III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

A. LA PROPOSITION N° 277

La proposition de résolution, présentée en application de l'article 88-4 de la Constitution par notre collègue M. Pierre Lagourgue et votre rapporteur, approuve les orientations contenues dans la proposition d'acte communautaire sous réserve de deux modifications et d'une clarification.

1. Deux modifications pour faciliter le libre établissement

a) la suppression du test d'aptitude

La proposition de résolution préconise la suppression du test d'aptitude susceptible d'être imposé à l'avocat dont l'activité effective et permanente dans l'État membre d'accueil n'a pas porté sur le droit de l'État, y compris le droit communautaire.

Selon l'exposé des motifs, un tel dispositif conduirait en effet, en cas d'échec au test d'aptitude, à interdire l'exercice de l'activité dans l'État membre d'accueil, c'est-à-dire à placer l'intéressé dans une situation plus défavorable que celle qu'il connaît actuellement.

b) l'exercice transitoire sous le titre de l'État membre d'accueil tout en conservant le titre d'origine

Les auteurs de la proposition de résolution font valoir que l'utilisation du seul titre d'origine pendant la période transitoire « risque de faire naître certaines confusions vis-à-vis des justiciables » . Ils s'interrogent en outre sur la compatibilité de cette formule avec le Traité de Rome.

2. Une clarification nécessaire : la situation des TOM

a) l'applicabilité de la directive

La proposition de résolution souhaite que le Gouvernement précise dans quelle mesure la directive est applicable aux territoires d'outre-mer.

b) la consultation des autorités territoriales

La proposition de résolution recommande que les autorités territoriales soient consultées dès lors que la directive est applicable dans les territoires d'outre-mer.

B. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS

Après que votre rapporteur eût exposé l'économie de la proposition de directive et les modifications qu'il suggérait d'apporter à la proposition de résolution, la commission a engagé un large débat.

M. Jacques Larché, président, a estimé que la question soulevée par la proposition de résolution était importante en raison des implications considérables de la bataille du droit engagée depuis plusieurs années. Il a souhaité que le Sénat affirme avec la plus grande fermeté les positions auxquelles il est attaché.

M. Jean-Jacques Hyest a fait valoir que la proposition de directive posait à nouveau le problème du périmètre du droit, rappelant que cette difficulté s'était déjà posée lors de la réforme de 1990. S'agissant de l'exercice interprofessionnel, il a estimé qu'il convenait d'être vigilant. En revanche, il a insisté sur la nécessité d'une attitude dynamique encourageant les avocats français à s'installer à l'étranger ; il a conclu à l'approbation des orientations définies par la proposition initiale de résolution en vue de surmonter l'attitude très protectionniste de certains États.

M. Daniel Millaud a remercié le rapporteur d'avoir posé la question des modalités d'application du libre établissement dans les territoires d'outre-mer et rappelé l'importance que ces territoires attachaient à leur consultation par le Gouvernement sur des questions relatives à leur économie.

M. Pierre Fauchon s'est inquiété des conséquences néfastes de la suppression du test d'aptitude alors qu'il serait très difficile de contrôler le caractère effectif d'une pratique professionnelle continue de trois ans dans le droit de l'État d'accueil.

M. Charles Jolibois a estimé que les frontières devaient être ouvertes dans les deux sens, avant d'opposer le dynamisme de certains cabinets anglo-saxons aux réticences des avocats français à s'expatrier. Il a par ailleurs évoqué la séparation entre le droit et le chiffre et insisté sur la nécessité d'adopter des dispositions particulièrement claires afin d'écarter de l'exercice en France de la profession d'avocat les professionnels appartenant à un groupe interprofessionnel non contrôlé par des avocats.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souhaité avoir des informations sur le déroulement de la procédure devant les instances communautaires. Il a également appelé à une particulière vigilance quant à l'exercice par des avocats appartenant à des structures interprofessionnelles. Enfin, il a souhaité savoir dans quelles conditions les barreaux nationaux allaient contrôler l'activité des avocats communautaires.

