EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 13 MARS 2024

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Françoise Gatel, vise à améliorer les conditions d'exercice de la politique de santé scolaire en permettant le transfert, à titre expérimental, de l'exercice de cette compétence aux départements volontaires. Les difficultés actuellement rencontrées par la médecine scolaire constituent en effet un enjeu majeur de nos politiques publiques.

Destinée à assurer la promotion de la santé des élèves pour garantir leur réussite scolaire et réduire les inégalités en matière de santé, cette politique essentielle souffre d'un manque d'effectivité inquiétant.

Ce constat s'explique principalement par les défaillances dans le pilotage de la médecine scolaire, assuré par le ministre de l'éducation nationale, et soulignées depuis plusieurs années, sans que l'État se saisisse véritablement de cette problématique. Cette situation peut avoir des conséquences dramatiques, alors que la santé - notamment psychique - des plus jeunes ne cesse de se dégrader, et que l'accès aux médecins, généralistes comme spécialistes, est rendu de plus en plus difficile, dans le contexte de désertification médicale que nous connaissons tous.

Le pilotage de la politique de santé scolaire n'a pas toujours été assuré au niveau national. Si c'est le cas depuis la Libération, la médecine scolaire était, depuis la fin du XIXe siècle, l'apanage des collectivités locales.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 octobre 1945 confiant la compétence « médecine scolaire » au ministre de l'éducation nationale, celle-ci n'a eu de cesse d'être transférée, passant temporairement entre les mains du ministre de la santé, avant de revenir à son autorité de tutelle originelle.

Le défaut de pilotage étatique est aujourd'hui source de failles dans l'organisation et la mise en oeuvre de la santé scolaire, alors que ses objectifs ont été sans cesse élargis.

La première manifestation de ces défaillances, que j'ai pu identifier au cours des auditions que j'ai conduites, est relative à la pénurie de médecins scolaires que nous connaissons à l'heure actuelle, et qui s'accélère depuis une dizaine d'années. En raison de rémunérations peu attractives et de conditions de travail se dégradant fortement, de nombreux postes restent vacants. Les effectifs des médecins scolaires ont ainsi chuté de 15 % depuis 2013. À l'heure actuelle, sur un total de 1 500 postes de médecins scolaires, seuls 800 postes sont pourvus, ce qui n'est pas acceptable.

En moyenne, il n'y a en France qu'un seul médecin pour 12 000 élèves, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un ratio d'un médecin pour 5 000 élèves. Cette pénurie se double en outre de fortes disparités territoriales : par exemple, en Nouvelle-Calédonie, il n'y a qu'un seul médecin scolaire pour 47 000 élèves !

Cette pénurie de médecins scolaires, alors que leurs missions n'ont cessé de s'élargir, a de réelles conséquences sur la santé des élèves, qui ne bénéficient pas, pour la plupart d'entre eux, des visites médicales et dépistages prévus par la loi. Dans un rapport d'avril 2020, la Cour des comptes relevait que le taux de réalisation de la visite médicale obligatoire de la sixième année par les médecins scolaires, déterminante pour détecter d'éventuels troubles de l'apprentissage, était passé de 26 % en 2013, un taux déjà historiquement bas, à 18 % en 2018. Moins de 20 % des élèves bénéficient donc d'une visite médicale durant leur sixième année, alors que celle-ci est censée être obligatoire.

À plusieurs reprises, le Sénat a tenté d'apporter une solution à ce constat d'échec en défendant le transfert de cette compétence aux départements. Il en a été ainsi dès l'élaboration des premières grandes lois de décentralisation du début des années 1980, puis lors de l'examen du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales en 2004, par le biais de l'adoption d'un amendement du rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Schosteck, qui visait à transférer la compétence de la médecine scolaire aux départements, pour en garantir l'effectivité.

Vingt ans après, l'idée avait été une nouvelle fois défendue lors de l'examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), sans plus de succès malgré le large soutien dont elle bénéficiait dans notre assemblée, en raison des règles de recevabilité financière découlant de l'application de l'article 40 de la Constitution.

La proposition de loi déposée par Françoise Gatel, dont je salue le travail, vise donc à répondre à cette problématique en permettant aux départements volontaires, à titre expérimental, de bénéficier d'un transfert de compétence en matière de médecine scolaire. Elle s'inscrit donc parfaitement dans le droit fil des précédentes positions défendues par le Sénat.

