EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Assouplissement de la procédure d'agrément des cartes illimitées
d'accès aux cinémas

Cet article propose d'instaurer un nouveau cadre plus souple pour les établissements cinématographiques qui souhaiteraient mettre en place une formule de cartes illimitées.

I. Un système finalement vertueux d'accès aux oeuvres, mais complexe dans sa mise en oeuvre

a) Les cartes illimitées à la conquête des salles

Proposées en mars 2000 par le réseau UGC, rejoint dès le mois d'août de la même année par Pathé et Gaumont, les cartes d'accès illimitées permettent à leurs détenteurs, pour une somme forfaitaire convenue et prélevée chaque mois, d'accéder sans restriction à toutes les séances proposées par les cinémas du réseau. Il en existe actuellement quatre sur le marché :

ü CINÉPASS du groupe Pathé ;

ü UGC illimité ;

ü ILLIMITÉE de Megarama ;

ü CINOC du Cinéma des cinéastes, qui ne permet l'accès qu'à un seul établissement.

Les avantages de ces formules sont nombreux.

Pour le spectateur, il autorise un accès illimité à toutes les séances, ce qui lui permet de contrôler finement son budget « cinéma » ou de se laisser tenter par des projections auxquelles il n'aurait peut-être pas assisté s'il avait dû s'acquitter du prix d'une place. Compte tenu des prix pratiqués dans les cinémas, une carte illimitée « solo » devient ainsi rentable entre deux et trois entrées mensuelles.

Pour l'exploitant, la formule de l'abonnement se traduit par un flux de trésorerie prévisible et permet de remplir les salles, ce qui est intéressant économiquement dans une industrie de coût fixe. En effet, que la salle soit remplie ou non, le coût demeure sensiblement identique.

Selon les éléments transmis aux rapporteurs par le CNC, en 2022, date à laquelle seuls les réseaux Pathé et UGC avaient émis des cartes illimitées, 12,8 % des établissements français acceptent une carte illimitée, ce qui représente 29,8 % des écrans. 11,4 % des spectateurs possèdent une carte. Les entrées réalisées par leur biais représentent 7 % de la fréquentation nationale et 20 % chez les opérateurs émetteurs.

Les habitudes de consommation des possesseurs de cartes font ressortir deux éléments :

- d'une part, l'Île-de-France, et singulièrement Paris, sont « sur-représentés » parmi les détenteurs. Ainsi, les utilisateurs franciliens représentent 45 % des usagers, contre 25 % de la fréquentation nationale. Les entrées réalisées avec les cartes représentent 20 % de la fréquentation à Paris, contre 5 % en région hors Île-de-France. Cela traduit un plus grand nombre de salles et leur meilleure accessibilité ;

- d'autre part, les détenteurs de carte sont à 60 % assidus en salles (au moins trois films par mois) et favorisent les films français et les films Art et Essai.

Comparaison des habitudes de consommation entre détenteurs de cartes
et entrées totales dans l'un des deux grands réseaux UGC et Pathé

Répartition des entrées
par nationalités des films

Répartition des entrées
pour les films Art et Essai

 
 

Prix mensuel des offres illimitées dans les deux principaux réseaux fin 2023

 

Une personne
de - de 26 ans

Une personne

Deux personnes

« UGC illimité »

17,9 €

21,9 €

36,8 €

« CinéPass Pathé »

16,9 €

19,9 €

33,9 €

b) Un système encadré

Le lancement de ces offres a cependant suscité deux séries de craintes parmi les acteurs du secteur :

Ø d'une part, les distributeurs et les ayants droit, qui sont rémunérés sur la base du prix du ticket vendu, y ont vu un risque de diminution de leurs revenus ;

Ø d'autre part, les cinémas indépendants, ou les réseaux qui ne souhaitaient pas lancer une telle formule, ont pu estimer que leur fréquentation allait chuter, au bénéfice des offres illimitées des réseaux.

Le législateur est donc rapidement intervenu, avec la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), qui a fixé un ensemble de conditions, aujourd'hui codifiées aux articles L. 212-27 à L. 212-31 du code du cinéma et de l'image animée, qui ont permis à ces offres de se populariser en répondant aux principales craintes.

L'encadrement prévu par ce texte passe par la délivrance d'un agrément par le président du CNC (article L. 212-27 du CCIA), qui doit être renouvelé en cas de modification dite « substantielle ». Les conditions de l'instruction par le CNC des demandes d'agrément répondent aux préoccupations exprimées par une partie de la profession en 2000. Les offres doivent donc se conformer à deux grands principes, qui conditionnent l'obtention de l'agrément.

Premier principe, et afin d'offrir des garanties suffisantes aux ayants droit, un prix de référence est déterminé pour chaque offre. Il est utilisé pour calculer l'assiette de leur rémunération. Ainsi, à chaque fois qu'un spectateur assiste à une projection en utilisant sa carte d'accès, la rémunération des ayants droit est déterminée en prenant en compte ce prix « fictif » d'une place. L'article L. 212-28 du CCIA précise que ce prix de référence doit tenir compte de trois éléments, qui doivent reposer sur des « données économiques mesurables » : l'évolution du prix moyen des entrées vendues à l'unité, la situation du marché de l'exploitation et les « effets constatés et attendus de la formule d'accès ».

De manière générale, le mécanisme de détermination de ce prix de référence se caractérise par sa complexité et son opacité5(*). Ce prix s'établit actuellement autour de 5,1 €. Les dispositions tant législatives que réglementaires sont en réalité peu précises. Dans les faits, le prix de référence se rapproche d'un prix reconstitué obtenu en divisant le chiffre d'affaires net des frais de gestion réalisé grâce aux cartes par le nombre d'entrées des détenteurs.

Ce mode de calcul, qui ne ressort pas explicitement des textes, présente plusieurs inconvénients :

· avec la déduction des frais de gestion, il réduit d'autant la base de rémunération des ayants droit ;

· le prix de référence a très peu évolué depuis 2000, avec une hausse de 1,8 %. Dans le même temps, le tarif des formules d'abonnement a augmenté de 33,2 % et le prix moyen des places de 35 %. Cette situation s'avère préoccupante pour les ayants droit, qui ne bénéficient pas de revalorisations sur le prix des entrées.

Second principe, en application de l'article L. 212-30 du CCIA, les réseaux qui mettent en place une formule d'abonnement illimité et dont la part des entrées dans une zone d'attraction donnée dépasse un certain seuil ont l'obligation d'accepter d'associer les autres réseaux ou cinémas qui souhaiteraient participer à travers un contrat d'association, sous réserve du respect par ce dernier de critères de fréquentation6(*).

