N° 342

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement,

Par Mme Amel GACQUERRE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, président ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1984, 2066 et T.A. 229

Sénat :

278, 333 et 343 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La commission des affaires économiques a adopté et modifié le projet de loi au cours de sa réunion du 14 février.

La commission a soutenu l'objectif de donner des outils plus efficaces et plus rapides aux maires et aux opérateurs luttant contre l'habitat indigne.

Toutefois, se plaçant à l'écoute des maires après une visite sur le terrain à Saint-Denis et l'organisation d'une consultation des élus sur la plateforme du Sénat, elle a introduit dans la loi plusieurs outils destinés à renforcer leur capacité d'action y compris dans les villes moyennes et les petites copropriétés. Elle en a précisé d'autres pour les rendre plus opérationnels. Enfin, soucieuse de limiter l'inflation normative, elle n'a pas retenu certaines dispositions nouvelles apportant plus de complexité que de clarté.

 
 
 
 

Des élus pensent
que les copropriétés dégradées sont un problème important

Copropriétés en France

Copropriétés en difficulté selon l'Anah

Logements indignes
en métropole

I. LES COPROPRIÉTÉS DÉGRADÉES : UN PROBLÈME MASSIF, MAIS ENCORE MAL APPRÉHENDÉ

58 % des maires, qui ont répondu à la consultation du Sénat, ont une ou plusieurs copropriétés dégradées dans leur commune. Deux tiers estiment que c'est une question importante ou très importante. L'habitat dégradé n'est pas le problème de quelques villes pauvres ou de quelques quartiers prioritaires, c'est un phénomène silencieux et massif, mais encore largement méconnu.

Selon les chiffres du ministère du logement, il y aurait en France un peu plus de 750 000 copropriétés, représentant un peu moins de 10 millions de logements. 200 000 ne sont pas enregistrées dans le Registre national d'immatriculation des copropriétés, le RNIC, sans doute parmi les plus petites et les moins bien gérées.

Sur ce total, combien de copropriétés sont en difficulté ? Cela reste difficile à déterminer. 2 200 copropriétés et 110 000 logements sont pris en charge dans le Plan initiative copropriétés. Selon les seuils d'impayés de la loi ALUR de 20141(*), il y aurait 215 000 copropriétés dites « fragiles », c'est-à-dire ayant de 15 à 25 % d'impayés. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) identifierait pour sa part 115 000 copropriétés en difficulté. Les petites copropriétés en représenteraient les trois quarts.

La notion englobe aussi bien un petit immeuble délabré de centre bourg de province qu'un grand ensemble de banlieue, ce qui rend difficile une vision d'ensemble et encore plus un outil unique et simple. De fait, les procédures de traitement de l'habitat dégradé sont souvent très longues, laissant, prospérer les marchands de sommeil et se développer l'habitat indigne, jusqu'à parfois de tragiques effondrements, comme rue d'Aubagne à Marseille le 5 novembre 2018.

Dans leur rapport, Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire de Mulhouse, estiment à 400 000 le nombre des logements du parc privé potentiellement indignes en métropole, dont la moitié occupée par leur propriétaire. Il y en aurait près de 150 000 en outre-mer selon les chiffres de la direction générale des outre-mer.

C'est sur la base de ce travail et du retour d'expérience du plan initiative copropriétés et de la loi ELAN2(*) qu'a été élaboré le projet de loi.

II. UNE BOÎTE À OUTILS QUI NE DOIT PAS OUBLIER LES VILLES MOYENNES ET LES PETITES COPROPRIÉTÉS

Ce texte est conçu comme une boîte à outils améliorant la panoplie existante. La commission des affaires économiques estime que c'est un texte utile et attendu par les professionnels et les élus.

A. UNE ÉVOLUTION DES OUTILS D'URBANISME

Le projet de loi modifie les conditions de mise en oeuvre d'un certain nombre de dispositifs OPAH3(*), ORI4(*) ou ORCOD5(*), grâce auxquels la puissance publique, dans le meilleur des cas, vient en appui aux propriétaires dans la remise en état de leur bien et, en cas de nécessité, se substitue aux propriétaires défaillants. Le projet de loi les fait évoluer suivant un fil rouge : permettre une intervention plus précoce des pouvoirs publics. Outre les bénéfices évidents pour les occupants, une intervention plus précoce, c'est, la plupart du temps, une intervention moins coûteuse pour la collectivité. C'est une intervention qui peut être mieux planifiée, avec des relogements mieux anticipés, mais aussi une meilleure prise en compte dans le projet urbain.

Le texte crée en particulier une nouvelle procédure d'expropriation, calquée sur la procédure « Vivien », qui permet d'exproprier, pour les démolir, les immeubles en état de dégradation irrémédiable. La nouvelle procédure est conçue pour permettre des interventions en amont, sur les immeubles dont l'état est critique, mais qui peuvent encore être sauvés. Il s'agit donc de rénover plutôt que de démolir. C'est l'une des principales propositions du rapport Hanotin-Lutz. Elle est fortement demandée par les maires confrontés à ces phénomènes d'habitat dégradé, y compris d'habitat dégradé diffus.

Un point de blocage revient cependant de manière récurrente : celui du relogement des occupants, que ce soit à titre temporaire ou définitif, notamment dans les très grandes opérations, qui nécessitent le relogement simultané de centaines de ménages, principalement dans un parc social déjà saturé. Il s'agit d'un vrai frein pour certaines opérations, et plus de 90 % des maires ayant répondu à la consultation ont soulevé cette difficulté, y compris pour des opérations plus ponctuelles. S'il n'y a pas de solution miracle dans le contexte actuel de crise du logement, la commission a toutefois adopté un amendement afin de permettre, sous certaines conditions, le relogement provisoire de ces ménages dans des constructions temporaires, y compris lorsqu'ils ont droit au relogement définitif.