Évoquant le marché international du droit, M. Robert Badinter a indiqué que la mondialisation de ce marché révélait une bataille du droit qui marquait un point de fracture entre le droit français et le droit anglo-saxon. Il a évoqué, à cet égard, les conditions dans lesquelles les avocats aujourd'hui établis à Hong-Kong et bénéficiant de la nationalité anglaise viendraient bientôt s'établir à Paris pour le compte de cabinets anglo-saxons et concurrencer de ce fait les avocats français dans les affaires concernant le marché sud-asiatique qui est aujourd'hui le plus prometteur. Il a par ailleurs considéré que la suppression du test ne permettrait pas de s'assurer que l'avocat communautaire maîtrise effectivement le droit et la procédure de l'État d'accueil dans la mesure où l'exigence d'une pratique de trois ans posée par la proposition de directive pouvait porter indifféremment sur le droit communautaire ou le droit national. Il a estimé qu'il était préférable de conserver un test même si celui-ci était exigeant à l'instar de l'examen actuellement organisé par le barreau britannique.

M. Jacques Larché, président, s'est inquiété du respect, par les avocats communautaires, des règles relatives à la postulation et à l'assistance juridique.

Votre rapporteur lui a précisé que les avocats communautaires exerçant en France seraient tenus aux règles d'exercice de la profession dans ce pays, y compris celles concernant la postulation. S'agissant du test, il a indiqué que les avocats français n'y étaient pas favorables dans la mesure où celui-ci pouvait être utilisé dans d'autres pays européens comme un moyen de protectionnisme déguisé et qu'il leur semblait que le contrôle du caractère effectif de la pratique professionnelle dans le droit de l'État d'accueil constituait une garantie suffisante.

M. Luc Dejoie a considéré que la dualité des approches au sein de la Communauté traduisait en fait l'opposition entre un système de droit écrit et un système de droit anglo-saxon. Il a estimé qu'il n'était pas souhaitable de faciliter l'emprise de ce dernier.

M. Jacques Larché, président, a marqué que la profession d'avocat avait fondamentalement changé dans la mesure où la France se mettait progressivement à la pratique américaine caractérisée par l'intervention préventive du juriste.

M. Pierre Fauchon a écarté toute analyse manichéenne de la position des États avant de considérer que l'exigence de trois ans d'exercice effectif dans le droit du pays d'accueil pouvait s'avérer totalement inefficace, l'intéressé pratiquant dans certains cas exclusivement le droit communautaire. Il a par ailleurs estimé que le maintien d'un test d'aptitude ne soulevait pas de difficulté de principe dès lors que sa pertinence pouvait toujours être contestée devant la Cour de justice des communautés européennes. Il a considéré qu'il était indispensable d'exiger à tout le moins un test portant sur la connaissance des règles déontologiques. Il a conclu en avouant sa perplexité.

Votre rapporteur a précisé qu'après avoir partagé les incertitudes exprimées par certains membres de la commission, il avait finalement souscrit à la position du barreau français dès lors qu'il y aurait un contrôle effectif sur l'activité de l'avocat pendant les trois années d'exercice sous le titre d'origine.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souhaité que l'examen de la proposition de loi soit renvoyé à huitaine, afin qu'il puisse prendre connaissance des travaux de la commission juridique du Parlement européen.

Votre rapporteur a précisé que le Parlement européen devant examiner la proposition de directive à la fin du mois de juin, il était préférable d'adopter sans tarder une résolution, d'autant qu'il avait largement explicité les propositions de la commission juridique.

La commission a tout d'abord refusé de reporter à huitaine le vote de la proposition de loi.

Elle a ensuite décidé de recommander la suppression du test d'aptitude sous réserve que les propositions du rapporteur relatives à la période d'exercice transitoire soient effectivement retenues.

A la demande du président Jacques Larché, elle a souhaité rappeler que l'avocat communautaire était soumis, dans l'État d'accueil, au respect des règles de celui-ci, y compris, le cas échéant, la postulation.

Enfin, après les observations de M. Maurice Ulrich sur le poids politique des résolutions adressées au Gouvernement, elle a adopté la proposition de résolution présentée par son rapporteur.

C. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La proposition de résolution adoptée par votre commission des Lois a été modifiée et complétée par rapport à la proposition initiale afin de réagir aux amendements de la commission juridique du Parlement européen.

1. Le choix de l'assimilation

a) la proposition de directive constitue une avancée certaine

La proposition de directive consacre trois principes fondamentaux de tout exercice cohérent et concurrentiel dans un État membre d'accueil :

- l'inscription obligatoire auprès de l'État d'accueil,

- l'application des règles professionnelles et déontologiques de cet État,

- l'exercice du contrôle disciplinaire par celui-ci et celui-ci seul.