Les autres salles qui ne pourraient pas bénéficier de cette « garantie » car de trop grandes tailles peuvent demander au réseau d'intégrer le système de cartes, mais ce dernier n'est alors pas tenu d'accepter.

L'association permet d'éviter qu'un réseau qui mettrait en place la carte illimitée ne prive de marché ses concurrents de taille plus réduite. Elle donne lieu à l'établissement d'un contrat entre les parties, qui fixe, pour chaque établissement, un prix de référence distinct de celui décrit précédemment. Il tient compte, sans y être égal, du prix moyen réduit pratiqué par l'exploitant et est en général inférieur au prix de référence des réseaux.

Pour les cinémas associés, les cartes illimitées représentent ainsi environ 20 % de leurs entrées.

Très décriées lors de leur lancement en France en 2000, les offres illimitées, dont il n'existe pas d'équivalent à l'étranger, ont depuis fait la preuve de leur intérêt pour les consommateurs, en encourageant la diversité de programmation et en confortant la rémunération des ayants droit. Les années suivantes, avec le développement des offres de streaming illimitées par abonnement, ont d'ailleurs permis de souligner leur caractère précurseur et en phase avec les attentes des spectateurs.

II. Des simplifications à apporter au mécanisme de l'agrément

Dans ses travaux précités, la mission d'information a souhaité simplifier la gestion des cartes illimitées (recommandation n° 10), en conciliant une plus grande souplesse avec une meilleure prise en compte des ayants droit. Elle s'est inscrite dans la ligne du rapport précité de Bruno Lasserre, qui a consacré une partie de ses analyses à cette question. Le présent article propose donc plusieurs mesures allant dans ce sens.

Avec le temps, le mécanisme de l'agrément est apparu de plus en plus lourd et contraignant en termes administratifs, d'autant plus qu'une nouvelle procédure est nécessaire à chaque modification dite « substantielle », ce qui recouvre un large éventail de situations7(*). Ce traitement administratif chronophage ne s'est de plus pas traduit par une évolution significative des prix de référence des réseaux et des cinémas associés. Dès lors, il est proposé de modifier l'article L. 212-27 du CCIA en supprimant l'agrément.

Cette suppression entraine des modifications de coordination aux articles L. 212-28, L. 212-29 et L. 212-30 en abrogeant les références à l'agrément, mais en entourant le système des cartes illimitées de garanties sur la détermination du prix de référence.

Ainsi, le prix de référence, dont les critères de détermination, peu précis, sont actuellement fixés à l'article L. 212-28 du CCIA (voir supra), ne pourrait pas être inférieur à un montant minimal, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce principe serait fixé dans l'article L. 212-27 du CCIA.

La détermination de ce prix de référence, qui relève du pouvoir réglementaire, serait encadrée par deux dispositions :

ü d'une part, il doit être déterminé « au regard des prix des entrées vendues sur le marché de l'exploitation sur une période donnée ». La première donnée à prendre en compte sera donc les prix déjà pratiqués par l'exploitant, sur une période donnée, ce qui doit permettre de le faire évoluer plus simplement ;

ü d'autre part, ce prix doit « contribuer à une juste rémunération des distributeurs et des ayants droit ». Cette précision ne figurait pas dans le mécanisme de détermination du prix, et devrait s'avérer plus protectrice de leurs intérêts, en cohérence avec les travaux de la mission d'information.

Comment déterminer le montant minimal ? Les pistes du CNC

Les échanges avec le CNC ont permis de dégager les pistes actuellement explorées pour la fixation du montant minimal qui ne peut être inférieur au prix de référence. Elles reprennent l'une des propositions du rapport de Bruno Lasserre. Schématiquement, le principe serait de classer les entrées en fonction du prix des billets, et de constituer ainsi plusieurs catégories.

Par exemple (fictif), sur le marché de l'exploitation :

- 20 % des entrées correspondent à un prix entre 6 et 8 euros ;

- 40 % entre 8 et 10 euros ;

- 40 % entre 10 et 14 euros.

Le décret devrait préciser le pourcentage correspondant à la catégorie des plus bas tarifs. Dans l'exemple précité, si ce pourcentage s'établit à 20 %, la catégorie concernée sera entre 6 et 8 euros, si le pourcentage est de 60 %, entre 6 et 10 euros, etc.

Une fois la catégorie fixée par le pourcentage, le prix de référence serait la borne supérieure. Dans les deux cas précédents, il serait donc de 8 euros ou de 10 euros.

La seule obligation pour les exploitants, lors de la fixation du prix de référence, est de le positionner à un niveau supérieur au montant minimal.

Une modification de l'article L. 212-28 permet de prévoir que le prix de référence servira d'assiette à la rémunération des distributeurs, et plus uniquement des ayants droit. Dans les faits, cela ne fait qu'entériner un mode de rémunération des distributeurs déjà pratiqué.

L'article L. 212-30, qui précise le détail des conditions d'association d'un établissement, serait complété par deux alinéas.

Le premier (nouveau 3°) apporte deux garanties supplémentaires aux établissements associés, en indiquant que le contrat d'association :

- d'une part, ne peut contenir de clauses relatives à la programmation, afin d'éviter qu'une relation déséquilibrée ne soit instaurée, par exemple, en contraignant un établissement associé à ne pas programmer tel ou tel film, ou au contraire à se concentrer sur tel type de programmation ;

- d'autre part, ne saurait prévoir une clause d'appartenance exclusive. Ainsi, un établissement pourrait parfaitement choisir de contracter avec plusieurs réseaux qui proposent des formules de cartes illimitées.

Le second paragraphe, qui serait inséré à l'article L. 212-30, impose, avant la conclusion d'un accord d'association, l'homologation par le président du CNC d'un contrat-type, qui servira dans tous les cas. Cette homologation est subordonnée au caractère « équitable » et « non discriminatoire » des relations entre les parties.

Enfin, l'article L. 212-31 dans sa nouvelle rédaction prévoit qu'un décret en Conseil d'État doit préciser les conditions d'association à la formule de la carte illimitée.

Conformément au dialogue qui a pu se nouer entre les rapporteurs de la mission d'information et le CNC, ces modifications législatives doivent être complétées par des mesures réglementaires pour en assurer la cohérence et l'effectivité. Devront notamment être modifiés en conséquence les articles relatifs à l'agrément et au calcul du prix de référence, soit les articles R. 212-44 à R. 212-57 du CCIA.

