque 16 milliards d'euros, provient du retrait de ces dispositifs, les économies structurelles étant nettement plus faibles.

En 2024, le niveau des dépenses publiques comparé au PIB sera supérieur de 1,5 point à ce qu'il était avant la crise du covid. Sur le nouveau champ dit du périmètre des dépenses de l'État, la très forte réduction du coût des mesures de soutien face à la montée des prix de l'énergie serait presque compensée par la hausse résultant des priorités gouvernementales - 7 milliards d'euros dédiés à la transition écologique ; 3 milliards d'euros pour l'éducation nationale ; des crédits supplémentaires pour les politiques sectorielles de la défense, de la justice, de la recherche et de l'intérieur. Enfin, la charge d'intérêts augmenterait en 2024 de 10 milliards d'euros par rapport à 2023.

La prévision de hausse des dépenses publiques est susceptible d'être dépassée du fait de facteurs tels que le bouclier tarifaire sur le prix de l'électricité et les dépenses de santé de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).

Le HCFP considère donc que la prévision de déficit public en 2024 est optimiste. Ce déficit demeurera sensiblement supérieur à la limite de 3 points de PIB prévue par le pacte de stabilité et de croissance (PSC). En outre, alors que le Conseil de l'Union européenne demandait à la France de plafonner à 2,3 % l'augmentation nominale des dépenses primaires nettes financées au niveau national en 2024, le Gouvernement prévoit sur ce même périmètre une augmentation de 2,6 %.

Le projet de loi de finances contient peu de mesures d'économies structurelles. Enfin, le ratio de dette publique par rapport au PIB ne baisserait plus en 2024, après une diminution de 2 points en 2023. La croissance en valeur du PIB, moins forte en 2024 qu'en 2023 du fait du repli de l'inflation, devient moins favorable.

C'est pourquoi le Haut Conseil continue à appeler à la plus grande vigilance quant à la soutenabilité à moyen terme des finances publiques.

Dans un second temps, je présenterai l'avis du Haut Conseil relatif à la révision du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Il est indispensable que la France se dote d'une loi de programmation des finances publiques pour les raisons suivantes : elle fait partie intégrante de notre ordre public financier ; c'est une nécessité politique et de bonne gestion ; c'est un engagement pris par la France au niveau communautaire, ainsi que dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Je souhaite donc ardemment qu'une LPFP soit votée.

Le HCFP a examiné l'estimation par le Gouvernement de la position de l'économie française au sein du cycle économique. Les deux hypothèses retenues dans le projet de LPFP sont optimistes. Le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse son estimation du PIB potentiel, mais son évaluation de l'écart de production traduit toujours une appréciation favorable de la capacité de rebond de l'économie française, laquelle se situerait dans un creux conjoncturel. Or nous constatons tous des tensions persistantes au niveau des recrutements, qui demeurent à un niveau historiquement élevé même si leur nombre a un peu diminué.

Le Gouvernement a conservé sa prévision, optimiste, de croissance potentielle à +1,35 % sur la période 2023-2027. Il est vrai que la prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour le début de la période, ou celle du Fonds monétaire international (FMI) pour la fin de celle-ci, s'en rapprochent. Mais elle est supérieure à celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la Banque de France ou de la Commission européenne. Elle suppose que le progrès technique et l'efficacité des facteurs de production se remettent à croître conformément aux tendances antérieures à la crise sanitaire, et qu'existe un dynamisme important de l'investissement des entreprises malgré le durcissement des conditions de crédit.

Enfin, cette prévision repose sur une évaluation des effets indéniables des réformes du marché du travail, que le HCFP estime toutefois trop importants et trop rapides.

Si la croissance prévue par le Gouvernement pour 2024 a été jugée élevée, il en va de même de celle prévue pour les années suivantes. L'hypothèse de +1,7 % en 2025 et 2026, et celle de +1,8 % en 2027 sont optimistes : elles s'appuient sur une prévision de recul important du taux d'épargne des ménages, un niveau élevé d'investissement des entreprises et une contribution positive du commerce extérieur, qui apparaît favorable au vu des tendances passées.

