TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. PASCAL CORMERY, PRÉSIDENT DE LA CAISSE CENTRALE DE LA MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE (CCMSA), ET DE MME CHRISTINE DECHESNE-CÉARD, DIRECTRICE DE LA RÉGLEMENTATION DE LA CCMSA

(Mercredi 6 mars 2024)

M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons ce matin M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), et Mme Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation du même établissement, afin d'échanger sur la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, dont je suis le premier signataire.

Je vous informe que la présente audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat ; elle sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

La semaine dernière a été bien particulière ; nous avons tous perçu le malaise des agriculteurs lors du salon de l'agriculture. Ce malaise vient de loin et possède des causes multiples. On peut citer notamment le montant moyen des retraites des agriculteurs non salariés à l'issue d'une vie de travail souvent difficile, et ce malgré les améliorations apportées par le législateur ces dernières années. Notre proposition de loi vise justement à préciser la manière dont la dernière de ces améliorations, à savoir le calcul du montant de la pension des travailleurs agricoles non salariés sur la base des vingt-cinq meilleures années, doit être appliquée.

Dans ce cadre, je vous invite, monsieur le président, madame la directrice, à nous préciser la situation des retraités du régime des travailleurs agricoles non salariés et à nous exposer votre vision sur ce texte, que nous examinerons la semaine prochaine.

M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole. - Le malaise agricole dépasse largement le seul problème des retraites. Il tient aussi à la surrèglementation, dont je peux aisément témoigner, étant moi-même producteur de viande bovine et porcine et de céréales dans le nord de l'Indre-et-Loire.

Le vrai sujet est celui du revenu agricole. Il ressort des déclarations fiscales que la moitié des 450 000 agriculteurs perçoivent un revenu inférieur à 20 000 euros. Le montant des pensions ne s'améliorera pas tant qu'on n'augmentera pas les revenus, quelle que soit l'évolution du régime de retraite.

C'est un euphémisme de dire que le régime de retraite des agriculteurs est complexe, entre la retraite forfaitaire, la retraite proportionnelle et la retraite complémentaire obligatoire (RCO). Il ne s'agit pas tant de réformer le système que d'améliorer le niveau moyen des pensions, qui s'établit aujourd'hui à 1 050 euros.

Pour 50 % des agriculteurs, la réforme visant à ne retenir que les vingt-cinq meilleures années ne changerait rien : ils continueraient de bénéficier des minima prévus par les lois du 3 juillet 2020 et du 17 décembre 2021, dites lois « Chassaigne 1 » et « Chassaigne 2 ». Les 225 000 agriculteurs percevant plus de 20 000 euros de revenus pourront éventuellement voir leur retraite augmenter grâce au critère des vingt-cinq meilleures années.

Je l'ai déjà dit au ministre de l'agriculture et j'aurai l'occasion de le lui rappeler ce soir : la CCMSA a été écartée des travaux de préfiguration de la réforme et n'a été sollicitée que pour de l'information, sans jamais être appelée à collaborer à la définition des paramètres de calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années et au rapport remis au Parlement. Je regrette profondément qu'un organisme de protection sociale comme le nôtre n'ait pas participé à l'élaboration de ce rapport.

Quelles qu'en soient les modalités, le scénario retenu par le Gouvernement fera toujours des perdants - Mme Deschesne-Ceard pourra vous le confirmer. Votre proposition de loi semble la seule qui permette aujourd'hui de réévaluer le montant des pensions, jusqu'à 190 euros dans certains cas. Ce n'est pas une amélioration phénoménale, mais il s'agit tout de même d'une progression bien réelle.

C'est la raison pour laquelle il faut avant tout revenir au problème des revenus agricoles. Je ne saurais trop insister : les pensions ne progresseront pas tant que nous n'améliorerons pas les revenus.

