N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 2

ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Rapporteure spéciale : Mme Florence BLATRIX CONTAT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits affectés à l'action territoriale de l'État, à la vie politique, culturelle et associative et au pilotage des principales politiques du ministère de l'intérieur.

I. MALGRÉ LES PROMESSES DE RÉARMEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL, L'ÉROSION DES CRÉDITS SE POURSUIVRA EN 2024

A. UNE RÉFORME AMBITIEUSE DE L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT QUI PEINE TOUTEFOIS À SE TRADUIRE PAR DE RÉELS GAINS D'EFFICIENCE

1. Les secrétariats généraux communs départementaux : une ambition louable mais un manque d'anticipation

Dans la lignée du rapport de contrôle de Mme Isabelle Briquet1(*), la rapporteure spéciale déplore le manque d'anticipation qui a caractérisé la mise en place des secrétariats généraux communs (SGC). Ce constat a depuis été confirmé par un rapport inter-inspection rendu au ministre de l'intérieur en mai dernier, affirmant que « la réforme n'a pas atteint [ses] objectifs. »

Il apparaît dès lors indispensable de stabiliser le périmètre d'intervention des secrétariats généraux et de fournir un référentiel commun pour déterminer le nombre d'agents nécessaires en fonction des services couverts par la structure.

Les travaux de convergence, concernant aussi bien les outils informatiques des secrétariats généraux que les régimes des agents du périmètre de l'administration territoriale de l'État doivent se poursuivre de façon beaucoup plus volontaire. Enfin, il est indispensable de disposer d'outils permettant de mesurer le niveau de satisfaction des bénéficiaires de ces services.

2. Le portage budgétaire des dépenses du propriétaire des directions départementales interministérielles et des directions régionales mérite d'être clarifié

Alors que le programme 354 porte les crédits « support » de l'administration territoriale de l'État, la question de la responsabilité des dépenses du propriétaire des directions départementales et des directions régionales doit impérativement être tranchée. En effet, le ministère de l'intérieur indique que ces dépenses sont portées par le programme 723, qui n'a pourtant pas les crédits nécessaires pour assurer la transition énergétique du parc immobilier.

3. Le renforcement du rôle de pilotage des préfets de région

Alors que les préfets sont au coeur de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, la rapporteure spéciale considère que les nouvelles marges d'action laissées à ces derniers ne doivent pas conduire à remettre en cause l'information du Parlement dans la répartition des emplois entre missions budgétaires.

En effet, la circulaire du 22 décembre 20212(*) permet, depuis le 1er janvier 2022, aux préfets de région de mettre en oeuvre des redéploiements à hauteur de 3 % des effectifs sur le périmètre de l'administration territoriale de l'État. Il conviendrait que le Parlement soit informé des mouvements intervenus en cours d'année dès le dépôt du projet de loi de finances, dans le projet annuel de performance de la mission.

B. LE RÉARMEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL, UNE RÉPONSE LARGEMENT EN DEÇA DES BESOINS

1. Des réductions d'effectifs réalisées sans tenir compte des besoins des populations ni de l'activité des services territoriaux

Dans son rapport sur les effectifs de l'État territorial3(*), la Cour des comptes considère que l'administration territoriale de l'État se trouve aujourd'hui à un tournant de son histoire. En effet, les dix dernières années ont été l'occasion d'une réduction continue des effectifs, avec une perte de 11 000 ETPT, soit 14 % de l'effectif initial (passant de 83 027 ETPT en 2012 à 70 608 ETPT en 2020).

La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années « n'ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services. »

En effet, d'après la Cour, « le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a en réalité été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. [...] En dix ans, le programme 307/354 a réalisé un schéma d'emplois (soit un objectif de suppressions de postes) cumulé de - 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010 ».

2. La réponse du Gouvernement aux difficultés des préfectures reste à ce stade relativement limitée

Le schéma d'emploi pour 2024 du programme 354 est positif, à hauteur de + 232 ETP, « dont 101 ETP affectés au renforcement des préfectures et sous-préfectures, 9 ETP pour le conseil supérieur de [l'appui territorial et de l'évaluation], 77 ETP dédiés aux experts de haut niveau placés auprès des préfets et 45 ETP dédiés au renforcement des plateformes régionales chargées des ressources humaines. »

Alors que le programme 354 représente près de 30 000 emplois, cette évolution demeure d'une ampleur très limitée au regard des enjeux. Ainsi, la traduction sur le plan budgétaire de la promesse du Gouvernement de « réarmement » de l'État territorial est sans commune mesure avec les très nombreux défis auxquels l'administration territoriale de l'État devra faire face au cours des prochaines années.

II. LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL POUR RELEVER LES DÉFIS QUI L'ATTENDENT

A. UNE AMÉLIORATION SENSIBLE MAIS TRÈS RÉCENTE DES DÉLAIS DE DÉLIVRANCE DES TITRES SÉCURISÉS ET LA SATURATION DES SERVICES PRÉFECTORAUX DES ÉTRANGERS

1. Les délais de délivrance de cartes nationales d'identité et des passeports, une défaillance grave de l'État

Dès le lancement de la réforme du plan préfecture nouvelle génération (PPNG) et la création des centres d'expertise et de ressources titres (CERT) en charge de l'instruction des demandes de titres au sein des préfectures, le Gouvernement a été contraint de mettre en oeuvre des « plans de renfort exceptionnel en agents non titulaires ». Depuis qu'au printemps 2022, les délais des demandes ont très fortement augmenté, les CERT dédiés aux cartes nationales d'identité et aux passeports ont dû être très nettement renforcés. Ainsi, entre 2021 et 2023, les effectifs non titulaires au sein des CERT CNI/passeport ont été multipliés par 11,7.

La rapporteure spéciale ne peut, de ce point de vue, qu'être alignée avec la position de la Cour des comptes, suivant laquelle « on ne saurait se satisfaire de ce que l'emploi public devienne un vecteur de précarité pour les titulaires de ces contrats courts. La solution passe avant tout par la fin du pilotage par le schéma d'emplois et par des cibles d'évolution d'effectifs plus réalistes »4(*).

2. Les services en charge des publics étrangers, un défi pour la République

Alors que les services en charge de l'accueil et des demandes de titres « étrangers » sont en grande difficulté, la dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique des étrangers en France (ANEF), sont très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.

L'ANEF avait été présentée à la rapporteure spéciale lors des exercices précédents comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, mais le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation.

En tout état de cause, il est indispensable d'envisager un soutien pérenne pour ces services. D'après la sous-direction de l'administration territoriale de l'État, un nouveau plan de renfort temporaire devrait être envisagé au-delà de 2024.

Alors que la priorité devrait être à consolider des services et à fidéliser des compétences, le Gouvernement fait encore une fois le choix de recourir à des vacataires, ce qui ne peut être justifié d'aucune façon.

B. ALORS QUE LES MISSIONS DES PRÉFECTURES SONT INDISPENSABLES, LA NÉCESSITÉ DE CONFORTER LEURS MOYENS

1. La priorisation des missions, un chantier en trompe l'oeil

Le document « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 », de septembre 20225(*), revient sur les différentes missions des préfectures, sans réellement prioriser certaines missions par rapport à d'autres. Ainsi, ce document stratégique reprend la quasi-totalité des missions des préfectures.

Au regard des importantes difficultés rencontrées par les services des préfectures, il est indispensable de proportionner les moyens octroyés à l'administration territoriale de l'État avec les objectifs qui lui sont fixés, sans quoi les missions ne pourront être remplies.

2. Alors que toutes les missions des préfectures sont considérées comme prioritaires, le Gouvernement doit clarifier son discours

La rapporteure spéciale défend le caractère primordial des différentes missions des préfectures. Elle relève néanmoins, de la part du Gouvernement, un discours qui n'est pas cohérent :

- ou bien les missions des préfectures sont priorisées, et à ce titre celles qui sont les moins importantes auront vocation à abonder en moyens et en emplois celles qui sont jugées prioritaires ;

- ou bien toutes les missions doivent être garanties au même titre et il est indispensable de conforter en urgence les effectifs et les moyens du réseau préfectoral.

III. LES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR : PRÉSERVER DES MISSIONS INDISPENSABLES

A. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR EST SURTOUT PORTÉE PAR LES CRÉDITS D'INVESTISSEMENT DANS DES PROJETS STRUCTURANTS

1. Les dépenses immobilières sont en nette hausse pour financer le site unique de la direction générale de la sécurité intérieure

Les dépenses immobilières de l'administration centrale sont, par ailleurs, en très nette hausse (+ 345 %), sous l'effet du déblocage d'un milliard d'euros en autorisations d'engagement pour financer le site unique de la direction générale de la sécurité intérieure, à Saint Ouen. Il s'agit d'un projet à 1,3 milliard d'euros, l'année 2024 devant correspondre à la construction du site, soit la principale dépense.

Alors que le ministère de l'intérieur consacre l'essentiel des crédits immobiliers de la mission à des projets structurants au détriment des crédits alloués au parc existant, au niveau central et dans l'administration déconcentrée, la rapporteure spéciale considère que le ministère de l'intérieur doit veiller à davantage équilibrer l'usage qu'il fait des crédits immobiliers et se donner les moyens de répondre à l'urgence de la transition énergétique de tous les bâtiments dont il a la charge.

2. La fonction numérique du ministère est une nouvelle fois réformée

Le décret du 27 septembre 20196(*) a créé la direction du numérique (DNUM), qui a pour mission, en lien avec l'ensemble des services, d'élaborer et de conduire la stratégie numérique du ministère. Elle a été chargée d'assurer la cohérence et la sécurité de ses systèmes d'information et de communication. Rattachée au secrétariat général, elle interagit avec les différents services responsables.