III. La position de la commission

La commission approuve pleinement les dispositions de cet article, qui permet d'alléger et de simplifier la gestion administrative de cartes illimitées qui font maintenant partie intégrante du modèle français du cinéma. Cet accord est d'autant plus large que les principales garanties, notamment pour les établissements associés, sont confortées.

Le nouveau dispositif d'établissement du prix de référence met de plus fin à un système jugé unanimement opaque, et donc souvent décrié par la profession. La fixation d'un tarif minimal, à charge pour les réseaux, dans le cadre de leur politique commerciale propre, de choisir eux-mêmes le tarif qu'ils souhaitent, est ainsi de nature à conforter des cartes illimitées qui ont su faire preuve de leur pertinence, notamment au service de la diversité de programmation.

À l'initiative des rapporteurs, la commission a adopté un amendement COM-1 rédactionnel.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Dispositions transitoires

Cet article permet de pérenniser jusqu'à leur échéance les formules d'agrément qui auront été accordées avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 1er de la présente proposition de loi.

L'article 2 prévoit que les agréments qui seront encore en cours au moment de la parution du décret en Conseil d'État prévu à l'article 1er de la présente proposition de loi resteront valables jusqu'à leur date d'échéance.

Selon les informations transmises aux rapporteurs, les prochaines échéances des agréments en cours s'échelonnent entre le 31 décembre 2025 et le 31 décembre 2027. À compter de cette date, le nouveau système entrera en vigueur pour l'ensemble des acteurs. Les actuels détenteurs d'un agrément ont cependant la possibilité d'entrer quand ils le souhaitent dans le nouveau système.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 3
Ventes de billets en ligne et opérations promotionnelles

Cet article vise à uniformiser la possibilité de mener des opérations promotionnelles sur le prix des billets entre les ventes sur place et en ligne.

L'article L. 212-34 du CCIA encadre deux dispositifs commerciaux pratiqués par les cinémas.

D'une part, la vente d'un billet associée à la fourniture d'un bien ou d'un service, par exemple, une boisson ou, comme cela se pratique parfois, un repas dans un établissement de restauration rapide voisin. Il est alors précisé que l'offre n'a pas d'influence sur le prix qui sert de base pour la détermination des taxes et sur l'assiette de rémunération des distributeurs et des ayants droit. Le produit ou le service inclus dans l'offre ne peut donc avoir pour effet d'abaisser la « valeur » pour la chaîne de rémunération et de taxation du billet.

Par exemple, si le prix du billet sans l'offre est de 8 € et qu'il est proposé pour 10 euros une place et une boisson, le prix de 8 € servira de base pour la détermination des taxes et des revenus des ayants droit.

D'autre part, lorsque le billet est vendu ou réservé en ligne, le prix qui sert de base à la taxation et à la rémunération ne peut non plus être inférieur au prix « normal ».

En pratique, si la garantie dans le cas des ventes liées à une offre commerciale ne pose pas de difficultés, la seconde interdit les opérations promotionnelles en ligne. Or une telle interdiction n'existe pas sur les ventes « sur place », où les promotions sont possibles.

Cette interdiction est cependant devenue largement obsolète avec le développement des réservations en ligne. Ainsi, en 2023, près du tiers des places ont été achetées en avance et dans plus de 80 % des cas en ligne via un ordinateur ou un téléphone. Dans les grands établissements de centres-villes, la réservation en ligne représenterait déjà 70 % de l'accès aux salles.

Mode de réservation des places de cinéma à l'avance

(en %)

Le présent article vise donc à aligner les conditions de promotion sur les billets en ligne sur le régime en vigueur pour les ventes sur place. Cette évolution est cohérente avec l'essor du commerce en ligne ces dernières années, notamment via des plateformes spécialisées et dans les plus grands réseaux.

À l'initiative des rapporteurs, la commission a adopté un amendement COM-2 rédactionnel.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4
Engagements de diffusion

Cet article vise à créer, parallèlement aux engagements de programmation qui reposent actuellement sur les exploitants, des engagements de diffusion des distributeurs pour certaines oeuvres Art et Essai, afin de permettre un meilleur accès à ces oeuvres sur l'ensemble du territoire.

I. Une première mesure en faveur de la diversité : les engagements de programmation

Parmi les mesures de régulation édictées par le législateur en faveur de l'accès aux oeuvres, figurent, depuis la loi du 29 juillet 1982, des engagements de programmation. Ce dispositif avait pour objectif d'éviter que les groupements et ententes de programmation n'imposent une exclusivité aux distributeurs.

Ils sont progressivement devenus un véritable outil de politique culturelle destiné à favoriser la diversité de l'offre et la diffusion des oeuvres sur l'ensemble du territoire.

Sont tenus de souscrire des engagements de programmation :

Ø les groupements et ententes de programmation, dont l'agrément est conditionné à l'homologation par le président du CNC de tels engagements ;

Ø les exploitants assurant directement et uniquement la programmation de leurs établissements dont l'activité est susceptible de faire obstacle au libre jeu de la concurrence et à la plus large diffusion des oeuvres en raison de leur importance sur le marché national ou du nombre de salles qu'ils exploitent.

L'accord du 13 mai 2016 sur les engagements de programmation et les engagements de diffusion signé par les professionnels du secteur cinématographique est venu préciser la portée de ce dispositif et lui assigner les objectifs suivants, désormais codifiés à l'article R. 212-31 du code du cinéma et de l'image animée :

Ø favoriser l'exposition et la promotion des oeuvres cinématographiques européennes et des cinématographies peu diffusées, notamment en leur réservant un pourcentage de séances et en prévoyant la diffusion, dans chaque établissement, de films sortis sur moins de 80 copies. Les exploitants doivent également maintenir à l'écran des films européens programmés pendant deux semaines et garantir un nombre minimal de séances hebdomadaires ;

Ø garantir le pluralisme dans le secteur de la distribution cinématographique, notamment en favorisant le maintien d'un tissu diversifié d'entreprises de distribution et la diffusion d'oeuvres d'Art et d'Essai ;

Ø garantir la diversité des oeuvres cinématographiques proposées aux spectateurs et le pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique, notamment par la limitation de la diffusion simultanée d'une oeuvre au sein d'un même établissement ;

Ø favoriser, de façon significative, la promotion gratuite de toutes les oeuvres cinématographiques programmées, notamment par la diffusion de leurs bandes-annonces, au sein des espaces promotionnels des établissements de spectacles cinématographiques.