La RCO, mise en place en 2004, permet certes d'augmenter le montant des retraites. Mais, sans vouloir rejeter la faute sur les gouvernements successifs, elle n'a cessé d'être dévoyée. Certes, les pensions ont été réévaluées grâce à l'attribution de points gratuits aux agriculteurs déjà retraités. Mais dans la vie, il n'y a rien de gratuit : il faut bien que quelqu'un finisse par payer, en l'occurrence l'État.

Votre proposition de loi me semble donc la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions, tout en respectant l'échéance du 1er janvier 2026 fixée par la loi.

On reproche à la CCMSA de ne pas disposer de l'historique des revenus des cotisants au-delà des huit dernières années. Mais c'est parce que la réglementation nous l'interdisait depuis le passage d'une assiette assise sur la surface exploitée à une assiette correspondant aux revenus professionnels en 1990.

Je terminerai en rappelant deux éléments. Premièrement, depuis l'annonce de la réforme, nous n'avons été que fournisseurs d'informations et à aucun moment nous n'avons été acteurs de l'élaboration du rapport gouvernemental - c'est vraiment surprenant, et je m'efforce de rester politiquement correct ! Deuxièmement, notre système informatique fonctionne et il ne coûte pas très cher en termes de moyens. Dès lors que nous connaissons les paramètres à appliquer, nous pouvons immédiatement préparer la mise en oeuvre de la réforme.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Nous avons poussé le Gouvernement à nous remettre son rapport, ce qu'il n'a fait que très tardivement. Le scénario qui semble être retenu à ce jour est celui d'un calcul des pensions sur la base d'un système par points pour la partie de carrière antérieure à 2016 et d'un système par annuités pour la partie de carrière postérieure à 2015, avec un passage au minimum contributif et à la liquidation unique des régimes alignés.

Le Gouvernement néglige aujourd'hui notre proposition de loi. Le Premier ministre a d'ailleurs annoncé reporter la définition des modalités de la réforme à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.

Quel regard portez-vous donc sur le scénario privilégié par le Gouvernement ? Pensez-vous qu'il puisse être amélioré pour ne pas faire de perdants, comme nous y veillons au travers de notre proposition de loi ? La loi prévoit une mise en oeuvre au 1er janvier 2026. Si les choses tardent à se dessiner, la CCMSA parviendra-t-elle à tenir les délais, sachant que d'autres réformes risquent d'être engagées par la suite ?

Notre proposition de loi prévoit de conserver un régime par points permettant le calcul des pensions agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années. Un tel scénario est-il à même de répondre à la détresse du monde agricole ? Les attentes sur le mode de calcul des pensions sont grandes, notamment chez les jeunes agriculteurs et ceux qui souhaitent transmettre leur exploitation avec l'espoir de percevoir une retraite convenable.

Par ailleurs, vous semble-t-il conforme à l'esprit de la loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base de non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, dite loi « Dive » ?

Le rapport remis par Yann-Gaël Amghar en 2012 estimait le coût d'une réforme semblable à celle que nous proposons à 472 millions d'euros au terme d'une trentaine d'années de mise en oeuvre. Le gain qu'en tireraient les non-salariés serait d'un peu moins de cinquante euros par mois en moyenne. Ces projections vous semblent-elles devoir être actualisées en regard des évolutions, notamment des multiples revalorisations des minima de pensions intervenues depuis 2012 ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la fusion de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle prévue par le texte ?

Le critère des vingt-cinq meilleures années n'est pas du tout neutre : en effet, en raison du réchauffement climatique, les récoltes ne sont plus linéaires, y compris au sein d'un même département - du nord au sud, les rendements peuvent être totalement différents. Il est donc primordial d'écarter les mauvaises années pour le calcul de la pension de retraite des agriculteurs.

M. Pascal Cormery. - Nous n'avons pas été consultés dans le cadre de la préparation du rapport et le fait que celui-ci ne tienne pas compte des spécificités, notre système d'information complique déjà la mise en oeuvre de la réforme. Nous utilisons nos outils et nos données ; en les négligeant, on retarde la mise en place des mesures. Autre difficulté, je vous le dis clairement : si nous n'obtenons pas de moyens supplémentaires dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG), nous serons incapables de tenir le délai.