Néanmoins, le décret du 5 juillet 20237(*) a modifié cette organisation, dans la lignée des travaux de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023, en lui substituant une nouvelle direction de la transformation du numérique.

Le directeur de la transformation du numérique est placé directement auprès du secrétaire général du ministère, et exerce trois types de missions :

- des missions de gouvernance, destinées à initier et promouvoir la transformation numérique du ministère et mettre en oeuvre ses grandes orientations ;

- des missions de conception et de gestion d'infrastructures et systèmes numériques ;

- des missions de support et de suivi des ressources numériques.

On peut néanmoins s'interroger sur un tel revirement, alors que la direction du numérique, censée piloter les crédits des principaux projets informatiques, a été créée en 2019. De plus, avec le transfert aux programmes « métier » des crédits informatiques, le Gouvernement change de direction par rapport à la réforme de 2019.

Le projet réseau radio du futur (RRF)

Le projet réseau radio du futur devrait bientôt entrer dans une phase opérationnelle, le marché devant être signé au mois de novembre 2022. Les réseaux radio actuellement gérés par le ministère de l'intérieur reposent sur une technologie comparable à la technologie 2G des réseaux commerciaux des années 1990, soit une technologie obsolète.

Le besoin d'investissement a été évalué à 896 millions d'euros avec un effort budgétaire conséquent au départ pour « acquérir l'ensemble des ressources techniques (coeur de réseau, services d'applications missions critiques, contrats avec les opérateurs de réseaux mobiles, terminaux mobiles et accessoires, etc.) suivi par une baisse de l'effort d'investissement à partir de 2023 (début du déploiement) ».

Source : réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale

B. APRÈS L'AFFAIRE DU FONDS MARIANNE, LE COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE ET DE LA RADICALISATION DOIT PROFONDÉMENT ÉVOLUER ET ALLER VERS UN RENFORCEMENT DE L'INTERMINISTÉRIALITÉ

1. La nécessaire réforme du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

La création d'une ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur chargée de la citoyenneté a conduit à former des liens renforcés entre la ministre et son cabinet et le Secrétariat général de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR). Cette tutelle « rapprochée » a mis à mal la vocation interministérielle du secrétariat général : le CIPDR est en effet un comité composé des principaux ministres8(*) du Gouvernement.

L'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SGCIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de la mission sur le fonds Marianne, à « un mélange des genres regrettable »9(*).

Au-delà des recommandations de la mission, il semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle du SGCIPDR et son positionnement. La nomination comme nouveau secrétaire général d'un ancien magistrat, doit être vue comme allant dans le bon sens.

La rapporteure spéciale recommande que la proposition du rapport de l'inspection générale de l'administration sur l'évolution de l'organisation et des missions du SGCIPDR visant à créer une délégation plutôt qu'un secrétariat général soit mise en oeuvre rapidement. Cette transformation permettrait de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. Reconnu comme directeur d'une administration centrale, le délégué interministériel serait ainsi nommé en Conseil des ministres.

Il conviendrait, plus largement, que les experts recrutés au sein du SGCIPDR représentent bien les différents ministères. Les ministères sociaux, le ministère de la justice ou encore celui de l'éducation nationale doivent être pleinement impliqués dans les différentes stratégies de lutte contre la prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Cette évolution doit notamment passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité du contre discours républicain, qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait de régulariser ces emplois en les intégrant au schéma d'emploi du programme 216. Pour ce faire, la rapporteure spéciale considère qu'un rehaussement du plafond d'emplois du programme s'impose.

2. Un meilleur soutien financier de l'État à la présence d'intervenants sociaux en commissariats et en unités de gendarmerie

Dans son discours de Nice du 10 janvier 2022, le président candidat Emmanuel Macron s'était engagé à augmenter le nombre d'intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie (ISCG), pour parvenir à 600 intervenants.

Ce dispositif a d'abord été expérimenté dans les années 1990 et a connu une montée en charge progressive jusqu'à compter 420 ISCG10(*) aujourd'hui.

Dans les territoires, il revient au préfet de piloter le déploiement du dispositif, en mobilisant les financements de différents partenaires : le conseil départemental, les conseils municipaux mais également des associations. Le préfet dispose pour ce faire des crédits du FIPD, qui lui permettent de donner une impulsion au dispositif : ainsi, le fonds couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième.

Un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) rendu en mars 2021 dresse un bilan très positif du rôle des intervenants sociaux, reconnaissant que l'efficacité et la pertinence de leur action sont unanimement reconnues tant localement qu'au niveau national, en témoignent les annonces du Président de la République en janvier dernier. La mission constate les conséquences très positives de l'action des intervenants sociaux sur les populations visées par cette politique et sur la prévention de la délinquance. Leur présence a été saluée par les services de police et de gendarmerie, ainsi que les services sociaux des départements ou communaux. 

Cependant, et dans la lignée des travaux de la mission, la rapporteure spéciale considère que la question des financements demeure cruciale pour le développement des postes et constitue à ce jour un frein important pour la pérennité de ce dispositif, malgré son efficacité constatée. D'après l'audition du secrétaire général du CIPDR menée par la rapporteure spéciale, un accord aurait été trouvé pour garantir le financement pérenne par l'État de 30 % des emplois d'ISCG, ce dont la rapporteure spéciale se félicite.

Réunie le mercredi 8 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a confirmé sa décision.

Au 10 octobre 2023, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 80 % des réponses portant sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » étaient parvenues à la rapporteure spéciale.

AVANT-PROPOS

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits affectés à l'action territoriale de l'État, à la vie politique, culturelle et associative et au pilotage des principales politiques du ministère de l'intérieur. Elle se compose de trois programmes :

le programme 354 « Administration territoriale de l'État », qui porte les moyens du réseau préfectoral mais également ceux des services placés sous l'autorité des préfets de région et des directions départementales interministérielles (DDI), hors les personnels de ces directions qui relèvent des ministères sectoriels. En 2024, il devrait être doté de 2,63 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,58 milliards d'euros en crédits de paiement, soit 55 % des dotations totales de la mission ;

le programme 232 « Vie politique », qui finance les « expressions de la vie politique » du pays, dont les élections, les partis politiques et la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Depuis 2022, ce programme ne finance plus les cultes, les crédits étant portés par le programme 216. Il sera doté, en 2024, de 257,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit 5,5 % des dotations totales de la mission ;

le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », qui constitue un programme « réservoir » et finance les moyens généraux du ministère de l'intérieur ainsi que le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et le fonds associé (FIPDR). Il devrait être doté, en 2024, de 2,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,82 milliard d'euros en crédits de paiement, soit 39 % des dotations totales de la mission.

Évolution des crédits de la mission
« Administration générale et territoriale de l'État »

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

Exécution 2022

LFI 2023

PLF 2024 courant

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (croissance en valeur)

PLF 20224 constant

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (croissance en volume)

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (% en volume)

354 - Administration territoriale de l'État

AE

2 486,26

2 790,06

2 633,82

- 5,60 %

2 569,58

- 220,48

- 7,90 %

CP

2 548,24

2 578,91

2 583,74

0,19 %

2 520,72

- 58,19

- 2,26 %

232 - Vie politique

AE

487,81

113,36

257,73

127,35 %

251,44

138,08

+ 121,81 %

CP

488,95

119,61

257,62

115,38 %

251,34

131,73

+ 110,13 %

216 - Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur

AE

1 920,34

1 956,18

2 704,63

38,26 %

2 638,67

682,49

+ 34,89 %

CP

1 751,09

1 870,24

1 816,33

- 2,88 %

1 772,03

- 98,22

- 5,25 %

Total

AE

4 894,41

4 859,60

5 596,17

15,16 %

5 459,68

600,08

+ 12,35 %

CP

4 788,28

4 568,77

4 657,69

1,95 %

4 544,09

- 24,68

- 0,54 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La hausse du niveau des autorisations d'engagement sur le périmètre de la mission résulte principalement de la hausse des autorisations d'engagement du programme 216, justifiée par la construction du site unique de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Saint-Ouen.

En dehors de cette évolution et de la dynamique spécifique du programme 232, qui résulte des cycles électoraux, les crédits de la mission sont en baisse, en valeur et en volume, et particulièrement les crédits du programme 354, administration territoriale de l'État.

Cette diminution résulte de plusieurs facteurs, dont principalement la baisse des dépenses immobilières après une augmentation très forte de ce poste en 2023 (+ 52 % pour le programme 354 et + 150 % en autorisations d'engagement sur le programme 216) dans un contexte de hausse des prix de l'énergie.

Par ailleurs, la mission connaît d'importantes évolutions de périmètre, avec en particulier les montants des crédits numériques qui font l'objet d'une rétrocession aux directions métiers sur les autres programmes du ministère de l'intérieur (- 295,66 millions d'euros en AE et - 276,32 millions d'euros en CP). En effet, conformément à la réforme de la fonction numérique du ministère annoncée dans le cadre de la loi de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023, les différentes directions métiers se sont vues réattribuer le portage des crédits dédiés au financement de leurs projets numériques, alors qu'ils étaient auparavant inscrits au sein du programme 216.

Les crédits du programme 232 sont en nette hausse en 2024, du fait de la tenue de l'élection des représentants au Parlement européen, ainsi que des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

I. MALGRÉ LES PROMESSES DE RÉARMEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL, L'ÉROSION DES CRÉDITS SE POURSUIVRA EN 2024

A. UNE RÉFORME AMBITIEUSE DE L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT QUI PEINE TOUTEFOIS À SE TRADUIRE PAR DE RÉELS GAINS D'EFFICIENCE

1. Le programme 354, support budgétaire de l'administration déconcentrée du ministère de l'intérieur et le programme support de l'administration territoriale de l'État

Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020, le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », qui relevait jusqu'alors de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », a été absorbé par le programme 307 « Administration territoriale », d'ores et déjà rattaché à la présente mission « Administration générale et territoriale de l'État » et renommé à cette occasion programme 354 « Administration territoriale de l'État ».