Ces objectifs ont été renforcés par les lignes directrices arrêtées le 11 avril 2022 par le président du CNC, qui prévoient notamment une limitation de la multidiffusion par cinéma, l'interdiction de la multidiffusion et de la déprogrammation d'un film en cours d'exploitation sans l'accord préalable des distributeurs concernés et une part minimale, par établissement, de séances annuelles consacrées aux films européens ou relevant de cinématographies peu diffusées et une exposition minimale de ces films à l'affiche de deux semaines, avec la fixation d'un plancher de séances sur deux à quatre semaines.

La mise en place de ces engagements a donc permis d'éviter la surexposition des oeuvres les plus médiatisées au moment de leur sortie et d'offrir aux autres films des fenêtres d'exploitation dans les réseaux. Ainsi, les spectateurs se voient proposer, sur l'ensemble du territoire, la possibilité de choisir parmi des oeuvres diversifiées.

II. Inclure le secteur de la distribution dans le mécanisme des engagements

Les engagements de programmation sont en général bien acceptés par les exploitants et ne posent en eux-mêmes pas de difficultés majeures.

Les travaux de la mission d'information précitée du Sénat ont fixé comme priorité pour pérenniser « l'histoire d'amour » entre la France et son cinéma une meilleure diffusion des oeuvres pour un public plus large : « Il est aujourd'hui indispensable d'assurer la meilleure accessibilité aux oeuvres de la diversité, françaises comme européennes, pour préserver les spécificités historiques de notre cinéma. »

En effet, si la France dispose d'un parc de salles unique en Europe, la question de l'accès de ces salles à certaines oeuvres se pose. Le sujet ne concerne pas les plus grosses productions, notamment étrangères, qui disposent de budgets de promotion massifs et ont en général pour stratégie une présence simultanée sur l'ensemble du territoire dès leur sortie, mais les oeuvres plus exigeantes et variées, que l'on peut assimiler à la catégorie « Art et Essai ».

Selon le rapport précité de Bruno Lasserre, si des progrès ont été observés dans l'accès des « petites » salles aux oeuvres d'Art et Essai, une inégalité territoriale demeure. Elle s'explique par plusieurs facteurs : volonté des distributeurs « d'étaler » les sorties, petite taille et donc moindre capacité des distributeurs spécialisés dans le cinéma d'auteur à mettre en place un vaste plan de sorties, etc. Le facteur « coût » a cependant perdu en grande partie son importance avec la numérisation du parc des salles. Désormais, il n'est plus nécessaire d'assurer la logistique autour de coûteuses bobines pour les sorties récentes, mais simplement d'envoyer un fichier numérique dans les salles.

Le classement Art et Essai des salles

Le classement Art et Essai des établissements cinématographiques par le CNC distingue les cinémas réalisant la diffusion d'une proportion jugée importante de films recommandés Art et Essai (films d'auteur, films relevant de cinématographies peu diffusées, intérêt artistique, etc.) par un collège de professionnels. Le niveau de diffusion exigé s'accroît avec la densité démographique.

En 2021, 1 282 cinémas sont classés Art et Essai (63,2 % des établissements cinématographiques actifs), soit 2 831 écrans (45,7 % des écrans) et plus de 484 000 fauteuils (42,2 % du nombre total de fauteuils). Ces établissements réalisent 34,9 millions d'entrées, soit 36,6 % de la fréquentation totale (24,9 millions d'entrées et 38,1 % de la fréquentation en 2020).

Pour obtenir son classement, le cinéma doit proposer des oeuvres cinématographiques dites « Art et d'Essai », soit qui répondent à une ou des caractéristiques attestant de leur caractère artistique ou particulièrement représentatif.

La liste des oeuvres recommandées est établie par le CNC qui confie la procédure de recommandation à l'Association française des cinémas d'Art et d'Essai (AFCAE) dans le cadre d'une convention. Elle se fonde sur l'article D. 210-3 du code du cinéma et de l'image animée, qui définit les critères de la manière suivante :

 OEuvre cinématographique ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique ;

2° OEuvre cinématographique présentant d'incontestables qualités, mais n'ayant pas obtenu l'audience qu'elle méritait ;

3° OEuvre cinématographique reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est peu diffusée en France ;

4° OEuvre cinématographique de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment oeuvre cinématographique considérée comme « classique de l'écran » ;

5° OEuvre cinématographique de courte durée tendant à renouveler par sa qualité et son choix le spectacle cinématographique.

Trois labels complémentaires peuvent être attribués : « Recherche et découverte », « Jeune public » et « Patrimoine et répertoire ».

Source : rapport précité de la mission d'information du Sénat

La mission d'information et le rapport de Bruno Lasserre ont ainsi proposé la mise en place, en plus des engagements de programmation qui concernent les exploitants, d'engagements de diffusion pris par les distributeurs.

Cette idée n'est en soi pas nouvelle. Lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine en 2015, le Gouvernement avait toutefois renoncé à faire adopter une disposition en ce sens, préférant une négociation interprofessionnelle. Celle-ci a finalement abouti avec l'accord précité du 13 mai 2016, qui prévoyait que les distributeurs de films « Art et Essai » réservent une fraction du plan de sortie aux petites villes et aux zones rurales. Il n'a cependant été que partiellement respecté. Sans en contester le principe, les distributeurs les plus importants ont en effet considéré que cet accord était susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle faute de base légale.

La mission d'information a cependant estimé que « L'amélioration des engagements de programmation doit être complétée par celle des engagements de diffusion des distributeurs. [...]. Sans aller jusqu'à un fort degré de contrainte qui donnerait par exemple à l'exploitant une forme de « droit » à diffuser un film - ce qui serait au reste contraire à la liberté commerciale -, il serait pertinent de rendre possible une forme d'encadrement souple, avec pour objectif de favoriser la diffusion des oeuvres d'Art et Essai dans les territoires. »

La recommandation n° 5 de la mission proposait ainsi la création d'engagements de diffusion des oeuvres d'Art et Essai.

III. Les engagements de diffusion : permettre un accès « équilibré » aux oeuvres

Le présent article propose de créer un nouveau chapitre II bis au livre II du CCIA, consacré au secteur de la distribution cinématographique8(*). Il contiendrait un article L. 212-36 qui définirait les engagements de distribution.

La diffusion cinématographique en France en 2022

L'Observatoire de la diffusion cinématographique a rendu public son rapport le 17 janvier 20239(*). Il couvre les années 2020 et 2021, et partiellement 2022.

