DEUXIÈME PARTIE - LE PROJET DE BUDGET POUR 1996, BUDGET D'ATTENTE

L'attente est à la mesure de la rupture qu'amorce et qu'annonce le projet de budget, rupture d'ores et déjà sensible mais appelée à s'affirmer encore davantage.

Sans doute le processus de rétractation des moyens de la défense a-t-il été entamé depuis la fin de la guerre d'Algérie, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années. Ainsi en 30 ans, les effectifs militaires sont passés de plus d'un million à 500 000 personnes, la part du budget de la Défense qui était de 7 % au début des années 60, a décru à 4 % au début des années 80 pour atteindre 2,6 % en 1995 et 2,4 % en 1996. Cette évolution restrictive a nécessité des efforts d'adaptation aussi bien dans le domaine de l'organisation de la défense que dans celui de la gestion des ressources. Mais cette évolution est restée progressive et a toujours assuré à la défense le maintien sinon la croissance en volume de ses dotations. C'est maintenant une chute, importante, rapide et durable de ses moyens que va très probablement subir la défense

Les programmes prévus par la loi de programmation ne pourront plus être financés ; non seulement ceux prévus dans une deuxième phase éventuelle d'accroissement des ressources à + 1,5 % en volume par an, mais même ceux bâtis sur l'accroissement minimal de + 0,5 % par an en volume.

Une nouvelle programmation est donc désormais nécessaire. La tâche du Comité stratégique mis en place, cet été, par le ministre de la Défense est, on le sait, de préparer un certain nombre de choix soumis au gouvernement et au chef de l'État avant la mise au point de la nouvelle loi de programmation qui sera présentée au Parlement vers la fin de la session actuelle.

Ces choix nécessiteront de revoir l'ensemble des orientations fondamentales : avenir de la dissuasion nucléaire, adaptation des forces classiques et nouveaux modèles d'armées, part de la professionnalisation et définition du format des armées, nouvelle politique industrielle de défense, modernisation de la gestion.

La tâche est énorme - puisqu'elle amènera même à réécrire une partie du Livre blanc sur la défense, qu'il s'agisse des hypothèses d'emploi des forces, du format des armées ou de l'équilibre conscription-professionnalisation - et le temps imparti au Comité - 6 mois - est court. Ce d'autant plus que le Comité, dans ses diverses formations ne pourra marcher d'un même pas. A l'évidence, certaines orientations en conditionnent d'autres. On voit mal, en particulier, comment sans avoir préalablement défini le format des armées et précisé la part respective de la professionnalisation et de la conscription, il peut être possible d'examiner les nouveaux modèles d'armées, se prononcer sur la gestion et les structures, déterminer la nature et l'importance des équipements, ce qui n'est pas sans rapport avec la politique industrielle elle-même.

Votre Rapporteur ne vous dissimulera pas que l'ampleur de la tâche rapprochée de la minceur des délais lui paraît préoccupante.

Les développements qui suivent permettront, au demeurant, de mieux saisir la difficulté des travaux demandés au Comité stratégique qu'il s'agisse, notamment de l'avenir de la dissuasion nucléaire et de la reconfiguration de nos forces, ou de la conduite des programmes d'armement et de la restructuration des industries de défense. Difficultés encore accrues du fait qu'elles se situent dans le contexte de la construction européenne et dans l'affirmation nécessaire de l'Europe face à l'omniprésence et à l'omnipotence américaines.

I. LES MOYENS À VENIR DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE ET LA RECONFIGURATION DE NOS FORCES

Quelques considérations fondamentales s'imposent en ce domaine :

ï la nécessité de disposer de moyens propres permettant l'autonomie de la décision pour la protection de nos intérêts vitaux ;

ï la probabilité, de plus en plus grande, d'interventions à distance du territoire national impliquant une capacité de projection des forces, sans pour autant négliger l'indispensable protection du territoire ;

ï l'existence de coalitions, alliances, ensembles divers à l'intérieur desquels il importe que nous puissions tenir notre rang, en particulier pour ce qui concerne la sécurité en Europe.