Le programme 333 portait les crédits consacrés aux directeurs départementaux interministériels et leurs adjoints (les emplois DATE), aux secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et à leurs adjoints, aux chargés de mission des SGAR, aux agents des plates-formes régionales « ressources humaines », aux agents des plates-formes régionales « achats », à une partie des agents chargés de la gestion des crédits des BOP régionaux du programme 333 et enfin aux agents affectés dans les services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication de l'État (SIDSIC).

En parallèle de cette évolution de la maquette budgétaire, le positionnement hiérarchique des différentes directions départementales interministérielles a également évolué. Alors que les DDI étaient jusqu'alors placées sous l'autorité du Premier ministre, le décret du 14 août 202011(*) dispose qu'elles seront désormais placées sous l'autorité du ministre de l'intérieur.

L'article 1er du décret dispose ainsi que « les directions départementales interministérielles sont des services déconcentrés de l'État relevant du ministre de l'intérieur. Elles sont placées sous l'autorité du préfet de département. Le ministre de l'intérieur assure la conduite et l'animation du réseau des directions départementales interministérielles, en y associant les ministres concernés et dans le respect de leurs attributions respectives. »

Les dépenses immobilières des directions départementales interministérielles

Alors que l'ensemble des dépenses support des directions départementales interministérielles et des directions régionales ont été transférées au sein du programme 354, la question du traitement des dépenses immobilières reste ouverte.

En effet, d'après le ministère de l'Intérieur, les dépenses du propriétaire du parc immobilier de ces directions sont supposées être financées par le programme 723 « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État », qui ne dispose pourtant pas des moyens nécessaires pour les assurer, surtout au regard des exigences du décret tertiaire, qui impose de réduire de 40 % d'ici 2030, 50 % d'ici 2040, et 60 % d'ici 2050 la consommation énergétique finale du bâtiment, par rapport à une année de référence qui ne peut être antérieure à l'année 2010.

Il apparait indispensable de clarifier cette situation et de doter l'action dédiée au sein de programme 354 de moyens suffisants pour permettre à l'État d'atteindre ses objectifs.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la sous-direction de l'administration territoriale de l'État

Le 23 juillet 2021, le sixième comité interministériel de transformation publique a été l'occasion pour le Gouvernement de prendre une série d'engagements concernant l'administration territoriale de l'État. Le Premier ministre a alors indiqué vouloir « accélérer et continuer le travail de réarmement de notre État territorial au service de nos concitoyens et de nos agents publics ».

2. Le rôle de pilotage du Préfet s'est trouvé conforté par le dispositif « 3 % »

La circulaire du 22 décembre 2021, signée conjointement par la ministre de la transformation et de la fonction publiques et le ministre délégué en charge des comptes publics, permet, depuis le 1er janvier 2022, aux préfets de région de mettre en oeuvre des redéploiements à hauteur de 3 % des effectifs sur le périmètre de l'administration territoriale de l'État. Ce dispositif remplace la réserve régionale d'emplois, qui avait été créée en 2015 et n'avait rencontré qu'un succès très limité.

Ainsi, les préfets de région peuvent procéder à ces redéploiements sur le périmètre des services placés sous leur autorité ou sous l'autorité des préfets de départements12(*). D'après la circulaire, ce dispositif ouvre de « nouvelles marges de manoeuvre aux services déconcentrés, en vue de mieux adapter les politiques publiques aux enjeux territoriaux et favoriser les mobilités interministérielles au sein d'un même territoire. » De plus, « ces mouvements ont vocation à être réalisés en cohérence avec les priorités gouvernementales et les enjeux locaux, notamment ceux qui sont fixés par les feuilles de route interministérielles signées par le Premier ministre. »

Les redéploiements sont mis en oeuvre au fil de l'eau jusqu'au 1er novembre, les contrôleurs budgétaires en régions centralisant les décisions et s'assurant du respect du plafond de 3 %.

S'il faut saluer l'évolution apportée par ce dispositif en matière de déconcentration de la gestion des ressources humaines, cette réforme n'est pas sans poser de difficultés du point de vue de l'autorisation parlementaire. En effet, d'après la direction de la modernisation de l'action territoriale (DMAT), le dispositif pourrait permettre de redéployer jusqu'à 1 936 ETP entre les programmes budgétaires concernés, sans que le Parlement n'en soit saisi a priori.

La circulaire anticipe cette question en indiquant que, « dans les cas qui le nécessitent, les impacts de ces mouvements sur l'année suivante seront pris en compte par un amendement de coordination à la loi de finances initiale de l'année suivante en cours d'examen parlementaire. » Concernant l'année en cours, la circulaire prévoit que, « sur la base des mouvements effectués en cours d'année, un amendement sera déposé par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances de fin de gestion pour traduire le solde des mouvements opérés entre les programmes budgétaires concernés. »

Si la rapporteure partage le constat de la nécessité d'offrir davantage de flexibilité aux gestionnaires, celle-ci doit impérativement s'accompagner du niveau approprié d'information du Parlement, et ce dès le dépôt du projet de loi de finances initiale dans le projet annuel de performance de la mission. Si le dispositif était utilisé à plein par les Préfets chaque année, la composition de l'administration territoriale pourrait évoluer très fortement en quelques années, avec une information très limitée du Parlement et des difficultés importantes pour réaliser le suivi.

D'après la Cour des comptes dans son rapport sur la capacité d'action des préfets13(*), seuls 6 % des redéploiements autorisés ont été réalisés au 30 septembre 2022. Dans l'ensemble et même si ces mouvements sont d'une ampleur très limitée, ils ont plutôt profité au ministère de l'intérieur, seul ministère pour lequel le solde des mouvements est positif.

3. Les secrétariats généraux communs départementaux : des objectifs qui sont loin d'être atteints

Aux termes de l'article 3 du décret du 7 février 202014(*), « le secrétariat général commun départemental assure la gestion de fonctions et moyens mutualisés en matière budgétaire, d'achat public, d'affaires immobilières, de systèmes d'information et de communication, de logistique, de ressources humaines, de relation avec la médecine de prévention et de mise en oeuvre des politiques d'action sociale ».

La création des secrétariats généraux communs (SGC) répondait à un triple objectif :

professionnaliser les agents affectés à des fonctions support, en permettant à ceux-ci de développer une expertise plus importante sur des sujets propres ;

faire apparaître des marges en emplois et les réallouer sur les fonctions métiers. Dans la circulaire du 2 août 2019, portant sur la constitution des SGC, le Premier ministre a en effet indiqué qu'il avait « décidé que la moitié des gains obtenus grâce à la création de ces entités viendra abonder la réserve régionale d'emplois15(*) en vue d'un redéploiement vers les fonctions "métier", notamment au profit de l'ingénierie territoriale, à l'échelon départemental » ;

garantir la réalisation effective d'un certain nombre de services auprès des préfectures et des DDI. Alors que les effectifs des secrétariats généraux des DDI ont fait l'objet d'une réduction continue depuis une décennie, la poursuite de cette politique aurait pu conduire à mettre en péril l'exercice de certaines de leurs missions. En effet, les schémas d'emplois imposés aux DDI ont pu affecter l'exercice des fonctions support.

Le rapport inter-inspection remis au ministre de l'intérieur en mai 2023 reprend un certain nombre de constats et de recommandations de notre collègue Mme Isabelle Briquet, ancienne rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » à ce sujet16(*).

Ainsi, le rapport de l'IGA met en évidence d'importants dysfonctionnements et l'épuisement des effectifs. Comme le rapport de la commission des finances du Sénat, il tranche nettement : « la réforme n'a pas atteint [ses] objectifs. »

Il apparaît dès lors indispensable de stabiliser le périmètre d'intervention des secrétariats généraux et de fournir un référentiel commun pour déterminer le nombre d'agents nécessaires en fonction des services couverts par la structure.

Les travaux de convergence poursuivis par le ministère de l'intérieur et la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), doivent permettre de rapprocher les fonctionnements des différents ministères du périmètre de l'administration territoriale de l'État. Ces évolutions concernent aussi bien les outils informatiques des secrétariats généraux que les régimes RH des agents du périmètre de l'administration territoriale de l'État. Ces chantiers doivent se poursuivre de façon beaucoup plus volontaire de la part de l'ensemble des ministères.

Enfin, il est indispensable de disposer d'outils permettant de mesurer le niveau de satisfaction des bénéficiaires de ces services.

B. LE RÉARMEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL, UNE RÉPONSE LARGEMENT EN DEÇA DES BESOINS

1. Des réductions d'effectifs réalisés sans tenir compte des besoins des populations ni de l'activité des services territoriaux

Dans son rapport sur les effectifs de l'État territorial, la Cour des comptes17(*) considère que l'administration territoriale de l'État se trouve à un tournant de son histoire. En effet, les dix dernières années ont été l'occasion d'une réduction continue des effectifs, avec une perte de 11 000 ETPT, soit 14 % de l'effectif initial (passant de 83 027 ETPT en 2012 à 70 608 ETPT en 2020). La Cour insiste sur le besoin de fiabilisation de ces données, alors que le ministère de l'Intérieur n'est pas en mesure de présenter des données fiables.