L'article unique de cette proposition de loi prévoit ainsi que les départements volontaires pourront, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, exercer la compétence « médecine scolaire ».

Il ne s'agit donc pas d'imposer à l'ensemble des départements une mission que l'État ne souhaite plus remplir, mais bien d'expérimenter un nouveau mode de pilotage de cette politique, pour plus d'efficacité. L'Assemblée des départements de France (ADF) m'a d'ailleurs indiqué que 19 départements seraient déjà intéressés pour prendre part à cette expérimentation, selon un sondage réalisé récemment.

Les départements volontaires devront manifester leur volonté d'entrer dans cette expérimentation dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, délai leur permettant d'apprécier l'opportunité de leur engagement ainsi que le caractère suffisant de la compensation financière de l'État. Une convention serait ensuite conclue entre l'État et le département participant à l'expérimentation afin de définir les modalités de transfert des crédits correspondant au transfert de charges. Le département resterait ainsi libre de ne pas participer à l'expérimentation et de ne pas signer la convention avec l'État, dans le cas où celui-ci ne transférerait pas suffisamment de crédits budgétaires pour compenser le transfert de compétence.

L'expérimentation sera évaluée à mi-parcours ainsi que six mois avant son terme. Si l'expérience est concluante, un transfert définitif de cette compétence aux départements volontaires pourrait être envisagé à l'issue des cinq années d'expérimentation.

Je suis convaincu de l'opportunité et de la cohérence d'un tel transfert de compétence. Il rationaliserait et restructurerait le pilotage de cette politique, en resserrant le lien entre les services décisionnels et les personnels sur le terrain et en fluidifiant l'organisation interne des services de médecine scolaire, tout en permettant une meilleure adaptation aux spécificités locales.

Cela créerait en outre une continuité et une plus grande cohérence dans le suivi sanitaire des enfants et des adolescents, et plus largement en matière de protection de l'enfance. Ce sont en effet les départements qui sont aujourd'hui compétents en matière de protection maternelle et infantile (PMI) et d'aide sociale à l'enfance (ASE).

Au-delà du renforcement de l'effectivité du suivi médical pour l'ensemble des élèves, ce transfert de compétence prend tout son sens lorsque l'on sait que les établissements scolaires, au travers des professionnels de santé y travaillant, sont les premiers émetteurs d'informations préoccupantes dans le cadre de la protection de l'enfance en danger.

Enfin, la mutualisation des moyens ainsi que des effectifs de la médecine scolaire et des PMI permettra de réaliser des économies et d'assurer une meilleure effectivité des dépenses.

Je suis bien évidemment favorable à la mise en place de cette expérimentation, qui permettrait de consacrer enfin une réforme appelée de ses voeux depuis plusieurs années par notre assemblée.

Il y va également, et avant tout, de l'intérêt de nos enfants, qui méritent de bénéficier d'un suivi sanitaire et psychologique de qualité, d'être éduqués à la santé et à leur corps, et de trouver dans l'institution scolaire le soutien et le suivi nécessaires dont ils ont parfois tant besoin. Pour certains d'entre eux, la prévention et les soins assurés par la médecine scolaire constituent le premier levier d'insertion ou le dernier rempart contre les violences intrafamiliales. Il est donc absolument essentiel de permettre à l'école de la République d'assurer de nouveau efficacement ses missions d'éducation et de protection.

Je vous proposerai par conséquent d'adopter ce texte sans modification.

Mme Catherine Di Folco. - Je remercie Françoise Gatel, qui s'est saisie de ce sujet préoccupant, ainsi que le rapporteur pour son travail sur ce texte.

Nous manquons cruellement de médecins scolaires. Le manque d'attractivité du salaire en est l'une des principales raisons, même si ce n'est pas la seule. Nous manquons aussi d'autres médecins, comme les médecins du travail. Or la médecine scolaire est essentielle pour détecter des problèmes familiaux - mauvais traitements, malnutrition - ou des retards.

Devant les élèves, il y a aussi des enseignants, qui sont moins bien traités, et rarement invités à se rendre à une visite médicale. Nous sommes pauvres à tous les niveaux.

Je trouve pertinent de transférer la médecine scolaire au niveau du département, mais cela permettra-t-il de mieux recruter ? Je n'en suis pas sûre... Ces médecins auront-ils un meilleur salaire ? Je ne suis pas certaine que ce soit mieux que dans l'éducation nationale... Le transfert ne résoudra probablement pas tout, même si c'est une bonne disposition.

