EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 13 décembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine, selon la procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement), le rapport de Mme Patricia Demas, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 598, 2022-2023) visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage ».

M. Philippe Mouiller, président. - Nous débutons nos travaux par l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage ».

Ainsi qu'il en a été décidé par la Conférence des présidents, avec l'accord de tous les présidents de groupe, nous légiférons selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat.

De ce fait, le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission. La réunion de la commission est publique, avec une retransmission sur le site du Sénat et elle se tient en présence du Gouvernement. Je salue donc la présence de Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.

Je donne à présent la parole à notre collègue Patricia Demas, dont c'est le premier rapport au sein de la commission des affaires sociales.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Le bénéfice d'une expérience à l'étranger, qu'elle soit scolaire, universitaire ou professionnelle, dans le cadre d'un parcours de formation ne fait aucun doute. Elle permet l'acquisition de savoirs académiques, de compétences, mais aussi de savoir-être par la découverte d'une nouvelle culture et l'apprentissage d'une langue étrangère. Elle favorise ainsi l'employabilité des jeunes et leur ouverture sur le monde.

C'est pourquoi la réforme de l'apprentissage, opérée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, comportait un volet visant à développer la mobilité internationale des alternants qui, bien que possible depuis longtemps, demeurait très marginale.

Depuis cette loi, les alternants ont la possibilité d'effectuer une mobilité à l'étranger pour une durée qui ne peut excéder un an, la durée d'exécution de leur contrat en France devant être d'au moins six mois.

Lors de la mobilité à l'étranger, le contrat de l'alternant est « mis en veille », l'entreprise ou le centre de formation d'accueil étant seul responsable des conditions d'exécution du travail de l'alternant.

Toutefois, pour les mobilités de moins de quatre semaines, l'alternant peut être mis à disposition de la structure d'accueil à l'étranger, son contrat de travail continuant alors d'être exécuté.

Pour faciliter le développement de ces mobilités, la loi de 2018 a prévu que chaque centre de formation d'apprentis (CFA) désigne un référent mobilité, et a confié aux opérateurs de compétences le soin de financer ce référent. Ces opérateurs peuvent aussi prendre en charge des frais annexes entraînés par la mobilité internationale.

Ces dispositifs complètent ainsi les aides à la mobilité proposées par Erasmus+, programme de l'Union européenne en faveur de l'éducation et de la formation, par des programmes de coopération bilatérale ou encore par les collectivités territoriales.

Les données disponibles ne permettent pas de disposer d'une visibilité exhaustive du nombre d'alternants effectuant une mobilité internationale et de leur profil.

Toutefois, l'agence Erasmus+ estime qu'en 2018-2019, 6 870 alternants ont effectué un séjour à l'étranger soutenu par ce programme, contre 5 300 en 2016-2017. La durée moyenne de la mobilité de ces alternants, tous secteurs éducatifs confondus, est estimée à 41 jours et la durée médiane à 18 jours.

Dans son rapport de décembre 2022 sur le développement de la mobilité européenne des apprentis, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) estime
à 7 820 le nombre d'apprentis ayant effectué une mobilité en 2018-2019 soit seulement 2,1 % des apprentis, alors que près de 17 % des étudiants de l'enseignement supérieur effectuent une mobilité à l'étranger.

Le développement de la mobilité des alternants n'a donc pas suivi la progression significative du nombre de contrats d'apprentissage, qui est passé de 300 000 en 2018 à plus de 800 000 en 2022. Certes, la mobilité à l'étranger des alternants a été freinée par l'épidémie de covid-19, mais elle rencontre aussi de nombreux obstacles d'ordre plus structurel.

L'association Euro App Mobility, présidée par notre ancien collègue Jean Arthuis, a publié en septembre 2021 un manifeste « Pour une Europe des apprentis », dans lequel sont identifiés cinq types d'obstacles à lever : juridique, financier, académique, linguistique et psychologique.