La Cour des comptes considère que les suppressions de postes de ces dernières années « n'ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services. »

Elle affirme par ailleurs que « le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a en réalité été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. [...] En dix ans, le programme 307/354 a réalisé un schéma d'emplois (soit un objectif de suppressions de postes) cumulé de - 4748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. »

Par ailleurs, la Cour des comptes relève que « la ventilation des schémas d'emplois n'a visé qu'à préserver les équilibres historiques, sans rapport avec l'évolution de la population ou de l'activité. »

Ainsi, il est urgent de produire une réflexion sur les besoins respectifs des territoires, en tenant compte de l'évolution des besoins de la population et de l'activité.

2. La poursuite du chantier de réallocation des effectifs en fonction des besoins réels des territoires

Dans le cadre de la mise en oeuvre des schémas d'emplois prévus par loi de finances initiale pour 2024, le modèle d'allocation des effectifs introduit l'an passé18(*) devrait intégrer de nouvelles données : il s'agit notamment de « la part des effectifs assurant le soutien dans les effectifs totaux, la situation démographique départementale ou la performance des services métier. » La prise en compte de la part des effectifs assurant le soutien permet de tenir compte d'une recommandation du rapport de l'inspection générale de l'administration visant à « établir un référentiel d'allocation des effectifs en secrétariats généraux communs départementaux. »

À ce stade, les engagements du Gouvernement en termes de redéploiement mériteraient néanmoins d'être clarifiés. En effet, si certaines régions étaient visées en 2023, ainsi que plusieurs départements « ayant un taux d'administration dégradé »19(*), la grille sur laquelle seront fondés les redéploiements, ainsi que les « enjeux particuliers » ne sont pas précisés à ce stade.

Alors que les schémas d'emplois ont souvent été répartis entre départements en fonction du pouvoir de négociation des préfets, la rapporteure spéciale salue l'annonce d'une rationalisation de l'implantation des effectifs en fonction des besoins réels des territoires.

Cependant, il semble essentiel de mettre en place des critères objectifs de répartition des effectifs entre préfectures. Ils pourraient en particulier comprendre le taux d'administration20(*), les dynamiques démographiques et les services en tension (comme par exemple les services d'accueil des étrangers).

En tout état de cause, la rapporteure spéciale considère qu'il faudra que les critères de répartition soient établis de manière transparente. En effet, si des situations locales spécifiques pourront justifier des dérogations, l'absence de règle de répartition clairement établie en amont risque de perpétuer la pratique de négociations sur les schémas d'emplois entre les préfets.

Dans cette perspective, il est également urgent de renforcer les outils de suivi du ministère de l'intérieur. L'Administration numérique pour les étranger en France (ANEF), nouvel outil numérique déployé par le ministère, comprend un volet de suivi de l'activité d'accueil des étrangers par les préfectures. L'intégration d'une dimension de suivi de l'activité aux applications métiers constitue un levier de pilotage indispensable. Il conviendrait d'étendre ce type d'outils pour garantir la fiabilisation des données aux remontées concernant les différentes missions du réseau préfectoral. Cela permettrait aussi de disposer d'une vision précise de temps consacré par les agents sur les différentes missions.

D'après les magistrats de la Cour des comptes, « le ministère de l'intérieur a lui-même des difficultés à réaliser le suivi de ses effectifs. »

II. LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE L'ÉTAT TERRITORIAL POUR RELEVER LES DÉFIS QUI L'ATTENDENT

A. UNE AMÉLIORATION SENSIBLE MAIS TRÈS RÉCENTE DES DÉLAIS DE DÉLIVRANCE DES TITRES SÉCURISÉS ET LA SATURATION DES SERVICES PRÉFECTORAUX DES ÉTRANGERS

1. Les délais de délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports, une défaillance grave de l'État

Le plan « préfecture nouvelle génération » (PPNG), engagé en 2016, visait deux objectifs, à savoir mettre en oeuvre la dématérialisation des titres et renforcer certaines missions prioritaires21(*) en mobilisant les quelques 1 300 emplois déchargés par cette dématérialisation.

Le premier volet de la réforme concernait la délivrance des titres et s'est traduit par la fermeture des guichets d'accueil dans les préfectures et par l'ouverture de 58 centres d'expertise et de ressources titres (CERT). Ces derniers sont consacrés à l'instruction des demandes de titres d'identité (cartes d'identité et passeport), et aux permis de conduire et certificats d'immatriculation des véhicules (CIV).

À l'occasion des demandes de cartes nationales d'identité et de passeports, les usagers doivent dans la plupart des cas valider leur pré-demande en ligne22(*), avant d'obtenir un rendez-vous en mairie, pour déposer les pièces et pour le recueil des données biométriques. Les dossiers sont ensuite instruits par les CERT avant la mise en production.

Il est rapidement apparu que les gains de productivité avaient été surévalués et que les objectifs initiaux du plan ne pourraient pas être atteints. Dès le lancement de la réforme, le Gouvernement a été contraint de mettre en oeuvre des « plans de renfort exceptionnel en agents non titulaires ». Au printemps 2022, alors que les demandes de titres étaient en forte hausse, les CERT dédiés aux cartes nationales d'identité et aux passeports ont dû être très nettement renforcés. Surtout, en 2023, les renforts se poursuivent à un niveau très élevé.

Effectifs des centres d'expertise et de ressources titres

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, les effectifs contractuels mobilisés au sein des CERT en 2023 représentent 238 % des effectifs contractuels de 2021. Au sein des CERT CNI/passeport spécifiquement, le nombre de contractuels a été multiplié par 11,7 entre 2021 et 2023.

La rapporteure spéciale ne peut, de ce point de vue, qu'être alignée avec la position de la Cour des comptes, suivant laquelle « on ne saurait se satisfaire de ce que l'emploi public devienne un vecteur de précarité pour les titulaires de ces contrats courts. La solution passe avant tout par la fin du pilotage par le schéma d'emplois et par des cibles d'évolution d'effectifs plus réalistes ». En l'occurrence, un meilleur pilotage des effectifs en fonction de l'évolution des demandes de titres est primordial, et le projet de loi de finances pour 2024 n'apporte pas même un début de réponse sur ce sujet.

Ce constat est d'ailleurs repris dans le rapport récent de la Cour sur la capacité d'action des préfets23(*), dont la recommandation n° 12 vise à « limiter le recours aux contractuels de courte durée en cas de surcharge ponctuelle d'activité. »

La commission des finances a ainsi demandé, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, un rapport à la Cour des comptes sur la délivrance des titres d'identité, qui devra faire un état des lieux complet et éclairer les dysfonctionnements connus en 2022. Les délais ont depuis été largement réduits, notamment grâce à la forte mobilisation des communes qui, une fois qu'on leur a eu confié les dispositifs de recueil nécessaires au traitement des demandes, ont permis de réduire le délai de rendez-vous moyen à 18,4 jours24(*), alors qu'il avait atteint 77 jours au plus fort des difficultés, en mai 2022.

Il apparait que les évolutions de la demande sont structurelles et il conviendra de veiller, notamment à l'occasion des travaux de la Cour des comptes, à ce que les réponses mises en oeuvre par le Gouvernement soient bien du même ordre.

2. Les services en charge des publics étrangers, un défi pour la République

Dans son rapport d'information sur les services de l'État et l'immigration, déposé le 10 mai 2022 notre collègue M. François-Noël Buffet, relève que « face à une demande en perpétuelle croissance et à des moyens insuffisants » les services dédiés aux titres de séjour sont saturés25(*). Plus largement, ce sont tous les services en charge de l'accueil et de l'instruction des demandes de titres « étrangers » qui rencontrent d'importantes difficultés et les délais d'instruction des demandes n'ont pas fléchi en 2023.

Le programme « administration numérique des étrangers en France » (ANEF) poursuit son déploiement. Ce programme consiste à mettre en service un portail internet dédié aux démarches dématérialisées pour les étrangers en France. Ce portail doit constituer un point d'entrée unique pour l'ensemble des opérations effectuées auprès de la direction générale des étrangers en France et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Les gains attendus de l'Administration numérique pour les étrangers en France

En réduisant considérablement le nombre de passages des usagers étrangers en préfecture, ainsi que l'ensemble des tâches liées à la manipulation et à la saisie des dossiers, la mise en oeuvre de l'ANEF permet d'envisager à terme des gains de charge. Ceux-ci seront réinvestis, pour partie au profit des services étrangers de sorte à améliorer les performances de ce service public aujourd'hui perfectible, mais également à développer les missions d'accueil et d'accompagnement des usagers en particulier dans le cadre des points d'accueil numérique. Une estimation précise des effets induits par la réforme ne sera possible qu'au terme du déploiement total de l'ensemble des modules de l'ANEF et de l'appropriation des nouveaux outils dématérialisés par les agents des services et par les usagers, soit une trajectoire prévisionnelle à l'horizon 2025.

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Néanmoins, les déploiements futurs devront tenir compte de la décision du Conseil d'État du 3 juin 2022, qui relève que dès lors que le recours à un téléservice est imposé, il incombe au pouvoir réglementaire de prévoir les modalités d'accompagnement des personnes, ainsi que de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution « pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement ». Il a donc été nécessaire, au sein du projet ANEF, de renforcer les fonctionnalités dédiées aux agents des préfectures.

Les évolutions prescrites par la décision
du Conseil d'État du 3 juin 2022

« Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu'a sur la situation d'un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l'enregistrement de sa demande, il incombe au pouvoir règlementaire, lorsqu'il impose le recours à un téléservice pour l'obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d'un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l'accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. »

Source : décision du Conseil d'État, Section, 03/06/2022, 452798, Publié au recueil Lebon

Alors que l'ANEF a pu être présentée au départ comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation.

