N° 472

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Première lecture : 671, 808 et T.A. 78

Deuxième lecture : 1076, 1090 et T.A. 110

Troisième lecture : 2115, 2201 et T.A. 243

Première lecture : 341, 464, 465 et T.A. 90 (2022-2023)

Deuxième lecture : 579 (2022-2023), 247, 248 et T.A. 54 (2023-2024)

Troisième lecture : 370 et 473 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La commission des finances a été saisie de la proposition de loi n° 370 (2023-2024) visant à protéger le groupe EDF d'un démembrement, déposée à l'Assemblée nationale le 27 décembre 2022 par le député Philippe Brun. Réunie le 29 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, elle avait adopté en première lecture le texte avec modifications, sur le rapport de M. Gérard Longuet. En deuxième lecture, réunie à nouveau le 17 janvier 2024, la commission des finances a à nouveau adopté le texte avec modifications, sur le rapport de Mme Christine Lavarde.

La commission des finances a examiné la proposition de loi en troisième lecture le mercredi 27 mars 2024, et a adopté conforme le texte transmis.

En première lecture, la commission avait ainsi adopté cinq amendements :

l'amendement COM-4 a supprimé l'article 1er, qui visait à la nationalisation d'électricité de France, alors qu'une offre publique d'achat simplifiée était déjà en cours ;

l'amendement COM-5, sous amendé ( COM-9) par M. Victorin Lurel et le groupe socialiste, procède à la réécriture de l'article 2. En effet, plutôt que de figer les activités d'EDF en créant un groupe public unifié, il est proposé d'inscrire dans la loi la détention par l'État de l'entreprise, et de maintenir une part d'actionnariat salarié. Par ailleurs, l'amendement précise que l'activité d'EDF s'exerce conformément au code de l'énergie, et s'inscrit ainsi dans un corpus juridique complexe, issu du droit national et européen. Enfin, le sous-amendement vise à indiquer que la société anonyme est « d'intérêt national » ;

l'amendement COM-7 prévoit l'extension des tarifs réglementés de vente d'électricité (Torve) à l'ensemble des TPE et des petites communes sans considération de puissance électrique souscrite ;

l'amendement COM-8 supprime les gages prévus par l'auteur de la proposition de loi. En effet, la proposition n'ayant aucun coût pour les finances publiques, ceux-ci sont superflus.

En séance publique, le Sénat a adopté un amendement n° 19 du Gouvernement visant à ne pas contraindre l'État à mettre en place de l'actionnariat salarié, tout en lui laissant la possibilité de le faire.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale avait maintenu plusieurs modifications introduites par le Sénat en conservant :

- les suppressions des articles 1, 3 et 4, votées par le Sénat en première lecture ;

- à l'article 2, la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise EDF, et sa détention à 100 % par l'État ;

- à l'article 3 bis, la généralisation des TRVe à l'ensemble des TPE et des petites communes sans considération de la puissance électrique souscrite.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a procédé à d'importantes modifications aux articles 2 et 3 bis. Ainsi, elle a réintroduit à l'article 2 les dispositions relatives aux secteurs d'activité dans lesquels l'entreprise doit intervenir. À l'article 3 bis, l'Assemblée nationale a étendu les TRVe au-delà de ce que le droit de l'Union européenne permet.

L'article 3 ter, qui concerne une demande de rapport sur l'opportunité d'une nationalisation d'Électricité de Mayotte, n'a été modifié que marginalement par rapport à la version votée par le Sénat : seule la date de remise du rapport a été amendée.

En deuxième lecture, le Sénat était revenu à un texte proche de celui qu'il avait voté en première lecture avec :

l'amendement  COM-2, qui revient sur plusieurs des modifications introduites par l'Assemblée nationale à l'article 2 en deuxième lecture. La commission des finances a en effet souhaité remplacer la logique de contrainte qui a prévalu à l'Assemblée nationale, par une logique d'objectifs, fixés par la loi et qui devront être déclinés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise et EDF, révisée tous les trois ans ;

l'amendement COM-3, qui a rétabli, à l'article 3 bis, un périmètre des bénéficiaires des TRVe compatible avec le droit de l'Union européenne, à savoir une extension à l'ensemble des très petites entreprises (TPE) et des petites communes et autres personnes morales qui emploient moins de 10 personnes et disposent de moins de 2 millions d'euros de budget, sans considération de puissance de leur compteur électrique ;

en séance publique, les deux amendements n°  1 de M. Bilhac et n°  12 de M. Lurel ont néanmoins introduit une opération spécifique à destination des actionnaires salariés, dans des conditions précises, l'opération devant notamment porter sur au moins 2 % du capital de l'entreprise, et le prix ne pouvait être supérieur à 12 euros. Par ailleurs, un amendement n°  8 de M. Canévet avait prévu un plafond de 10 % d'actionnariat salarié au sein de l'entreprise.

En troisième lecture, l'Assemblée nationale a maintenu un texte très proche de celui proposé par le Sénat. Ainsi, en séance publique, elle a adopté conforme l'article 3 bis dans sa rédaction issue du Sénat. Elle a néanmoins adopté, concernant l'article 2 :

deux amendements des rapporteurs du texte MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, présentés comme des amendements rédactionnels. Or, l'un des amendements supprime la mention « pour une durée de dix ans », et fait ainsi naître une incertitude sur le caractère glissant du contrat (qui ne serait plus forcément prorogé pour durer 10 ans à chaque échéance), tandis que l'autre supprime les dispositions introduites en première lecture au Sénat, visant à rappeler que l'entreprise EDF exerce ses activités conformément au code de l'énergie, qui visait à rappeler le corpus juridique complexe dans lequel s'insère l'action de l'entreprise ;

deux amendements du Gouvernement, qui visent d'une part à supprimer l'opération d'actionnariat salarié prévue par le texte issu du Sénat au profit du maintien de la seule possibilité d'ouvrir le capital aux salariés et, d'autre part, à supprimer la disposition en vertu de laquelle le capital d'Enedis devait être intégralement détenu par EDF.

L'amendement qui supprime la mention « pour une durée de dix ans » nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait sans ambiguïté, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que seuls les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans. Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision.

Ainsi, la commission des finances a adopté sans modification le texte transmis au regard de la très grande proximité de celui-ci avec les positions du Sénat depuis la première lecture, mais un amendement sera déposé en séance publique afin que le Gouvernement précise sa lecture des dispositions issues de l'Assemblée nationale sur la durée du contrat.

I. DANS LE TEXTE INITIAL ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, L'ILLUSION D'UN RETOUR À LA NATIONALISATION DE 1946, AU RISQUE D'EMPÊCHER LES ÉVOLUTIONS INDISPENSABLES DE L'ENTREPRISE ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

A. LA NATIONALISATION D'EDF, UNE MESURE D'AFFICHAGE

Appliquant sur ce point le programme national de la résistance, l'article 1er de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 disposait que sont « nationalisés : la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation de l'électricité. » À cette occasion est créé « Électricité de France », établissement public industriel et commercial (EPIC) qui ne deviendra une société anonyme (SA) que bien plus tard, en 2005. La transformation de l'EPIC en société trouve alors plusieurs explications. D'abord, sur le fondement du cadre européen des aides d'État, la Commission européenne avait alors demandé à la France de supprimer « la garantie illimitée dont bénéficie EDF sur tous ses engagements en vertu de son statut d'EPIC »1(*) cette évolution permet d'écarter les risques liés au contentieux des aides d'État. Elle permet également à l'entreprise de diversifier les leviers de financement de l'entreprise, en lui ouvrant la possibilité d'augmentations de capital pour financer son développement. Enfin, le passage à une société anonyme émancipe EDF du principe de spécialité de l'EPIC et lui ouvre la faculté de diversifier son offre de services, à l'heure où la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité se développe.

Cependant, la santé financière de l'entreprise s'est très nettement dégradée depuis l'ouverture de son capital. Ainsi, en 2022, les activités de production et de commercialisation d'électricité d'EDF ont connu un EBITDA2(*) négatif de 23 milliards d'euros. D'après le rapport annuel de l'entreprise, « le recul de la production nucléaire, essentiellement lié aux contrôles et réparations de la corrosion sous contrainte, a un impact estimé à - 29,1 milliards d'euros en EBITDA ». L'endettement financier net d'EDF était de 64,5 milliards d'euros en fin d'exercice 2022. S'il s'est stabilisé en 2023, la situation du groupe n'en demeure pas moins fragile.