M. Jean-Michel Arnaud. -Proposer aux départements et aux services de PMI de prendre la compétence « médecine scolaire » est évident pour le collège, afin de créer un bloc de compétence cohérent. Élargir le transfert à l'ensemble des niveaux, de la primaire au lycée, pose question quant à l'impact sur les finances des départements. L'évaluation, qui est souvent un jeu de dupes lors du transfert, doit être examinée finement, pour éviter que les départements ne se retrouvent avec des responsabilités nouvelles sans les moyens correspondants : souvent, on commence avec un petit braquet, et on termine avec un grand braquet. Les moyens actuels attribués par l'État sont tellement ridicules qu'il y aura nécessairement des surcoûts. Les 19 départements volontaires feront ce diagnostic.

Comment s'articulera l'exercice fonctionnel de cette compétence entre le personnel de l'éducation nationale - les principaux et les proviseurs - et les médecins ? L'exercice d'une compétence partagée est toujours délicat. Qui exercera l'autorité fonctionnelle sur les agents de ces services de médecine scolaire : le chef d'établissement, celui de la PMI ou le président du conseil départemental ?

Mme Marie Mercier. - La contrainte suscite l'imagination. La contrainte centrale est la pénurie de médecins, mais pas dans n'importe quelle spécialité ; nous manquons de médecins scolaires et de médecins généralistes.

Le département de Saône-et-Loire a salarié des médecins libéraux pour faciliter leur installation, et les libérer de la paperasse. Maintenant, le dispositif fonctionne et les spécialistes reviennent également. Nous avons redonné des médecins référents à des patients qui en manquaient cruellement.

La médecine scolaire manque d'attractivité. Un médecin scolaire doit être formé en pédiatrie, en médecine préventive et en gynécologie. Cette médecine demande de nombreuses compétences, mais n'est pas attractive. Il faut chercher des étudiants en médecine. Le salariat par le département va-t-il changer quelque chose ? Ces médecins sont déjà salariés. Il faut former plus de médecins scolaires en soulignant l'intérêt de la spécialité, notamment en matière d'horaires.

Cette proposition de loi a le mérite d'inventer une solution. Les départements pourraient apporter une plus-value non seulement pour ce qui concerne le salaire, mais aussi pour le nombre de postes, et leur localisation. Car moins ils sont nombreux, plus ces médecins sont désintéressés. Nous avons alerté le Gouvernement sur ce cercle vicieux de la médecine scolaire. Je remercie Françoise Gatel de sa proposition, dont nous verrons l'effectivité.

Mme Cécile Cukierman- La médecine française est dans une situation catastrophique, dans tous les secteurs et à tous les étages. Dans ce contexte, pourquoi ne pas expérimenter si l'on peut faire mieux avec toujours moins...

Le suivi médical devient une exigence de plus en plus importante, y compris pour la médecine de ville, car il n'est plus réalisé ! De moins en moins d'enfants peuvent bénéficier d'un suivi médical, d'où l'enjeu pour la médecine scolaire.

C'est une médecine particulière, qui nécessite de nombreuses compétences, et n'a jamais beaucoup attiré, ce qui peut conduire à s'interroger sur le type de recrutement. J'entends que plusieurs départements souhaiteraient expérimenter l'exercice de cette compétence, mais ne mettons pas demain en difficulté des élus qui ne satisferont pas aux besoins de la population. Quand il y a pénurie, on ne peut recruter, quel que soit l'échelon qui gère la compétence ! Mettons en place cette expérimentation, nous verrons bien dans cinq ans quel département voudra conserver cette compétence et si elle a été de nature à améliorer la situation.

M. Alain Marc- Cette proposition de loi est pertinente. Que tous les enfants soient examinés préventivement par des médecins et des infirmières scolaires est un facteur d'égalité sociale. Les départements peuvent jouer un rôle en la matière grâce à leurs propres médecins de PMI et leurs infirmières.

Qui, mieux que le département, une collectivité de proximité, pourrait conventionner avec des médecins libéraux pour que tous les enfants d'une zone soient vus dans un temps donné ? Il faudra préciser la mise en oeuvre opérationnelle de cette disposition. Cela fait quarante ans que le dispositif ne marche pas. Les parents qui emmènent régulièrement leur enfant chez un pédiatre ou un généraliste ne sont pas les mêmes que ceux qui ont des enfants qui rencontrent des problèmes - violences intrafamiliales, ou surpoids, qui est un problème touchant un nombre croissant d'enfants... Ces difficultés doivent être détectées et prises en charge le plus tôt possible.

Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi. - Je remercie le rapporteur et nos collègues pour leurs observations. Nous constatons un déficit de médecins partout. Cette expérimentation volontaire peut sembler être une fausse bonne réponse. Mais lisez le rapport de la Cour des comptes qui fait suite aux travaux que Mathieu Darnaud et moi-même avons conduits lors de l'examen de la loi 3DS. Le problème est fondé sur l'absence de médecins, mais pas seulement.

Selon la Cour des comptes, seulement 18 % des visites obligatoires de la sixième année sont réalisées. Le problème ne vient pas d'un déficit de moyens financiers - ceux qui sont alloués à l'éducation nationale ont été considérablement augmentés -, mais d'une organisation étrange : les infirmières peuvent dépendre du ministère de la santé et les médecins du ministère de l'éducation nationale. Se pose un problème d'articulation entre eux : lorsqu'un enfant entre au collège, les diagnostics passés ne sont pas pris en compte. Il faut optimiser l'organisation de la médecine scolaire.

La France a mis en oeuvre une politique pour la petite enfance et de prévention remarquable depuis des décennies, mais notre capacité à la poursuivre s'est réduite. La crise de la covid-19 a mis en avant des troubles psychologiques ou psychiatriques chez les enfants, ainsi que des violences intrafamiliales. On voulait que tous les enfants puissent être accompagnés par une infirmière, un psychologue ou un médecin pour détecter les signaux faibles, y compris les difficultés familiales. On le sait bien, selon les moyens de la famille, le suivi de santé psychologique et physique des enfants varie. Or pas un enfant ne doit passer sous les radars d'un diagnostic.

Le département détient une compétence en matière de PMI, et dispose de médecins et d'infirmières. Un enfant, qu'il soit en primaire, au collège ou au lycée, doit être suivi dans toute son évolution.

Le ministre de l'éducation nationale a déjà fort à faire avec les groupes de niveaux pour ne pas avoir à s'occuper de santé scolaire. L'expérimentation ne vise que des départements volontaires, qui auront un an pour s'accorder avec l'État sur les conditions, y compris financières, de l'expérimentation. Sans accord, il n'y aura pas d'expérimentation et à l'issue de celle-ci les départements qui souhaiteront conserver cette compétence pourront le faire. Telle est mon humble proposition, que le Sénat porte d'ailleurs depuis longtemps.

Mme Audrey Linkenheld- Merci à Françoise Gatel de son humilité et au rapporteur pour son travail. Pour une fois que Françoise Gatel avait accepté une demande de rapport dans la loi 3DS contre la jurisprudence constante du Sénat !

Mme Françoise Gatel. - L'exception confirme la règle...

Mme Audrey Linkenheld. - Je crois comprendre que vous n'avez pas reçu ce rapport sur la médecine scolaire... L'année dernière, le ministre Pap N'Diaye indiquait que sa publication était imminente. C'est bien dommage, car ce nouveau rapport nous aurait permis d'éclairer le débat et de répondre à nos questions, car le rapport de la Cour des comptes a été publié il y a quatre ans.

Une expérimentation n'est pas en soi une mauvaise chose, puisqu'elle met une idée à l'épreuve de la réalité du terrain. Toutefois, le vrai sujet est celui de la pénurie de médecins et des déserts médicaux. Autant on manque de plus en plus de médecins scolaires, autant le nombre d'infirmiers scolaires augmente.

Comment envisagez-vous que le département, qui certes gère les collèges, fasse le lien avec les établissements du premier degré, pour ce qui concerne la visite de la sixième année de l'enfant, mais aussi avec le lycée, une période où les adolescents sont plus fragiles ? En quoi le département pourrait-il faire mieux qu'actuellement ?

Quelle coordination prévoyez-vous avec les quelques villes délégataires de missions en matière de santé scolaire ? Certaines d'entre elles sont-elles situées dans des départements volontaires ?

Si l'expérimentation devait être concluante, avec un transfert de moyens suffisant, comment voyez-vous cette décentralisation à géométrie variable ? Y a-t-il d'autres exemples de compétences à géométrie variable ? Je m'interroge sur l'égalité d'accès aux soins dans le pays.