En effet, un plan de renforts triennal pour la période 2022-2024, à hauteur de 570 ETPT (soit 190 ETPT par an) a permis de venir au secours de ces services. La rapporteure spéciale déplore néanmoins le choix de ne recourir qu'à des vacataires, alors que ce type de contrats courts fragilise déjà les services « étrangers ». La complexité du droit des étrangers suppose en effet des délais de formation relativement importants et compte tenu du coût d'entrée, il aurait été préférable de recourir à des effectifs titulaires susceptibles d'être fidélisés dans l'intérêt des services.

Surtout, alors que le sous-directeur de l'administration territoriale de l'État a assuré à la rapporteure spéciale qu'un nouveau plan de renfort des services préfectoraux consacrés aux étrangers devrait être mis en place à partir de 2025, le recours à des contractuels ne se justifie plus, dès lors que les renforts doivent être structurels.

Alors que la priorité devrait être à consolider des services et à fidéliser des compétences, le Gouvernement fait encore une fois le choix de recourir à des vacataires, qui traduit bien la volonté de désengager, à moyen terme, des effectifs pourtant essentiels à la réalisation de ses missions.

3. L'accueil au sein des préfectures doit être renforcé

Alors que l'accueil au sein des préfectures ne concerne plus que des publics restreints, une expérimentation a été menée au sein de quatre départements, le Nord, les Pyrénées-Atlantiques, l'Essonne et la Saône-et-Loire, visant à créer des points d'accès numériques renforcés (PAN +).

Dans le cadre de cette expérimentation, « des ateliers de réflexion et des expérimentations ont été menés [...], notamment sur les sujets de l'aménagement des espaces, de la communication à l'usager, de la gestion et valorisation RH, de la relation entre le PAN et les services métiers. »

Néanmoins, compte tenu de la contrainte de moyen à laquelle est confronté le ministère de l'intérieur, « il n'est pas possible de se prononcer aujourd'hui sur cette généralisation ». La rapporteure spéciale ne peut que déplorer cette situation : alors que des solutions pour permettre de garantir l'accès de tous à des services publics essentiels, les moyens budgétaires empêchent de déployer effectivement ces solutions.

B. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT

1. La réponse du Gouvernement aux difficultés des préfectures reste à ce stade relativement limitée

Si la Cour des comptes, dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État, salue l'effort réalisé par le Gouvernement en termes de stabilisation des effectifs pour le réseau territorial de l'État, indiquant qu'elle « offre une respiration nécessaire aux services de l'État territorial », elle s'inquiète de ce que « le défaut d'attractivité constaté de certaines régions et sur certaines fonctions [pourraient limiter] les bénéfices attendus de la préservation des postes, dans un contexte d'accélération des départs à la retraite. »

Ainsi, comme le relève la Cour des comptes, « la direction du budget préconise à ce titre de privilégier une « gestion active des carrières », c'est-à-dire le levier statutaire, au levier indemnitaire, plus coûteux. »

Le schéma d'emploi pour 2024 du programme 354 est positif, à hauteur de + 232 ETP, « dont 101 ETP affectés au renforcement des préfectures et sous-préfectures, 9 ETP pour le conseil supérieur de [l'appui territorial et de l'évaluation], 77 ETP dédiés aux experts de haut niveau placé auprès des préfets et 45 ETP dédiés au renforcement des plateformes régionales chargées des ressources humaines. »

Alors que le programme 354 représente près de 30 000 emplois, cette évolution demeure d'une ampleur très limitée au regard des enjeux.

Ainsi, la traduction sur le plan budgétaire de la promesse de réarmement de l'État territorial est sans commune mesure avec les très nombreux défis auxquels l'administration territoriale de l'État devra faire face au cours des prochaines années.

Il est indispensable de proportionner les moyens octroyés à l'administration territoriale de l'État avec les objectifs qui lui sont fixés, sans quoi les missions ne pourront être remplies. Nullus tenetur ad impossibile, à l'impossible nul n'est tenu.

2. La priorisation des missions, un chantier en trompe l'oeil

Le document « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 », de septembre 202226(*), revient sur les différentes missions des préfectures :

- assurer le pilotage stratégique et opérationnel des crises et des politiques de sécurité ;

- moderniser le contrôle de légalité ;

- adapter l'organisation des services en charge des élections ;

- renforcer la lutte contre la fraude dans le cadre de la délivrance de titres sécurisés ;

- accompagner l'ensemble des missions liées à l'entrée et au séjour des étrangers en France, en particulier en concentrant les efforts sur le séjour et en accentuant l'effort sur l'éloignement ;

- renforcer le rôle des services chargés de la coordination des politiques publiques ;

- mieux conseiller les porteurs de projets ;

- accroître le recours à l'expertise des services déconcentrés ;

- professionnaliser l'accueil dans les préfectures ;

- améliorer la coordination de la préfecture avec les autres services d'accueil du public de proximité.

Ces priorités reprennent en réalité la quasi-totalité des missions des préfectures. Seules manquent à l'appel les visites officielles, dont on conçoit mal une quelconque remise en cause, et la sécurité routière qui apparaitra, plus tard dans le rapport, parmi les « quatre blocs de missions fondamentales de la direction ou du service des sécurités » devant être réaffirmés.

Ainsi, le document « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » se contente de qualifier de missions prioritaires l'ensemble des missions des préfectures.

Non que la rapporteure spéciale remette en cause le caractère primordial de ces différentes missions, mais plutôt considère-t-elle qu'il est nécessaire d'avoir un discours univoque :

- ou bien les préfectures doivent prioriser leurs missions et à ce titre celles qui sont les moins importantes auront vocation à abonder en moyens et en emplois celles qui sont jugées prioritaires ;

- ou bien toutes les missions doivent être garanties au même titre et il est indispensable de conforter en urgence les effectifs et les moyens du réseau préfectoral.

Compte tenu des nombreuses difficultés des préfectures, le renfort de moins d'une centaine d'ETP proposé par le présent PLF ne saurait suffire à apporter une réponse crédible à cette situation.

III. LES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR : PRÉSERVER DES MISSIONS INDISPENSABLES

A. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR EST SURTOUT PORTÉE PAR LES CRÉDITS D'INVESTISSEMENT CONSACRÉS À DES PROJETS STRUCTURANTS

1. Les dépenses immobilières du programme 216 seront en nette hausse en 2023

Le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » porte les fonctions de pilotage du ministère de l'intérieur au travers des activités d'état-major, d'expertise, de conseil et de contrôle.

Le programme regroupe également les crédits relatifs aux affaires juridiques et contentieuses du ministère, ceux du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et, depuis le 1er janvier 2020, ceux de la nouvelle direction numérique ainsi que du fonctionnement des secrétariats généraux pour l'administration de ministère de l'intérieur (SGAMI).

La stratégie pour 2024 s'inscrira dans la continuité de celle de 2023 et sera principalement structurée autour de trois axes :

- poursuivre les efforts engagés en termes d'amélioration de la prévision et de pilotage des dépenses de contentieux et de protection fonctionnelle des fonctionnaires ;

- garantir la transformation numérique du ministère, via la création de 10 ETP supplémentaires, la création d'une direction de la transformation du numérique et le transfert aux programmes métiers des crédits afférents aux différents projets numériques ;

- faire évoluer le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Les dépenses immobilières de l'administration centrale sont, par ailleurs, en très nette hausse (+ 345 %), sous l'effet du déblocage d'un milliard d'euros pour financer le site unique de la direction générale de la sécurité intérieure, à Saint Ouen. Il s'agit d'un projet à 1,3 milliard d'euros, l'année 2024 devant correspondre à la construction du site, soit la principale dépense.

Le projet Réseau radio du futur (RRF)

Le projet Réseau radio du futur devrait bientôt entrer dans une phase opérationnelle, le marché devant être signé au mois de novembre 2022. Les réseaux radio actuels gérés par le ministère de l'intérieur reposent sur une technologie comparable à la technologie 2G des réseaux commerciaux des années 1990, soit une technologie obsolète.

Le nouveau Réseau radio du futur (RRF) devrait permettre l'accès à une messagerie instantanée, aux données de géolocalisation (y compris renvoyées sur le terminal de l'utilisateur), aux systèmes d'information du ministère de l'intérieur, aux flux vidéo ou aux objets connectés. Le réseau doit pouvoir être accessible tant à la Gendarmerie et à la Police nationales qu'aux moyens nationaux de la sécurité civile, à l'administration pénitentiaire, aux douanes, aux sapeurs-pompiers ou encore aux polices municipales.

Le programme RRF vise ainsi à répondre aux besoins opérationnels des utilisateurs, à savoir les services en charge des missions relevant du traitement de l'urgence, tant dans le domaine de la sécurité publique que dans celui du secours aux personnes et aux populations. Le calendrier cible du ministère de l'intérieur a pris un an de retard, et prévoit désormais le déploiement de RFF dans 22 départements dès 2023, 38 en 2024 et des 36 derniers en 2025.

Les moyens financiers devraient être conséquents, à la hauteur de l'objectif cible du déploiement de 700 000 dispositifs. Une part très significative de ces dépenses sera portée par les différents services de sécurité et de secours qui auront souscrit aux offres d'abonnement du réseau, sur leur propre budget et dans les volumes qu'ils auront choisis.

Le besoin d'investissement a été évalué à 896 millions d'euros avec un effort budgétaire conséquent au départ pour « acquérir l'ensemble des ressources techniques (coeur de réseau, services d'applications missions critiques, contrats avec les opérateurs de réseaux mobiles, terminaux mobiles et accessoires, etc.) suivi par une baisse de l'effort d'investissement à partir de 2023 (début du déploiement) ».