L'hypothèse macroéconomique du Gouvernement ne repose pas sur une prévision totalement irréaliste. Je n'utiliserai pas le terme d'insincérité, qui suppose une intention de tromper ; tel n'est pas le cas ici. Nous ne sommes pas non plus dans l'irréalisme car ce qui est envisagé n'est pas inatteignable. Pour autant, la combinaison d'hypothèses favorables est de nature à fragiliser la réalisation des objectifs de finances publiques présentés.

L'objectif de moyen terme (OMT) de la France est d'atteindre un déficit structurel maximal de 0,4 point de PIB, bien loin des 2,7 points attendus en fin de programmation. Je reconnais qu'atteindre cet OMT aussi rapidement est assez dur et, même, n'est pas souhaitable. J'observe cependant que la réduction du déficit paraît bien lente ! Si la cible s'améliore, comparée aux 2,9 points envisagés dans la version initiale, le Gouvernement ne prévoit pas de retour sous le niveau des 3 points de PIB avant 2027. Si l'on observe les programmes de stabilité de nos principaux partenaires - certes déposés il y a cinq mois - aucun ne prévoit une échéance aussi tardive. L'Irlande, la Grèce, l'Allemagne, le Portugal et les Pays-Bas avaient déjà un déficit inférieur à 3 points de PIB en 2022 ; pour l'Espagne ce sera en 2024, pour l'Italie en 2025, et pour la Belgique en 2026. Nous sommes les derniers avec la Slovaquie.

Dans ce projet de loi de programmation révisé, le Gouvernement vise une baisse un peu plus forte du ratio de dette publique que dans le texte initial. Je m'en félicite, mais la réduction serait modeste : 108 points de PIB en 2027, soit près de 4 points en cinq ans. Ce rythme ne nous permettra pas d'atteindre les 60 % dans un horizon raisonnable pour chacun d'entre nous. Cette trajectoire est donc peu ambitieuse au regard des engagements européens. C'est d'autant plus regrettable que la crédibilité de la trajectoire peut être discutée, puisqu'elle suppose des dépenses hors charges d'intérêt quasi stables sur la période 2024-2027, avec une croissance moyenne annuelle de 0,1 point en volume, ce qui est bien plus ambitieux que ce qui a été réalisé par le passé. En comparaison, la période pendant laquelle la croissance de la dépense a été la plus contenue au cours des vingt dernières années est la période 2010-2014, c'est-à-dire pendant la crise des dettes souveraines en zone euro. Les dépenses hors charges d'intérêts augmentaient alors en volume de 0,9 point en moyenne par an. Le Gouvernement envisage donc de faire beaucoup plus que le plus ambitieux de ce qui a été fait au cours des vingt dernières années !

Cette progression très limitée des dépenses reposerait notamment sur une réduction marquée des dépenses de l'État à moyen terme, qui baisseraient, en moyenne, de 0,9 point en volume.

Il faut noter que les dépenses relevant des lois de programmation sectorielle, par exemple celles relatives à la défense, seront plus dynamiques. Les autres dépenses de l'État devront, dès lors, baisser très fortement. La maîtrise de la dépense reposerait également sur la baisse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, qui s'établirait à 0,5 point en moyenne sur la période 2024-2027 - et ce, sans mécanisme contraignant pour y parvenir -, ainsi que sur une baisse de leurs investissements. Je vous laisse apprécier la crédibilité de ce scénario au regard du cycle électoral. Ces prévisions pourraient être contrariées par les investissements liés à la transition écologique, dont on demande pourtant qu'ils s'appuient beaucoup sur les collectivités locales.

Les dépenses des organismes de sécurité sociale augmenteraient en volume de 0,8 point sur la période 2024-2027, à un rythme inférieur à celui du PIB. Cette prévision repose sur la montée en charge progressive de la réforme des retraites et sur une évolution des dépenses de l'Ondam limitée à +2,9 % en fin de période, ce qui suppose un effort considérable.

Le respect de la trajectoire implique la réalisation d'économies très importantes à hauteur, selon le Gouvernement, de 12 milliards d'euros pérennes en 2025, réparties entre l'État et la sphère sociale, issues de la revue de dépenses - qui reste à renforcer. Ce montant est très peu documenté à ce stade. Les seules données dont nous disposons concernent les retraites et l'assurance-chômage. En conséquence, la baisse attendue du ratio de dette publique est fragile puisqu'elle s'appuie sur une prévision de croissance optimiste et sur une cible exigeante de dépense dont le respect n'est pas garanti par une documentation concrète.

