N° 125

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1995

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Roumanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).

Par M. Hubert DURAND-CHASTEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet l'approbation d'un accord entre la France et la Roumanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

Après l'accord d'association signé le 1er janvier 1993 qui permet d'établir progressivement sur une période de dix ans une zone de libre-échange entre les pays membres de l'Union européenne et la Roumanie, cet accord constitue, sur le plan bilatéral, une étape importante dans le rapprochement économique entre nos deux pays.

Pour la Roumanie ce texte répond au souci de conforter, notamment par des accords bilatéraux, ses liens avec l'Europe occidentale et plus particulièrement les relations entre nos deux pays qu'une même culture latine rapproche.

La Roumanie redoute en effet de se laisser distancer par les pays appartenant au « groupe de Visegrad » (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne) dont les progrès économiques promettent une intégration rapide à l'Union européenne.

Aussi, pour bien comprendre la portée de cet accord, et avant d'en analyser les stipulations, votre rapporteur tentera-t-il d'exposer les raisons qui expliquent les retards pris par la Roumanie dans le processus de réformes que d'autres pays de l'ancien bloc socialiste ont su, pour leur part, mettre en oeuvre plus rapidement.

*

Sans revenir sur la transition politique de la Roumanie vers la démocratie et ses institutions actuelles, excellemment analysées par le rapport de M. Michel Poniatowski sur l'accord d'association entre l'Union européenne et la Roumanie, présenté devant notre commission l'an dernier 1 ( * ) , votre rapporteur souhaiterait concentrer l'attention sur la situation actuelle de la Roumanie caractérisée par la force des mouvements nationalistes et un bilan économique encore contrasté.

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I. LA ROUMANIE ENTRE LE REPLI SUR SOI ET L'OUVERTURE VERS L'EUROPE

A. LA TENTATION NATIONALISTE

1. Une unité difficile

L'histoire et les convulsions du dernier siècle ont laissé en héritage à la Roumanie un ensemble de minorités parmi lesquelles les Hongrois occupent le premier rang. Ces derniers, 1 600 000 personnes (sur une population totale de 23,43 millions d'habitants), sont fortement organisés, fiers de leur culture et de leur langue. La domination exercée par les Hongrois sur la Transylvanie sous l'empire austro-hongrois, l'avance économique actuelle de la Hongrie et donc les perspectives d'une intégration européenne plus rapide que celles qui s'offrent à la Roumanie, accusent les malentendus entre la communauté magyare et les Roumains.

Les Roumains doivent encore compter avec la présence, numériquement plus marginale, d'autres communautés nationales : Allemands (111 000) qui tendent d'ailleurs à quitter la Roumanie pour l'Allemagne, Russes (30 000), Turcs (30 000).

Si les Tsiganes (évalués à 410 000) ne constituent pas à proprement parler une minorité nationale, leur intégration n'en pose pas moins pour les Roumains un redoutable problème. En effet leur mode de vie, caractérisé par le nomadisme, leur goût de la liberté, leur confère une place à part dans la société roumaine. Particularisme qu'exacerbe encore l'ostracisme manifesté par les Roumains à leur endroit (dont témoigne par exemple la quasi-inexistence des mariages mixtes) et une situation économique précaire.

Le système de protection des minorités mis en place par la Roumanie n'a rien à envier aux pays voisins et se conforme aux normes internationales telles qu'elles ont été fixées notamment par la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).

En effet la Constitution roumaine (art. 6) garantit les droits des minorités et notamment le principe d'un enseignement dans leurs langues. Par ailleurs le gouvernement roumain reconnaît 18 minorités différentes représentées dans un Conseil créé en avril 1993, où elles peuvent proposer des lois.

La minorité magyare ne se satisfait cependant pas de ce dispositif juridique. Elle revendique en particulier pour le hongrois le statut de deuxième langue dans l'administration locale dans les régions où elle dispose d'une forte représentation.

La question des minorités nationales apparaît encore compliquée par le problème des frontières dont le tracé, modifié à la suite de la deuxième guerre mondiale, reste contesté. En effet l'alliance de la Roumanie avec les puissances de l'axe lui a coûté en 1945 la perte de la Bessarabie et de la Bukovine annexées par l'URSS et rattachées respectivement à la Moldavie et à l'Ukraine. Le nord-ouest de la Transylvanie revenait à la Hongrie et le sud de la Dobroudja à la Bulgarie. Aujourd'hui, tandis que la Roumanie fait face à des revendications irrédentistes magyares au nord-ouest de son territoire, elle aspire à long terme à une réunion avec la Bessarabie moldave.

2. Une alliance politique fragile

La question des minorités conjuguée à un découpage territorial contesté, aiguise le nationalisme roumain.

Celui-ci se traduit sur le plan intérieur par le poids politique des partis nationalistes. En effet le gouvernement mis en place en 1992 au lendemain des élections législatives et dirigé par un haut fonctionnaire, M. Vacaroiu, repose sur une majorité parlementaire associant au parti principal -le parti de la démocratie sociale du Président Iliescu (PDSR)- trois partis nationalistes (le Parti de l'unité nationale roumaine, le parti Romania Mare, le Parti socialiste du travail enfin). Ces partis exploitant habilement la sensibilité nationaliste d'une partie de la population, exercent une pression permanente sur le gouvernement, qui joue parfois du nationalisme comme d'un exutoire aux déconvenues économiques et sociales entraînées par la politique de rigueur.