Les crédits nécessaires au projet seront répartis entre, d'une part, 197 millions d'euros sur les années 2023 à 2026 au titre de la construction et du déploiement du RRF via le programme 216 et, d'autre part, 614 millions d'euros sur l'ensemble de la période via les programmes métiers du ministère, les autres ministères associés au projet (ministère de la justice, ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de la santé et de la prévention, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère des armées) ainsi que les collectivités territoriales (pour les services départementaux d'incendie et de secours et polices municipales).

Le décret du 30 mars 2023 a créé l'agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), établissement public administratif chargé de poursuivre la réalisation de RRF.

Source : réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale

2. La fonction numérique du ministère connait une importante transformation

Le décret du 27 septembre 201927(*) a créé la direction du numérique (DNUM), qui a pour mission, en lien avec l'ensemble des services, d'élaborer et de conduire la stratégie numérique du ministère. Elle a été chargée d'assurer la cohérence et la sécurité de ses systèmes d'information et de communication. Rattachée au secrétariat général, elle interagit avec les différents services responsables28(*).

Néanmoins, le décret du 5 juillet dernier29(*) a modifié cette organisation, dans la lignée des travaux de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023, en lui substituant une nouvelle direction de la transformation du numérique.

Le directeur de la transformation du numérique est placé directement auprès du secrétaire général du ministère, et exerce trois types de missions :

des missions de gouvernance, destinées à initier et promouvoir la transformation numérique du ministère et mettre en oeuvre ses grandes orientations ;

- des missions de conception et de gestion d'infrastructures et systèmes numériques ;

- des missions de support et de suivi des ressources numériques.

On peut néanmoins s'interroger sur un tel revirement, alors que la direction du numérique, censée piloter les crédits des principaux projets informatiques, a été créée en 2019. De plus, avec le transfert aux programmes « métier » des crédits informatiques, le Gouvernement change de direction par rapport à la réforme de 2019.

B. APRÈS L'AFFAIRE DU FONDS MARIANNE, LE COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE ET DE LA RADICALISATION DOIT PROFONDÉMENT ÉVOLUER ET ALLER VERS UN RENFORCEMENT DE L'INTERMINISTÉRIALITÉ

1. La nécessaire réforme du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

La création d'une ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur chargée de la citoyenneté a conduit à former des liens renforcés entre la ministre et son cabinet et le Secrétariat général de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Si le SGCIPDR était déjà auparavant placé sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, cette tutelle « rapprochée » a mis à mal la vocation interministérielle du secrétariat général : le CIPDR est en effet un comité composé des principaux ministres30(*) du Gouvernement.

L'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SGCIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de la mission sur le fonds Marianne, à « un mélange des genres regrettable »31(*).

Au-delà des recommandations de la mission, il semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle du SGCIPDR et son positionnement. La nomination comme nouveau secrétaire général d'un ancien magistrat, doit être vue comme allant dans le bon sens.

La rapporteure spéciale recommande que la proposition du rapport de l'inspection générale de l'administration sur l'évolution de l'organisation et des missions du SGCIPDR visant à créer une délégation plutôt qu'un secrétariat général soit mise en oeuvre rapidement. Cette transformation permettrait de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. Reconnu comme directeur d'une administration centrale, le délégué interministériel serait ainsi nommé en Conseil des ministres.

Il conviendrait, plus largement, que les experts recrutés au sein du SGCIPDR représentent bien les différents ministères. Les ministères sociaux, le ministère de la justice ou encore celui de l'éducation nationale doivent être pleinement impliqués dans les différentes stratégies de lutte contre la prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Cette évolution doit notamment passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité du contre discours républicain, qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait, comme le propose le rapport de l'inspection générale de l'administration, de régulariser ces emplois en les intégrant au schéma d'emploi du programme 216. Pour ce faire, la rapporteure spéciale considère qu'un rehaussement du plafond d'emplois du programme s'impose.

2. La création d'une direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes, en charge notamment de la vidéo-protection

La direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (DEPSA) unifie la politique de l'État en direction des différents acteurs de la sécurité. Lui est transférée, dès le 1er janvier 2024, la gestion des crédits d'équipements en vidéo-protection qui relevaient jusqu'à présent du Secrétariat général de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Ce transfert des crédits vers une action ad hoc, a priori distincte de l'action dédiée au fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), appelle à une clarification de la part du ministère de l'intérieur.

Il semble nécessaire de déterminer plus clairement le régime de ces dépenses, si elles relèvent ou non du FIPDR, et de préciser les conditions d'engagements des crédits.

En effet, le régime du FIPDR, qui traite les dépenses comme des dépenses d'équipement, peut s'avérer inadapté pour financer des opérations complexes. La création d'un régime spécifique, qui tienne compte de la dimension d'investissement et de pluriannualité devrait être développé pour mieux adapter les financements de l'État aux besoins des collectivités porteuses de projet.

3. Un meilleur soutien financier de l'État à la présence d'intervenants sociaux en commissariats et en unités de gendarmerie

Dans son discours de Nice du 10 janvier 2022, le président candidat Emmanuel Macron s'était engagé à augmenter le nombre d'intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie (ISCG), pour parvenir à 600 intervenants.

Ce dispositif a d'abord été expérimenté dans les années 1990 et a connu une montée en charge progressive jusqu'à compter 420 ISCG32(*) aujourd'hui.

Dans les territoires, il revient au préfet de piloter le déploiement du dispositif, en mobilisant les financements de différents partenaires : le conseil départemental, les conseils municipaux mais également des associations. Le préfet dispose pour ce faire des crédits du FIPD, qui lui permettent de donner une impulsion au dispositif : ainsi, le fonds couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième.

Un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) rendu en mars 2021 dresse un bilan très positif du rôle des intervenants sociaux, reconnaissant que l'efficacité et la pertinence de leur action sont unanimement reconnues tant localement qu'au niveau national, en témoignent les annonces du Président de la République en janvier dernier. La mission constate les conséquences très positives de l'action des intervenants sociaux sur les populations visées par cette politique et sur la prévention de la délinquance. Leur présence a été saluée par les services de police et de gendarmerie, ainsi que les services sociaux des départements ou communaux. 

Cependant, et dans la lignée des travaux de la mission, la rapporteure spéciale considère que la question des financements demeure cruciale pour le développement des postes et constitue à ce jour un frein important pour la pérennité de ce dispositif, malgré son efficacité constatée.

D'après l'audition du secrétaire général du CIPDR menée par la rapporteure spéciale, un accord aurait été trouvé pour garantir le financement pérenne par l'État de 30 % des emplois d'ISCG, ce dont la rapporteure spéciale se félicite.

LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 retient deux des trois amendements de crédits adoptés en séance publique par l'Assemblée nationale :

- un amendement du Gouvernement, qui a minoré de 418 368 euros l'action n° 5 du programme 354, reflétant la compensation aux régions des dépenses de fonctionnement des effectifs antérieurement alloués par l'État à l'exercice de la compétence de gestion des sites Natura 2000 ;

- deux amendements identiques, de M. Charles de Courson, rapporteur spécial de la mission à la commission des finances de l'Assemblée nationale, et de M. Olivier Serva, visant à réhabiliter la mission préfectorale sur Marie-Galante, d'un montant de 96 000 euros.

La rapporteure spéciale déplore que l'amendement du rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale visant à renforcer les effectifs dédiés au contrôle de la légalité et des actes budgétaires des collectivités territoriales, n'ait pas été retenu. Cette amendement rehaussait les crédits sur le programme 354 de 12,8 millions d'euros et avait été adopté par l'Assemblée nationale avec un avis favorable du ministre au banc.

Les propos du ministre de l'intérieur, M. Gérald Damanin, ont néanmoins témoigné d'une certaine désinvolture vis-à-vis du rôle du Parlement dans le vote du budget : « mon avis favorable ne signifie pas que nous redirigerons précisément 12,77 millions d'euros vers les effectifs de l'administration territoriale, mais que Mme la ministre déléguée et moi-même nous engageons à diminuer le nombre d'ETP en administration centrale pour créer des effectifs supplémentaires en préfecture sans alourdir le budget de l'État. »

La rapporteure spéciale soutient l'objectif de renforcement du contrôle de légalité, dont, comme le relève la Cour des comptes, « la qualité n'est plus suffisante au regard des obligations constitutionnelles de l'État ». En effet, d'après la Cour, « l'attrition des moyens consacrés au contrôle des actes budgétaires rend son exercice particulièrement dégradé ». Il est urgent que l'État apporte des solutions, qui devront nécessairement inclure un renforcement des moyens humains.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 8 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale, sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de Mme Florence Blatrix Contrat sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La traduction budgétaire de l'engagement de « réarmement » de l'État territorial porté par le Gouvernement n'est pas à la hauteur. Les effectifs du programme 354 « Administration territoriale de l'État » augmenteront de 232 équivalents temps plein (ETP), loin en deçà de ce qui est devenu indispensable pour résoudre les difficultés auxquelles est confrontée l'administration déconcentrée du ministère de l'intérieur. Au rythme actuel, il faudrait plus d'une vingtaine d'années pour revenir au niveau des effectifs de 2012.

Dans un premier temps, je souhaite aborder les grands enjeux de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Les préfets sont au coeur de cette réforme et disposent de nouvelles marges d'action, en particulier pour redéployer des emplois entre les missions budgétaires. Outre la mission AGTE, plusieurs missions sont concernées : agriculture, écologie, culture, travail et emploi, solidarités, économie. Les préfets de région peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, piocher dans ces viviers d'emplois et redéployer jusqu'à 2 000 ETP chaque année. Alors que le projet annuel de performances de la mission ne comporte aucune information sur l'utilisation de ce dispositif, je considère que l'information du Parlement devrait être assurée et que des précisions devront, à l'avenir, intervenir dès le dépôt du projet de loi de finances.