Il est vrai que le monde agricole attend la prise en compte des vingt-cinq meilleures années, mais nous savons bien que lorsque nous annoncerons, demain, une augmentation de 100 euros en moyenne, personne ne sera pleinement satisfait.

Je ne dispose pas d'expertise sur le sujet de la fusion des retraites forfaitaire et proportionnelle. Il faudrait sans doute simplifier le système... Il me semble que le taux de rendement de la retraite forfaitaire est élevé, même si son montant ne s'élève qu'à 300 euros, environ. Sans expertise sur l'incidence d'une telle évolution, je n'ai pas d'opinion particulière, mais une réforme de cet ordre requerrait de modifier certains critères : si nous retirons 300 euros de forfait, comment devrons-nous le répercuter sur la pension globale ?

Mme Christine Dechesne-Ceard, directrice de la réglementation de la CCMSA. - La position de la MSA était plus proche de la proposition de loi actuelle que des derniers scénarios du rapport, notamment le scénario 4C. Différentes hypothèses sont à l'étude, mais nous ne participons pas à ces travaux, nous n'en sommes que spectateurs, dans la mesure où il revient à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) de réaliser les projections. Dans ce processus, aucune solution n'a été trouvée qui ne fasse pas de perdants ; dans la plus favorable, ceux-ci sont encore 7 %.

La MSA entendait respecter l'esprit de la loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, et donc rester sur un système de points. Mais si nous obtenions des moyens nous permettant de moderniser notre système d'information, nous pourrions calculer les pensions sur la base des revenus.

À votre demande, nous avons réalisé des chiffrages afin d'évaluer les différents gains possibles pour trois tranches de revenus. Il en ressort que votre proposition ne fait pas de perdant. Pour autant, ceux qui ont faiblement cotisé lors de leur carrière ne verront pas d'amélioration et, grâce aux minima de pension, ne subiront pas de perte non plus. Si la cotisation a été moyenne, le gain sera limité à 30 euros ; il atteindra au maximum 190 euros, avec une moyenne entre 100 euros et 120 euros, selon les schémas, si le barème d'attribution des points n'est pas modifié. Vous proposez de fusionner retraites proportionnelle et forfaitaire, mais cela impliquerait de redéfinir les barèmes et de faire évoluer la tranche à 30 points.

Modifier l'architecture du système implique de retarder l'entrée en vigueur de la réforme, car il nous faudra alors étudier tous les effets de bord. Du reste, notre système d'information n'a pas changé depuis plusieurs années parce que nous n'avons pas obtenu les ressources nécessaires à cet effet. En revanche, si l'on s'en tient à votre proposition, nous serons au rendez-vous en 2026. Nous sommes donc sur la même ligne que vous, qui nous semble être la plus adaptée en vue d'une mise en oeuvre dès cette date. Pour autant, si nous devions évoluer en passant à un calcul sur la base des revenus, nous ne pourrions le faire avant 2028.

Mme Monique Lubin. - J'ai lu que la contribution des agriculteurs au financement de leur retraite n'était que de 20 %. Confirmez-vous ce niveau ? Monsieur le président, vous évaluiez les revenus des agriculteurs à 20 000 euros en moyenne, ce chiffre inclut-il les pluriactifs, qui bénéficient de revenus annexes ?

Concernant la proposition de loi, le Gouvernement semble avoir écarté la solution préconisée par nos collègues auteurs de cette proposition de loi et que la MSA soutient. Quelle est votre vision des choses à ce sujet ?

Sur la question de la retraite agricole en général, vous avez indiqué, monsieur le président, que celle-ci devait s'appuyer sur le montant des revenus dégagés sur toute une carrière, ce qui va de soi. Ne faudrait-il pas, dès lors, revoir enfin une fois pour toutes l'ensemble du système, plutôt que de procéder par des évolutions limitées successives, dont chacune complexifie un peu plus une situation déjà très opaque, sans pour autant régler les problèmes de fond ?