Pour ce motif, les auteurs de la proposition de résolution comme votre commission des Lois en recommandent l' adoption rapide afin de supprimer les situations actuelles d'exercice quasi-clandestin qui ne sont pas satisfaisantes et de rendre enfin effective la liberté d'établissement.

b) le caractère temporaire de l'exercice sous le titre d'origine doit être maintenu

La proposition initiale de directive respectait le principe assimilationniste qui préside à la liberté d'établissement depuis le traité de Rome en prévoyant que l'exercice sous le titre d'origine ne serait que transitoire et que l'objectif était l'intégration à la profession de l'État d'accueil.

Les amendements de la commission juridique du Parlement européen tendent à mettre en cause cette logique et à organiser la coexistence, sur le territoire de chaque État membre, d'autant de statuts différents qu'il y a d'États dans l'Union.

Pour prévenir cette situation, votre commission des Lois invite le Gouvernement français à agir au sein du Conseil afin que l'objectif assimilationniste initial de la directive soit préservé.

Elle propose en outre de reprendre, pour la période transitoire, les

suggestions de la proposition de résolution initiale, c'est-à-dire la réduction à trois ans de la durée de cette période.

2. Préciser les modalités de l'exercice sous le titre d'origine

a) le rappel des conditions d'exercice de l'État d'accueil

Votre commission des Lois souhaite rappeler que l'avocat communautaire exerçant sous son titre d'origine est tenu de respecter les règles d'exercice de la profession dans l'État d'accueil, y compris, notamment en France, l'obligation de postulation.

b) la suppression du test d'aptitude : l'intégration comme droit

Que l'exercice sous le titre d'origine soit finalement autorisé pour une durée limitée ou sans limitation dans le temps, votre commission des Lois recommande la suppression du test d'aptitude pour l'intégration dans la profession de l'État d'accueil.

Les pratiques restrictives constatées en matière d'application de la directive sur l'équivalence des diplômes montrent en effet que la liberté d'établissement ne serait pas effective si un test était maintenu.

Les propositions formulées par la commission juridique du Parlement européen vont d'ailleurs heureusement en ce sens. Il conviendrait simplement d'en modifier la rédaction sur un point pour faire clairement apparaître que l'intégration dans la profession de l'État d'accueil est un droit.

c) l'obligation d'agir de concert avec un avocat local

La commission des lois recommande en outre que soit prévue l'obligation d'agir de concert avec un avocat du barreau d'accueil en cas d'exercice sous le titre d'origine. Il convient en effet de protéger les justiciables locaux dans les mêmes conditions que celles prévues par la directive libre prestation de services.

d) le double titre

Afin d'assurer une bonne information du public et comme l'Assemblée nationale l'a suggéré dans la résolution qu'elle a adoptée le 26 novembre 1995 sur la proposition de directive, votre commission des Lois recommande que l'exercice précédant l'intégration s'effectue sous le double titre, celui de l'État d'origine et celui de l'État d'accueil.

3. Préserver l'indépendance

La commission des Lois souhaite mettre tout particulièrement l'accent sur la nécessité d'assurer l'indépendance de l'avocat, c'est pourquoi elle se réjouit des précisions et adjonctions proposées par la commission juridique du Parlement européen en cas d'exercice dans des structures interprofessionnelles. Elle incite le Gouvernement à y souscrire.

4. Prendre en compte la situation particulière des territoires d'outre-mer

Les directives sont assimilables à des conventions internationales et elles ne sont pas directement applicables en droit interne ; or, aux termes de la Constitution, seule la loi effectuant la transposition des directives dans notre droit interne doit être soumise à la consultation des assemblées territoriales lorsque la loi a vocation à s'appliquer dans les territoires. Il apparaît toutefois indispensable de clarifier la situation des TOM au regard de la liberté d'établissement, c'est pourquoi cette question a été longuement évoquée par votre commission des Lois lors de sa réunion du 5 juin 1996, sur le rapport de notre collègue M. Paul Masson, à l'occasion des travaux préparatoires à la révision de la décision d'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté européenne.

Votre commission des Lois se permet de renvoyer au rapport publié à la suite de cette réunion et de demander au Gouvernement de consulter sur ce point les assemblées territoriales.

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Votre commission des Lois a adopté le texte de la proposition de résolution reproduit ci-après :

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