Par ailleurs, Mme Isabelle Briquet avait dressé un certain nombre de constats sur la situation des secrétariats généraux communs départementaux lors de ses travaux de contrôle, qui ont depuis été confirmés par les travaux interinspections. Les objectifs de la réforme n'ont pas été atteints et celle-ci a placé en grande difficulté les agents chargés de la mettre en oeuvre.

Dans ce contexte, les différents chantiers de convergence lancés dans le cadre de la réforme doivent permettre de rapprocher les fonctionnements en ressources humaines des principaux ministères. Ils doivent désormais se poursuivre afin de permettre que les secrétariats généraux communs départementaux fonctionnent dans de bonnes conditions.

Je souhaite également revenir sur certains constats de la Cour des comptes, exprimés dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale. La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années n'ont pas été réalistes au sein des préfectures ; celles-ci ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services.

Elle fait le constat que le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. En dix ans, le programme a enregistré la perte de 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. Aujourd'hui, la hausse proposée ne représente que 5 % des pertes d'effectifs auxquelles a été confronté le réseau des préfectures.

Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a mis en place un document stratégique : missions prioritaires des préfectures (MPP) 2022-2025. Ce document est mal nommé ; loin de prioriser certaines missions, il rappelle l'importance de l'ensemble des missions préfectorales. En menant le chantier en trompe-l'oeil de la priorisation des missions, le Gouvernement veut faire croire que les difficultés de l'administration territoriale de l'État peuvent être résorbées à moyens constants. L'impossibilité de prioriser certaines missions pour le ministère témoigne de la nécessité d'augmenter les moyens afin de garantir la mise en oeuvre effective des différentes politiques publiques portées par la mission.

Je souhaite également revenir sur la délivrance des titres. En 2022, les délais d'obtention de cartes nationales d'identité et de passeports ont atteint des délais inacceptables. Aujourd'hui, ils ont été largement résorbés ; nous sommes revenus à des délais moyens d'obtention d'un rendez-vous en deçà de 20 jours.

Ces progrès ont été rendus possibles grâce à la mise à disposition des communes de nouveaux dispositifs de recueil indispensables pour traiter les demandes. Ainsi, entre 2021 et 2023, le nombre de dispositifs a augmenté d'un peu plus de 40 %. Outre les évolutions de la dotation titres sécurisés (DTS), indispensables pour permettre aux communes d'absorber le flux de demandes, ces nouveaux dispositifs ont permis de réduire les délais.

Aujourd'hui, la hausse du nombre de demandes de carte nationale d'identité et de passeport est structurelle ; on peut prévoir environ 14 millions de demandes de titres par an. Un rapport commandé à la Cour des comptes par la commission des finances devrait être rendu dans les prochains mois ; il permettra de mieux comprendre les raisons qui ont conduit à une telle explosion des délais, et d'évaluer si les réponses apportées à ce stade offrent une solution durable aux difficultés rencontrées par nos concitoyens. Il est aujourd'hui indispensable d'assurer un suivi beaucoup plus fin de l'évolution des demandes de titres, afin d'être en mesure de beaucoup mieux anticiper en cas de dérapage des délais de délivrance de titres.

Par ailleurs, pour permettre aux services instructeurs des préfectures de faire face à l'évolution structurelle des demandes de titres d'identité, le nombre de contractuels a été multiplié par onze. On ne saurait admettre que pour répondre à une évolution d'ordre structurel, le Gouvernement fasse le choix d'apporter une réponse conjoncturelle en mobilisant des effectifs contractuels.

Les services en charge de l'accueil et des demandes de titres étrangers sont confrontés à des problématiques similaires. Ils sont toujours en grande difficulté, et les délais n'ont pas vraiment été réduits sur les principales procédures. La dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), est très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.

Si l'Anef a été initialement présentée comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation. Dans la lignée des engagements pris par le ministre de l'intérieur l'an dernier, la consigne a été passée aux services de mobiliser les marges en effectifs dégagées par l'Anef pour améliorer la qualité de l'accueil et du traitement des dossiers.

Les renforts en contractuels sont maintenus pour 2024. Je regrette, encore une fois, ce choix de mobiliser des contractuels, alors que de nouveaux renforts sont déjà envisagés en 2025. On sait déjà que des renforts de long terme seront nécessaires, et la priorité devrait être de consolider des services et de fidéliser des compétences, à rebours du choix du Gouvernement.

Je souhaite enfin revenir sur le rôle du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), une structure qui a particulièrement occupé notre commission à l'occasion de la mission d'information sur le fonds Marianne. La tutelle de la ministre déléguée sur le SG-CIPDR a mis à mal la vocation interministérielle de cette structure ; l'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SG-CIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de notre commission, à « un mélange des genres regrettable ».

Au-delà des recommandations de la mission, il me semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle de cette structure et sur son positionnement. La nomination, comme nouveau secrétaire général, d'un ancien magistrat, doit être vue comme allant dans le bon sens. L'engagement pris par Mme Sonia Backès, avant sa démission du Gouvernement, de transformer le Secrétariat général en délégation me semble pertinente. Cette transformation permettrait de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. La prévention de la délinquance doit avant tout passer par une logique interministérielle, et cette dimension doit être réaffirmée.

L'évolution doit aussi passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité de contre-discours républicain (UCDR), qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait que la direction du budget admette un rehaussement ponctuel du plafond d'emploi du programme 216 pour intégrer ces agents.

Avant de conclure, je souhaite évoquer la situation des intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG). Ils jouent un rôle majeur pour l'accueil des victimes en situation de fragilité, notamment les femmes victimes de violences intrafamiliales et les personnes en situation de handicap ; les retours sur le sujet, dans les territoires, sont très positifs.

Alors que le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième, le Gouvernement a fait le choix, raisonnable, de maintenir son financement à 30 % au-delà de la troisième année de manière pérenne. C'est une avancée importante, qui permet de soutenir ce dispositif indispensable pour l'accompagnement des victimes.

En conclusion, je souhaite évoquer la sortie du champ du SG-CIPDR des crédits dédiés au financement de la vidéoprotection. Ces financements sont désormais portés par la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa), qui a vocation à unifier la politique de l'État en direction des différents acteurs de la sécurité.

D'un point de vue budgétaire, les crédits de la vidéoprotection sortent de l'action dédiée au FIPDR et rejoignent une action ad hoc. D'après mes échanges avec le ministère, bien que retracés sur un budget opérationnel de programme et une action distincts, les crédits de la vidéoprotection seraient néanmoins toujours considérés comme des crédits relevant du FIPDR. Je déplore l'incohérence et le manque de clarté qui résulte de ce changement de maquette budgétaire.

Surtout, je considère que ces évolutions auraient pu constituer une occasion de faire évoluer les règles applicables au financement de la vidéoprotection et de les sortir du cadre rigide du FIPDR. L'installation de la vidéoprotection n'est pas une dépense d'équipement comme une autre ; elle mériterait d'être traitée comme une dépense d'investissement. Une telle évolution permettrait aussi de renforcer la dimension pluriannuelle de l'engagement de ces crédits, et de favoriser le financement d'opérations complexes ou d'une plus grande ampleur. En ce sens, les changements introduits par le projet de loi de finances auraient pu constituer l'occasion d'adapter les conditions du financement par l'État des projets des collectivités.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je propose le rejet des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapport met bien en lumière un problème déjà évoqué pour ce PLF : l'absence de priorités. La question des titres sécurisés l'illustre bien. Il a fallu batailler pendant trois ou quatre ans pour que la montée en charge du dispositif commence. Cependant, un travail important reste à fournir puisqu'il faut évaluer les besoins afin d'apporter une réponse durable, sans surcharger les effectifs et tout en assurant une bonne qualité de service. Au début de la mise en place du dispositif, il fallait une semaine pour obtenir sa pièce d'identité, mais aujourd'hui les délais sont plus longs. Les élus locaux font remonter des demandes en la matière, en réaction à une réalité vécue et non pour le plaisir de contester. Je note que les collectivités locales sont au rendez-vous de l'équilibre budgétaire et financier. Je partage l'avis de notre rapporteure spéciale.

M. Marc Laménie. - La baisse des effectifs est largement signalée depuis une dizaine d'années. Des sous-préfectures ont été supprimées il y a quelques années ; où en est-on à ce sujet ?

Pourriez-vous revenir sur l'efficacité des maisons France Services ?

Enfin, les intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie sont trop peu nombreux. Pourtant, ils représentent un lien et contribuent notamment à lutter contre les violences intrafamiliales.

Mme Isabelle Briquet. - La mission montre bien les conséquences du désarmement des services de l'État. Nous observons une perte de services et de compétences, ainsi qu'un recours massif à des contractuels. La Cour des comptes souligne que la situation n'est pas acceptable.

Les éléments communiqués cette année permettent-ils d'envisager le retour à un délai correct pour la délivrance des titres ?

Les crédits liés à la vidéoprotection changent d'affectation. Néanmoins, un meilleur fléchage serait souhaitable. Le FIPD montrait que ces crédits étaient insuffisants par rapport à la demande croissante des communes à tel point que, dans certains départements, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) doit pallier ces manques. Je ne peux qu'appuyer la demande formulée pour tenter d'y voir plus clair sur la répartition et l'usage de ces fonds.

M. Grégory Blanc. - S'agissant de la délivrance des titres sécurisés, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements sur les plans de renfort exceptionnel pour 2024.