J'en profite pour saluer la mobilisation de Jean Arthuis pour le développement de la mobilité internationale des alternants. Son association apporte une aide fort utile aux acteurs de l'apprentissage pour faciliter ces mobilités, en formant notamment, via le programme Mona, des référents mobilité dans de nombreux CFA.

Le frein juridique à la mobilité vient du fait que l'alternant est lié à un employeur et que son accord est requis pour effectuer une mobilité internationale. Or le départ de l'alternant pour un séjour à l'étranger peut être coûteux pour l'employeur et source de perturbation au sein de l'entreprise.

Surtout, le cadre juridique applicable aux mobilités n'est pas adapté à toutes les situations. L'Igas a relevé que la mise en veille du contrat permet à l'entreprise de lever ses obligations en termes de rémunération, mais reporte les contraintes et les incertitudes sur le CFA et sur l'apprenti, voire sa famille. Cette mise en veille du contrat peut donc faire obstacle à la réalisation de projets de mobilité.

En outre, les obligations liées à la signature d'une convention entre l'alternant et les différentes parties impliquées dans la mobilité constituent des démarches complexes à mettre en oeuvre, notamment pour les centres de formation.

Les CFA ne sont d'ailleurs pas tous dotés d'un référent mobilité, cette fonction étant parfois exercée à temps partiel par un enseignant qui n'a pas la capacité d'assumer l'ensemble des charges administratives qu'elle implique et de faire face à la complexité des règles à appliquer.

Les alternants sont aussi freinés par le coût d'un séjour à l'étranger. En 2023, l'agence Erasmus+ n'a pu satisfaire que 53 % des demandes de soutien financier pour des mobilités internationales relevant du champ de l'enseignement professionnel. En outre, le soutien financier des opérateurs de compétences est très hétérogène et souvent insuffisant.

Ensuite, des freins académiques sont constatés, puisque l'alternant n'a que rarement connaissance de la possibilité d'effectuer une mobilité à l'étranger dans le cadre de son parcours. L'expérience acquise lors de sa mobilité n'est pas aisément reconnue dans le cadre des certifications professionnelles, et il conviendrait qu'elle soit davantage valorisée.

À ces difficultés s'ajoutent des barrières linguistiques et psychologiques auxquelles tous les jeunes apprenants font face pour s'engager dans un projet de séjour à l'étranger, et pour lesquelles ils doivent être accompagnés.

Dans ce contexte, la proposition de loi a pour objectif de lever certains freins d'ordre juridique et financier au développement de la mobilité internationale des alternants.

Son article 1er crée un droit d'option entre la mise en veille du contrat et la mise à disposition de l'alternant lorsque ce dernier effectue une mobilité internationale dans le cadre de l'exécution de son contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. La mise à disposition de l'alternant ne serait ainsi plus limitée aux séjours de moins de quatre semaines. En outre, la condition d'une durée d'exécution du contrat en France d'au moins de six mois serait supprimée.

Ces mesures permettront ainsi aux alternants, aux employeurs et aux organismes de formation de retenir le régime le plus approprié à chaque situation pour réaliser un projet de mobilité internationale.

L'article 2 supprime l'obligation pour les alternants en mobilité internationale de disposer d'une convention individuelle de mobilité avec l'organisme de formation qui les accueille, dans le cas où une convention de partenariat existe déjà entre le CFA et ledit organisme. Cette mesure contribuerait à diminuer la charge administrative des CFA et les encouragerait à nouer des partenariats avec des organismes de formation à l'étranger. Elle mettrait fin à l'incompréhension qui existe dans certains pays, puisque cette obligation de convention individuelle est spécifique à l'alternance en France, et n'existe pas pour les échanges universitaires.

De façon plus marginale, l'article 2 bis prévoit que les apprentis originaires d'un État membre de l'Union européenne effectuant une mobilité en France puissent déroger à la limite d'âge applicable à l'apprentissage. Certains pays comme l'Allemagne n'imposent pas d'avoir moins de 29 ans pour conclure un contrat d'apprentissage, et il semblerait dommageable que ces apprentis soient exclus du bénéfice d'une mobilité en France.