C'est dans le contexte de grande difficulté de 2022 que le Gouvernement a fait le choix d'engager une offre publique d'achat simplifiée (OPAS), portant sur les actions et obligations convertibles échangeables en actions nouvelles ou existantes (Oceane). Annoncée en juillet 2022, cette OPAS a été ouverte en novembre 2022, grâce au vote des crédits nécessaires en loi de finances rectificative pour 2022. D'après le Gouvernement « l'urgence climatique et la situation géopolitique imposent des décisions fortes pour assurer l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d'électricité »3(*).

En tout état de cause, l'OPAS qui était en cours rendait inutile la mention d'une nationalisation. En effet, hormis la dimension symbolique de l'opération, la mention d'une nationalisation était inutile dans son objet, et potentiellement nocive dans ses effets. Ainsi, si la présente proposition de loi était entrée en vigueur avant le terme de la procédure d'OPAS initiée par le Gouvernement et la procédure de retrait obligatoire, celle-ci n'aurait plus été conforme au procédé choisi par le législateur. Les dispositions initiales prévues par la présente proposition de loi auraient eu des conséquences très incertaines sur la procédure qui était alors en cours.

Ainsi, plutôt que de mettre inutilement en cause l'opération de marché, l'amendement COM-5 à l'article 2 adopté par la commission en première lecture permettait de garantir la détention par l'État d'EDF au 1er janvier 2024 sans imposer de moyen au Gouvernement. Parvenant ainsi au même résultat que l'article 1er, le Sénat a supprimé celui-ci en première lecture par l'adoption d'un amendement COM-4.

B. LA CRÉATION D'UN GROUPE PUBLIC UNIFIÉ ÉTAIT PORTEUSE DE DAVANTAGE D'INCERTITUDES QUE DE VÉRITABLES SOLUTIONS

Alors que le droit national et européen fixe des règles exigeantes en matière d'organisation du groupe EDF, la solution initialement retenue par la proposition de loi visant à définir les contours d'un « groupe public unifié » était très insatisfaisante.

En effet, il n'est aucunement souhaitable de rigidifier le cadre d'action d'EDF et d'interdire à l'entreprise de céder des participations dans l'ensemble de ses filiales intervenant dans « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [ou encore] la prestation de services énergétiques ». Cette énumération portait une contrainte disproportionnée sur les évolutions de l'entreprise : il est absolument vital pour EDF de pouvoir céder certaines de ses filiales, réaliser des montages capitalistiques pour accompagner la mise en oeuvre de projets d'infrastructures, ou encore retrouver des marges de manoeuvre financières pour garantir le financement d'une électricité bon marché et décarbonée dans une économie ouverte et compétitive.

Ainsi, l'amendement COM-5 adopté par la commission a prévu de maintenir EDF sous forme de société anonyme et d'augmenter le niveau minimal de détention par l'État dans l'entreprise EDF, de plus de 70 % à 100 %, afin de garantir l'intervention du Parlement en cas de projet de réouverture de son capital. Sans avoir pour objectif de figer définitivement la structure capitalistique d'EDF, la détermination par la loi d'une participation de l'État à hauteur de 100 % impose au Gouvernement de saisir le Parlement de toute nouvelle évolution de la participation publique au capital de la société.

L'amendement permettait également le maintien d'une part d'actionnaires salariés : il est nécessaire que l'État montre lui-même l'exemple en maintenant au sein d'EDF la possibilité pour les salariés d'être actionnaires de leur entreprise. De plus, la présence d'un actionnariat salarié pondère le rôle de l'État, dont les principales décisions depuis une décennie ont considérablement affaibli EDF.

Enfin, l'amendement a inscrit dans le texte que l'entreprise EDF doit exercer ses activités conformément aux dispositions du code de l'énergie. Plutôt qu'une énumération équivoque des activités d'EDF, cette disposition inscrit l'entreprise dans le corpus juridique développé et exigeant, issu du droit national et du droit de l'Union européenne. En particulier, l'organisation des filiales de transport et de distribution résulte d'un équilibre juridique complexe, permettant de garantir la structuration concurrentielle du marché. La proposition de loi, qui n'aborde pas la question essentielle de l'organisation du marché, faisait donc l'impasse sur le coeur du sujet et risquait uniquement de pénaliser l'entreprise publique. Enfin, le sous-amendement COM-9, adopté à l'initiative de M. Victorin Lurel et du groupe socialiste, a introduit une disposition suivant laquelle la société anonyme EDF est qualifiée « d'intérêt national ».

II. LA NÉCESSITÉ D'ÉTENDRE L'ÉLIGIBILITÉ DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE D'ÉLECTRICITÉ (TRVE) À L'ENSEMBLE DES TPE POUR LES PROTÉGER DES FLUCTUATIONS DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ

A. LES LEÇONS TIRÉES DE LA CRISE DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ IMPOSENT D'ÉLARGIR LES TRVE À L'ENSEMBLE DES TPE

Sans que cette condition soit requise par le droit de l'Union européenne, le bénéfice des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) est limité aux TPE et aux petites communes qui disposent d'un compteur électrique d'une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (kVA). Cette condition exclut notamment une grande majorité de boulangers, de restaurateurs, de fleuristes et d'autres secteurs économiques dont les activités supposent une forte consommation d'électricité. Ces TPE non éligibles aux TRVe sont bien souvent celles qui animent la vie locale de proximité. Elles jouent un rôle fondamental de lien social et contribuent très directement à l'intérêt général. Les boulangers en sont l'archétype.

Les TPE non éligibles aux TRVe et, par voie de conséquence, à la protection apportée par le bouclier tarifaire, ont été fortement exposées à la hausse des prix de l'électricité, en particulier celles qui ont dû renouveler leur contrat en 2022. Pour elles, le dispositif de « sur-amortisseur », décidé en urgence en février 2023, leur a garanti un prix ne pouvant dépasser 280 euros/MWh en moyenne sur l'année 2023.

Il convient de tirer les leçons de cette crise en protégeant de façon structurelle l'ensemble des TPE des fluctuations intempestives des marchés européens de l'énergie. Pour ce faire, l'amendement COM-7 adopté par la commission en première lecture a proposé d'étendre de façon pérenne l'éligibilité des TRVe à l'ensemble des TPE en supprimant la condition limitative relative à la puissance d'électricité souscrite dans leur contrat. L'intérêt de cette évolution est partagé tant par la CRE que par EDF. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas suivi les conseils du régulateur de l'énergie qui, dès l'automne 2022, lui avait suggéré cette solution. Si cette extension avait été anticipée, de nombreuses TPE n'auraient pas été si exposées à la crise des prix de l'électricité et les mesures improvisées en urgence n'auraient pas été nécessaires.

B. INOPÉRANTES ET JURIDIQUEMENT PROBLÉMATIQUES, PLUSIEURS DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 3 BIS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE ONT ÉTÉ ÉCARTÉES PAR LE SÉNAT

Dans sa version issue de son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, l'article 3 bis présentait plusieurs difficultés d'ordre juridique que l'amendement COM-7 adopté par la commission entendait résoudre :

- premièrement, l'extension, même pour la seule année 2023, du bénéfice des TRVe à l'ensemble des entreprises jusqu'aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) était contraire au droit de l'Union européenne et ne pouvait être appliquée ;

- deuxièmement, la disposition qui prévoyait que les offres aux TRVe devraient se substituer aux contrats en cours pouvait être frappée d'inconstitutionnalité en ce qu'elle aurait porté une atteinte disproportionnée au principe de liberté contractuelle. En toute hypothèse, cette disposition aurait fait l'objet de contentieux et les fournisseurs se seraient vu allouer des indemnités par les consommateurs ou par la puissance publique.

Par ailleurs, cette disposition n'était pas opérationnelle puisque, d'une part la construction par la CRE des nouveaux TRVe prendrait plusieurs mois et, d'autre part, à court terme, sans application du bouclier tarifaire, ces nouveaux TRVe n'auraient pas été plus intéressants que les dispositifs d'aide existants.