Le rapport établit ainsi que la crise a été l'occasion de plans de sorties plus larges, avec 178 établissements qui accueillent des films en première exclusivité la semaine de sortie en 2021 et 163 en 2020, contre 140 en 2019, soit une progression de 28 %. Cela constitue un signal positif pour la diffusion des oeuvres. Il est cependant encore tôt pour en tirer des enseignements définitifs, tant les années 2020 et 2021 ont été marquées par la pandémie et ses conséquences sur les sorties de films. Le rapport fait également le constat, qui rejoint les conclusions de la mission d'information de la commission, d'une concentration accentuée des sorties sur les 10 premiers films, lié au nombre restreint de séances durant la pandémie.

ü Les bénéficiaires de ces engagements seraient « les exploitants des établissements de spectacles cinématographiques et le public ».

ü L'objectif est de « favoriser » leur accès à certaines oeuvres « de manière équilibrée sur le territoire national ». Cela induit une dimension territoriale qui est au coeur des engagements de distribution comme de programmation, à savoir offrir pour l'ensemble des spectateurs, quel que soit leur lieu de visionnage, la possibilité d'accéder à un choix d'oeuvres diversifiées. Le choix du terme « favoriser » éloigne de la perspective d'une obligation de distribution.

ü Les oeuvres concernées sont celles de la catégorie « Art et Essai » (voir supra) « dont la diffusion est prévue dans un nombre important d'établissements ». L'accord du 13 mai 2016 reprenait cette même cible, qualifiée alors de films « porteurs », en les définissant comme les films sortis dans plus de 175 points de diffusion.

ü L'obligation imposée aux distributeurs de ces films serait de consacrer « une part minimale du plan de diffusion [...] à des établissements situés dans des périmètres géographiques identifiés au regard de leur faible nombre d'habitants ». Les accords de 2016 ne ciblaient que les agglomérations de moins de 50 000 habitants et les zones rurales. Le mécanisme prévoyait alors de réserver entre 17 % et 25 % du plan de sortie aux établissements situés dans ces territoires.

La diffusion des films Art et Essai

En 2022, les films Art et Essai sont programmés en moyenne dans 97 points de diffusion (établissements cinématographiques) la semaine de leur sortie nationale. Si l'on prend la totalité des films sortis en 2022, ils sont programmés en moyenne dans 169 points de diffusion la semaine de leur sortie.

Il reviendrait au président du CNC de fixer, après consultation du médiateur du cinéma, les caractéristiques précises des oeuvres concernées ainsi que les périmètres géographiques qui devraient en bénéficier.

IV. La position de la commission

Le rapport de la mission d'information avait placé au centre de sa réflexion la question de l'accès des oeuvres pour l'ensemble des publics, notamment ceux éloignés des grandes aires urbaines qui bénéficient souvent de plusieurs établissements à proximité. Pour reprendre la formule inspirée d'une des personnes entendues par les rapporteurs, il faut éviter « le cinéma des villes et le cinéma des champs », qui se caractériserait par une attente de plusieurs semaines dans les zones les moins denses pour profiter d'une oeuvre convoitée.

La mission avait également souligné le paradoxe d'avoir mis en place des engagements de programmation, sans avoir poussé la logique dans le secteur de la distribution. Le rapport de Bruno Lasserre a montré de manière convaincante l'intérêt d'engagements de distribution qui joueraient le rôle de « filet de sécurité » pour permettre l'accès aux films Art et Essai les plus recherchés dans l'ensemble des territoires. Les auteurs de la proposition de loi ont donc privilégié la reprise des accords de 2016 qui avaient été signés par l'ensemble de la profession mais jamais appliqués faute de base législative.

Les rapporteurs ont cependant été sensibles aux craintes exprimées par certaines parties prenantes de se voir enserrées dans un corpus de règles trop restrictives et complexes à gérer au quotidien. L'objectif premier d'une meilleure diffusion des oeuvres dans les territoires sera d'autant mieux assuré qu'il reposera sur des règles acceptées par les professionnels chargés de le mettre en oeuvre.

Sans revenir sur cette ambition, la commission a donc adopté, à l'initiative des rapporteurs, un amendement COM-3 maintenant le principe des engagements de diffusion, en en modifiant la mise en place.

La nouvelle rédaction vient ainsi préciser les conditions de mise en oeuvre de ces engagements pour mieux cibler le dispositif au regard de son objectif premier, à savoir remédier aux situations de trop forte concentration des sorties dans les zones denses et favoriser un accès simultané du public sur tous les territoires aux films d'auteur attendus.

Le principe ne serait donc plus l'existence générale et permanente d'engagements de diffusion mais un mécanisme temporaire, limité aux situations, définies par décret, dans lesquelles il serait objectivement constaté un déséquilibre dans la diffusion de ces films au détriment des territoires peu denses afin d'y remédier et d'éviter une détérioration. Un décret déterminera les oeuvres d'Art et d'Essai et les zones géographiques concernées.

Ainsi, lorsqu'une situation de déséquilibre se présentera, le président du CNC aura dorénavant la faculté d'intervenir rapidement pour mettre en place des engagements de diffusion adaptés et uniquement applicables le temps de revenir à un accès équilibré à ces films sur l'ensemble du territoire.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 5
Sanctions administratives liées aux engagements de diffusion

Cet article vise à instaurer la faculté pour le CNC de sanctionner les distributeurs qui ne respecteraient pas les engagements de diffusion créés par l'article 4 de la présente proposition de loi.

L'article L. 421-1 du CCIA établit la liste des manquements qui peuvent entrainer, dans les domaines couverts par ce code, des sanctions administratives.

Les sanctions administratives sont prononcées par une commission indépendante du CNC, la Commission du contrôle de la réglementation (CCR), présidée par un membre du Conseil d'État et essentiellement composée de personnalités qualifiées représentant les différentes branches du secteur.

L'instruction préalable au prononcé de sanctions est assurée par un rapporteur nommé parmi les membres en activité des juridictions administratives. Ce rapporteur est saisi par le président du CNC, le plus souvent dans le prolongement d'une procédure de contrôle menée par les agents assermentés du service de l'inspection du CNC ayant conduit à l'établissement d'un procès-verbal constatant des manquements aux obligations du CCIA ou du règlement général des aides.

La nature des sanctions est extrêmement variable, allant du simple avertissement au remboursement des aides ou à l'exclusion du bénéfice et du paiement de toute aide financière pour une durée ne pouvant excéder cinq ans.

En 2022 et 2023, la CCR a rendu 17 décisions (44 depuis son institution en 2018). Elles concernent principalement des manquements dans le cadre de l'attribution des aides mais aussi l'organisation de séances en plein air non autorisées ou des déclarations insincères en matière de contrôle des recettes en salles. Les sanctions prononcées sont donc le plus souvent des remboursements d'aides et des exclusions temporaires du bénéfice des aides, ainsi que des sanctions pécuniaires à l'encontre des dirigeants des sociétés sanctionnées ou directement à l'encontre de la société concernée (entre 1 000 € et 5 000 €).