L'article 3 rend obligatoire la prise en charge par les opérateurs de compétences des frais correspondant aux cotisations sociales liées à la mobilité internationale des alternants, alors qu'elle était jusqu'alors facultative. Il généralisera donc la prise en charge de ces frais et contribuera ainsi renforcer l'aide financière apportée aux alternants.

L'article 3 bis A procède à la ratification de l'ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l'apprentissage transfrontalier. Celle-ci, issue de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, précise les conditions de mise en oeuvre et de financement de l'apprentissage transfrontalier, et les adapte pour l'outre-mer compte tenu des spécificités des espaces géographiques concernés.

Les articles 3 bis et 3 ter prévoient la remise par le Gouvernement de rapports au Parlement.

Ces mesures sont accueillies favorablement par les acteurs du secteur, qui considèrent que ce texte lèvera certains freins à la mobilité des alternants. Je partage cette appréciation et vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.

Toutefois, il me semble qu'une série de mesures complémentaires doivent être déployées, tant l'objectif annoncé par le Président de la République de voir la moitié des apprentis effectuer une mobilité de plus de six mois durant leur scolarité semble loin d'être atteint.

Le premier enjeu sera de conforter le financement des référents mobilité dans les CFA, afin de permettre leur professionnalisation, seule garantie de leur efficacité comme le démontre le programme Mona, qui permet de financer la formation des référents de 43 CFA.

Par ailleurs, les financements accordés par les opérateurs de compétences (Opco) gagneraient à être harmonisés, tant dans les procédures que dans leur périmètre et leur niveau de prise en charge. Des mesures, d'ordre réglementaire, sont à l'étude par le Gouvernement. Elles contribueraient à rendre les aides à la mobilité plus lisibles pour les alternants et les centres de formation.

Plus largement, la connaissance des mobilités doit être renforcée auprès des acteurs de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Cela concerne aussi bien les apprentis, qui doivent être informés de cette possibilité avant même la conclusion de leur contrat, que les employeurs. C'est particulièrement le cas des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), qui doivent recevoir un accompagnement spécifique afin de limiter la désorganisation de leur activité. Les opérateurs de compétences doivent à mon sens renforcer leur rôle de conseil aux employeurs sur la mobilité. Aussi, la pratique des échanges d'apprentis est à développer pour que les entreprises reçoivent un apprenti étranger pendant la période où l'apprenti français part en séjour à l'étranger.

Par ailleurs, une meilleure reconnaissance des mobilités et de leurs apports doit être favorisée. Cette reconnaissance passe par la valorisation de cette expérience dans les certifications professionnelles. La ministre a récemment annoncé la mise en place de mentions au mérite pour certains diplômes professionnels. Une mention « mobilité » pourrait aussi être envisagée.

Enfin, un travail particulier reste à développer autour de « l'apprentissage de la mobilité », car le défi de la mobilité à l'étranger doit préparer les alternants à se saisir plus facilement des opportunités professionnelles hors de leur bassin d'emploi direct, en favorisant les mobilités au sein du territoire national.

Enfin, le secteur public est appelé à prendre sa part dans cet effort en faveur des mobilités des alternants, puisque n'étant pas assujettis à la contribution à la formation professionnelle et au financement des Opco qui en découle, les employeurs publics sont encore trop souvent réticents à financer les séjours de leurs alternants.

Au total, la proposition de loi, que je vous propose d'adopter, permettra de franchir une étape importante pour faciliter la mobilité des alternants. Elle devra être assortie d'une mobilisation plus large pour qu'un véritable « Erasmus de l'apprentissage » voie le jour.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la mobilité internationale des apprentis et des bénéficiaires d'un contrat de professionnalisation ainsi qu'à la prise en charge par les opérateurs de compétences de frais qu'entraîne cette mobilité.

Il en est ainsi décidé.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - J'ai le plaisir d'être présente aujourd'hui devant vous pour l'examen d'un texte très attendu tant par les acteurs de l'apprentissage que les jeunes eux-mêmes, nombreux, qui se forment par la voie de l'alternance dans notre pays.