Le président du parti Romania Mare en particulier s'est signalé par des accents antisémites et fascistes. L'exclusion de son mouvement de l'alliance quadripartite en octobre 1995 prive le gouvernement de la majorité absolue au parlement et fragilise encore davantage le pouvoir en place.

B. UNE DIPLOMATIE CONTRASTÉE

1. Des relations de voisinage parfois difficiles

Cette pression nationaliste complique la diplomatie conduite par les autorités roumaines à l'égard de leurs voisins. Les enjeux de politique intérieure paraissent particulièrement forts dans les relations entre la Roumanie et la Hongrie. Sans doute les rapports se sont-ils détendus avec l'arrivée des socialistes au pouvoir à Budapest en juin 1993. Cependant la question très sensible des droits de la minorité magyare en Roumanie bloque la signature du traité bilatéral entre les deux parties. En effet les Hongrois souhaitent que l'autonomie régionale soit reconnue aux Magyars de Transylvanie comme le préconise d'ailleurs le Conseil de l'Europe (recommandation 1201). Dans ce contexte, tendu encore par la proximité des élections législatives de 1996, l'appel à une "réconciliation historique" lancé le 30 août dernier à la Hongrie par le Président Iliescu risque de ne pas se concrétiser dans l'immédiat.

Sans mettre en jeu des problèmes de politique intérieure, comme les relations avec la Hongrie, les rapports avec l'Ukraine et la Moldavie restent marqués par le souci de la Roumanie d'affirmer son identité dans la région.

Ainsi les négociateurs roumains qui souhaitaient introduire dans un accord avec l'Ukraine la possibilité de modifier pacifiquement les frontières -permettant ainsi de remettre en cause le rattachement de la Bukovine du nord à l'Ukraine après la seconde guerre mondiale- se sont heurtés au refus de la partie ukrainienne. Le traité bilatéral n'a donc pas encore vu le jour.

La Roumanie entretenait à terme des espoirs de réunification avec la Moldavie. Elle doit aujourd'hui déchanter.

Dans la nouvelle Constitution, la Moldavie reconnaît comme langue officielle le moldave -et non le roumain- parallèlement au russe. De même l'ouverture des négociations sur l'élaboration d'un accord entre la Moldavie et la Roumanie ne cesse d'être différée. La Moldavie paraît en effet, aujourd'hui, surtout soucieuse de nouer des liens privilégiés avec la Russie.

Or s'il n'existe aucun litige entre la Roumanie et la Russie, les Roumains continuent de craindre un regain de l'impérialisme russe et redoutent que Moscou ne s'oppose à l'adhésion de Bucarest à l'OTAN.

Enfin les relations avec la Bulgarie paraissent aujourd'hui tendues par un double désaccord :

- sur la centrale nucléaire de Kozloduy dont les Roumains souhaitent la fermeture du réacteur numéro un ;

- sur l'emplacement du deuxième pont entre les deux pays sur le Danube.

2. Le souci d'intégration européenne

Ces relations parfois difficiles avec les pays voisins paraissent contradictoires avec une autre tendance de la diplomatie roumaine, plus ouverte sur l'Europe. La Roumanie a manifesté en effet le souci de participer à l'intégration européenne comme en témoigne la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne entré en vigueur le 1er février 1995 et le dépôt officiel en juin dernier de sa demande d'adhésion à l'Union. Parallèlement, la Roumanie est devenue membre du Conseil de l'Europe (octobre 1993), et membre du Forum de consultation de l'Union de l'Europe occidentale (mai 1994).

La Roumanie souhaite avant tout éviter tout décrochage par rapport aux Etats d'Europe centrale ou orientale, notamment ceux appartenant au "groupe de Visegrad" pour lesquels les perspectives d'intégration à l'Union européenne paraissent mieux assurées. A cet égard elle supporte mal toute différence de traitement appliquée à son endroit (comme l'obligation de visa imposée également à la Bulgarie).

La Roumanie, consciente que l'apaisement de ses relations avec ses voisins favorisera son intégration européenne, participe à plusieurs initiatives de coopération régionale : la coopération des pays riverains de la mer Noire (11 Etats) créée à l'initiative de la Turquie, et la Commission du Danube.

Bien que l'adhésion à l'Union européenne reste l'objectif prioritaire de la diplomatie roumaine, la Roumanie, soucieuse d'échapper à une position qui la confinerait au rôle de puissance balkanique, privilégie également deux autres orientations.

D'une part la Roumanie tente de resserrer ses liens avec les Etats Unis qui lui ont accordé en 1993 la clause de la nation la plus favorisée.

D'autre part, la Roumanie entend jouer un rôle actif au sein de la communauté internationale. Elle a su faire valoir sa neutralité dans le conflit en ex-Yougoslavie et le respect de l'embargo à l'égard des belligérants malgré sa sympathie pour les autorités de Belgrade. Compte tenu du coût de l'embargo (estimé à 7 millions de dollars), elle réclame de la communauté internationale des compensations au titre de l'article 50 de la Charte des Nations Unies. Par ailleurs, la Roumanie participe à certaines des opérations conduites sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies notamment en Angola.

* 1 Rapport Sénat n° 379 - session 1993-1994

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