Le point le plus saillant est l'augmentation spectaculaire de la charge de la dette dès 2024 et sur toute la période de programmation. Elle était de 35 milliards d'euros en 2021 ; elle sera de 57 milliards d'euros en 2024 - supérieure au budget de la défense -, et de 84 milliards en 2027 - supérieure au budget de l'enseignement scolaire. Il ne s'agit plus là de risques mais de réalités !

Je ne prône pas l'austérité, mais je crois à la volonté politique. Le volant d'économies à réaliser n'est pas hors de notre portée, mais il faut pour cela change nos comportements et nos méthodes. Il faut passer à des revues de dépense qui soulèvent vraiment le capot des politiques publiques et font le tri entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je ne crois ni au rabot ni à une pensée magique faisant tout reposer sur la croissance. Il faut une action déterminée et collective, en évitant l'austérité. Personne ne souhaite que la France se trouve dans une situation où des tensions sur la dette conduiraient à des coupes brutales dans la dépense ou à de fortes augmentations d'impôts, avec dans les deux cas des conséquences très dommageables pour les ménages et les entreprises. La France n'est pas en faillite et sa dette est soutenable, mais la sagesse veut que nous n'attendions pas l'apparition du risque pour agir, car il serait alors trop tard.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre constat, exigeant et prudent, nous alerte collectivement. En disant qu'il fallait soulever le capot pour régler le moteur, vous avez utilisé une image que je garderai et je me ferai fort de demander au chef du garage qu'est le ministre de l'économie et des finances de procéder désormais aux réglages indispensables. Voilà deux ans, nous l'avions alerté sur le risque d'avoir à faire face à un mur de dettes ; il nous avait reproché notre pessimisme. Nous avions également prévenu que les taux d'intérêt risquaient de remonter. Je ne pensais pas que cela se ferait aussi vite...

Pour ce qui concerne les prévisions de croissance, vos paroles sont marquées du sceau du doute. La stratégie budgétaire et fiscale du Gouvernement repose intégralement sur une forte baisse de dépenses non documenté. Elle est donc lacunaire et les élus locaux sont préoccupés par sa soutenabilité. Si ce n'est pas de l'insincérité, ni de l'irréalisme, ni atteignable, de quoi s'agit-il ? Que faudrait-il de plus pour dire que le scénario macroéconomique et de finances publiques proposé par le Gouvernement est insincère ?

Par ailleurs, depuis 2008 et la création des LPFP, la situation des finances publiques ne s'est aucunement améliorée. Elle s'est même dégradée. Que préconisez-vous pour corriger cette fâcheuse tendance qui frappe la France plus que les autres pays ? Vous avez proposé de changer nos comportements collectifs : cela peut être douloureux, mais nous y adhérons tous.

Les règles européennes actuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes. Que pensez-vous des propositions de la Commission à cet égard ? D'ailleurs, la LPFP ne deviendrait-elle pas caduque à partir du moment où les règles budgétaires seraient modifiées ?

Enfin, vous avez noté qu'il est difficile de concilier la bonne gestion budgétaire avec les nombreuses lois de programmation sectorielle qui ont été votées et proposent souvent des envolées de budgets. Comment éviter ces incohérences ?

Je m'interroge enfin sur la diminution de la part de la tarification à l'activité (T2A) dans le financement des établissements de santé. Comment réguler efficacement les dépenses des hôpitaux ? Faut-il en passer par une régulation des dotations ? Et quels mécanismes mettre en place pour réguler les soins de ville ?

M. Pierre Moscovici. - Vos questions s'adressent davantage au Premier président de la Cour des comptes...

Il ne revient pas au Haut Conseil d'apprécier l'insincérité budgétaire, mais au Conseil constitutionnel, qui en a donné une définition : elle se caractérise par l'intention de tromper. Mon prédécesseur, Didier Migaud, avait jugé en 2017 que la loi de finances était insincère ; nous étions en désaccord sur ce point, car il n'y avait pas, selon moi, une telle intention. Le mot « insincère » est explosif... Je le répète, les prévisions de croissance sont élevées, mais pas inatteignables. Sous un certain nombre de conditions très favorables qui se trouveraient réunies par un concours de circonstances, ce scénario est envisageable. D'ailleurs, le Gouvernement vous objectera que l'an dernier, tout le monde s'est trompé en critiquant ses prévisions. Je serais toutefois prudent à cet égard car le premier trimestre a été conforme aux prévisions, le troisième trimestre a repris une pente assez neutre, et le deuxième trimestre a été très bon pour des raisons en partie inexpliquées et qui ne forme pas une tendance. Pour 2024, il y a un écart de 0,5 point entre les prévisions du Gouvernement et de la Banque de France : c'est beaucoup.