Cette proposition de loi est de celles qui offrent à nos concitoyens l'opportunité et la capacité de s'enrichir de cultures et de compétences diverses. Elle est aussi de celles qui, de manière très concrète, dans les États, réalisent pour notre jeunesse la promesse d'une Union européenne ouverte, libre, fondée sur la découverte et le partage. À l'heure où les nationalismes hideux et les replis apeurés menacent l'essence même de notre Union et entraînent avec eux les espoirs de paix et de liberté de toute une génération, il est plus que jamais essentiel d'oeuvrer pour multiplier les opportunités de rencontre entre les peuples : 90 % des jeunes Français entre 15 et 30 ans considèrent qu'il est important d'avoir la possibilité d'effectuer une partie de leurs études à l'étranger.

Beaucoup a été fait depuis 2018 pour rendre concrète et accessible la promesse européenne de mobilité pour les apprenants. Ainsi, nous avons pris deux décisions fortes inscrites dans la loi et qui ont permis d'enclencher une dynamique historique en matière de formation à l'étranger.

La première a été de faire obligation à tous les CFA de se doter d'un référent mobilité. Son rôle est clair : accompagner les apprentis dans la définition et la réalisation de leurs projets, aider à la constitution des dossiers, organiser les financements et multiplier les partenariats partout dans le monde.

La seconde a été d'aider au financement des parcours de mobilité, en garantissant aux CFA le financement des référents mobilité, mais également en orientant les fonds des opérateurs de compétences vers la mobilité des alternants.

Grâce à ces avancées, des progrès considérables ont été réalisés dans le pays, puisque nous sommes passés d'environ 7 800 mobilités annuelles à près de 25 000 l'an dernier. Ce sont autant de parcours qui ont permis aux jeunes de développer des capacités d'adaptation, d'autonomie, d'ouverture sur l'autre, mais également de renforcer leurs capacités linguistiques, de se créer un réseau international et in fine de renforcer leur employabilité, pour mieux s'insérer, plus rapidement également, dans l'emploi.

C'est une des raisons pour laquelle nous devons aller plus loin dans l'accès à la mobilité. Vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, cette proposition pose le socle d'une grande ambition portée par le Président de la République : faire en sorte que la moitié d'une classe d'âge puisse avoir passé avant ses 25 ans au moins six mois à l'étranger. Si le volet normatif est essentiel pour parvenir à simplifier et mieux soutenir les périodes de formation à l'étranger, des efforts sont également faits en amont pour mieux promouvoir la mobilité auprès des jeunes, mais également des entreprises. Nous professionnalisons ainsi, avec le réseau des centres animation ressources d'information sur la formation-observatoire régional emploi formation (Carif-Oref), les référents mobilité dans les CFA, pour qu'ils disposent tous d'un socle de compétences et qu'ils soient capables, avec l'équipe pédagogique, de construire les projets de mobilité.

Ensuite, nous travaillons avec un réseau d'acteurs engagés
- Erasmus+ ou l'association Euro App Mobility - pour promouvoir la mobilité internationale et favoriser les échanges dans le cadre d'un espace européen de l'apprentissage en construction. Nous avons renouvelé cette année, et pour trois ans, notre soutien à l'association du ministre Jean Arthuis, afin de promouvoir auprès des jeunes et des entreprises la mobilité, de préfigurer un espace européen numérique de l'apprentissage, plateforme qui recensera les offres de formation et d'emploi en mobilité, et d'accompagner les CFA et leurs référents mobilité. Nous travaillons également en lien avec les opérateurs de compétences, interface privilégiée des entreprises avec lesquelles, dans le cadre d'une convention d'objectifs et de moyens renouvelée cette année, nous allons promouvoir la mobilité.

Vous l'avez donc compris, cette proposition s'inscrit dans un continuum de projets et d'initiatives portés par le Gouvernement et les acteurs de l'apprentissage. Elle permettra de lever les derniers freins au développement de la mobilité internationale des alternants.