- troisièmement, l'article prévoyait que l'ensemble des fournisseurs d'électricité, et non plus seulement EDF et les entreprises locales de distribution (ELD), proposent des TRVe. Cette mission, qui s'accompagne d'obligations de service public prévues par l'article 121-5 du code de l'énergie, comme celle de jouer le rôle de fournisseur en dernier ressort, ne peut pas être imposée à l'ensemble des fournisseurs.

III. EN SÉANCE

Lors de la séance publique de la première lecture, le Sénat a adopté un amendement  n° 19 du Gouvernement visant à ne pas contraindre l'entreprise à mettre en place de l'actionnariat salarié, tout en maintenant la possibilité de le faire.

IV. LA SUITE DE LA NAVETTE : EN DEUXIÈME LECTURE L'ASSEMBLÉE NATIONALE A FAIT PEU DE CAS DES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR LE SÉNAT

En deuxième lecture, même si elle a maintenu les suppressions des articles 1er, 3 et 4 votées par le Sénat, l'Assemblée nationale est revenue sur de nombreuses modifications qui avaient été adoptées par lui en première lecture, afin de rétablir des dispositions qui figuraient dans le texte initial.

Ainsi, lors de l'examen du texte en commission des finances de l'Assemblée nationale, l'article 2 a été modifié à l'initiative des co-rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, pour intégrer une liste d'activités : « le groupe Électricité de France assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. »

Ainsi, d'après le rapport sur le texte fait au nom de la commission des finances en deuxième lecture, l'amendement des rapporteurs réintroduit une liste « explicitement non-limitative, des missions devant être assurées par EDF ou par ses filiales, en raison de leur caractère stratégique pour le service public de l'électricité, dans le but d'éviter que ces activités soient totalement privatisées. »

Par ailleurs, un amendement de séance du rapporteur du texte, M. Philippe Brun, a introduit des dispositions visant à rendre obligatoire l'actionnariat salarié. Ainsi, en application des dispositions du présent article, une opération d'ouverture du capital, portant au minimum sur 1,50 % du capital de l'entreprise, devrait être réalisé en faveur des salariés et anciens salariés qui détenaient des actions dans l'entreprise le 22 novembre 2022, le prix initial ne pouvant être supérieur à 12 euros, et un rabais spécifique devant être proposé « si les salariés s'engagent à une période de détention minimum de deux ans. »

Dans sa rédaction issue de la première lecture au Sénat, l'article 3 bis relatif à l'éligibilité aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) n'avait pas été modifié par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Cependant, plusieurs amendements avaient par la suite été adoptés en séance publique pour élargir le périmètre d'éligibilité des TRVe au-delà des seules TPE (élargissement adopté par le Sénat en première lecture).

Trois amendements avaient ainsi été adoptés pour étendre l'éligibilité des TRVe aux PME, aux collectivités territoriales de moins de 50 000 habitants ainsi qu'à l'ensemble des organismes d'habitations à loyer modéré (HLM).

V. LE SÉNAT EN DEUXIÈME LECTURE : DONNER À EDF LES MOYENS D'ATTEINDRE SES OBJECTIFS, ET ÉTENDRE LES TRVE À TOUTES LES TPE ET LES PETITES COMMUNES

À l'article 2, la commission des finances a adopté un premier amendement  COM-2 de Mme Christine Lavarde, rapporteur au nom de la commission des finances du Sénat, qui vise à prévoir dans la loi des objectifs pour l'entreprise « Électricité de France », qui devront être précisés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise, révisée tous les trois ans. En effet, la priorité de l'entreprise, désormais détenue à 100 % par l'État, doit être de fournir à tous les ménages et aux entreprises une électricité compétitive et décarbonée.

La direction de l'entreprise doit disposer des latitudes opérationnelles pour parvenir à ces objectifs. La signature d'un contrat décennal, revu tous les trois ans, entre l'entreprise et l'État actionnaire doit permettre de lui donner de la visibilité sur les orientations fixées par l'État actionnaire, et préciser la stratégie financière et d'investissement pour parvenir à ces objectifs.

Ce faisant, l'amendement supprime la liste des secteurs d'activité réintroduite par l'Assemblée nationale, afin de ne pas paralyser le groupe et permettre des évolutions dans les actifs détenus par EDF. L'amendement fixait néanmoins une limite à ces évolutions : l'entreprise Enedis.

Le capital de celle-ci, qui bénéficie d'un monopole naturel, avait été sanctuarisé pour demeurer à 100 % détenu par EDF. Une telle disposition déclinait des dispositions de l'alinéa 9 du préambule de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

Enfin, le texte de la commission des finances a été amendé en séance publique pour réintroduire une opération spécifique d'ouverture du capital, dans des conditions proches de celles prévues par le texte issu de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Ainsi, l'opération devait porter au minimum sur 2 % du capital de l'entreprise, pour un prix de souscription hors rabais qui ne peut être supérieur à 12 euros, un rabais spécifique étant octroyé aux salariés et aux anciens salariés éligibles si les titres acquis ne peuvent être cédés avant une période de cinq ans.

Confirmant la position qui avait été la sienne en première lecture, la commission des finances avait également adopté un amendement COM-3 du rapporteur visant à rétablir la rédaction de l'article 3 bis qui avait été adoptée par le Sénat. En cohérence avec les dispositions adoptées à la quasi-unanimité par la chambre haute, il apparaissait en effet légitime et nécessaire d'étendre le périmètre de l'éligibilité aux TRVe, sans considération de puissance de compteur électrique, à l'ensemble des TPE, des petites communes et des autres personnes morales employant moins de 10 personnes et disposant de moins de 2 millions d'euros de budget.

En revanche, les extensions complémentaires du périmètre d'éligibilité aux TRVe adoptées en deuxième lecture par l'Assemblée nationale n'auraient pas pu s'appliquer dans la mesure où elles contreviennent aux normes européennes. Il apparaissait également nécessaire de préciser une date d'entrée en vigueur réaliste et opérationnelle de l'extension des TRVe, la date la plus proche envisageable étant le 1er février 2025.

VI. EN TROISIÈME LECTURE : L'ASSEMBLÉE NATIONALE A MAINTENU UN TEXTE PROCHE DE CELUI VOTÉ PAR LE SÉNAT

L'article 2, dans sa rédaction issue de la troisième lecture à l'Assemblée nationale, confirme l'essentiel des dispositions adoptées par le Sénat. En effet, l'accord d'ensemble sur le texte entre le Gouvernement et les rapporteurs à l'Assemblée nationale reprend :

- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;

- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;

- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;

- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;

- la mise en place d'un contrat décennal avec l'État, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs.

Néanmoins, les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat relatives à l'entreprise Enedis, qui contraignaient à sa détention intégrale par EDF, ont été supprimées. D'après l'un des deux rapporteurs du texte, M. Philippe Brun, en séance à l'Assemblée nationale, ce sujet aurait « constitu[é] une ligne rouge pour le Gouvernement, qui souhaite ouvrir une partie du capital d'Enedis, sans pour autant l'extraire du groupe EDF, afin que ce dernier reste maître de l'entreprise. » La référence aux dispositions du code de l'énergie, dans le cadre desquels l'entreprise EDF doit exercer ses activités, a également été supprimée.

Enfin, un amendement rédactionnel des rapporteurs a supprimé la mention « pour une durée de dix ans » pour chaque révision du contrat. Cet amendement nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait sans ambiguïté, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que seuls les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans. Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision.

En ce qui concerne l'article 3 bis, l'Assemblée nationale a adopté l'article dans sa rédaction modifiée en deuxième lecture par le Sénat.

VI. EN TROISIÈME LECTURE : LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT A ADOPTÉ SANS MODIFICATION LA PROPOSITION DE LOI

La commission des finances a adopté sans modification la proposition de loi. En effet, la rédaction retenue pour l'article 2, seul article restant en discussion, est très proche des positions défendues par le Sénat. Toutefois, un amendement sera déposé en séance publique afin que le Gouvernement précise sa lecture des dispositions issues de l'Assemblée nationale sur la durée du contrat.

AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Alors que le Sénat aborde la troisième lecture de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, le rapporteur souhaite ici rappeler le caractère inédit de l'examen de ce texte. Il a, lors des deux premières lectures, fait l'objet d'une adoption par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement, mettant la majorité relative au Palais Bourbon en minorité sur les votes des amendements, des articles et de l'ensemble du texte.

Le sujet se prêtait à cette situation politique inédite : les choix des Gouvernements successifs depuis plus de dix ans concernant le groupe EDF témoignent d'une incapacité chronique à faire preuve de sérieux financier et à ne pas sacrifier l'avenir de l'entreprise au profit de politiques de court-terme. La dette du groupe EDF a atteint des niveaux records, sans que cette dernière ne fasse écho, comme on pourrait légitimement s'y attendre, aux investissements nécessaires pour répondre aux besoins d'électricité de notre pays : loin d'être imputable à une bonne dette qui nous projetterait vers l'avenir, la fragilité financière de l'entreprise EDF résulte en grande partie des choix d'un exécutif mauvais gestionnaire, qui a négligé, dans plusieurs décisions importantes, les comptes d'EDF. L'entreprise a par ailleurs eu du mal à développer une stratégie de développement de long terme, les gouvernements successifs ayant eu des positions parfois contradictoires sur la politique de l'énergie.

De plus, les risques de démembrement de l'entreprise ne sont pas seulement un mythe - le projet Hercule, qui visait à séparer certaines activités, a bien existé. Considérant qu'EDF devait demeurer une entreprise intégrée disposant d'une vision d'ensemble sur le système électrique, la représentation nationale s'est donc saisie du sujet.

Par ailleurs, compte tenu de la crise inédite des prix de l'énergie, et en particulier des prix de l'électricité, qu'a connu la France à compter de l'automne 2021, le texte a également été l'occasion de traiter de la question légitime de l'interdiction faite à une partie des toutes petites entreprises (TPE) et des petites communes d'accéder à la protection conférée par les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe), compte tenu uniquement du fait que leur compteur électrique dépasse la puissance de 36 kilovoltampères (kVA). Cette condition restrictive prévue dans le code de l'énergie n'est en rien exigée par le droit de l'Union européenne. Elle a conduit à exposer une part significative du tissu de nos TPE aux fluctuations insoutenables des marchés de gros de l'électricité, à travers leurs répercussions sur les contrats non régulés et commercialisés sur les marchés de détail.

Au début de l'année 2023, lors de ce que l'on a appelé la « crise des boulangers », la détresse manifestée par de nombreux petits entrepreneurs a mis en lumière cette injustice. Plusieurs mois auparavant, la commission de régulation de l'énergie (CRE) avait déjà alerté le Gouvernement sur cette impasse, sans que ce dernier ne daigne donner suite à cet avertissement prémonitoire, jusqu'à ce que soit finalement mis en oeuvre un dispositif de soutien improvisé en catastrophe, un « sur-amortisseur » créé par décret. Il s'ajoutait, telle une « greffe » mal ajustée, au mécanisme législatif d'« amortisseur » lui-même déjà d'une complexité rare.

Parler d'« usine à gaz » n'est qu'un euphémisme tant la superposition des mesures est alors devenue proprement illisible pour leurs bénéficiaires et très difficile à mettre en application pour les fournisseurs appelés à parer en urgence au défaut d'anticipation du Gouvernement. Le Parlement a alors pris ses responsabilités et a étendu l'éligibilité des TRVe à tous leurs bénéficiaires légitimes, sans limitation de puissance souscrite.

Le texte dont nous débattons en troisième lecture a fait l'objet d'un accord entre les députés et le Gouvernement sur le fond des dispositions qu'il contient. En effet, le Gouvernement s'est engagé à garantir la bonne application de l'ensemble des dispositions du texte, en contrepartie des évolutions qu'il a proposées. Par ailleurs, conformément à ses engagements devant les députés, le Gouvernement a demandé l'inscription du texte à l'ordre du jour du Sénat, alors que celui-ci avait jusqu'à présent été inscrit sur les niches des groupes minoritaires dans les deux assemblées.

Sur le fond, le texte adopté par l'Assemblée nationale correspond pour l'essentiel à ce qui a été proposé par le Sénat au cours des précédentes lectures. Il ne reste plus qu'un article en discussion, à savoir l'article 2, et le texte issu des travaux des deux assemblées retient en particulier des positions défendues par la commission des finances du Sénat :

- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;

- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était initialement remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;

- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;

- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;

- la mise en place d'un contrat décennal, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs ;

- la réécriture de l'article 3 bis pour en assurer l'opérationnalité technique et juridique en le recentrant sur l'extension des TRVe à l'ensemble des TPE, des petites communes et autres personnes morales employant moins de 10 personnes, pour un budget inférieur à 2 millions d'euros.

Ces éléments constituent aujourd'hui l'essentiel du texte voté par l'Assemblée nationale et le rapporteur ne peut que s'en féliciter.

EXAMEN DE L'ARTICLE

ARTICLE 2

Détention publique du groupe EDF et actionnariat salarié

. Dans le texte initial de la proposition de loi, le présent article prévoyait de transformer l'entreprise Électricité de France en « groupe public unifié » et listait les activités de l'entreprise, dont les actions devaient être rendues incessibles : elles concernaient aussi bien « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [que] la prestation de services énergétiques ».

En première lecture au Sénat, le texte de l'article a été réécrit pour éviter qu'il ne soit source d'insécurité juridique : les implications de la notion de « groupe public unifié » étaient très incertaines, et le périmètre des activités retenu risquait de limiter la capacité d'adaptation du groupe et de rotation des actifs.

Ainsi, tirant les conséquences de l'offre publique d'achat initiée par le Gouvernement en 2022, le Sénat a fixé la détention du capital d'EDF par l'État à 100 %, et prévu que cette détention pouvait être minorée par la part éventuellement détenue par les actionnaires salariés. Par ailleurs, dans la rédaction issue de la première lecture du texte au Sénat, l'entreprise EDF est qualifiée « d'intérêt national », et exerce ses activités conformément aux dispositions du code de l'énergie : l'entreprise doit en effet inscrire son action dans un corpus juridique complexe, issu du droit national et du droit européen, permettant de garantir la structuration concurrentielle du marché.

Lors de la deuxième lecture du texte par l'Assemblée nationale, la liste des activités devant être assurées par le groupe EDF a été rétablie. Ainsi, dans cette version du texte, il était prévu que l'entreprise « assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. » Cette liste, autant que celle adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, présentait des risques d'insécurité juridique et c'est la raison pour laquelle l'article a été de nouveau réécrit par le Sénat en deuxième lecture.

À l'initiative de la commission des finances, la contrainte sur les activités d'EDF a alors été remplacée par une logique d'objectifs. Ainsi, l'article tel qu'ainsi rédigé prévoit la mise en place d'un contrat décennal révisé tous les trois ans, permettant de décliner de façon opérationnelle trois objectifs assignés à EDF, à savoir la décarbonation de la production d'électricité, la maîtrise des prix pour les ménages et les entreprises et l'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité. Par ailleurs, afin de répondre à l'ambition initiale des auteurs de la proposition de loi, le texte adopté par le Sénat prévoyait également que l'entreprise Enedis ne pouvait être cédée par EDF et devait demeurer une filiale à 100 % de l'entreprise. Enfin, alors qu'un amendement du rapporteur, adopté en commission, avait prévu de rendre obligatoire l'actionnariat salarié au sein de l'entreprise, un amendement adopté en séance publique a renforcé cette obligation en prévoyant la mise en oeuvre d'une opération dans des conditions précises.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale en troisième lecture résulte, dans sa quasi-intégralité, de dispositions introduites par le Sénat : sont ainsi retenus le taux de détention d'EDF par l'État de 100 % du capital, la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise, le contrat d'objectifs décennal entre l'État et EDF, qui sont tous des apports du Sénat.

L'obligation de détention par EDF de 100 % du capital d'Enedis et la référence à l'exercice des activités d'EDF conformément aux dispositions du code de l'énergie ont néanmoins été supprimées.