Le présent article modifie de deux manières le champ d'application de ces sanctions.

D'une part, il supprime la référence figurant au 5° à l'agrément des formules d'accès illimitées, par cohérence avec l'article 1er de la présente proposition de loi qui vise à supprimer cette procédure. Naturellement, des sanctions pourront toujours être prises en cas de non-respect des nouvelles dispositions relatives à ces formules.

D'autre part, il prévoit un nouvel alinéa 6 bis pour inclure dans le champ des obligations susceptibles de donner lieu à des sanctions les engagements de diffusion, tels que définis à l'article 4 de la présente proposition de loi.

La commission soutient cette mise en cohérence qui permet d'asseoir les engagements de diffusion.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 6
Nouveaux critères dans l'attribution des aides du CNC

Cet article vise à introduire deux nouveaux critères dans les règles d'attribution des aides du CNC aux producteurs.

I. Associer le cinéma aux grandes politiques publiques

La mission d'information de la commission a souhaité mieux associer le cinéma aux grandes politiques publiques.

Parmi les fonctions du CNC, la plus connue est certainement l'aide apportée à la production des oeuvres. D'un montant de 130 millions d'euros environ, elle contribue à l'équilibre économique des projets et à la diversité de la création en France.

Considérant qu'il s'agit là d'un levier efficace pour influencer les conditions matérielles des tournages, la mission d'information a souhaité dans ses recommandations n° 11 et 12 apporter deux ajouts aux critères d'attribution des aides, définis en termes généraux au 2° de l'article L. 111-2 du CCIA.

D'une part, la mission (recommandation n° 11) a souhaité que ces aides puissent être modulées en fonction du respect d'exigences environnementales.

Cette disposition permet de donner un ancrage législatif à une pratique développée depuis peu par le CNC. En effet, afin de responsabiliser les producteurs et les inciter à mesurer l'impact écologique de leur activité, une première mesure a été mise en place en 2023 consistant à exiger la remise de bilans carbone - prévisionnel et définitif - des oeuvres pour lesquelles une aide à la production cinématographique ou audiovisuelle est demandée. Il est prévu, à compter du 1er janvier 2024, que la méconnaissance de cette obligation puisse donner lieu au refus ou au retrait de l'aide. Cependant, la modification proposée par le présent article donnera la possibilité, d'une part, de rendre incontestable cette prise en compte de critères environnementaux, d'autre part, de moduler les aides à la hausse ou à la baisse selon l'impact environnemental des productions. Le 1° du présent article précise donc que les aides du Centre contribuent au développement de la production « dans l'intérêt général et en tenant compte, le cas échéant, du respect d'exigences environnementales ». Les modalités pratiques de cette modulation des aides seront définies par le CNC.

D'autre part, la mission souhaite également que les aides soient cette fois-ci non pas modulées, mais subordonnées au respect des accords en matière de rémunération minimale des auteurs.

La transposition de la directive « droit d'auteur » par l'ordonnance du 12 mai 2021 a en effet permis d'impulser une dynamique de négociation professionnelle entre producteurs et auteurs concernant la rémunération de ces derniers. Le nouvel article L. 132-25-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit ainsi la possibilité de fixer les modalités de détermination et de versement de la rémunération proportionnelle par mode d'exploitation des auteurs par voie d'accord entre leurs représentants et ceux des producteurs. À défaut d'un tel accord, le Gouvernement peut fixer par voie réglementaire les conditions et les modalités de cette rémunération.

Les accords peuvent également porter sur les pratiques contractuelles ou les usages professionnels entre auteurs et producteurs, en application de l'article L. 132-25-1 du code de la propriété intellectuelle, y compris dans le domaine des rémunérations minimales relatives aux différentes étapes de création.

À l'heure actuelle, quatre accords ont ainsi été conclus dans le secteur audiovisuel :

Ø le 23 janvier 2023 pour les auteurs de documentaires, étendu par arrêté du 22 février 2023 ;

Ø le 22 mars 2023 pour les auteurs scénaristes de fictions, étendu par arrêté du 28 avril 2023 ;

Ø le 15 juin 2023 pour les auteurs d'animations, étendu par arrêté le 2 août 2023 ;

Ø le 15 septembre 2023 pour les réalisateurs de fictions, étendu par arrêté du 13 octobre 2023.

Des négociations sont en cours pour la conclusion d'un accord dans le milieu du cinéma. Les discussions sont cependant rendues plus complexes, et donc plus longues, par la diversité des représentants.

Il est donc proposé de contraindre les producteurs du champ cinématographique comme audiovisuel à respecter les minimas de rémunération résultant de ces accords professionnels étendus par arrêté, en les privant du bénéfice des aides en cas de manquement.

Comme pour toutes les autres conditions d'attribution des aides, le contrôle du respect de ces dispositions est tout d'abord effectué dans le cadre de l'instruction des dossiers de demandes d'aides. Concernant le respect des rémunérations minimales, il pourrait ainsi être vérifié au regard des contrats d'auteurs et en exigeant éventuellement la fourniture d'un document ad hoc récapitulant l'ensemble des rémunérations concernées par les accords étendus. Les aides à la production faisant l'objet de deux décisions, une décision en début de production et une autre après achèvement de l'oeuvre sur la base des éléments définitifs de production (comptes définitifs, contrats, notes d'auteurs, bulletins de salaires, etc.), la vérification peut être opérée aux deux stades et donc donner lieu, le cas échéant, au reversement de l'aide déjà obtenue. En outre, des contrôles a posteriori pourront également être diligentés par les agents assermentés du CNC pour vérifier la sincérité des documents fournis par les entreprises dans leurs dossiers de demandes d'aides et la réalité des rémunérations et, en cas de déclarations inexactes ou de non-respect des accords, conduire au retrait des aides et au prononcé de sanctions administratives par la CCR.

Il convient de relever que les auteurs qui estiment que l'accord étendu n'est pas respecté peuvent également s'en prévaloir devant le tribunal judiciaire contre le producteur.

II. La position de la commission

La commission salue la prise en compte de ces nouveaux critères dans les modalités d'attribution des aides à la production.

En ce qui concerne le respect des règles de rémunérations minimales des auteurs, il devrait cependant s'imposer non comme une obligation, mais comme une évidence. L'absence d'aide ou le remboursement au CNC si leur respect n'était pas assuré devrait donc constituer un levier efficace pour en assurer l'effectivité.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 7
Coordinations juridiques

Cet article procède à plusieurs coordinations juridiques dans le code du cinéma et de l'image animée.