L'article 1er permet de favoriser les mobilités de plus de quatre semaines tout en sécurisant les parcours à l'étranger des jeunes Français. Pour réaliser plus de quatre semaines de formation à l'étranger aujourd'hui, la mise en veille du contrat d'apprentissage est nécessaire. C'est la principale cause de non-recours aux dispositifs de mobilité.

Cette suspension du contrat de travail n'est jamais anodine puisqu'elle prive le jeune du maintien de sa rémunération et de la protection sociale rattachée au contrat d'apprentissage. Elle s'accompagne par ailleurs de lourdeurs administratives importantes tant pour l'employeur que pour l'apprenti et son CFA. Ce manque de souplesse dans la gestion du contrat d'apprentissage se devait d'être corrigé, ce que réalise la proposition de loi en permettant la mise à disposition de l'alternant, y compris pour les mobilités longues. Il en résultera une meilleure sécurisation de la situation des apprentis qui pourront conserver rémunération et protection sociale.

L'article 2 vient à l'appui de la simplification des démarches pour les acteurs de l'apprentissage, notamment dans le cadre des mobilités académiques. Car si la loi de 2018 règle le sort des mobilités entre entreprises, les mobilités entre écoles demeurent complexes. Leur régime juridique est inadapté. Concrètement, le droit français fait actuellement obligation à l'école étrangère de signer chaque convention individuelle de mobilité des apprentis français qu'elle reçoit, et ce alors même que dans la majorité des cas, une convention-cadre de coopération existe avec le CFA français.

La réponse de cette proposition de loi en la matière est donc pragmatique puisqu'elle dispense l'école étrangère de signature de la convention individuelle de mobilité d'un jeune Français lorsqu'une convention-cadre existe avec le CFA français. Cette simplification répond à l'enjeu que nous portons de multiplier les opportunités de mobilité pour les apprentissages.

L'article 2 bis, ajouté en première lecture par les députés, exempte les apprentis étrangers de la limite d'âge qui existe en matière d'apprentissage. Cet article facilite la réciprocité entre les États et promeut les échanges entre apprentis étrangers, en Europe et dans le monde. Parce que notre Union est fondée sur le principe de réciprocité, nous devons reconnaître que la définition même de l'apprentissage en France n'est pas nécessairement celle retenue chez nos voisins européens, par exemple en termes de limite d'âge. Chez nos voisins allemands, il n'y a pas de limite d'âge pour accéder à l'apprentissage. La logique d'échange d'apprentis entre deux pays permet d'atténuer les effets d'une mobilité longue sur l'entreprise.

L'article 3 corrige les inégalités sociales entre les apprentis, en offrant à chacun d'entre eux un socle de protection sociale et en ouvrant la possibilité d'une véritable harmonisation dans les mécanismes de prise en charge des frais par les opérateurs de compétences. Le départ à l'étranger engendre des frais, parfois importants, que nous devons alléger par des mécanismes efficaces de prise en charge. Parmi les frais les plus importants figurent ceux de la protection sociale à l'étranger. En prévoyant la prise en charge obligatoire par les Opco des frais de protection sociale, nous mettons en oeuvre une mesure forte empreinte d'égalité, qui libère l'apprenti et sa famille du poids financier que peut représenter une telle protection.

Ensuite, l'élargissement du périmètre de prise en charge obligatoire s'effectuera sur la base de cet article. Le Gouvernement procédera par voie réglementaire à un véritable travail d'harmonisation des règles de remboursement par les Opco des frais dits facultatifs. Que ce soit en matière de logement, de transport ou de restauration, des disparités importantes sont aujourd'hui constatées au sein des Opco, créant de fait une inégalité entre les jeunes selon qu'ils se forment dans un secteur d'activité plutôt qu'un autre. Si nous voulons développer la mobilité, nous devons corriger cette inégalité en offrant un socle minimum de prise en charge identique de ces frais par tous les Opcos. C'est ce à quoi nous nous employons actuellement dans un travail de concertation avec les opérateurs et qui se traduira par un décret après l'adoption de la proposition de loi.