Vous demandez où faire des économies. Il faut, selon moi, procéder à des revues de dépenses beaucoup plus approfondies. Celles qui ont été faites n'ont pas été publiées et sont restées à l'intérieur de l'administration... Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques paru en juin dernier consacre un chapitre aux préconisations : il faut que les revues de dépenses concernent l'investissement et le fonctionnement, qu'elles touchent les dépenses de toutes les administrations, qu'elles soient faites avec les acteurs, et dans la durée.

Les règles européennes seront logiquement rétablies le 1er janvier 2024. La question est de savoir lesquelles. S'agit-il des règles actuelles, procycliques, illisibles et très contraignantes ? Il y aurait alors une vague de procédures pour déficit excessif dont la France serait une cible privilégiée. Nous avons tous intérêt à ce que ce soient des règles européennes réformées qui entrent en vigueur, car il serait plus intelligent de privilégier l'incitation à la sanction, et de prendre en compte des profils de dette nationaux, ainsi que le quantum des réformes que les pays sont capables d'assumer. La proposition de la Commission serait exigeante pour les pays les plus endettés, mais plus intelligente. L'Allemagne a durci sa position. Je souhaite qu'un compromis soit trouvé dans les mois qui viennent, peut-être avec l'Espagne et les Pays-Bas.

Sur les dépenses sociales, les chiffres prévus dans l'Ondam supposent à la fois des conditions favorables et des économies très importantes, ce qui n'est pas simple. Les remèdes devront être vigoureux.

M. Vincent Delahaye. - Votre exposé confirme ce que nous pensons ici : en matière de gestion des finances publiques, l'optimisme règne ! Or la rigueur et la prudence devraient prévaloir. Vos avis sont-ils de nature à modifier les hypothèses du Gouvernement ? La fin des dépenses exceptionnelles aurait-elle dû entraîner une baisse de la dépense publique ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Quel sera l'impact de la « non-suppression » de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Et quel sera celui de la réforme des retraites sur l'activité économique ?

Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale semble partager votre vision puisqu'il évoque une nouvelle révision du budget en 2024... Il serait utile de disposer d'un contrefactuel qui prendrait en compte les hypothèses du consensus des économistes.

Pour ce qui concerne le taux de prélèvements obligatoires, 89 niches fiscales vont arriver à échéance. Avez-vous évalué l'imposition supplémentaire qui résulterait de leur suppression ?

À la fin de juillet 2023, le déficit de la France a atteint 169 milliards d'euros, soit 30 milliards d'euros de plus qu'en 2022. À cet égard, l'hypothèse pour 2023 est-elle plausible ?

M. Bernard Delcros- Comment concevez-vous l'action déterminée et collective que vous avez évoquée ?

M. Rémi Féraud. - Nous sommes tous conscients que l'augmentation de la charge de la dette change la donne. Quelle contribution l'échelon local devra-t-il fournir pour résoudre les problèmes d'endettement et de déficit public dans les années qui viennent ?

M. Claude Raynal, président. - Puisque nous avons le même âge, nous avons tous deux étudié l'ouvrage de Raymond Barre, qui était l'une des bibles en matière d'économie. On pouvait y lire que l'augmentation de la charge d'intérêts de la dette était pour partie compensée par l'augmentation des recettes de l'État, tant que les taux d'intérêt étaient inférieurs à l'inflation. Est-ce toujours vrai ? Comment peut-on l'interpréter avec ces chiffres d'augmentation de la charge d'intérêts ? Entre 2023 et 2024, vous évoquez une augmentation de la charge d'intérêts : sera-t-elle compensée par une augmentation des recettes de l'État entraînée par l'inflation ?

M. Pierre Moscovici. - J'étais plus à gauche que vous à l'époque, monsieur le président, et je n'allais pas aux cours du professeur Barre...