Par ailleurs, la dématérialisation mise en place pour la délivrance des titres pour les étrangers est une catastrophe, qui crée des difficultés et même certaines situations irrégulières. Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet ?

M. Olivier Paccaud. - Ma question reprend celle d'Isabelle Briquet sur la vidéoprotection. Je suis issu d'un territoire dans lequel le conseil départemental comme la région ont fourni de gros efforts en la matière. Aujourd'hui, de nombreuses communes ont recours à cet outil - que leur maire soit de droite ou de gauche - et doivent faire appel à l'État pour compléter leur plan de financement. Un flou demeure sur les crédits alloués et une clarification semble nécessaire.

Mme Christine Lavarde. - Je voudrais poser une question concernant la délivrance des titres pour les étrangers, que j'ai adressée au ministre de l'intérieur il y a presque un an et à laquelle je n'ai toujours pas reçu de réponse : pourquoi le dépôt numérique n'est-il pas possible pour tous les dossiers ? En effet, cette possibilité ne concerne que les étudiants, les visiteurs, ceux qui relèvent du « passeport talent » ou demandent des duplicatas. Cet accès restreint crée des difficultés et oblige les personnes étrangères à obtenir un rendez-vous physique pour apporter leurs pièces justificatives. Ce problème aurait dû être résolu par le déploiement complet de l'Anef, prévu pour 2020. D'où vient le blocage ? S'agit-il uniquement de questions de personnel que vous avez évoquées ou aussi de problèmes techniques ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Je partage les propos du rapporteur général sur l'incapacité à prioriser et sur le manque d'évaluation des besoins pour répondre aux demandes de l'administration territoriale. Nous devons adapter les moyens aux besoins et non les besoins aux moyens, ce qu'a fait le Gouvernement.

Pour répondre à Marc Laménie, six sous-préfectures ont été créées l'année dernière et il n'y a pas de nouvelles créations prévues.

Par ailleurs, les maisons France Services présentent une grande disparité. Dans mon département, certaines fonctionnent très bien et bénéficient d'une forte affluence, quand d'autres rencontrent plus de difficultés. Une évaluation est nécessaire pour que les collectivités soient accompagnées en la matière.

Enfin, je partage vos propos sur la question des intervenants sociaux.

Madame Briquet, pour la délivrance de titres, la durée moyenne pour obtenir un rendez-vous est de 18,4 jours, ce qui représente une amélioration sensible.

En ce qui concerne la vidéoprotection, nous allons mener des travaux complémentaires avant l'examen dans l'hémicycle, pour tenter de remédier au manque de clarté. Les crédits ne sont plus rattachés à l'action dédiée au FIPD au sein du programme 216. Le FIPD devra-t-il contribuer au financement de la vidéoprotection au détriment d'autres actions ? Nous le craignons.

Monsieur Grégory Blanc, selon une décision du Conseil d'État, les procédures doivent être revues pour garantir un meilleur accompagnement dans le cadre de l'Anef. Dans certains départements, des points d'accueil numérique renforcés (PAN+) sont mis en place en parallèle du déploiement du dispositif PAN-Emeraude, dont les évaluations semblent positives. Les moyens dont dispose le ministère ne permettent malheureusement pas que ce déploiement soit généralisé à ce stade.

Enfin, madame Lavarde, je n'ai pas de réponse à votre question, l'essentiel des procédures ANEF étant censées être aujourd'hui accessibles. Nous nous renseignerons pour vous répondre.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)

- M. Étienne APAIRE, secrétaire général ;

- M. Guillaume TAILHARDAT, chef du pôle administratif et financier.

Sous-direction de l'administration territoriale de l'État (SDATE)

- M. Pierre MOLAGER, sous-directeur ;

- Mme Stéphanie MARIVAIN, cheffe du bureau de la performance.

Direction de la transformation du numérique - Ministère de l'intérieur

- M. Mathieu WEILL, directeur de la transformation du numérique ;

- M. Arnaud Menguy, chef du service de la gouvernance numérique ministérielle.

Direction des entreprises et des partenariats de sécurité et des armes - Ministère de l'intérieur

- Mme Julie MERCIER, directrice des entreprises et des partenariats de sécurité et des armes ;

- Mme Élisabeth SELLOS-CARTEL, cheffe du bureau de la vidéo-protection et de la sécurité électronique.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2024.html


* 1 Les secrétariats généraux communs, une réforme au milieu du gué, rapport d'information de Mme Isabelle BRIQUET, fait au nom de la commission des finances n° 740 (2021-2022) - 29 juin 2022.

* 2 Circulaire du 22 décembre 2021, TFPC2138898C, de la ministre de la transformation et de la fonction publique et du ministre délégué chargé des comptes publics.

* 3 Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 4 Ibid.

* 5 Missions prioritaires des préfectures pour la période 2022-2025, 27 septembre 2022.

* 6 Décret n° 2019-994 du 27 septembre 2019 modifiant le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 7 Décret n° 2023-582 du 5 juillet 2023 modifiant le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer

* 8 En application de l'article D132-1 du code de la sécurité intérieure, « le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation est présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'intérieur. [Il] comprend le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'éducation nationale, le ministre chargé de l'enseignement supérieur, le ministre chargé de la recherche, le ministre de la défense, le ministre chargé de la santé, le ministre chargé de la famille, le ministre chargé des droits des femmes, le ministre chargé de la cohésion sociale, le ministre chargé du travail, le ministre chargé du logement, le ministre chargé des transports, le ministre chargé de la ville, le ministre chargé de la jeunesse, le ministre chargé des sports et le ministre chargé de l'outre-mer. »

* 9 Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique - Rapport d'information n° 829 (2022-2023), tome I, déposé le 4 juillet 2023, Jean-François Husson.

* 10 Ils étaient une dizaine en 2005, 118 en 2009, 180 en 2013, 250 en 2015 et environ 350 en 2020.

* 11 Décret du 14 août 2020, modifiant le décret du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles.

* 12 À savoir les programmes 206 et 215 de la mission « Agriculture, alimentation forêt et affaires rurales », 224 de la mission« Culture », 354 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », 217 de la mission « Écologie » (hors directions régionales des routes ou directions interrégionales des routes et de la mer), 155 de la mission « Travail et Emploi », 124 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et 134 de la mission « Économie ».

* 13 Cour des comptes, la capacité d'action des préfets, observations définitives, exercices 2016-2022.

* 14 Décret n° 2020-99 du 7 février 2020 relatif à l'organisation et aux missions des secrétariats généraux communs départementaux.

* 15 Supprimée par la circulaire du 22 décembre 2021.

* 16 Les secrétariats généraux communs, une réforme au milieu du gué, rapport d'information n° 740 (2021-2022), fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 juin 2022, Mme Isabelle Briquet.

* 17 Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 18 Le rapport annuel de performance 2023 de la mission indiquait en effet que, « conformément aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur l'évolution des effectifs de l'administration territoriale de l'État et sur le fondement d'un modèle d'allocation des moyens, un rééquilibrage de la répartition des emplois entre préfectures sera par ailleurs progressivement mis en oeuvre, afin de prendre en compte la réalité des besoins de territoires exposés à des enjeux particuliers. »

* 19 Pour les régions, Mayotte, le Nord et la Corse et pour les départements, les Landes, la Manche, les Pyrénées-Orientales, le Tarn, la Savoie, l'Eure-et-Loir, la Dordogne, la Charente, les Deux-Sèvres.

* 20 Ce taux rapporte l'emploi public pour un périmètre donné à la population présente sur le territoire concerné.

* 21 Ces missions étaient alors la sécurité et l'ordre public, la coordination des politiques publiques, le renforcement des moyens du contrôle de la légalité et la lutte contre la fraude documentaire.

* 22 Et procéder au paiement pour les passeports.

* 23 Cour des comptes, la capacité d'action des préfets, observations définitives, exercices 2016-2022.

* 24 Durée en semaine 42, soit la semaine du 16 au 22 octobre.

* 25 Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité, Rapport d'information n° 626 (2021-2022) de M. François-Noël BUFFET, fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 mai 2022.

* 26 Missions prioritaires des préfectures pour la période 2022-2025, 27 septembre 2022.

* 27 Décret n° 2019-994 du 27 septembre 2019 modifiant le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 28 À savoir :

- le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure ;

- la direction de l'innovation, de la logistique et des technologies chargée du numérique de la préfecture de police ;

- les services des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur ;

- l'agence du numérique de la sécurité civile dont elle assure également la tutelle ;

- l'agence nationale des titres sécurisés dont elle assure également la tutelle ;

- l'agence nationale de traitement automatisé des infractions.

* 29 Décret n° 2023-582 du 5 juillet 2023 modifiant le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 30 En application de l'article D132-1 du code de la sécurité intérieure, « le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation est présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'intérieur. [Il] comprend le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'éducation nationale, le ministre chargé de l'enseignement supérieur, le ministre chargé de la recherche, le ministre de la défense, le ministre chargé de la santé, le ministre chargé de la famille, le ministre chargé des droits des femmes, le ministre chargé de la cohésion sociale, le ministre chargé du travail, le ministre chargé du logement, le ministre chargé des transports, le ministre chargé de la ville, le ministre chargé de la jeunesse, le ministre chargé des sports et le ministre chargé de l'outre-mer. »

* 31 Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique - Rapport d'information n° 829 (2022-2023), tome I, déposé le 4 juillet 2023, Jean-François Husson.

* 32 Ils étaient une dizaine en 2005, 118 en 2009, 180 en 2013, 250 en 2015 et environ 350 en 2020.

Partager cette page