Enfin, les députés ont fait le choix, que le Gouvernement soutient, d'introduire deux nouveaux articles. L'article 3 bis A procède à la ratification de l'ordonnance relative à l'apprentissage transfrontalier. Cette ordonnance prise notamment pour adapter le régime juridique de l'apprentissage transfrontalier à nos territoires d'outre-mer constitue l'un des fondements de la constitution d'un espace européen privilégié de l'apprentissage avec nos voisins directs. Grâce à elle, nous avons pu cette année conclure la première convention binationale avec nos voisins allemands permettant à de jeunes Français de réaliser la partie théorique ou pratique de leur apprentissage dans une entreprise ou un CFA allemand. Quant à l'article 3 bis, il commande au Gouvernement la remise d'un rapport sur l'état des lieux des aides financières en matière de mobilité. Ce rapport me permettra de vous indiquer avec plus de précision le sens des travaux que nous menons actuellement en faveur d'une harmonisation des règles de soutien financier.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure, Patricia Demas, pour l'important travail d'audition et d'analyse d'un texte qui poursuit des ambitions très concrètes de développement à la mobilité pour nos jeunes. Cette proposition de loi, que le Gouvernement soutient, permettra à davantage de Français de se former à l'étranger et d'avoir ainsi toutes les clés de réussite d'entrée sur le marché du travail et de mieux accompagner ces nouvelles générations dans les défis de demain. Ce texte rend concrète pour des milliers de jeunes la promesse européenne.

Mme Frédérique Puissat. - Je félicite Mme Demas pour son premier rapport au sein de notre commission. Je remercie également Jean Arthuis, l'initiateur de ce programme au niveau européen, et Alain Milon qui, en 2018, a été le premier à introduire dans la loi le cadre juridique visant à sécuriser les apprentis qui font le choix d'aller à l'étranger. Cette proposition de loi s'inscrit également dans la continuité des travaux de notre ancien collègue sénateur du Rhône, Michel Forissier, qui a déjà permis de lever un certain nombre de freins. Cette loi va permettre maintenant à de plus en plus d'alternants de partir à l'étranger.

L'article 3 bis A concerne une ratification d'ordonnance. C'est suffisamment rare pour le souligner.

Cette ordonnance porte sur les apprentis transfrontaliers. Sachant que 12 % de la dette de l'Unédic, soit environ 600 millions d'euros, sont dus aux travailleurs transfrontaliers, avez-vous mesuré l'impact de cette ordonnance sur l'Unédic ? Avez-vous évalué le coût de cette mesure ?

Mme Silvana Silvani. - Je salue la volonté de lever des freins financiers et administratifs à la mobilité. Toutefois, je crains que la proposition de loi ne soit pas suffisamment aboutie.

Si la création d'un référent mobilité est bienvenue et indispensable, il ne devrait pas être possible de suspendre le contrat. Un apprenti qui verrait son contrat suspendu à l'étranger subirait une rupture dans son parcours de formation difficilement récupérable, qu'une compensation financière ne saurait régler. La mobilité serait ici contre-productive.

Comment élargir les questions de certification et de validation des formations à l'étranger ? Il y a une nouvelle fois un risque de trou dans le parcours d'apprentissage si cette dimension n'est pas bien prise en compte.

Enfin, le schéma de l'apprentissage transfrontalier me paraissait plus élaboré en termes de continuité de parcours, de certification et de prise en charge. Il aurait plutôt fallu élargir ces conventions.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Jean Arthuis a en effet à coeur de voir cette proposition de loi aboutir. C'est un beau texte, qui permet aux alternants de profiter tout autant d'Erasmus que les étudiants. Je remercie Mme Demas pour son excellent travail : les nombreuses auditions qu'elle a menées nous ont fait faire un grand pas.

À nous d'être les ambassadeurs de l'apprentissage. Mettons en valeur l'excellence de ces parcours et de ces voyages de rupture. C'est en observant ce qui se fait à l'étranger qu'on ouvre son esprit critique. Cela peut aussi permettre de se rendre compte de la qualité - bien que toujours perfectible - de l'accueil et de l'apprentissage en France.