La prévision d'inflation est plausible, avec de légers risques de dépassement. Quant aux recettes de l'État, elles expliquent les relatives bonnes performances budgétaires de ces dernières années. Dans la zone euro et en France, la dynamique de la recette devrait être beaucoup moins bonne dans les années à venir. Autrement dit, la formidable surprise d'une augmentation des prélèvements obligatoires malgré des baisses d'impôts importantes pourrait ne pas être définitive. Rétrospectivement, on pourrait donc penser que le professeur Barre avait raison...

Non, monsieur Delahaye, le Gouvernement ne va pas du tout modifier ses hypothèses. Chacun est dans son rôle : on nous demande notre avis, nous le donnons. Il s'agit certainement d'une boussole utile, à la fois pour le Parlement, mais aussi pour le Conseil constitutionnel et pour les institutions européennes. Vous avez soulevé la question des dépenses exceptionnelles. La hausse de la dépense publique est estimée en 2024 par le Gouvernement à 3 % en valeur et à 0,5 % en volume. Hors l'impact de l'extinction des dépenses exceptionnelles liées aux différentes crises sanitaire et énergétique, cette hausse serait en volume de 2,5 % et la relative stabilité des dépenses publiques en 2024 est surtout permise par l'extinction en cours des différentes mesures d'urgence et non pas par des économies structurelles. Le Haut Conseil des finances publiques remarque, par ailleurs, que la baisse des mesures de soutien face à l'inflation énergétique entraîne le remplacement des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes. En outre, il note des incertitudes entourant la réalisation de ces prévisions de dépenses, j'ai notamment cité l'Ondam. Sur les 16 milliards d'euros d'économies qui vous seront présentées cette année, 12 milliards d'euros ne sont pas des économies structurelles. Pour les années suivantes, la marche sera donc plus compliquée, car le « quoi qu'il en coûte » n'existera plus.

Mme Vermeillet m'a interrogé sur la CVAE. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, nous n'avons pas les moyens d'envisager des baisses d'impôts « sèches » au vu de notre situation de déficit. Certes, nous ne devons pas nous priver de tout usage de la fiscalité, car elle joue un rôle d'allocation et de redistribution. Mais nous devons faire preuve de stabilité en termes de prélèvements. Le Gouvernement peut envisager des baisses de CVAE : c'est une décision politique. Mais selon le HCFP et la Cour des comptes, il faudrait alors compenser cette baisse, soit par des prélèvements de nature différente, soit par des économies supplémentaires. C'est sans doute ce qui explique le choix de ralentir la baisse de la TVA ? Pour financer la baisse de la CVAE, on peut choisir de moins baisser la TVA. C'est une hypothèse, et une question que vous pourriez poser au ministre...

Comme à son habitude, Mme Lavarde a posé des questions extrêmement judicieuses, en particulier sur le contrefactuel. Le HCFP n'a pas pour mission de faire des scénarios, mais je peux tout de même vous donner un ordre de grandeur. Les modèles montrent qu'une baisse de 0,5 % de croissance entraîne une hausse de 0,2 point de déficit. Dans le cas où la croissance s'établirait donc bien à 0,9 % et non à 1,4 %, le déficit serait de 0,2 point de plus. Pour parvenir à un déficit de 4,4 % du PIB, il faudrait donc prévoir des prélèvements supplémentaires ou réaliser davantage d'économies. À en croire l'interview du rapporteur général de l'Assemblée nationale publiée dans L'Opinion, notre avis a été pris très au sérieux, y compris par l'ensemble des députés. En effet, monsieur Féraud, que l'on soit de droite ou de gauche, il faut baser son raisonnement sur cette donnée assez réaliste. Dans ce sens-là, le Haut Conseil des finances publiques joue un rôle très utile.

Le déficit pour 2023 est-il crédible ? Selon nos prévisions, le déficit annoncé à 4,9 % du PIB serait plausible, mais le ministre devrait pouvoir vous détailler ce point davantage que moi.

