AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Alors que le Sénat aborde la troisième lecture de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, le rapporteur souhaite ici rappeler le caractère inédit de l'examen de ce texte. Il a, lors des deux premières lectures, fait l'objet d'une adoption par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement, mettant la majorité relative au Palais Bourbon en minorité sur les votes des amendements, des articles et de l'ensemble du texte.

Le sujet se prêtait à cette situation politique inédite : les choix des Gouvernements successifs depuis plus de dix ans concernant le groupe EDF témoignent d'une incapacité chronique à faire preuve de sérieux financier et à ne pas sacrifier l'avenir de l'entreprise au profit de politiques de court-terme. La dette du groupe EDF a atteint des niveaux records, sans que cette dernière ne fasse écho, comme on pourrait légitimement s'y attendre, aux investissements nécessaires pour répondre aux besoins d'électricité de notre pays : loin d'être imputable à une bonne dette qui nous projetterait vers l'avenir, la fragilité financière de l'entreprise EDF résulte en grande partie des choix d'un exécutif mauvais gestionnaire, qui a négligé, dans plusieurs décisions importantes, les comptes d'EDF. L'entreprise a par ailleurs eu du mal à développer une stratégie de développement de long terme, les gouvernements successifs ayant eu des positions parfois contradictoires sur la politique de l'énergie.

De plus, les risques de démembrement de l'entreprise ne sont pas seulement un mythe - le projet Hercule, qui visait à séparer certaines activités, a bien existé. Considérant qu'EDF devait demeurer une entreprise intégrée disposant d'une vision d'ensemble sur le système électrique, la représentation nationale s'est donc saisie du sujet.

Par ailleurs, compte tenu de la crise inédite des prix de l'énergie, et en particulier des prix de l'électricité, qu'a connu la France à compter de l'automne 2021, le texte a également été l'occasion de traiter de la question légitime de l'interdiction faite à une partie des toutes petites entreprises (TPE) et des petites communes d'accéder à la protection conférée par les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe), compte tenu uniquement du fait que leur compteur électrique dépasse la puissance de 36 kilovoltampères (kVA). Cette condition restrictive prévue dans le code de l'énergie n'est en rien exigée par le droit de l'Union européenne. Elle a conduit à exposer une part significative du tissu de nos TPE aux fluctuations insoutenables des marchés de gros de l'électricité, à travers leurs répercussions sur les contrats non régulés et commercialisés sur les marchés de détail.

Au début de l'année 2023, lors de ce que l'on a appelé la « crise des boulangers », la détresse manifestée par de nombreux petits entrepreneurs a mis en lumière cette injustice. Plusieurs mois auparavant, la commission de régulation de l'énergie (CRE) avait déjà alerté le Gouvernement sur cette impasse, sans que ce dernier ne daigne donner suite à cet avertissement prémonitoire, jusqu'à ce que soit finalement mis en oeuvre un dispositif de soutien improvisé en catastrophe, un « sur-amortisseur » créé par décret. Il s'ajoutait, telle une « greffe » mal ajustée, au mécanisme législatif d'« amortisseur » lui-même déjà d'une complexité rare.

Parler d'« usine à gaz » n'est qu'un euphémisme tant la superposition des mesures est alors devenue proprement illisible pour leurs bénéficiaires et très difficile à mettre en application pour les fournisseurs appelés à parer en urgence au défaut d'anticipation du Gouvernement. Le Parlement a alors pris ses responsabilités et a étendu l'éligibilité des TRVe à tous leurs bénéficiaires légitimes, sans limitation de puissance souscrite.

Le texte dont nous débattons en troisième lecture a fait l'objet d'un accord entre les députés et le Gouvernement sur le fond des dispositions qu'il contient. En effet, le Gouvernement s'est engagé à garantir la bonne application de l'ensemble des dispositions du texte, en contrepartie des évolutions qu'il a proposées. Par ailleurs, conformément à ses engagements devant les députés, le Gouvernement a demandé l'inscription du texte à l'ordre du jour du Sénat, alors que celui-ci avait jusqu'à présent été inscrit sur les niches des groupes minoritaires dans les deux assemblées.

Sur le fond, le texte adopté par l'Assemblée nationale correspond pour l'essentiel à ce qui a été proposé par le Sénat au cours des précédentes lectures. Il ne reste plus qu'un article en discussion, à savoir l'article 2, et le texte issu des travaux des deux assemblées retient en particulier des positions défendues par la commission des finances du Sénat :

- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;

- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était initialement remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;

- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;

- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;

- la mise en place d'un contrat décennal, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs ;

- la réécriture de l'article 3 bis pour en assurer l'opérationnalité technique et juridique en le recentrant sur l'extension des TRVe à l'ensemble des TPE, des petites communes et autres personnes morales employant moins de 10 personnes, pour un budget inférieur à 2 millions d'euros.

Ces éléments constituent aujourd'hui l'essentiel du texte voté par l'Assemblée nationale et le rapporteur ne peut que s'en féliciter.

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