Nous sommes attachés à la loi « Chassaigne 1 », mais certains de ses bénéficiaires ont souffert du fait que les conjoints collaborateurs en étaient exclus. Nous avons ensuite voté un nouveau texte, la loi « Chassaigne 2 ». La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui laisse entrevoir de nouveaux problèmes : elle ne ferait pas de perdants, mais améliorerait modestement les pensions. Chacune de nos propositions semble donc nourrir des illusions chez les agriculteurs ; il faut tout remettre à plat.

À quelle catégorie et à quelle strate de revenus appartiennent les agriculteurs qui pourraient prétendre à une augmentation de 190 euros ? Je comprends bien que les plus hauts revenus attendent des améliorations, mais c'est aussi le cas des autres. Dès lors, comment faire ? Quand remettrons-nous à plat l'ensemble du régime de retraite des non-salariés agricoles.

Mme Nadia Sollogoub. - Vous avez raison, les effets d'annonce suscitent de l'espoir puis provoquent des frustrations : l'annonce de l'augmentation des retraites agricoles était sans doute exagérée, d'autant que celle-ci était accompagnée d'un plafond de revenus. Ainsi, la pension globale atteignait les 85 % du Smic, l'agriculteur concerné ne bénéficiait d'aucune augmentation. Nous avons tous reçu des coups de téléphone de bénéficiaires qui ne comprenaient pas pourquoi leur retraite ne changeait pas. Entre les annonces, le texte, son interprétation par Bercy, et l'adoption de décrets d'application restrictifs, les causes de frustrations sont nombreuses. Je m'attends déjà à la déception qui va suivre nos travaux sur ce texte...

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous plaidons depuis longtemps pour une refonte globale du système de retraite agricole : texte après texte, la colère des agriculteurs perdure, notamment sur la question des revenus, qui déterminent la retraite. Ils travaillent énormément, ne prennent que très peu de congés et reçoivent finalement des retraites que je considère comme indécentes. Je le constate régulièrement dans mon département du Pas-de-Calais, dans lequel les petites exploitations sont nombreuses.

En 2020, les lois Chassaigne ont permis de revaloriser certaines retraites en augmentant les minima de pension mais la majorité gouvernementale a prévu un seuil d'écrêtement pénalisant les polypensionnés, contre notre avis. Or les agriculteurs exercent parfois deux métiers, afin de compléter leurs revenus, et il en va de même de leurs épouses. Aujourd'hui, nous devons aller beaucoup plus loin, car nous procédons par une succession de petits textes au lieu de travailler sur un texte global traitant la problématique dans sa globalité.

Vous avez indiqué que vous ne tiendriez pas sans moyens supplémentaires. Que se passera-t-il alors ? Comment ferons-nous ? De quels moyens avez-vous besoin pour éviter cela ?

M. Pascal Cormery. - Lors des manifestations, un certain nombre de critiques ont été exprimées, y compris à l'encontre de la CCMSA, et plus largement de la sécurité sociale, sur deux points essentiels : les retraites et la qualité de service fourni aux exploitants agricoles. Il y a quelques années, nous avions résolu le même type de problème avec les employeurs de main-d'oeuvre en mettant en place des numéros de téléphone dédiés, qui permettaient d'apporter une réponse immédiate aux questions posées. Nous souhaiterions faire de même pour les exploitants agricoles. Toutefois, je rappelle que, depuis quinze ans, on compte 3 550 salariés en moins à la MSA et que la réglementation devient de plus en plus complexe.

Les difficultés se sont multipliées récemment tant pour la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) que pour la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Que vont devenir les opérateurs de la sécurité sociale compte tenu du manque de moyens croissant ? C'est une question à laquelle l'État doit répondre.

Le montant des cotisations versées reste faible par rapport aux charges du régime, le principe étant que chacun cotise à hauteur de ses moyens. Il faut y réfléchir. Je ne suis pas législateur et je ne crois pas au grand soir. Tant que l'on n'aura pas résolu le problème des revenus, la situation ne s'améliorera pas et la charge publique risque de s'alourdir.