Même si c'est une petite avancée, je suis très satisfaite de cette rupture d'inégalité entre les étudiants et les alternants. Cela demande un travail considérable. Jean Arthuis est sur tous les fronts depuis un moment, et je remercie tous ceux qui participent à cet objectif.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le vote de cette loi passera-t-il au-dessus des contrats transfrontaliers ? L'accord relatif à l'apprentissage transfrontalier signé en juillet 2023 entre la France et l'Allemagne ne concerne en réalité que deux Länder, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat. Autrement dit, un apprenti français est très limité dans ses possibilités d'échanges avec l'Allemagne, alors qu'un apprenti allemand peut aller partout en France. En est-il de même pour cette loi ?

Dans le cadre de ces contrats transfrontaliers, l'Office franco-allemand pour la jeunesse verse une aide à la mobilité de 100 euros par mois pendant toute la période d'apprentissage. Est-ce transposable ? Un tel dispositif a-t-il été mis en place dans le cadre d'autres accords européens ?

M. Dominique Théophile. - Les territoires d'outre-mer, et notamment le bassin caribéen, collaborent difficilement avec les ambassades du fait de leur situation géographique éloignée. Les déplacements peuvent être compliqués. Je ne voudrais pas que les jeunes de ces territoires soient privés de cette opportunité pour ces raisons.

Mme Anne Souyris. - Cette proposition de loi est très importante puisqu'elle favorise l'application de l'égalité républicaine. Les alternants, principalement issus de milieux populaires, représentent en effet la frange la plus précaire de la population des jeunes apprenants. Au moment où le dernier rapport Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) montre que la France baisse dans les classements, on peut voir ce texte comme un tremplin vers davantage d'égalité entre les différentes catégories de population.

Nous aborderons ultérieurement dans cette commission la proposition de loi instaurant une allocation universelle pour les étudiants et les apprentis. L'allocation proposée poursuit le même objectif égalitariste, afin que chacun puisse jouir de l'accès au droit à l'étude tout au long de la vie. Erasmus étant un des grands succès de l'Europe qui a permis d'accroître la mobilité des jeunes, je me réjouis de l'avancement de ce travail.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Madame Puissat, sur le coût de l'apprentissage transfrontalier, nous n'avons pas de chiffrage particulier car la seule convention signée entre l'Allemagne et la France date de juillet 2023 : nous manquons donc encore de recul. Mais il s'agit d'un véritable enjeu et Mme la ministre pourra peut-être apporter des précisions sur le coût de cette mesure prometteuse.

La possibilité de mise en veille du contrat libère l'employeur de sa responsabilité de rémunérer l'alternant. Il faut rappeler que l'organisme d'accueil prend le relais pendant le séjour. En ce sens, il n'y a donc pas de rupture de parcours. Au retour de l'apprenti en France, le contrat d'apprentissage reprend. Dans le cas des petites entreprises, pour lesquelles le coût de la mobilité à l'étranger serait trop onéreux, cette mise en veille permet à l'apprenti d'effectuer tout de même une mobilité. En parallèle, des aides existent, même si les organismes d'accueil et les Opco pourraient soutenir de manière beaucoup plus équitable les alternants à l'étranger, en particulier ceux des TPE et PME concernés par cette possibilité de mise en veille.

La mise à disposition de plus de quatre semaines est un élément de sécurité supplémentaire, à la fois pour l'alternant et les entreprises, afin que le parcours de l'alternant à l'étranger soit mieux cadré.

L'apprentissage transfrontalier s'applique en effet aux Länder frontaliers. Mais pour Berlin ou Munich, il reste la mobilité classique, que l'Office franco-allemand pour la jeunesse soutient activement pour les alternants.