Le présent article procède à trois coordinations juridiques au sein des articles L. 111-3, L. 115-1 et L. 213-10 du CCIA, pour tenir compte des modifications proposées par la présente proposition de loi.

À l'initiative de ses rapporteurs, la commission a adopté un amendement rédactionnel COM-4.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 7
Lutte contre le piratage
des productions cinématographiques et audiovisuelles

Le présent article additionnel, adopté à l'initiative des rapporteurs, vise à renforcer la lutte contre le piratage des productions cinématographiques et audiovisuelles.

I. Le piratage : un fléau pour les industries culturelles

Les conséquences économiques du piratage sont de grande ampleur. Une étude rendue publique le 2 décembre 2020 par la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi, désormais Arcom)10(*), estime le manque à gagner dû à la consommation illicite en ligne de contenus audiovisuels à plus d'un milliard d'euros par an, soit nettement plus que l'ensemble des soutiens du CNC au secteur, qui devraient s'élever à 750 millions d'euros en 2024. À ce manque à gagner s'ajoute une perte potentielle de 332 millions d'euros pour les finances publiques (recettes perdues en TVA, impact sur les emplois et donc sur les prélèvements sociaux).

L'article premier de la loi du 25 octobre 202111(*) a mis en place un mécanisme de lutte contre l'une des manifestations les plus préoccupantes du piratage, les sites dits « miroirs12(*) ». Ce vocable désigne la faculté qu'ont les professionnels du piratage qui mettent à disposition, contre rémunération publicitaire, des catalogues entiers d'oeuvres en ligne, une fois le site fermé sur décision judiciaire, de créer presque immédiatement une nouvelle adresse internet reproduisant les mêmes contenus.

L'article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle avait apporté une réponse, en permettant à l'Arcom, une fois la décision judiciaire définitive sur un site, et sur saisine des ayants droit, de supprimer l'accès à tout service reprenant les contenus.

Une procédure spécifique

Dans son rapport sur le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique13(*), le rapporteur de la commission Jean-Raymond Hugonet décrivait en ces termes la procédure de lutte contre les sites « miroirs » :

« La procédure est donc spécifique ; il ne s'agit :

« - ni d'un blocage judiciaire décidé par le juge dans le cadre du référé « internet » prévu par le 8 du I de l'article 6 de la LCEN ou de l'article L. 336-2 du CPI (voir supra ) ;

« - ni de son exception, qui consiste en un pouvoir propre donné à l'administration, comme dans le cas du blocage administratif prévu à l'article 6-1 de la LCEN pour les contenus d'extrême gravité (terrorisme, pédopornographie), qui fait l'objet d'un strict principe de subsidiarité (d'abord l'hébergeur, puis le fournisseur d'accès) ;

« - mais d'un blocage dit « mixte », sur un modèle proche de celui retenu pour les sites de paris en ligne ou d'investissements illégaux, pour lesquels le Président d'une autorité administrative demande à l'autorité judiciaire d'ordonner le blocage d'un site aux intermédiaires techniques, face au refus des personnes en cause de cesser leur activité délictueuse. »

Ce dispositif mis en oeuvre par l'Arcom depuis octobre 2022 a produit des effets encourageants. L'Autorité a déjà reçu, dans le cadre d'une coopération avec les ayants droit du cinéma et du secteur de l'audiovisuel, plus de 600 demandes d'actualisation, permettant in fine de notifier 540 noms de domaine aux fournisseurs d'accès à internet (FAI) pour en empêcher l'accès.

Une première étude d'évaluation de ce dispositif14(*), portant sur ses six premiers mois d'exercice, a montré des résultats prometteurs : en avril 2023, 38 % des internautes ayant des pratiques illicites reconnaissaient avoir déjà été confrontés à un blocage d'un service illicite proposant des contenus audiovisuels ou cinématographiques. Face à cette situation, 7 % des internautes concernés déclaraient s'être tournés vers l'offre légale et 46 % avoir abandonné leur recherche. Au final, l'audience des « galaxies15(*) » de sites visés par ce dispositif de lutte contre les sites miroirs a diminué de 23 % entre septembre 2022 et mars 2023.

Cependant, 6 % des internautes confrontés à ces mesures de blocage ont cherché à contourner le blocage et 41 % se sont reportés vers d'autres services illicites. Plus largement, d'après la dernière édition du baromètre de la consommation des biens culturels et sportifs réalisé par l'Arcom16(*), 9 % des internautes ont déclaré avoir accédé à des contenus audiovisuels de manière illicite en 2023, et 12 % à des contenus cinématographiques.

Ainsi, certaines galaxies de sites illicites, relevant plus précisément des sites de téléchargement direct, se répliquent très rapidement. Ces services, appuyés sur des marques fortes, depuis plusieurs années, peuvent, quasi instantanément après leur blocage, créer de nouveaux sites miroirs et en diffuser le nom de domaine. Les mesures de blocage restent insuffisantes pour l'instant sur de tels services de téléchargement.

Par ailleurs, on assiste au retour des pratiques de piratage pendant l'exploitation des films en salles (pratique dite de « camcording ») indépendamment des actions mises en place par l'Arcom, ce qui accentue la nécessité d'agir très vite contre la diffusion illicite en ligne des oeuvres protégées : 560 films ont fait l'objet d'un piratage par « camcording » depuis juin 2020 et, pour la seule année 2023, ce sont 191 films qui sont concernés.

Ce préjudice est d'autant plus important que l'exploitation des films en salles représente près des trois quarts du chiffre d'affaires du cinéma. Ainsi, en 2022, pour un chiffre d'affaires global de 1,45 milliard d'euros, les recettes des films en salle ont représenté 1,075 milliard d'euros, soit 74 %, loin devant le chiffre d'affaires généré par la vidéo à la demande à l'acte (207 millions d'euros) et la vidéo en support physique (166 millions d'euros).

II. Conforter la lutte contre le piratage en ligne

Dans ce contexte, il convient de renforcer la rapidité d'action de l'Autorité dans sa lutte contre le piratage de contenus protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin.

Le présent article additionnel (amendement COM-5) vise donc à tirer les enseignements des premiers retours d'expériences sur le dispositif de lutte contre les sites miroirs en introduisant différentes modifications au sein de l'article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle.

ü En premier lieu, cet article additionnel vise à garantir une plus grande efficacité de la procédure.