M. Guy Benarroche. - Merci d'avoir travaillé sur ce sujet important. Nous manquons de médecins scolaires, de médecins généralistes et de médecins du travail. Nous manquons de médecins à tous les niveaux où la médecine a une action de prévention en sus de son action curative. Cette pénurie de médecins scolaires pourrait-elle être comblée par des conventions avec des généralistes ? De toute façon, il n'y en a pas assez ! Disons que la répartition est inégale. Sont-ce les départements qui ont le plus de généralistes qui seront volontaires ?

On compte actuellement un médecin pour 12 000 enfants ; en réalité, 80 % des enfants ne voient jamais de médecin scolaire. Confier la compétence « médecine scolaire » aux départements est-il de nature à améliorer l'organisation de la médecine scolaire si aucun effort n'est fait pour revaloriser cette fonction ? C'est une utopie, mais toute expérimentation est toujours une bonne solution.

Au demeurant, certains syndicats enseignants semblent ne pas partager cette analyse. Les avez-vous interrogés ? Qu'en pensent les médecins scolaires et ceux de la PMI ? Les syndicats de médecins généralistes sont-ils prêts à signer des conventions avec la médecine scolaire ?

Vous avez souligné le risque d'inégalités territoriales, mais celles-ci existent déjà quant à la répartition des médecins scolaires. Si l'expérimentation est conclusive, comment fonctionnera le système ? Je n'y suis pas opposé par principe, mais cela ne risque-t-il pas d'attirer des médecins dans certains départements plutôt que dans d'autres ?

M. Olivier Bitz. - Nous touchons au problème général de la pénurie de médecins, qui ne sera pas résolu par ce texte. Toutefois, il est essentiel d'améliorer la coordination entre les différents services, étant donné que nous n'avons pas les moyens de recruter autant de médecins qu'il le faudrait.

J'attire votre attention sur la situation strasbourgeoise. Depuis 1902, un bureau d'hygiène scolaire dépend de la ville. Il faudrait généraliser cet exemple au niveau national. La ville de Strasbourg dispose également d'une délégation du conseil départemental sur la polyvalence de secteur et la PMI : au sein d'une collectivité, et donc d'une même direction administrative, sont regroupées la compétence PMI, la polyvalence de secteur et la médecine scolaire. Se développent donc nécessairement des coordinations naturelles et il est plus aisé de donner une impulsion à de grandes politiques de l'enfance, comme la lutte contre obésité, qui sont relayées dans ces trois domaines. Au-delà de la question des moyens, qui reste posée, il est fortement intéressant de regrouper des compétences.

M. Mathieu Darnaud. - Je remercie Françoise Gatel, ainsi que le rapporteur pour son excellent travail.

Je fais miens les propos de d'Olivier Bitz. Il est nécessaire de mettre de la cohérence au niveau territorial.

Nous sommes tous d'accord : il y a une pénurie de médecins dans nos territoires, autant en zone urbaine que rurale. Alain Marc estime que les médecins retraités peuvent aussi être une ressource humaine à mobiliser, notamment dans certains territoires ruraux - il a totalement raison.

Deux sujets m'interpellent, au premier rang desquels la décentralisation. Monsieur Benarroche, si nous faisons le retour d'expérience des transferts de compétences et de l'accélération de la décentralisation, rares sont les agents qui se plaignent du transfert et de la revalorisation des emplois.

Ensuite, nous avons voté ici, en urgence, sous l'impulsion du Gouvernement, une simplification du cadre juridique applicable aux expérimentations locales. Je me lamente de constater que nous ne recourons pas suffisamment à l'expérimentation, qui est le meilleur des juges de paix. Il aurait été intéressant d'avoir un rapport sur le sujet qui nous occupe, mais l'expérimentation permet de détecter réellement les difficultés. On ne crée pas de concurrence entre les territoires. En cas de pénurie, la collectivité peut, pour s'attacher les services d'un médecin, redoubler de moyens par rapport à la commune limitrophe... C'est un risque, mais faisons cette expérimentation pour juger de sa pertinence.

M. Hussein Bourgi. - Lorsque l'on est confronté à un problème, on a deux solutions : soit se désespérer et ne rien faire, soit prendre des mesures structurelles. Nous avons enfin agi en modifiant le numerus clausus, mais il faudra attendre dix ans pour que cette mesure produise des effets. Certains préfèrent ne pas agir au prétexte qu'il ne faut pas toucher au statut, à la pratique, même si elle n'est pas satisfaisante.