En ce qui concerne le respect de la trajectoire pluriannuelle présentée par le Gouvernement, elle suppose d'importantes économies de nature à infléchir la progression spontanée de la dépense publique. Le HCFP n'a pas pour mission de donner des conseils ou de faire des recommandations. Toutefois, un changement de méthode me paraît essentiel. Le rôle du Parlement est tout à fait central ; nous restons à votre disposition, ainsi que la Cour des comptes. Je rappelle que cette dernière a produit neuf notes thématiques. On parle souvent de l'éducation et de l'hôpital, mais le logement est également un enjeu capital. C'est une politique publique très coûteuse dont l'efficacité mérite d'être questionnée, aussi bien en termes de constructions que de parc social. Je ne dis pas qu'il faut la réduire, mais je dis qu'il faut qu'elle produise des résultats.

Idem pour ce qui concerne les dépenses fiscales. Leur nombre est considérable, leur durée est indéfinie, leur contrôle est quasi nul. La Cour des comptes propose un certain nombre de règles de bon sens, comme le fait de les plafonner dans la durée, de les évaluer et donc de les remettre en question. Il s'agit tout de même d'un montant de 90 milliards d'euros. Certes, il n'y a pas 90 milliards d'euros à gagner, mais nous pourrions sûrement faire des économies. Se pose également la question du verdissement des dépenses, des aides aux entreprises, etc. Bref, la revue des dépenses a son utilité sur la totalité du périmètre de la dépense publique.

Oui, je le redis, sans avoir recours à l'austérité, il est possible d'atteindre le quantum d'économies demandé de 12 milliards d'euros de manière intelligente, sans employer le rabot, avec plus de performances. C'est un changement culturel que nous devons engager. À défaut, la France sera tout de même contrainte d'économiser ces 12 milliards, mais dans des conditions douloureuses.

En ce qui concerne l'impact de la réforme des retraites sur la croissance potentielle, le Gouvernement intègre dans les prévisions macro-économiques une progression du PIB de 0,7 point à l'horizon de 2027 à la suite de la réforme des retraites. Le HCFP juge que ces prévisions sont surestimées. Selon les projections de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de l'Insee, le maintien en activité des seniors se traduira par une hausse du taux d'activité de 0,4 et de 1 point de pourcentage à l'horizon de 2027. La prévision du taux d'activité du Gouvernement, qui se situe entre celle de la Cnav et de l'Insee, semble raisonnable. Pour autant, cela ne signifie pas que le taux d'emploi augmentera autant que le prévoit le Gouvernement, car cela signifierait que les entreprises adaptent leur comportement pour offrir un emploi à ces actifs supplémentaires et que la demande qui leur est adressé augmente en même temps. Nous l'avons constaté lors de toutes nos auditions : les hypothèses d'emplois sont plus optimistes du côté du Gouvernement, ce qui a un lien direct avec ce que je viens de dire sur les retraites.

Enfin, monsieur Féraud, la semaine dernière s'est réuni un Haut Conseil des finances publiques locales, composé des présidents des trois principales associations d'élus, des représentants des régions, des départements et des communes, du ministre de l'économie, du Premier président de la Cour des comptes, des présidents- et rapporteurs généraux des commissions des finances du Parlement, etc. Disons que l'objectif de 0,5 % est ambitieux, qu'il n'existe pas de mesures contraignantes et que ce Haut Conseil des finances publiques locales, dont le rôle est surtout consultatif, a avant tout pour mission de chercher un consensus. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un Haut Conseil, à la différence du HCFP qui est prévu par la loi organique et qui comprend des personnalités indépendantes. Ce n'est pas simple. Vous pourriez poser cette question au ministre. Cette trajectoire d'effort est un élément de l'équilibrage tel qu'il est présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques, mais il s'agit, là encore, d'une hypothèse favorable en l'absence d'un consensus ou de mesures contraignantes, et compte tenu de certains besoins en investissement et du cycle électoral. Comment atteindre l'objectif ? Ce n'est pas impossible, mais cela nécessitera de gros efforts.

M. Claude Raynal, président. - J'ai l'impression que la question de Rémi Féraud lui est renvoyée...

M. Pierre Moscovici. - Cela fait surtout partie des questions qu'il faudra poser au Gouvernement. La question du modus operandi n'est pas notre travail. Nous constatons simplement qu'il s'agit d'une hypothèse favorable, mais qu'elle pèse sur l'équilibre des finances publiques.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le président, de nous avoir présenté ces deux documents importants. Nous aurons évidemment plaisir à vous retrouver à l'occasion de prochains travaux sur lesquels nous sommes toujours très attentifs pour alimenter nos propres réflexions.