La revalorisation des retraites agricoles que prévoient les deux lois Chassaigne est limitée pour les polypensionnés, ce qui a donné lieu à des incompréhensions. Moi-même, par exemple, je suis polypensionné et je perçois moins de 1 050 euros sur ma retraite d'exploitant. Toutefois, je ne bénéficie pas de la revalorisation, car ma pension globale excède le plafond. Nos plateformes téléphoniques ont été embolisées sur le sujet. Il faut donc faire attention aux effets d'annonce.

En ce qui concerne la situation des conjoints, la profession agricole doit accepter qu'il n'y ait plus de sous-statuts ou qu'ils soient limités le plus possible dans le temps. Nous ne pouvons prétendre avoir de bonnes retraites et refuser de donner aux conjoints un statut qui leur permettra de cotiser.

En outre, une partie de la profession peine à accepter les cotisations. Comme enseignant, j'ai eu l'occasion de discuter avec les représentants des établissements publics et privés : le sujet n'est jamais abordé dans les formations dispensées. Pourtant, les dépenses de sécurité sociale représentent 33 % du PIB : comment ne pas faire figurer le sujet dans la formation préparatoire au baccalauréat professionnel ?

La profession agricole doit contribuer à sa protection sociale. Je rappelle que ceux dont le revenu est inférieur à 10 000 euros ne paient pas de cotisations d'assurance maladie. Il faudrait davantage de pédagogie dans les organisations agricoles. Le mouvement agricole m'interpelle sur cette méconnaissance du système. La plupart des agriculteurs ne savent pas que 17 % du montant de leurs cotisations sont destinées à la retraite.

Il est essentiel de développer l'information. En effet, la retraite ne consiste pas uniquement à percevoir des sommes sonnantes et trébuchantes. Chacun peut aussi prévoir de devenir propriétaire et déterminer ensuite la somme avec laquelle il pourra vivre. Cela incite à mener une réflexion sur la transmission. La réforme des retraites ne pourra se faire que palier par palier.

Aujourd'hui, quand un agriculteur à l'âge de la retraite souhaite vendre son exploitation, le montant de la reprise est souvent plus élevé que ce que représente la réalité économique de l'entreprise, ce qui contribue à limiter l'installation des jeunes agriculteurs et à favoriser la reprise par agrandissement.

La difficulté reste de savoir si nous voulons garder une forme d'agriculture familiale propre à notre pays. Les propriétaires de petites exploitations participent à l'aménagement du territoire et à la production : ils doivent donc pouvoir bénéficier d'une retraite correcte. La France compte 450 000 agriculteurs et sans doute autant de petites exploitations, dont les situations sont très diverses d'un territoire à l'autre.

Mme Christine Dechesne-Ceard. - Le calcul des pensions du régime agricole se fait en points. Le régime général, lui, les calcule sur la base du revenu. Il s'agit aujourd'hui de retenir, pour le régime agricole, les vingt-cinq meilleures années, afin de tenir compte des variations de cotisations d'une année sur l'autre dans le cadre d'un régime par points.

Faut-il tout remettre à plat ? Peut-être, mais certainement pas pour 2026. Pour tenir le calendrier, il faudra choisir le scénario le plus simple possible.

Les travaux sont déjà engagés pour la révision du système de cotisation. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a prévu la refonte de l'assiette sociale des indépendants. Pour les travailleurs non salariés agricoles, la mise en oeuvre interviendra en 2025 et, pour les non-salariés agricoles, en 2026, afin de tenir compte des spécificités du secteur.

Sur l'efficacité des revalorisations, les déceptions sont réelles à la suite des deux lois « Chassaigne ». Toutefois, la première prévoit en moyenne 120 euros de revalorisation et la deuxième 50 euros. La réforme des retraites de 2023 a également prévu une revalorisation de la pension majorée de référence (PMR) de 100 euros. Toutefois, du fait de l'écrêtement, ses effets sont restés limités, ce qui a créé une certaine déception. Le système actuel a besoin d'une meilleure lisibilité, ce que permettrait sa remise à plat à terme.