1/ - Compte tenu de ces données, le maintien de la dissuasion nucléaire, « au niveau de suffisance indispensable », pour reprendre l'expression du Livre blanc s'impose comme une évidence. Mais ce maintien nécessite-t-il pour autant le lancement de nouveaux programmes dont l'aboutissement se situerait dans la décennie 2010-2020 ? La question est, d'abord, celle du maintien simultané des moyens des trois composantes -terrestre, maritime et aérienne. Elle a commencé à recevoir un début de réponse : le plateau d'Albion est laissé en l'état et la flotte de bombardiers stratégiques va en s'amenuisant.

Mais deux programmes continuent à être financés : le missile M 5, accompagné de la tête nucléaire TN 100 qui doit l'équiper, et le missile ASLP.

Le programme M 5 est évalué à une centaine de milliards de francs. Son décalage de 2005 à 2010 a déjà appelé une économie de l'ordre de 20 milliards de francs. La question - difficile - est de savoir si le missile M 5 et sa tête TN 100 sont, dans la situation géo-politique actuelle, vraiment indispensables à l'échéance actuellement prévue si l'on considère la portée et la capacité de pénétration d'une charge assurée par le M 45 et des têtes TN 75.

Quant à l'ASLP, sa « valeur ajoutée » par rapport à l'ASMP, se trouve dans une portée plus grande. On peut se demander si l'éclatement du Pacte de Varsovie qui permettait à l'URSS d'intercaler l'épaisseur des « pays frères » entre elle-même et les nations occidentales, ne rend pas inutile l'allongement de cette portée.

2/ - La configuration de nos forces se situe dans des échéances plus rapprochées. En effet, la part respective de la professionnalisation et de la conception, dont dépend le format de celles-ci, doit donner lieu à des décisions prochaines.

Du point de vue financier, auquel nous nous limiterons ici, même si les enjeux sont beaucoup plus vastes, les coûts respectifs de la conscription et de la professionnalisation ne paraissent pas encore être évalués de façon satisfaisante, bien que la question ne date pas d'hier. Il est vrai que des facteurs nombreux, divers et complexes doivent être pris en compte. Et les coûts ne peuvent être appréciés seulement au niveau du ministère de la Défense, ils concernent la nation toute entière, notamment du fait, malheureusement très actuel, des relations entre le chômage et l'incorporation.

A l'heure actuelle l'organisation de la défense repose largement sur la conscription qui fournit 40 % des effectifs militaires. Le maintien de ces effectifs, en cas de suppression de la conscription serait certainement hors de ses possibilités financières et, de toutes façons, irréaliste puisqu'il postulerait un flux d'engagements de 32000 par an soit 12 % d'une classe d'âge.

Si l'objectif des effectifs constants est ainsi hors d'atteinte, celui des coûts constants nécessiterait, pour une professionnalisation totale, une réduction d'un tiers de l'ensemble des effectifs (près de 40 % pour l'armée de Terre qui a le plus fort pourcentage d'appelés, 10 % pour la Gendarmerie déjà très largement professionnalisée).

Or, actuellement pour la seule armée de Terre un effectif de 230000 hommes permet d'affecter 130000 hommes dans les formations opérationnelles, compte tenu des tâches de soutien et d'administration et de participations interarmées et interministérielles. C'est dire que dans une armée de Terre réduite à 140000 hommes, les formations opérationnelles recevraient, selon le ratio actuel, environ 78000 hommes. On mesure immédiatement quelle devrait être la révision, en baisse, des missions qu'assure actuellement cette armée.

Sans doute, des civils pourraient-ils remplacer des appelés actuellement employés dans des fonctions de soutien et d'administration. Mais cela entraînerait nécessairement un accroissement des dépenses de personnel qui devrait être compensé par une diminution des dépenses d'équipement et d'investissement.

La professionnalisation - qui n'est d'ailleurs pas antagoniste avec la conscription, celle-ci fournissant déjà des volontaires pour un service long et étant le « vivier » d' une part appréciable des engagements ultérieurs - assure, cependant, une capacité de forces immédiatement disponible ; à ce titre convient-il sans doute de l'accroître.

Il reste que l'équilibre indispensable entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'équipement limite, au plan financier au moins, toute possibilité de modification substantielle de la part respective des engagés et des appelés, sauf à revoir à la baisse les hypothèses d'emploi des forces.

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