Le texte dans sa rédaction actuelle est donc, dans sa quasi-intégralité, conforme aux positions de la commission des finances.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : ÉLECTRICITÉ DE FRANCE, UNE ENTREPRISE STRATÉGIQUE SOUS LE CONTRÔLE DU PARLEMENT ET DONT LA STRUCTURE A DÛ ÊTRE ADAPTÉE À L'ORGANISATION DU MARCHÉ DE L'ÉNERGIE

A. L'ORGANISATION DU GROUPE EDF RÉPOND À L'ORGANISATION ACTUELLE DU MARCHÉ DE L'ÉNERGIE AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

La directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité distingue trois fonctions : la production d'électricité, le transport sur des lignes haute tension, et la distribution sur des lignes moyenne et basse tension.

Le transport et la distribution relevant de monopoles naturels, il est prévu que soit mis en place un mécanisme d'accès des tiers au réseau (ATR). La directive de 1996 dispose également que le gestionnaire du réseau de transport (GRT) doit être indépendant des autres activités lorsqu'il reste intégré au sein d'une entreprise de production.

Dans un premier temps, l'article 12 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a introduit ce principe dans le droit interne en prévoyant l'indépendance de la gestion du réseau de transport, sans pour autant séparer strictement cette activité des autres activités d'EDF.

Quatre ans plus tard, l'article 7 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières sépare les activités de transport en créant la société RTE, distincte d'EDF, et « dont le capital est détenu en totalité par Électricité de France, l'État ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public. »4(*) Par ailleurs, l'article 13 de la loi prévoit la constitution d'un service chargé de la gestion du réseau de distribution « indépendant, sur le plan de l'organisation et de la prise de décision, des autres activités » Cette activité a été intégrée à une nouvelle filiale en janvier 2008 : Électricité réseau de distribution France (ERDF).

La directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE fixe l'essentiel des règles applicables à ce jour et constitue la pierre angulaire de la mise en oeuvre du marché de l'électricité. Elle renforce en particulier les conditions de la séparation entre les activités de production d'électricité et d'exploitation des réseaux, afin de garantir l'accès des tiers aux réseaux.

Ainsi, les activités de production et de commercialisation d'EDF ont été progressivement distinguées de la gestion des infrastructures de transport et de distribution. La structure capitalistique actuelle du groupe permet de répondre à l'exigence d'ouverture à la concurrence du marché, et aux règles européennes qui l'ont mise en oeuvre.

B. LA VIE DE L'ENTREPRISE EDF EST SOUMISE AU CONTRÔLE RÉGULIER DU PARLEMENT

Depuis la nationalisation de l'entreprise jusqu'à la libéralisation du marché de l'électricité, les principales évolutions de l'entreprise EDF ont été soumises à des votes du Parlement. En effet, alors que les avancées du marché européen de l'énergie ont été adoptées au sein de l'Union européenne par voie de directive, elles ont rendu nécessaire l'intervention du Parlement lors de la transposition des mesures de niveau législatif.

De plus, les règles de détention du capital d'EDF sont déterminées par la loi : ainsi, l'article L. 111-67 du code de l'énergie prévoit que la participation de l'État dans l'entreprise doit être supérieure à 70 % et que l'entreprise RTE, en vertu de l'article L. 111-42 du même code, doit être intégralement détenue par EDF, l'État, ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public.

Par ailleurs, le Parlement est saisi de plusieurs décisions majeures intéressant la vie de l'entreprise.

Ainsi, en vertu de l'article 13 de la Constitution et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la nomination du président directeur général d'EDF est soumise au vote des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Président de la République ne peut procéder à sa nomination lorsque l'addition des votes négatifs représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

De plus, les évolutions structurelles du marché de l'électricité donnent lieu à l'intervention du Parlement. En témoigne la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes5(*), examinée l'an passé par le Parlement. De plus, en application de l'article L. 100-1 A du code de l'énergie, « avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. » Alors que la loi aurait dû être promulguée avant le 1er juillet dernier, le rapporteur ne peut que déplorer que ce texte n'ait toujours pas été présenté au Parlement par le Gouvernement, et que le projet de loi « souveraineté énergétique » pourrait ne contenir que des dispositions très limitées sur la stratégie énergétique du Gouvernement.

Enfin, les évolutions des règles européennes issues du processus législatif en cours sur le « market design » seront également soumises au Parlement lors de la transposition des directives européennes.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE : LE GEL, AU NIVEAU LÉGISLATIF, DU PÉRIMÈTRE DES ACTIVITÉS D'EDF

L'article 2, dans sa version issue de la première lecture du texte par l'Assemblée nationale, procède à la réécriture de l'article L. 111-67 du code de l'énergie. Il supprimait, ce faisant, la référence à la « société anonyme » et au seuil de détention par l'État de 70 % des parts de celle-ci.

L'article prévoyait également que l'entreprise EDF devait être « un groupe public unifié ». Cette formulation, qui n'a pas de définition juridique précise, était inspirée de celle retenue par le législateur à propos de la société nationale des chemins de fer français (SNCF).

Les 1°, 2° et 3° listaient les différentes activités d'EDF devant faire partie du groupe public unifié. Ainsi, étaient concernés « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [ou encore] la prestation de services énergétiques ».

Enfin, l'article prévoyait que le capital de l'entreprise était « intégralement détenu par l'État, ou, dans la limite de 2 % du capital, par des salariés de l'entreprise. Il est incessible. »

III. LA DISPOSITIF ADOPTÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : L'ANCRAGE, AU NIVEAU LÉGISLATIF, DE LA DÉTENTION À 100 % PAR L'ÉTAT DU CAPITAL D'EDF

A. LA REMISE EN CAUSE D'UNE RÉDACTION SOURCE D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE ET QUI N'ÉTAIT PAS CONFORME AUX RÈGLES DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

1. La rédaction initiale de l'article était source d'insécurité juridique

La notion de « groupe public unifié », à laquelle a recours le présent article, n'a qu'un seul précédent, celui de la société nationale des chemins de fer français (SNCF). Hors cet exemple, elle ne connaît pas de définition juridique précise. Les indications données par l'auteur de la proposition de loi lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, à savoir « sauver l'unité de groupe EDF », empêcher « la vente d'Enedis, de Dalkia, ou d'EDF Énergies Nouvelles », laissent imaginer qu'il s'agissait de figer la structure capitalistique du groupe.

En effet, le caractère « incessible » des actions conduisait à considérer que les participations d'EDF dans l'ensemble des entreprises intervenant dans les secteurs mentionnés par l'article pouvaient ainsi être figées.

Si les débats à l'Assemblée nationale ont paru écarter du champ de l'article les cessions d'activités réalisées à l'étranger, l'article n'en était pas moins de nature à faire planer un risque juridique sur toute cession d'actifs de la part d'EDF.

2. Des évolutions qui entraient en contradiction avec le droit européen

En fixant le principe d'un « groupe public unifié », comprenant les activités de transport et dont les actions seraient incessibles, le dispositif de l'article s'inscrivait par ailleurs en contradiction explicite avec les règles issues du droit de l'Union européenne. En effet, l'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) relève du statut d'opérateur de transport indépendant (ITO) prévu par le droit européen, c'est-à-dire que la détention majoritaire par EDF a été maintenue mais que RTE doit fournir des garanties très avancées d'indépendance de gestion.

Cependant, alors que les évolutions du statut d'ITO vers la séparation intégrale de la propriété ne peuvent être « en aucune circonstance empêchées »6(*), la rédaction initiale de l'article 2 s'inscrivait en contradiction avec cette règle. Elle conduisait à bloquer au niveau législatif toute évolution du statut de RTE, ce qui est contraire au droit de l'Union.