D'une part, il facilite la saisine de l'Arcom en supprimant la condition du passage en force de la chose jugée de la décision judiciaire17(*) mentionnée à l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle. Cela permet aux titulaires de droits et à leurs représentants de saisir l'Arcom sans attendre l'extinction du délai d'appel et l'obtention d'un certificat de non-appel, ce qui retarde nécessairement la possibilité de demander l'actualisation de la décision judiciaire auprès de l'Autorité d'environ deux mois. Cette évolution permet ainsi de réduire significativement le délai de saisine de l'Arcom pour obtenir le blocage des services reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du site initial.

D'autre part, il prévoit que la demande de blocage ou de déréférencement ne relève plus du collège de l'Arcom mais de son président ou d'un membre du collège désigné par lui.

Les conditions de mise en oeuvre de la procédure pourront être précisées par décret. Une copie de la signification de la décision judiciaire mentionnée à l'article L. 336-2, attestant de sa force exécutoire, pourrait être transmise à l'Autorité lors de la saisine.

ü En second lieu, le présent article additionnel facilite la saisine par les représentants des ayants droit

En l'état actuel du droit, seuls les titulaires de droit parties à la décision initiale sont habilités à saisir l'Autorité afin d'en obtenir l'actualisation. Leurs ayants droit, les organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III du code de la propriété intellectuelle ou les organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1 du même code ne sont pas inclus dans le dispositif de lutte contre les sites miroirs, alors qu'ils ont la capacité d'intenter une action en cessation des atteintes à un droit d'auteur ou à un droit voisin, sur le fondement de l'article L. 336-2.

Le présent article additionnel élargit donc la liste des personnes habilitées à saisir l'Arcom en prenant en compte « toute personne qualifiée pour agir », ce qui englobe l'ensemble des parties prenantes mentionnées à l'article L. 336-2 du CPI.

L'extension de la liste des personnes habilitées à saisir l'Arcom pour faire respecter la décision judiciaire devrait donc permettre un suivi plus efficace et structuré de l'activité des sites miroirs.

Afin de faciliter l'exécution des accords prévus au troisième alinéa, il est proposé que l'Arcom tienne à jour une liste des sites miroirs pour lesquels elle a demandé un blocage ou un déréférencement afin de la mettre à disposition de leurs signataires.

III. La position de la commission

La commission a toujours marqué sa vive préoccupation sur la question du piratage des contenus culturels comme sportifs18(*). À ce titre, elle a notamment soutenu le projet de loi précité relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, qui portait une réforme ambitieuse des outils à disposition du juge et du régulateur.

Si la lutte contre le piratage constitue un objectif unanimement partagé, il n'en demeure pas moins complexe à mettre en oeuvre et ce, pour trois raisons :

Tout d'abord, l'évolution très rapide des technologies, et corrélativement l'adaptation en continu des techniques de piratage, rend rapidement en bonne partie obsolètes les mesures législatives adoptées. En témoigne ainsi la première loi dite « Hadopi » du 12 juin 2009, qui ciblait la technique du « pair-à-pair » guère plus utilisée aujourd'hui avec la montée du streaming.

Ensuite, la lutte contre le piratage se heurte au respect d'autres droits fondamentaux. Ainsi, toujours sur la loi précitée du 12 juin 2009, le Conseil constitutionnel avait, dans sa décision du 10 juin 2009, censuré partiellement plusieurs dispositions de la loi « Hadopi » précitée, soulignant que « La liberté de communication et d'expression, énoncée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, fait l'objet d'une constante jurisprudence protectrice par le Conseil constitutionnel. Cette liberté implique aujourd'hui, eu égard au développement généralisé d'internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions, la liberté d'accéder à ces services de communication au public en ligne. » Dès lors, toute mesure de nature coercitive, comme la sanction d'un internaute ou le blocage d'un site, doit être encadrée de garanties procédurales de nature à préserver ces droits.

Enfin, face aux profits générés par la marchandisation, via la publicité, de contenus piratés, le contrôle nécessite des moyens importants, dont une surveillance attentive des sites contrefaisants mais également les frais liés au blocage des sites. La Cour de cassation a cependant rendu une décision essentielle à ce propos le 6 juillet 201719(*) : si la surveillance et le signalement sont du ressort des ayants droit, les frais liés au blocage sont à la charge des intermédiaires techniques, dès lors qu'ils n'entrainent pas de « sacrifices insupportables » pour ces sociétés. Tel ne semble pas être le cas avec les dispositions de cet article additionnel, qui n'ont pour conséquence, pour les intermédiaires, que d'agir un peu plus tôt que précédemment.

La commission estime donc que le présent article additionnel constitue une avancée majeure dans la lutte contre le piratage des contenus cinématographiques et audiovisuels.

La commission a adopté le présent article additionnel.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 5 Le rapport précité de Bruno Lasserre expose dans le détail ses modalités de fixation.

* 6 Il s'agit de critères de seuils d'entrées sur un territoire donné, l'idée étant que plus l'exploitant est « petit », plus il est légitime à demander son rattachement au réseau.

* 7 Ces modifications étaient définies à l'article R. 212-46 du CCIA, qui a été abrogé par décret du 27 octobre 2023 dans la lignée des préconisations du rapport Lasserre.

* 8 Il ferait donc suite à un chapitre II consacré à l'exploitation cinématographique.

* 9 https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/observatoire-de-la-diffusion-et-de-la-frequentation-cinematographiques-janvier-2023_1872981

* 10 https://www.hadopi.fr/actualites/piratage-audiovisuel-et-sportif-un-manque-gagner-dun-milliard-deuros-en-2019

* 11 Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-523.html

* 12 Il convient de relever que le piratage des contenus sportifs diffusés en direct relève d'une autre législation, précisé au chapitre III du titre III du livre III du code du sport, également introduit par la loi du 25 octobre 2021.

* 13 https://www.senat.fr/rap/l20-557/l20-557.html

* 14 https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/mediatheque/premiers-bilans-2022-de-larcom-sur-la-lutte-contre-le-piratage

* 15 Une « galaxie » se définit par le site initial et ses sites miroirs, soit l'ensemble des sites d'une même marque ou d'un même nom.

* 16 https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/mediatheque/barometre-de-la-consommation-des-contenus-culturels-et-sportifs-dematerialises-edition-2023

* 17 Ce qui signifie que la décision n'est plus susceptible de recours, que ce soit suite à l'épuisement des recours ou à l'expiration des délais.

* 18 À titre d'exemple, elle a ainsi organisé une table ronde consacrée au piratage des événements sportifs le 26 octobre 2022 - https://videos.senat.fr/video.3057180_6358cdbccfaca.table-ronde-consacree-au-piratage-des-evenements-sportifs

* 19 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035152528

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