Françoise Gatel a le mérite d'apporter une réponse à un problème que nous constatons tous, en tant que membres des conseils d'administration de collèges, de lycées, voire, comme moi, d'universités - la médecine préventive est dans une situation catastrophique dans l'enseignement supérieur.

Je suis inquiet pour l'avenir. Il nous appartient d'être vigilants : des communes de mon département, notamment les grandes communes riches, vont salarier des médecins et faire de la surenchère avec le versement de primes. Cela a commencé avec les policiers municipaux : certaines équipes municipales, pour les attirer, ont versé des primes de déménagement, des primes de nuit, de week-end, etc., qui se cumulent. Désormais, les médecins salariés par les communes réclament eux aussi une prime de déménagement pour aller dix kilomètres plus loin...

Je suis favorable au transfert de la compétence « médecine scolaire » par le département, mais l'ADF doit veiller à ce que les présidents de département évitent l'engrenage de la surenchère financière entre les départements. Elle doit avoir un rôle de régulateur.

M. André Reichardt. - Je remercie Françoise Gatel et François Bonhomme, et je m'inscris dans la droite ligne des interventions d'Olivier Bitz et Mathieu Darnaud.

J'ai déposé deux propositions de loi visant à transférer des compétences à la Collectivité européenne d'Alsace, qui est un « département plus ». Je n'ai pas eu l'heur de les voir inscrites à l'ordre du jour de nos travaux. J'espère que de nouvelles compétences seront transférées aux départements, a fortiori à la Collectivité européenne d'Alsace.

Monsieur le président, quel est périmètre de cette proposition de loi au titre de l'article 45 de la Constitution ? J'aimerais déposer quelques amendements afin de transférer davantage de compétences aux collectivités territoriales et de renforcer la cohérence des compétences exercées. Actuellement, les départements financent le revenu de solidarité active (RSA) et l'aide sociale. Il ne serait pas complètement fou de penser à leur transférer la formation professionnelle, voire des compétences économiques de proximité ; c'est en lien avec la mission gouvernementale conduite par Éric Woerth. Toutefois, je crains que la montagne n'accouche d'une souris. Il importe que le Sénat et l'Assemblée nationale se mobilisent sur cette question.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Le Sénat a toujours défendu le recours aux expérimentations pour définir le bon niveau d'exercice d'une compétence.

Lors des auditions, notamment celle des infirmières scolaires, j'ai été surpris d'apprendre que le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), prévu par la loi 3DS, avait bien été publié, mais il ne nous avait pas été transmis...

Mme Audrey Linkenheld. - Pourrions-nous en disposer ?

M. François Bonhomme, rapporteur. - L'Igas craint a priori un démantèlement entre différents services - je le dis avec prudence, n'ayant pas encore lu l'intégralité de ce rapport.

En quoi le département serait-il plus efficace ?

Actuellement, la médecine scolaire est défaillante, et cette dégradation s'est accrue depuis la loi de 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, qui prévoyait trois visites médicales obligatoires à trois ans, six ans et douze ans.

Le personnel de santé scolaire est aussi affecté par cette situation : 45 % des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. L'objet de cette proposition de loi n'est pas de corriger ce problème, qui est d'une autre nature.

L'auteur de cette proposition de loi prévoit une expérimentation dans un cadre légal existant, fixé par l'article 72 de la Constitution, révisé par la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations locales. Ce cadre prévoit l'expérimentation, l'évaluation et éventuellement la généralisation du dispositif.

Monsieur Darnaud, la convention prévoira les conditions de fonctionnement entre autorité hiérarchique et autorité fonctionnelle. Une évaluation de l'expérimentation sera réalisée à mi-parcours ainsi que six mois avant la fin. Le cadre est donc bien formalisé.

Il y a une différence entre ce qui se passe entre les départements et ce qui se passe entre les communes, Monsieur Bourgi. Le problème tient surtout au recrutement des médecins scolaires. L'ampleur de l'enjeu est considérable, compte tenu des obligations de suivi des élèves, de signalement des handicaps et des troubles physiques ou physiques, de veille épidémiologique...

Le département est l'échelon adapté. La compétence « médecine scolaire » sera mieux exercée par les départements qui manifestent leur intention d'accepter cette expérimentation et d'y consacrer des moyens supplémentaires que par l'État, comme c'est le cas actuellement. Cela s'inscrit dans le droit fil de notre position sur les lois de décentralisation.

M. Christophe-André Frassa, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives au transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

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