C. LA MISE EN PLACE DE LA COMPAGNIE EXPÉRIMENTALE ET LA GENÈSE DE L'ACCORD

La conclusion de l'Arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'Intérieur du Land de Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie fluviale commune sur le Rhin, signé à Strasbourg le 19 avril 2011, apparaît ainsi comme le prolongement naturel des mécanismes de coopération existants.

L'unité commune, mise en place à titre expérimental, inaugurée le 9 mars 2012, regroupe cinq unités fluviales (trois unités françaises, deux unités allemandes) appelées à participer à des patrouilles et interventions communes, qui ont été progressivement généralisées sur les quelque 164 kilomètres du Rhin franco-allemand. Elle constitue la première unité bilatérale pérenne à caractère opérationnel.

Après un premier bilan du fonctionnement de l'unité, notamment en termes organisationnel et opérationnel, qui a permis d'affiner les modalités d'emploi des agents de l'unité et les dispositions applicables aux opérations conduites en commun, une négociation bilatérale a été engagée, à compter de 2013, en vue d'assurer la pérennisation de la compagnie et la parfaite sécurité juridique de ses interventions par le biais d'un accord intergouvernemental entre la France et le Land de Bade-Wurtemberg5(*).

Du fait de la crise sanitaire, la signature de cet accord, dont le texte était finalisé dès 2019, est finalement intervenue le 6 juillet 2022.

D. LA « COMPAGNIE FLUVIALE COMMUNE » : UNE EXPÉRIMENTATION RÉUSSIE AU SERVICE D'UNE COOPÉRATION EXEMPLAIRE

Ø Un juste équilibre entre collaboration efficace et souveraineté policière

La Compagnie fluviale commune, qui n'a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents, français et allemand, commandés chacun par un chef de détachement, chaque partie n'ayant d'autorité que sur son contingent respectif. Notamment, les règles nationales de subordination hiérarchique et d'autorité disciplinaire de chacun des deux États demeurent pleinement applicables.

La structure de commandement de la compagnie, basée à Kehl, est constituée de trois agents français et cinq allemands ; la composition de chacune des trois unités opérationnelles (sises à Kehl, Vogelgrun et Gambsheim) est également binationale, avec mutualisation des moyens humains et matériels.

Dans le cadre des interventions communes, chacune des deux parties peut exercer des compétences de puissance publique sur le territoire de l'autre État, mais uniquement sous la direction et en présence d'agents territorialement compétents et dans le respect du droit national, de sorte que la souveraineté policière de chaque partie sur son territoire demeure pleinement assurée.

Par ailleurs, ni les règles de procédure pénale des deux États, ni les modalités applicables, dans chacun d'eux, à l'exercice de la police judiciaire ou de l'entraide judiciaire en matière pénale ne sont affectées.

Les informations susceptibles d'intéresser les agents des deux détachements sont partagées essentiellement par voie électronique, chaque partie conservant la responsabilité de ses propres fichiers opérationnels et ayant seule l'accès au traitement automatisé de ses données à caractère personnel.

Ø Un partenariat exemplaire

La coopération entre les deux détachements nationaux s'opère de façon pragmatique, en fonction des impératifs de chaque situation. Elle repose avant tout sur la qualité des relations tissées entre le personnel des deux parties, et toujours dans le respect des orientations stratégiques et des directives décidées par les deux chefs de détachement français et allemand. Elle bénéficie de la mutualisation des moyens matériels disponibles des deux côtés.

Les locaux communs encouragent les contacts entre les deux détachements, dans un esprit de bienveillance, de convivialité et d'entraide entre les deux détachements, qui est une réalité quotidienne sur le terrain.

Condition indispensable à la parfaite coopération entre les agents des deux États, tous les gendarmes français servant au sein de la compagnie fluviale disposent d'un niveau d'allemand suffisant pour communiquer de manière fluide avec leurs homologues germaniques, la réciproque étant vraie pour les policiers allemands. Cet objectif est atteint grâce, à la fois, à une exigence en amont de la prise de fonction des nouveaux agents, et à une formation linguistique continue dispensée via des stages organisés au Centre national de formation aux langues et à l'international de la gendarmerie (Rochefort) et au Centre de formation linguistique commun (Lahr).

Ø Les missions assumées

Les principales missions de la compagnie fluviale commune dans le cadre de l'Arrangement administratif concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale et la poursuite des infractions, crimes, délits et contraventions, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la constatation des accidents en lien avec la navigation fluviale, la mise en oeuvre de moyens de recherche et d'enquête subaquatiques (dans laquelle la compagnie fluviale possède une expertise et des moyens particuliers qui peuvent l'amener à être sollicitée hors de la zone rhénane), et, plus ponctuellement, des missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers.

Elle participe en outre des actions de formation dans les domaines de la police fluviale et de la coopération policière, ainsi qu'au développement et à la promotion de la coopération policière franco-allemande.

Ø Les moyens humains et matériels, et leur financement : une répartition informelle, mais équitable et adaptée aux besoins

L'effectif actuel de la compagnie est de 56 agents, correspondant, pour la partie française, aux brigades fluviales de gendarmerie de Strasbourg, Vogelgrun et Gambsheim et, pour la partie allemande, aux services de police de Kehl (Dienstgruppe) et de Breisach (Wasserschutzpolizeiposten).

Les policiers allemands comptent notamment dans leurs effectifs un mécanicien civil, qui assure la maintenance et la réparation des équipements tant allemands que français ; de ce fait, celui-ci représente un maillon essentiel de la coopération déployée sur le terrain.