B. MIEUX PRENDRE EN COMPTE LES VILLES MOYENNES ET LES PETITES COPROPRIÉTÉS

La commission a de plus souligné que la problématique des copropriétés dégradées touche également les petites copropriétés, dans les centres-bourgs ou les centres-villes anciens, pour lesquelles il existe peu ou pas d'outils d'aménagement spécifiques et auxquelles le projet de loi apporte peu de solutions. Pourtant, les petites copropriétés représenteraient jusqu'à trois quarts des copropriétés fragiles.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure visant à préciser les missions de l'ANCT6(*) qui doit appuyer les communes ne disposant pas l'ingénierie suffisante.

La commission a également décidé de permettre au maire de faire procéder d'office, si nécessaire, à un diagnostic structurel des immeubles en zone d'habitat dégradé.

III. DANS LES COPROPRIÉTÉS : PRÉVENIR PLUTÔT QUE GUÉRIR

A. DEUX OUTILS NOUVEAUX DE FINANCEMENT ET DE GESTION

Le premier outil créé par le projet de loi est le prêt global et collectif inspiré de l'exemple belge et préfiguré par un rapport de la Banque des territoires. Il est en effet difficile actuellement de contracter un prêt en raison des multiples conditions. La Banque des territoires indique qu'il y aurait actuellement 175 millions euros de prêts par an, octroyés par une seule banque, la Caisse d'Épargne d'Île-de-France, alors même que le volume estimé des travaux dans les copropriétés à financer dans les prochaines années serait de 9 milliards par an.

Le projet de loi crée donc un prêt qui couvrirait l'ensemble des travaux. Il engloberait tout le syndicat et serait attaché à un lot et non plus à un copropriétaire volontaire. Toutefois, les banques et les cautions ne peuvent prêter sans respecter leur obligation de « prêt responsable » et de lutte contre le surendettement. Aussi, la commission a adopté plusieurs amendements afin de garantir l'engagement du secteur bancaire.

La commission a toutefois déploré l'absence de financement de ce nouveau dispositif. La Banque des territoires avait imaginé, pour sécuriser le prêt, que Procivis 7(*)voit ses moyens tripler, jusqu'à 150 millions d'euros par an, afin d'avancer les subventions sous forme de prêt à taux zéro, mais le gouvernement n'a pas donné suite. Elle avait également demandé la création d'une garantie publique. Le gouvernement en a proposé une par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, mais, au dire du ministre, toujours sans financement.

Le second outil est le syndic d'intérêt collectif, qui a été créé par l'Assemblée nationale. La commission a regretté que ses missions, son agrément et son financement restent mal définis. Les organismes HLM, qui étaient pressentis pour porter cet outil, souhaitent intervenir sur la base du volontariat, quand les syndics s'inquiètent d'acteurs hors du champ concurrentiel qui auraient une exclusivité. La question du domaine d'intervention précis et de la rémunération de ce syndic d'intérêt collectif n'est pas résolue. Qui en assumera le coût supplémentaire dans une copropriété en difficulté ? Si la piste de nouvelles aides de l'Anah8(*) a pu être évoquée, rien n'est arrêté pour le moment.

Néanmoins, 71 % des maires ayant participé à la consultation en soutiennent le principe. La commission a donc opté pour créer un vivier de syndics reconnus pour leur expérience et leur connaissance de ces sujets. Ce sera déjà une avancée importante.

B. L'OPÉRATIONNALITÉ PLUTÔT QUE L'INFLATION NORMATIVE

La commission a estimé que les syndics ne devaient pas devenir les boucs émissaires des copropriétés dégradées et qu'une certaine forme de « syndic bashing » ne devait pas conduire à une réglementation pointilliste des rapports avec les copropriétaires ce qui l'a amené à supprimer plusieurs dispositions inutilement complexes.

De même a-t-elle estimé que les conditions de dématérialisation étaient actuellement suffisantes et protectrices des 15 % d'habitants souffrant d'illectronisme.

Concernant l'outre-mer, elle a adopté les dispositions visant à mieux lutter contre l'expansion de l'habitat informel à Mayotte et en Guyane, ainsi que le prolongement jusqu'en 2038, et l'ajustement, de la loi Lechtimy de 2018 visant à favoriser la sortie de l'indivision successorale dans ces territoires.

C. MIEUX LUTTER CONTRE LES MARCHANDS DE SOMMEIL

Soutenant les sanctions pénales contre les marchands de sommeil, la commission a rendu opérationnelles ou constitutionnelles plusieurs des mesures qui faciliteront leur condamnation où les mettront durablement hors d'état de nuire.

À titre préventif et sur la base de l'expérience des maires, la commission a retenu plusieurs évolutions concernant à la fois le permis de louer et le permis de diviser pour faciliter leurs conditions de mise en oeuvre et lutter contre les marchands de sommeil.


* 1 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite aussi « loi Duflot II ».

* 2 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 3 Opération programmée d'amélioration de l'habitat.

* 4 Opération de restauration immobilière.

* 5 Opération de requalification de copropriétés dégradées.

* 6 Agence nationale de cohésion des territoires.

* 7 Réseau de sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif d'accession à la propriété (SACICAP).

* 8 Agence nationale de l'habitat.

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