Pour autant, ni le passage aux vingt-cinq meilleures années, ni le scénario 4C, ni même une remise à plat ne sauraient garantir que les plus petites retraites augmenteraient demain. Pour la MSA, ce qui compte le plus, c'est l'amélioration des petites retraites, quel que soit le système retenu ; or nos cotisants nous disent qu'ils veulent vivre non pas de la solidarité, mais de leurs revenus, qui doivent leur assurer une retraite digne.

Mme Guylène Pantel. - Je souhaiterais que vous nous apportiez quelques précisions sur l'offre de services de la MSA à ses assurés. Avez-vous engagé des actions visant à sanctuariser la possibilité de rectifier le relevé de carrière ? La Cour des comptes a mis en évidence un nombre élevé d'erreurs financières affectant le niveau des pensions de retraite nouvellement attribuées.

Par ailleurs, nos concitoyens ne sont jamais mieux conseillés que par des agents présents et disponibles à un guichet. Comment orientez-vous votre politique de ressources humaines pour mieux accompagner vos assurés en matière de retraites ? Les services de proximité sont essentiels dans les territoires ruraux, voire hyperruraux, comme la Lozère.

Mme Chantal Deseyne. - Merci pour votre franchise, monsieur Cormery.

Je veux vous alerter sur la situation des exploitants agricoles dont les cotisations sont très élevées, à proportion du revenu de leur exploitation, mais dont les points sont plafonnés, de sorte que leur pension ne peut guère dépasser 1 900 euros. Certes, je souhaite que tous les agriculteurs aient une retraite décente, mais toute cotisation doit ouvrir des droits et la solidarité a ses limites : je ne puis admettre que certains agriculteurs refusent de cotiser, ou de salarier leur épouse, pour ensuite exprimer des revendications de statut et de retraite !

Mme Élisabeth Doineau. - Merci pour votre discours de vérité. Il n'est généralement pas possible de satisfaire tout le monde, mais il faut aboutir à ce que le ressenti de justice sociale soit le plus élevé possible : chacun contribue, pour ensuite recevoir selon ses besoins. Alors, serait-ce un tabou que de faire entrer les agriculteurs dans le régime général, comme on l'a fait pour les indépendants au 1er janvier 2020 ? Je n'y suis pas forcément favorable, mais on peut y réfléchir.

Je m'interroge aussi sur l'évolution des comportements des agriculteurs. Vous avez dû le noter : plutôt que de cotiser davantage, beaucoup choisissent d'investir, en particulier dans l'immobilier, pour se ménager un revenu à l'avenir. Peut-être vos études ont-elles montré que les placements ainsi effectués par les agriculteurs ont diminué avec le temps, au vu notamment du coût de l'entretien de l'outil de travail. Avez-vous relevé de telles évolutions ?

Mme Catherine Conconne. - Je voudrais vous interroger sur la situation très particulière de l'outre-mer, où la mise en place des lois sociales est beaucoup plus tardive et moins transparente que dans l'Hexagone. Ces territoires comptent beaucoup de petites exploitations, où l'on travaille dans des conditions difficiles pour des revenus très faibles au regard du coût de la vie.

Je me suis adressé voilà six mois à la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) de mon territoire quant à l'application des lois « Chassaigne 1 et 2 » et leur effet sur le revenu des agriculteurs, mais je n'ai toujours pas obtenu de réponse. Cette caisse a souffert d'une instabilité de son équipe de direction ces dernières années ; cette lenteur à répondre n'est pas rassurante. Nous ne sommes pas des Français entièrement à part ; nous sommes des Français à part entière !

Mme Florence Lassarade. - En Gironde, département qui a subi de graves crises viticoles, je regrette la diminution du nombre d'interlocuteurs de la MSA auprès des agriculteurs. Ces derniers ne sont pas tous capables d'utiliser l'outil informatique ; beaucoup voient dans le système actuel un mur infranchissable et ne peuvent obtenir de réponses, notamment aux questions relatives à leurs revenus fonciers, sur lesquels ils comptent pour compenser la faiblesse de leurs pensions mais qui, parfois, les empêchent d'en bénéficier.