S'agissant des mobilités internationales pour les outre-mer, il faudra effectivement nouer des partenariats avec des pays proches. Cet enjeu est fondamental. Cela peut se faire entre organismes de formation ou entre entreprises. Pour l'apprentissage transfrontalier, l'ordonnance prévoit que les pays voisins des territoires d'outre-mer seront concernés, notamment les pays de la Caraïbe. Il reste au Gouvernement à conclure des accords, mais Mme la ministre pourra peut-être nous apporter des précisions sur le sujet.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - Nous n'avons pas précisément évalué les aspects financiers et notamment l'impact sur l'Unédic, mais nous sommes convenus d'un mécanisme d'équilibre financier dans le cadre de la convention binationale : un bilan du budget est effectué tous les deux ans, permettant le reversement des divers frais supplémentaires qui auraient pu être accordés par l'un ou l'autre pays.

Dans l'ensemble, ces frais de mobilité proviennent de la ligne du budget de l'alternance, pour lequel l'État verse un apport significatif de 2,5 milliards d'euros pour 2024. La loi n'alourdit pas les charges, mais harmonise la prise en charge des frais par les Opco pour assurer une meilleure égalité sectorielle. Il s'agit aussi de garantir l'égalité de l'accès à la mobilité par une égalité de l'accès au niveau minimal de la prise en charge des frais.

Sur la réciprocité des périmètres géographiques concernés par ces conventions avec l'Allemagne, trois Länder sont d'ores et déjà dans la convention binationale. Le ministère de l'éducation allemand s'est engagé à le déployer progressivement sur l'ensemble du pays. Dans le cadre d'un apprentissage transfrontalier, l'apprentissage peut être fait partiellement ou totalement à l'étranger. La mobilité internationale ne concerne qu'une partie de l'apprentissage.

Pour les territoires d'outre-mer, nous souhaitons que la coopération s'étende sur tout l'arc des Caraïbes par des conventions avec les États-Unis, le Canada et l'Amérique du Sud.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE
DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

Mme Monique Lubin. - Nous avions insisté au moment de la réforme de l'apprentissage sur le fait que le développement de celui-ci ne devait se faire au détriment ni de la qualité du contrôle ni de l'accompagnement. L'amendement COM-1 vise à ce que l'entreprise qui accueille le jeune à l'étranger reçoive la convention individuelle de mobilité pour en connaître les clauses, notamment en matière de protection de l'apprenti, même si les droits du travail ne sont pas forcément similaires.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Cet amendement prévoit l'obligation de notifier la convention individuelle de mobilité d'étude à l'organisme d'accueil à l'étranger dans le cas où il existe une convention de partenariat.

La qualité de l'accompagnement, et plus généralement l'expérience de l'alternant, est bien évidemment essentielle pour démocratiser la mobilité de l'apprentissage et en maximiser le bénéfice pour les apprentis. Cependant, il ne me semble pas qu'elle dépende de la transmission de la convention individuelle à l'organisme d'accueil à l'étranger, car il s'agit d'un document administratif pédagogique, rédigé en langue française.

En revanche, l'article 3 de la proposition de loi prévoit qu'un décret en Conseil d'État précise les modalités de mise en oeuvre du contenu des différentes relations conventionnelles entre les CFA, les organismes d'accueil et les alternants. La transmission des informations utiles pour l'organisme d'accueil pourra donc être précisée par décret.

L'avis est donc défavorable, bien que je comprenne votre préoccupation, ma chère collègue.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - La proposition de loi vise à répondre aux freins à la mobilité que les acteurs ont eux-mêmes identifiés. Parmi ces freins figurent les lourdeurs et lenteurs administratives liées aux obligations conventionnelles autour de la mobilité académique pesant tant sur les employeurs que sur les CFA.

Il ne nous paraît pas indispensable d'établir des conventions individuelles de mobilité pour chaque jeune quand existent déjà des conventions-cadres de coopération précisant les modalités des séjours d'apprentissage. Elles entraînent en effet un allongement de la durée de préparation des dossiers.

L'avis est défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 2 bis (nouveau)

L'article 2 bis est adopté sans modification.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 3 bis A (nouveau)

L'article 3 bis A est adopté sans modification.

Article 3 bis (nouveau)

L'article 3 bis est adopté sans modification.

Article 3 ter (nouveau)

L'article 3 ter est adopté sans modification.

Article 4 (supprimé)

L'article 4 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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