La compagnie fluviale possède 3 vedettes : 2 fournies par la partie allemande et une par la partie française, ainsi que 7 embarcations de taille moyenne (4 françaises et 3 allemandes), 4 embarcations de petite taille (2 françaises et 2 allemandes), 3 canoë-kayaks (français) et un sonar de recherche.

Elle dispose par ailleurs de 19 véhicules de service routiers (11 français et 8 allemands).

S'agissant des locaux de la compagnie fluviale, chaque partie a la charge des emprises immobilières sises sur son territoire, à Strasbourg, Vogelgrun et Gambsheim pour la France, et à Kehl et Breisach pour la partie allemande ; cette dernière finance notamment la construction d'un nouveau bâtiment à Kehl, qui devrait être livré à l'été 2024. Ce futur site, particulièrement moderne et fonctionnel, constitue un investissement majeur du partenaire bade-wurtembergeois et témoigne de son implication dans la montée en puissance de la compagnie commune.

Le Bade-Wurtemberg fournit généralement le gasoil consommé par les navires de la compagnie et refacture à la France sa quote-part6(*).

La compagnie fluviale ne dispose pas d'un budget propre qui serait commun aux deux détachements : chaque partie assure le financement et le fonctionnement des investissements relevant de son détachement7(*). Ceci n'exclut pas cependant des dépenses partagées, comme cela fut le cas pour la vedette « Harmonie »8(*), basée à Gambsheim, et le sonar de recherche, tous deux acquis par la partie française avec un soutien bade-wurtembergeois, qui a en outre présenté l'avantage de rendre les projets éligibles au programme européen INTERREG et de leur faire bénéficier d'un co-financement européen.

En tout état de cause, la mutualisation des véhicules, équipements, emprises immobilières ainsi que des dépenses de fonctionnement permet une optimisation de leur utilisation, et entraîne de ce fait d'importantes économies en termes de coûts d'investissement et de fonctionnement.

L'effort financier apparaît équitablement réparti, et la mutualisation des moyens matériels s'avère à la fois une source d'économies sensibles et un montage financier efficient pour l'obtention de financements européens.

Ø Un périmètre géographique de compétence étendu

L'Arrangement administratif a permis d'étendre l'aire de surveillance, qui, dans le cadre de l'accord de Vittel se limitait au « secteur franco-allemand »9(*), aux cours d'eau ouverts sur le Rhin, plans d'eau, ainsi que le port de Huninge, la base nautique de Village-Neuf et l'Ile du Rhin.

Ø Un bilan à la hauteur de l'engagement des deux parties

En 2023, la compagne fluviale commune a enregistré à son actif la constatation de 1124 infractions (contre 829 en 2018), soit 48 délits et 1076 contraventions. Elle a réalisé 672 patrouilles communes.

Parmi ses actions notables, on soulignera des missions de surveillance du canal jouxtant le bâtiment du Parlement européen de Strasbourg lors de visites officielles ; l'intervention des plongeurs de plusieurs unités lors des recherches dans le cadre de l'enquête sur la disparition de la jeune Lina ; une intervention lors d'un dramatique accident nautique à hauteur de Gerstheim...


* 5 Côté allemand, dans la mesure où la sécurité publique constitue par principe une compétence des Länder et où ces derniers se voient reconnaître par la Loi fondamentale du 23 mai 1949 (article 32) une capacité à contracter des engagements avec des États étrangers dans leurs domaines de compétence (sans préjudice des compétences attribuées à la fédération), le Land de Bade-Wurtemberg doit être regardé comme la partie contractante compétente pour conclure un tel engagement, qui a en outre été validé par les autorités fédérales allemandes.

Côté français, la conclusion d'accords internationaux ne peut en principe intervenir qu'avec des sujets de droit international, mais il est admis que la France puisse signer des accords internationaux avec des entités fédérées d'États étrangers si celles-ci sont habilitées par leur droit interne à conclure de tels accords.

* 6 Cependant, les délais de mise en paiement côté français et les dates de clôture des exercices comptables, mal compatibles, conduisent souvent à des retards de paiement, ce qui oblige l'administration fiscale allemande à appliquer des pénalités de retard. La mise en oeuvre d'une procédure adaptée pour traiter ce type de cas semblerait donc opportune.

* 7 Budgétairement, le détachement français de la compagnie fluviale est rattaché à l'état-major de la région de gendarmerie du Grand-Est et soutenu par lui (déplacements et formation des agents, entretien des moyens nautiques et des véhicules, dotation en équipements individuels et équipements informatiques et téléphones mobiles). La région de gendarmerie du Grand-Est prend par ailleurs en charge les coûts liés à l'entretien des emprises immobilières sises en territoire français, avec les collectivités territoriales concernées, et à leur équipement (mobilier de bureau, téléphones fixes).

* 8 Le programme INTERREG V A Rhin supérieur (2014-2020) a permis l'acquisition de ladite vedette, pour un montant de 900 000 € à la charge de la Gendarmerie nationale française, 160 000 €, de la part du Bade-Wurtemberg, et 1,54 M€ provenant du programme Interreg/Feder.

* 9 Soit : la zone comprise entre le point kilométrique (PK) 170,000 (frontière germano-suisse près de Weil am Rhein /Bâle) et le PK 333,700 (Porte amont Double Écluse d'Iffezheim, y compris le môle central), le Grand Canal d'Alsace, le vieux Rhin ainsi que les secteurs immédiats des berges.

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