B. LA RÉDACTION RETENUE EN PREMIÈRE LECTURE PAR LE SÉNAT PERMETTAIT, SANS ENTRAVER SA GESTION, DE GARANTIR LA DÉTENTION PUBLIQUE D'EDF À 100 %, TOUT EN PRÉVOYANT LA POSSIBILITÉ D'UN ACTIONNARIAT SALARIÉ

1. L'inscription, au niveau législatif, de la détention à 100 % d'EDF par l'État, sans poser d'entrave à sa gestion

Le texte de l'article 2 tel que voté par le Sénat a augmenté le niveau minimal de détention par l'État dans l'entreprise EDF, prévue à l'article L. 111-67 du code de l'énergie, qui passait ainsi de plus de 70 % à 100 %. Cette modification doit permettre de garantir l'intervention du Parlement si le Gouvernement souhaitait procéder à la réouverture du capital de l'entreprise. Cette modification n'a pas pour objectif de figer définitivement la détention du capital d'EDF : une nouvelle loi pourra modifier ce seuil, mais il faudra que le Parlement en soit saisi.

Plutôt que d'énumérer de façon équivoque les activités d'EDF, le Sénat a inscrit dans la loi la détention intégrale par l'État de l'entreprise EDF, tout en maintenant la possibilité d'actionnaires salariés.

En effet, le Parlement n'a pas été formellement associé au processus de nationalisation d'EDF, réalisé selon une procédure d'offre publique d'achat simplifiée (OPAS), et a uniquement été appelé à voter les crédits budgétaires nécessaires à cette OPAS.

Par ailleurs, le texte adopté en première lecture par le Sénat, à la différence du texte issu de la première lecture à l'Assemblée nationale, maintient au niveau législatif le statut de société anonyme de l'entreprise EDF. Alors que la formule retenue par l'Assemblée nationale de « groupe public unifié » était facteur d'incertitudes et d'insécurité juridique, la rédaction issue du Sénat permettait de maintenir la possibilité pour EDF de procéder aux évolutions stratégiques et aux cessions qui lui seraient indispensables pour assurer la pérennité de son modèle économique.

Comme l'a relevé le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie M. Roland Lescure, en séance à l'Assemblée nationale, « le Sénat a [...] retiré de l'article 2 la référence aux activités d'un groupe unifié dont le capital aurait été incessible : cela aurait totalement entravé les opérations courantes de gestion d'actifs par EDF, et fragilisé sa capacité à investir. »7(*)

2. Le maintien de la possibilité d'un actionnariat salarié

Le texte issu de la première lecture au Sénat a également maintenu la possibilité de déroger à la détention intégrale du capital par l'État, au profit d'un actionnariat salarié, dans la limite de 2 % de détention du capital total. Alors que l'actionnariat était imposé dans le texte issu de la commission des finances du Sénat, il a été amendé en séance publique par le Gouvernement, pour prévoir que cet actionnariat était seulement possible.

En effet, comme l'a indiqué le ministre, M. Roland Lescure, en séance au Sénat : « nous ne [...] jugeons [l'actionnariat salarié] ni souhaitable ni même envisageable à très court terme, justement parce que l'État est en train de racheter 100 % du capital pour restaurer la capacité financière, la capacité opérationnelle et la capacité à investir de l'entreprise. Par conséquent, faire ce genre d'opération aujourd'hui ne serait sans doute pas faire un cadeau aux salariés, alors que la rédaction actuelle nous y forcerait dès le 1er janvier 2024, les forçant sans doute à faire une très mauvaise opération financière. Bien plus, ce serait évidemment totalement anachronique, alors que nous sommes exactement en train de faire le contraire, à savoir racheter les pourcentages des actionnaires minoritaires, ceux qui sont détenus dans le cadre de l'actionnariat salarié. »

Sur ce sujet, le rapporteur considère que l'État doit montrer l'exemple en maintenant au sein d'EDF la possibilité pour les salariés d'être actionnaires de leur entreprise et bénéficiaires de ses performances économiques. La présence d'un actionnariat salarié doit permettre, au moins à moyen terme, de pondérer le rôle de l'État, dont les principales décisions depuis une décennie ont considérablement affaibli EDF. Les salariés pourront ainsi être les garants de l'intérêt social de l'entreprise.

IV. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE : L'ACTIONNARIAT SALARIÉ DEVIENT UNE OBLIGATION ET L'ARTICLE RÉINTÈGRE UNE LISTE CONTRAIGNANTE D'ACTIVITÉS POUR EDF, DONT LA FORMULATION DEMEURE FLOUE ET LES EFFETS JURIDIQUES INCERTAINS

A. LE RETOUR À UNE LISTE CONTRAIGNANTES D'ACTIVITÉS POUR EDF, DONT LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES SONT ÉQUIVOQUES

1. Le retour de l'énumération des activités d'EDF

Lors de l'examen du texte en commission des finances de l'Assemblée nationale, l'article 2 a été modifié à l'initiative des co-rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, pour intégrer une liste d'activités : « le groupe Électricité de France assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. »

Cette liste n'était pas exhaustive, l'usage du « notamment » permettant à EDF d'avoir des activités dans d'autres secteurs d'activité. Ainsi, d'après le rapport sur le texte fait au nom de la commission des finances en deuxième lecture, l'amendement des rapporteurs réintroduisait une liste « explicitement non-limitative, des missions devant être assurées par EDF ou par ses filiales, en raison de leur caractère stratégique pour le service public de l'électricité, dans le but d'éviter que ces activités soient totalement privatisées. »8(*)

L'objectif du rapporteur, M. Philippe Brun, était donc de « grav[er] dans le marbre de la loi ses métiers essentiels au bon fonctionnement du service public de l'énergie. »9(*)

Le transport d'électricité dans les zones interconnectées avait néanmoins été écarté de la liste des activités, alors que le rapporteur du texte en première lecture à la commission des finances du Sénat, M. Gérard Longuet, avait souligné la contrariété de cette disposition avec le droit de l'Union européenne.

2. Des débats sur la portée de la liste d'activités d'EDF

Les débats en séance à l'Assemblée nationale ont mis en évidence les incertitudes sur la portée juridique de la liste d'activités introduite en commission des finances de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. En effet, si pour le rapporteur M. Philippe Brun, « inscrire les métiers d'EDF dans la loi permet d'en empêcher le démantèlement d'activités très rentables [et] d'éviter un grand démantèlement d'EDF par l'abandon complet de certaines activités, par exemple celles d'EDF Énergies », cette lecture a été contestée tant par plusieurs députés du groupe majoritaire que par le Gouvernement. Ainsi, d'après notre collègue député M. Mathieu Lefèvre, la liste des activités au niveau législatif pourrait avoir pour conséquence « [d'] interdire toute rotation d'actifs [...] et toute réorganisation, même minime. »

Pour le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, M. Roland Lescure, « si l'article est adopté, M. Rémont devra venir devant la commission des finances et moi dans l'hémicycle chaque fois que nous souhaiterons vendre une activité connexe d'EDF ! En faisant croire que vous protégez EDF, vous lui coupez les ailes. Connaissant votre attachement à l'opérateur national et notre volonté à tous de développer le nucléaire, je pense que vous commettez une erreur stratégique en défendant la proposition de loi. »

Dans l'une de ses interventions en séance, le rapporteur, M. Philippe Brun, avait indiqué que cette liste correspond aux « activités dont nous pensons que l'opérateur national doit assurer la maîtrise [ces activités pouvant être] exercées soit directement par la holding de tête, soit par des filiales auprès desquelles peuvent d'ailleurs intervenir des participations privées. »

B. UN ACTIONNARIAT SALARIÉ IMPOSÉ PAR LA LOI

Un amendement de séance du rapporteur du texte, M. Philippe Brun, avait également introduit des dispositions visant à rendre obligatoire l'actionnariat salarié. Ainsi, alors que le texte issu du Sénat prévoyait uniquement la possibilité de déroger aux 100 % de détention par l'État, le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoyait directement les conditions d'une opération de cession du capital aux salariés.