Ils m'interrogent sur la taxation des revenus fonciers, sur une possible évolution du taux de 17,2 %, me demandent pourquoi la retraite de base agricole n'est pas alignée sur le Smic... En outre, ceux qui sont déjà à la retraite regrettent que les réformes négligent de reconsidérer leur cas, alors que leurs besoins vont croissant. On constate un grand désespoir chez nombre d'agriculteurs.

M. Daniel Chasseing. - Dans l'élevage, secteur qui souffre d'aléas sanitaires, les revenus sont très bas. Entre le Limousin et le Massif central, il y a toute une zone où l'on ne peut pas pratiquer d'autres types d'agriculture, plus rentables. Pour préserver une agriculture familiale, il faut absolument que des jeunes s'installent, mais la transmission est trop taxée et les prêts à taux zéro insuffisants. Nombre d'agriculteurs continuent de travailler plutôt que de prendre leur retraite, parce qu'ils ne trouvent pas de repreneur. Surtout, les jeunes demandent à ce que les cotisations n'augmentent pas. Certes, celles-ci sont nécessaires, mais ne faudrait-il pas que la solidarité nationale intervienne pour permettre aux éleveurs, indispensables pour l'aménagement du territoire, d'avoir des retraites correctes sans cotisations exorbitantes ?

M. Pascal Cormery. - Je pourrai vous transmettre un tableau où figurent les montants des cotisations des agriculteurs en fonction de leurs revenus. Entre 5 000 et 50 000 euros de revenus annuels, ils paient entre 2 800 et 16 100 euros de cotisations. Mais la facture comprend aussi la CSG, la CRDS et les diverses cotisations conventionnelles, destinées aux différents opérateurs pour qui le recours à notre système informatique est financièrement intéressant ; les cotisations sont une part importante de ce que paient les agriculteurs, mais pas la totalité.

Monsieur Chasseing, les cotisations des jeunes agriculteurs sont prises en charge pendant les cinq premières années. On pourrait réfléchir à une prise en charge qui soit plus importante la cinquième année que la première, où d'autres avantages sont offerts.

Madame Lassarade, madame Pantel, la relation du monde agricole à la MSA, c'est souvent : « Je t'aime, moi non plus » ! Les gens rouspètent, mais sont bien contents de nous trouver. Nous sommes la seule organisation de protection sociale à avoir 250 agences, réparties dans l'ensemble des départements, auxquelles s'ajoutent 82 espaces labellisés France Services que nous gérons. Ces agences ont un personnel qualifié, des conseillers en protection sociale qui peuvent apporter des réponses réelles à des questions complexes. Malgré la baisse des moyens et des effectifs, nous avons maintenu cette présence locale permanente.

Madame Doineau, vous demandez s'il faudrait faire entrer les agriculteurs dans le régime général. L'alignement sur ce régime pénaliserait les bénéficiaires des pensions les plus faibles.

Le problème n'est pas seulement dans la méthode de calcul. Le choix d'un regroupement des opérateurs serait politique, mais il faut faire attention : l'opérateur unique n'est pas une garantie d'efficacité ou de solidarité et l'on risquerait de déshabiller les territoires ruraux, où nous sommes en mesure d'informer l'ensemble de la population, au-delà des seuls agriculteurs ; cette mission d'aide, d'information et d'animation est la nôtre depuis la création de la MSA.

Vous demandez également si nous connaissons les revenus non agricoles, notamment immobiliers, de nos adhérents : non. Chacun est libre de ses activités ; en tant qu'organisme de protection sociale, nous connaissons uniquement les revenus professionnels agricoles. Seule l'administration fiscale dispose de telles informations.

