CHAPITRE II - LA RÉGLEMENTATION DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS RÉALISÉS EN FRANCE

I. LE RÉGIME EN VIGUEUR

A. UN PARTAGE DE COMPÉTENCE TRÈS LARGEMENT FAVORABLE AU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE

Une observation liminaire d'importance doit être faite. Hormis la disposition très lapidaire énoncée par l'article 3 de la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966, qui donne latitude au gouvernement d'instituer une police des investissements étrangers en France, l'ensemble du domaine est, jusqu'à présent, régi par des dispositions réglementaires.

Celles-ci sont regroupées dans le décret n° 89-938 du 29 décembre 1989 modifié, en particulier, par les décrets n° 90-58 du 15 janvier 1990 et n° 92-134 du 11 février 1992. Il est à noter que le décret précité de janvier 1990 va jusqu'à renvoyer à une circulaire -la circulaire du 15 janvier 1990-pour déterminer le champ d'application du régime de police qu'il précise.

Cette répartition des compétences, conforme à la volonté du législateur de 1966, peut être sans doute justifiée par des considérations opérationnelles.

La diversité des situations en la matière impose des distinctions subtiles et des évolutions suffisamment fréquentes pour que la réglementation reste en permanence adaptée à l'objectif poursuivi.

Il n'en reste pas moins qu'en procédant à ce partage de compétence, le législateur de 1966 a beaucoup délégué, sans doute trop, ses prérogatives au pouvoir réglementaire.

B. LA NOTION D'INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER

Seuls sont réglementés les investissements directs dont le décret n° 90-58 du 15 janvier 1990 donne la définition suivante.

Est un investissement direct :

ï "l'achat, la création ou l'extension de fonds de commerce, de succursales ou de toute entreprise à caractère personnel :"

ï "toutes opérations lorsque.... elles ont pour effet de permettre... de prendre ou d'accroître, en fait, le contrôle d'une société... quelle qu'en soit la forme ou d'assurer l'extension d'une telle société déjà sous leur contrôle".

Est un investissement direct étranger l'une ou l'autre des opérations évoquées ci-dessus réalisées par des non-résidents, par des sociétés sous contrôle étranger direct ou indirect, ou par des établissements en France de sociétés étrangères ainsi que par cession entre non-résidents d'une participation dans le capital d'une société résidente.

La notion d'investissement direct étranger est ainsi définie assez largement puisqu'elle recouvre à la fois la création d'activité, la prise de contrôle dans des activités existantes ou l'extension d'une activité déjà contrôlée.

Cependant, l'apparent caractère extensif de la conception d'investissement direct étranger cède, en réalité, devant quelques nuances importantes apportées par le texte et la pratique.

ï Tout d'abord, il convient de souligner que, s'agissant des opérations portant sur le capital de sociétés existantes est exclue du champ des investissements directs la seule participation lorsqu'elle n'excède pas 20 %, dans le capital d'une société dont les titres sont cotés en bourse.

ï En second lieu, et surtout, quand bien même la notion d'investissement direct étranger serait comprise largement, il convient de souligner qu'au regard des règles de contrôle de ces opérations les investissements étrangers sont soumis à des traitements variables.

- Une curiosité -

Une curiosité du décret de 1989 examiné peut être évoquée.

De quelques curiosités, les non-résidents sont ceux dont le centre d'intérêt principal est situé hors de France, ce qui a obligé les auteurs du texte à définir la France.

La définition en question est, dans l'ensemble, classique mais elle comporte deux assimilations plus originales :

ï la principauté de Monaco, et surtout,

ï les États dont l'institut d'émission est lié au Trésor français par une convention de compte d'opérations.

L'assimilation de la principauté de Monaco à la France est complète. Cette situation est assez curieuse :

ï elle a pour effet d'exclure les investissements réalisés par des résidents monégasques du champ des investissements étrangers soumis à contrôle ;

ï elle a, combinée avec le texte du projet de loi, pour conséquence de soumettre à contrôle et à injonction les investisseurs étrangers à Monaco.

L'assimilation des États dont l'institut d'émission est lié au Trésor français, qui fait entrer un grand nombre d'États africains dans la définition donnée de la France par le texte, n'est pas totale.

Ces États sont considérés comme appartenant à l'étranger "pour les besoins statistiques liés à l'établissement de la balance des paiements et pour les obligations déclaratives relatives à l'importation et à l'exportation des sommes, titres ou valeurs".

Comme les opérations d'investissement direct ne sont pas mentionnées par le texte, la question se pose à bon droit de savoir ce qu'il en est. Les investissements directs en provenance de résidents de ces pays sont-il ou non des investissements étrangers ?

A ce stade doit être mise en évidence une caractéristique essentielle de la réglementation. Si les créations directes d'entreprises par des non-résidents peuvent être qualifiées "d'investissements directs étrangers", elles échappent totalement à la police des investissements directs étrangers. Seules les prises de participation dans des sociétés existantes sont soumises à cette police.

La justification apportée à cette situation est la suivante. Le contrôle des investissements étrangers vise essentiellement à éviter que des investisseurs étrangers puissent permettre d'accéder au contrôle de sociétés ou plus généralement d'entreprises dont l'objet social ou l'activité se déploie dans des domaines sensibles. Dans cette perspective, la création "ex nihilo" d'une entreprise n'est à l'évidence pas susceptible de produire ces effets et peut, par conséquent, être soustraite à tout contrôle.

II apparaît cependant que la logique du contrôle organisé par les dispositions réglementaires d'application de la loi de 1966 est largement plus restrictive que celle de la loi elle-même, ce jugement pouvant paraître plus encore étayé si l'on se réfère au projet de loi examiné ici qui, il faut le souligner, ne modifie en rien la situation sur ce point.

Celui-ci se réfère en effet à une série de domaines d'activités sensibles où l'intervention d'un investisseur étranger peut poser des problèmes. En revanche, il n'indique, en aucune manière, la forme que doit prendre cet investissement pour être considéré comme problématique. En particulier, rien ne laisse supposer que seule une prise de contrôle dans une entreprise existante soit de nature à déclencher un contrôle. Bien au contraire, comme le texte vise des domaines d'activité ou les propriétés d'un investissement, tout laisse à penser que, quelle que soit la forme prise par l'investissement étranger, c'est le fait pour lui de concerner l'un des domaines visés ou de réunir l'une des propriétés évoquées qui rend légitime le contrôle.

Et, de fait, pourquoi soumettre à autorisation préalable l'acquisition de titres de sociétés par un escroc étranger et non pas la constitution par lui d'une société entièrement nouvelle ?

Il y a là une faille évidente dans le dispositif actuel.

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