En application de ces dispositions, une opération d'ouverture du capital, portant au minimum sur 1,50 % du capital de l'entreprise, devait être réalisé en faveur des salariés et anciens salariés qui détenaient des actions dans l'entreprise le 22 novembre 2022, le prix initial ne pouvant être supérieur à 12 euros, et un rabais spécifique devant être proposé « si les salariés s'engagent à une période de détention minimum de deux ans. »10(*)

Il est à noter que l'amendement qui réintroduisait ces dispositions réintégrait par ailleurs la disposition introduite au Sénat et supprimée en commission des finances de l'Assemblée nationale, qui indiquait que « l'entreprise "Électricité de France" exerce ses activités conformément aux dispositions du présent code. »

V. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LE SÉNAT EN DEUXIÈME LECTURE : DONNER DES OBJECTIFS À EDF, PLUTÔT QUE D'AJOUTER DES CONTRAINTES, ET SANCTUARISER SA PARTICIPATION DANS ENEDIS

A. DANS UN MARCHÉ DE L'ÉNERGIE EN MUTATION, LA PRIORITÉ DOIT ÊTRE DE PERMETTRE À EDF DE PRODUIRE UNE ÉNERGIE DÉCARBONÉE ET COMPÉTITIVE

1. Donner des objectifs plutôt que fixer des contraintes

La rigidité de fonctionnement et de gestion proposée par l'article 2 tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale en deuxième lecture s'inscrivait en contradiction avec la fluidité et le caractère mouvant du marché de l'électricité.

La priorité de l'entreprise doit être de produire massivement une électricité décarbonée et compétitive. Les dispositions de la proposition de loi, aussi bien intentionnées soient-elles, ignoraient ces réalités et ces enjeux : le déni des réalités d'un marché complexe risque uniquement d'affaiblir EDF. Il convient de laisser à EDF la capacité et les moyens de s'adapter pour faire face aux enjeux industriels, sociaux, environnementaux et économiques auxquels l'entreprise fait face.

Ainsi, la commission des finances a remplacé les principales contraintes sur l'activité d'EDF introduites par l'Assemblée nationale par une logique d'objectifs, en les inscrivant dans la loi et en prévoyant qu'ils seront déclinés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise, révisée tous les trois ans.

Outil opérationnel permettant de fixer les objectifs d'investissement d'EDF, ce nouveau contrat permettra de clarifier dans la durée la relation entre l'État et EDF. L'entreprise pourra ainsi bénéficier de la visibilité qui lui a manqué au cours des dix dernières années sur les décisions du Gouvernement, et qui ont conduit ce dernier à plusieurs décisions néfastes pour l'entreprise (fermeture de Fessenheim, augmentation du volume d'Accès régulé au nucléaire historique (Arenh), etc.). La commission des finances du Sénat permet ainsi de clarifier les perspectives d'évolution des capacités de production d'électricité de l'entreprise.

Le contrat déclinera de façon opérationnelle les trois objectifs majeurs d'EDF, à savoir, la décarbonation de la production d'électricité, la maîtrise des prix pour les ménages et les entreprises, et l'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité.

2. Le maintien d'Enedis comme filiale d'EDF

Alors que l'objectif initial de l'auteur de la proposition de loi était d'empêcher tout démantèlement de l'entreprise EDF, le rapporteur avait souhaité maintenir l'entreprise Enedis comme filiale de l'entreprise EDF. En effet, comme l'a relevé le président directeur général d'EDF, M. Luc Rémont, lors de son audition par le rapporteur, « dans les autres États où nous n'avons pas un opérateur national qui tient l'ensemble du système, il y a des disparités de compréhension entre les opérateurs, qui se traduisent par des difficultés opérationnelles. »

Il était donc apparu légitime, tant du point de vue constitutionnel que de celui du bon fonctionnement du système électrique, de figer la participation d'EDF dans l'entreprise. L'amendement adopté en commission permettait également de maintenir dans le texte une disposition allant dans le sens de l'intention initiale de la proposition de loi.

B. LE MAINTIEN D'UNE OPÉRATION D'ACTIONNARIAT SALARIÉ DONT LES CONDITIONS AURAIENT ÉTÉ DÉFINIES AU NIVEAU LÉGISLATIF

Alors que la commission des finances avait supprimé l'opération spécifique prévue par le texte de l'Assemblée nationale, elle avait également étendu aux anciens salariés la possibilité de détenir du capital de l'entreprise. Cette suppression se justifiait par plusieurs raisons : d'abord, la question de la valorisation des actions doit faire l'objet d'une évaluation précise et ne pouvait être décidée uniquement par référence à l'offre publique d'achat sans risquer de porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'État. Ensuite, le texte prévoyait uniquement « une » opération d'ouverture du capital, ce qui n'était pas satisfaisant. Pour une réelle participation des salariés, le capital d'EDF devait pouvoir leur être ouvert au-delà d'une seule opération et il ne revenait pas à la loi d'en déterminer les conditions.

Cependant, en séance publique, le texte de la commission des finances a été amendé pour réintroduire une opération spécifique d'ouverture du capital, dans des conditions proches de celles prévues par le texte issu de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Ainsi, l'opération devait porter au minimum sur 2 % du capital de l'entreprise, pour un prix de souscription hors rabais qui ne peut être supérieur à 12 euros, un rabais spécifique étant octroyé aux salariés et aux anciens salariés éligibles si les titres acquis ne peuvent être cédés avant une période de cinq ans.

VI. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN TROISIÈME LECTURE : UN TEXTE DE COMPROMIS ENTRE LES DÉPUTÉS ET LE GOUVERNEMENT, QUI S'ALIGNE SUR LES POSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

A. UN TEXTE DE COMPROMIS ENTRE LES DÉPUTÉS ET LE GOUVERNEMENT, QUI REPREND POUR L'ESSENTIEL LES POSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

Alors qu'un accord d'ensemble sur le texte a pu être trouvé en séance publique à l'Assemblée nationale entre le Gouvernement et les rapporteurs de la commission des finances, les dispositions de l'article 2 reprennent principalement les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat, à savoir :

- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;

- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;

- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;

- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;

- la mise en place d'un contrat décennal, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs.

Néanmoins, les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat relatives à l'entreprise Enedis, qui contraignaient à sa détention intégrale par EDF, ont été supprimées. D'après l'un des deux rapporteurs du texte, M. Philippe Brun, ce sujet aurait « constitu[é] une ligne rouge pour le Gouvernement, qui souhaite ouvrir une partie du capital d'Enedis, sans pour autant l'extraire du groupe EDF, afin que ce dernier reste maître de l'entreprise. » La référence aux dispositions du code de l'énergie, dans le cadre desquels l'entreprise EDF doit exercer ses activités, a également été supprimée.

Par ailleurs, à l'occasion de l'adoption d'un amendement rédactionnel des rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, l'Assemblée nationale a modifié les dispositions relatives au contrat décennal introduit par la commission des finances du Sénat, en supprimant la mention « pour une durée de dix ans ».

Cet amendement nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans.

B. LA MISE EN PLACE, DE FAÇON FACULTATIVE, D'UN ACTIONNARIAT SALARIÉ

Alors que la commission des finances du Sénat avait aussi, à chacune des deux précédentes lectures du texte, voté des dispositions visant à garantir la mise en oeuvre de l'actionnariat salarié au sein de l'entreprise EDF, le texte de compromis voté par l'Assemblée nationale maintient des dispositions relatives à l'actionnariat salarié, mais sans en consacrer le caractère obligatoire.

En effet, le Gouvernement a souhaité ne pas être contraint d'organiser une opération d'ouverture du capital dès maintenant. Comme l'a indiqué M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, « une réouverture du capital d'EDF n'est pas d'actualité alors que l'État vient de remonter à 100 % du capital. Nous devons cependant laisser ouverte la question du partage de la valeur au sein d'EDF, qui pourra être discutée en temps voulu. »

Ainsi, les termes retenus n'offrent aucune garantie sur la mise en place effective de l'actionnariat salarié : il s'agit uniquement d'une possibilité. En application de ces dispositions, la détention à 100 % de l'entreprise EDF par l'État peut être minorée par la part détenue par les salariés.

VII. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN TEXTE GLOBALEMENT ALIGNÉ AVEC LES POSITIONS DU SÉNAT LORS DES PRÉCÉDENTES LECTURES DU TEXTE

Comme indiqué plus haut, le texte qui a fait l'objet d'un accord entre les députés et le Gouvernement correspond, dans sa quasi-intégralité, à des dispositions issues des travaux de la commission des finances du Sénat.

Les dispositions proposées par la commission des finances du Sénat ont ainsi permis de poser clairement les termes du débat et d'offrir des réponses adaptées : sanctuariser la détention publique d'EDF au niveau législatif, définir le cadre de la nouvelle relation entre EDF et son actionnaire unique, l'État, et fixer des objectifs clairs à l'entreprise.