Madame Deseyne, le plafond des cotisations se situe autour de 50 000 euros de revenu déclaré, lequel permet l'attribution de 114 points. Au-delà de ce revenu, les cotisations supplémentaires participent à la solidarité sans donner droit à des points supplémentaires. Le plancher, avec quatre trimestres travaillés sans revenu, est quant à lui fixé à 23 points. Nous avions proposé de réfléchir à un déplafonnement, notamment pour mieux prendre en considération les variations considérables du revenu des exploitants agricoles d'une année sur l'autre. En 2015, mon exploitation a souffert de la crise porcine ; nous avons subi une perte nette de 80 000 euros : en l'absence de trésorerie il aurait fallu emprunter pour pouvoir manger. En 2017, en revanche, le revenu a été de 120 000 euros. La variation peut être énorme, en fonction des conditions économiques et climatiques, pour les éleveurs comme pour les producteurs de blé ou d'autres encore. Le passage aux vingt-cinq meilleures années se justifie aussi de ce point de vue, car ce système permet de gommer les mauvaises années.

Moi, j'accepte de payer. À ceux qui prônent le libéralisme débridé, où chacun se débrouille, je réponds qu'ils ne se rendent pas compte : le coût de traitement d'un cancer est de 250 000 euros ; une prothèse de genou coûte entre 15 000 et 20 000 euros. Les 300 à 400 euros de dépassement d'honoraires que l'on paie parfois ne sont rien à côté. Revenons à la réalité. Je préfère payer pour l'assurance maladie toute ma vie et ne pas en avoir besoin. De même, je préfère cotiser pour la retraite - et si l'on cotise plus, on reçoit plus.

Mme Christine Dechesne-Céard. - Il y a toujours des systèmes d'écrêtement, pour les salariés aussi. Si l'on veut modifier d'un côté, par équité, il faudra modifier l'ensemble. Les grands paient pour les petits : c'est la solidarité.

L'ajustement en termes de taux de rendement et de contribution est aussi l'une des garanties qui permet à chacun de s'investir dans une forte contribution, pour en tirer un minimum de bénéfices.

Je ne suis pas certaine que la garantie d'une bonne retraite encourage les jeunes à choisir une profession plutôt qu'une autre. Pour autant, cela contribue à la sérénité au cours de la carrière.

L'intégration dans le régime général n'est pas taboue, mais il faudrait s'assurer que le taux de rendement reste le même, que les avantages actuels tels que les exonérations de cotisation pendant cinq ans perdurent et que les services de proximité soient maintenus. Nos assurés bénéficient de ceux-ci parce que nous leur offrons un guichet unique, pour les cinq branches.

Oui, le système de retraite est peu transparent. Il faut l'expliquer, accompagner les gens.

Les erreurs de calcul des pensions sont très rares. Dans un tel cas, nous demandons en général de ne pas réaliser de récupération, notamment sur les petites retraites. La solidarité est dans l'ADN de la MSA. Elle guide toutes nos actions.

Pour l'outre-mer, avec les CGSS, c'est un peu compliqué. Les transmissions avec le régime général ne se font pas toujours bien. Certains dysfonctionnements nous sont signalés longtemps après. Nous avons eu écho du non-versement de certaines pensions, mais nous ne sommes pas à la manoeuvre. Nous travaillons avec le régime général pour qu'a minima, les personnes concernées soient informées de l'existence des prestations.

M. Pascal Cormery. - J'invite Madame Lassarade à envoyer ceux qui ne maîtrisent pas l'outil informatique vers des agents. Certains technocrates préconisent de tout numériser, mais c'est impossible ! Il faut de l'humanité.

Certaines personnes âgées ne maîtrisent pas l'informatique, mais 120 000 jeunes sortent aussi chaque année du système scolaire en sachant tout juste lire et écrire. Ils sont incapables d'effectuer une démarche administrative.

Les services publics doivent impérativement être présents dans les territoires ruraux !

Les cotisations sociales représentent, pour les jeunes qui s'installent, le cadet de leurs soucis. Peu d'entreprises, en général, contestent l'existence des cotisations sociales. Dans le monde agricole, c'est parfois le cas. Il faut rappeler qu'elles servent à quelque chose : la protection sociale.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci beaucoup.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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