B. LE RÉARMEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL, UNE RÉPONSE LARGEMENT EN DEÇA DES BESOINS

1. Des réductions d'effectifs réalisés sans tenir compte des besoins des populations ni de l'activité des services territoriaux

Dans son rapport sur les effectifs de l'État territorial, la Cour des comptes17(*) considère que l'administration territoriale de l'État se trouve à un tournant de son histoire. En effet, les dix dernières années ont été l'occasion d'une réduction continue des effectifs, avec une perte de 11 000 ETPT, soit 14 % de l'effectif initial (passant de 83 027 ETPT en 2012 à 70 608 ETPT en 2020). La Cour insiste sur le besoin de fiabilisation de ces données, alors que le ministère de l'Intérieur n'est pas en mesure de présenter des données fiables.

La Cour des comptes considère que les suppressions de postes de ces dernières années « n'ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services. »

Elle affirme par ailleurs que « le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a en réalité été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. [...] En dix ans, le programme 307/354 a réalisé un schéma d'emplois (soit un objectif de suppressions de postes) cumulé de - 4748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. »

Par ailleurs, la Cour des comptes relève que « la ventilation des schémas d'emplois n'a visé qu'à préserver les équilibres historiques, sans rapport avec l'évolution de la population ou de l'activité. »

Ainsi, il est urgent de produire une réflexion sur les besoins respectifs des territoires, en tenant compte de l'évolution des besoins de la population et de l'activité.

2. La poursuite du chantier de réallocation des effectifs en fonction des besoins réels des territoires

Dans le cadre de la mise en oeuvre des schémas d'emplois prévus par loi de finances initiale pour 2024, le modèle d'allocation des effectifs introduit l'an passé18(*) devrait intégrer de nouvelles données : il s'agit notamment de « la part des effectifs assurant le soutien dans les effectifs totaux, la situation démographique départementale ou la performance des services métier. » La prise en compte de la part des effectifs assurant le soutien permet de tenir compte d'une recommandation du rapport de l'inspection générale de l'administration visant à « établir un référentiel d'allocation des effectifs en secrétariats généraux communs départementaux. »

À ce stade, les engagements du Gouvernement en termes de redéploiement mériteraient néanmoins d'être clarifiés. En effet, si certaines régions étaient visées en 2023, ainsi que plusieurs départements « ayant un taux d'administration dégradé »19(*), la grille sur laquelle seront fondés les redéploiements, ainsi que les « enjeux particuliers » ne sont pas précisés à ce stade.

Alors que les schémas d'emplois ont souvent été répartis entre départements en fonction du pouvoir de négociation des préfets, la rapporteure spéciale salue l'annonce d'une rationalisation de l'implantation des effectifs en fonction des besoins réels des territoires.

Cependant, il semble essentiel de mettre en place des critères objectifs de répartition des effectifs entre préfectures. Ils pourraient en particulier comprendre le taux d'administration20(*), les dynamiques démographiques et les services en tension (comme par exemple les services d'accueil des étrangers).

En tout état de cause, la rapporteure spéciale considère qu'il faudra que les critères de répartition soient établis de manière transparente. En effet, si des situations locales spécifiques pourront justifier des dérogations, l'absence de règle de répartition clairement établie en amont risque de perpétuer la pratique de négociations sur les schémas d'emplois entre les préfets.

Dans cette perspective, il est également urgent de renforcer les outils de suivi du ministère de l'intérieur. L'Administration numérique pour les étranger en France (ANEF), nouvel outil numérique déployé par le ministère, comprend un volet de suivi de l'activité d'accueil des étrangers par les préfectures. L'intégration d'une dimension de suivi de l'activité aux applications métiers constitue un levier de pilotage indispensable. Il conviendrait d'étendre ce type d'outils pour garantir la fiabilisation des données aux remontées concernant les différentes missions du réseau préfectoral. Cela permettrait aussi de disposer d'une vision précise de temps consacré par les agents sur les différentes missions.

D'après les magistrats de la Cour des comptes, « le ministère de l'intérieur a lui-même des difficultés à réaliser le suivi de ses effectifs. »


* 17 Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 18 Le rapport annuel de performance 2023 de la mission indiquait en effet que, « conformément aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur l'évolution des effectifs de l'administration territoriale de l'État et sur le fondement d'un modèle d'allocation des moyens, un rééquilibrage de la répartition des emplois entre préfectures sera par ailleurs progressivement mis en oeuvre, afin de prendre en compte la réalité des besoins de territoires exposés à des enjeux particuliers. »

* 19 Pour les régions, Mayotte, le Nord et la Corse et pour les départements, les Landes, la Manche, les Pyrénées-Orientales, le Tarn, la Savoie, l'Eure-et-Loir, la Dordogne, la Charente, les Deux-Sèvres.

* 20 Ce taux rapporte l'emploi public pour un périmètre donné à la population présente sur le territoire concerné.

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