En effet, la priorité, dans le contexte actuel, est qu'EDF soit en mesure de répondre aux objectifs proposés par le Sénat et validés tels quels par l'Assemblée nationale, à savoir les objectifs « de décarbonation de la production d'électricité, de maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que d'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité ».

La logique de renforcement des contraintes, qui avait prévalu à l'Assemblée nationale lors des deux premières lectures, n'était pas en phase avec les grands défis auxquels est aujourd'hui confrontée l'entreprise EDF. Le rapporteur ne peut par conséquent que se féliciter du résultat des échanges entre le Gouvernement et les députés.

Enfin, le rapporteur déplore l'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement rédactionnel supprimant la mention « pour une durée de dix ans ». Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision utile : il ne s'agit pas d'un contrat décennal qui fait l'objet d'une simple actualisation tous les trois ans, mais bien d'un contrat de dix ans signés tous les trois ans. En effet, l'objectif de ce contrat est précisément de donner de la visibilité à l'entreprise et de lui garantir, le plus possible, une vision à dix ans. Le rapporteur envisage par conséquent de porter un amendement en séance publique, afin que le Gouvernement clarifie sa lecture du texte.

Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 mars 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné en troisième lecture le rapport de Mme Christine Lavarde sur la proposition de loi n° 370 (2023-2024) visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture.

M. Claude Raynal, président. - Nous entamons notre réunion par la présentation du rapport de Mme Christine Lavarde sur la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France (EDF) d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale, avec modification, en troisième lecture.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est heureux que vous ayez rappelé le titre de la proposition de loi, monsieur le président, car il n'a strictement plus rien à voir avec le contenu du texte sur lequel nous devons nous prononcer en troisième lecture.

Un seul article présente un réel enjeu selon moi : il s'agit de l'article 3 bis, et il se trouve qu'il a été voté conforme par l'Assemblée nationale en troisième lecture.

Cet article concerne les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Il prévoit, conformément aux dispositions du droit européen, que les très petites entreprises (TPE), ainsi que les collectivités dont le budget s'élève à moins de 2 millions d'euros et comptant moins de 10 équivalents temps plein (ETP) salariés, puissent bénéficier des TRVE.

Je précise de nouveau que, dans le contexte actuel, ces tarifs sont moins attractifs que certaines offres de marché, mais qu'en cas de nouvelle crise des prix de l'électricité dans le futur, ils offriraient un mécanisme protecteur pour tout le monde. J'ajoute que leur définition sera amenée à évoluer avec la suppression de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) au 31 décembre 2025. Sur ce sujet, il y a un grand flou puisque le projet de loi « souveraineté énergétique » ne devrait finalement plus être présenté au Parlement au printemps.

Un autre article a fait l'objet de discussions nourries au sein de notre commission et dans l'hémicycle, et a de nouveau été modifié lors de son examen par l'Assemblée nationale ; je veux parler de l'article 2 relatif au périmètre du groupe Électricité de France et à ses activités.

L'Assemblée nationale a validé le principe d'un contrat d'une durée de dix ans réévalué tous les trois ans, qui permettra à la fois au Gouvernement et à l'entreprise de définir une stratégie de long terme, notamment s'agissant des investissements à réaliser pour garantir une fourniture d'électricité à prix compétitif et, surtout, faciliter la décarbonation de l'économie. Malheureusement, les rapporteurs à l'Assemblée nationale ont adopté en commission un amendement rédactionnel, qui, de mon point de vue, n'en est pas un.

Pour ne pas bloquer l'adoption du texte pour ce seul point, je vous propose de ne rien modifier à ce stade, mais de présenter un amendement en séance publique, visant à préciser que la révision tous les trois ans du contrat vaudra pour une durée de dix ans, et ce de manière à conserver l'idée d'un contrat de long terme. Il s'agit bien d'un contrat pour lequel, tous les trois ans, on refixe une échéance de dix ans, et non d'un contrat de dix ans révisés trois fois au cours de sa durée de vie. Le Gouvernement, avec qui j'ai échangé sur ce point, valide notre interprétation et la confirmera au banc, ce qui me permettra, à l'appui de ces éléments, de retirer l'amendement pour permettre un vote conforme.

Sur la philosophie globale, comme je l'indiquais, nous sommes très loin du texte initialement déposé. La version actuelle découle d'un accord en troisième lecture à l'Assemblée nationale entre l'auteur du texte et rapporteur Philippe Brun, appartenant au groupe Socialistes et apparentés, le second rapporteur Sébastien Jumel, membre du groupe Gauche démocrate et républicaine - NUPES, et le Gouvernement. À ce stade, ne nous en mêlons plus ! Le point qui nous importait, parce que le Sénat le porte depuis très longtemps, concernait l'article 3 bis et les TRVE ; nous obtenons à ce sujet une adoption conforme à nos votes en première et deuxième lectures. Je vous propose d'en rester là, pour un texte qui aura consommé « beaucoup d'énergie à faible rendement », pour reprendre une expression qui n'est pas de moi.

M. Thierry Cozic. - Au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous regrettons que le texte final n'aille pas aussi loin que la version initialement proposée par notre collègue député Philippe Brun. Il est également dommage que l'actionnariat salarié ait été renvoyé à un décret ; il aurait été pertinent de l'inscrire dans la loi. Néanmoins, nous nous félicitons du consensus trouvé pour une adoption conforme.

M. Michel Canévet. - Je n'ai pas déposé d'amendement à ce stade, mais je compte en déposer pour la séance publique. En effet, je ne comprends pas l'entêtement du Gouvernement à considérer qu'il ne faut pas s'engager dans une opération d'actionnariat salarié, alors même que nous voulons développer le partage de la valeur dans notre pays. Chaque fois que des initiatives ont été prises pour favoriser, au travers de la mise en place d'une participation au capital, la mobilisation de l'ensemble des salariés à la bonne marche de cette entreprise importante qu'est EDF, le Gouvernement ne s'est pas montré enclin à s'engager. C'est totalement contraire à l'esprit d'un certain nombre de textes adoptés au Parlement au cours des dernières années, souvent sur l'initiative gouvernementale. Il faut qu'il en soit autrement ! L'enjeu est crucial pour la bonne marche future du groupe EDF.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen en deuxième lecture, cette question a été évoquée au cours de l'entretien que j'ai eu avec Luc Rémont, actuel président-directeur général d'EDF. Celui-ci a clairement indiqué que, dans le cadre de sa stratégie, il comptait renforcer les mécanismes d'intéressement et de participation. Ce type de programmes déclenche des versements au moment du calcul du résultat de l'entreprise, quand le versement des dividendes dépend des sommes encore disponibles après réalisation des investissements. Or le groupe EDF, comme ses filiales Enedis et RTE, est engagé à long terme sur des investissements représentant des montants colossaux, et sa dette, à ce stade, s'élève à 65 milliards d'euros. Autrement dit, ce n'est pas demain qu'il sera en capacité de verser des dividendes, tout en réalisant les investissements nécessaires au renouvellement de l'actuel parc nucléaire et aux nouveaux projets nucléaires.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-341.html


* 1 Lettre du 16 octobre 2002 de M. Mario Monti, commissaire européen, à M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, citée par M. Jean-Claude LENOIR, député, dans son rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz aux entreprises électriques et gazières, 8 juin 2004.

* 2 Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (EBITDA), soit le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement.

* 3 Note d'information de l'État français sur l'offre publique d'achat sur les actions et Oceane de l'entreprise EDF.

* 4 Article L111-42 du code de l'énergie.

* 5 Loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 6 Article 43 de la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/Union européenne.

* 7 Compte rendu de la séance publique du 4 mai 2023.

* 8 Rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, en deuxième lecture sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (n° 1076), par MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, 12 avril 2023.

* 9 Intervention en commission du rapporteur, mercredi 12 avril 2023.

* 10 Ce qui pourrait conduire, alors que le prix maximum est équivalent à celui de l'offre publique d'achat, à un gain pour les salariés qui auraient vendu leurs actions dans le cadre de l'OPA et achèteraient des actions lors de cette opération.

Partager cette page