II. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

L'élaboration de la proposition de directive a fait l'objet d'une très longue maturation dont elle ne constitue finalement pas le dernier état si l'on veut considérer la portée très significative des amendements proposés par la commission juridique du Parlement européen.

A. UNE ÉLABORATION LABORIEUSE

Depuis l'origine, les diverses délégations nationales composant le Conseil des barreaux de la Communauté européenne (CCBE) ont travaillé sur un projet de directive de nature à permettre, pour les avocats, la mise en oeuvre des principes de libre circulation définis par le Traité de Rome.


• En 1988, trois projets furent établis à la demande de la CCBE :

- un projet de type anglo-saxon d'établissement sous le titre d'origine,

- un projet de type continental, rédigé par la Délégation française, d'établissement avec inscription au barreau de l'État d'accueil et même capacité que les avocats de cet État,

- un projet intermédiaire établi par la Délégation allemande.


• Un projet fut finalement proposé à Dublin, en mai 1991, dont l'économie consistait à créer un « avocat enregistré » aux capacités réduites et un « avocat intégré » ayant les mêmes capacités que l'avocat du pays d'accueil, avec, dans l'un et l'autre cas, une inscription au barreau de l'État d'accueil et la soumission à sa déontologie, aux incapacités et aux incompatibilités. Ce projet fut repoussé, n'ayant obtenu que huit voix favorables, la France, l'Espagne et le Luxembourg votant contre.


• A la séance plénière de La Haye quelques mois plus tard, la Délégation française proposait un amendement tendant à limiter à trois ans la durée de l'enregistrement, l'avocat étant automatiquement intégré à l'issue de ce délai.

La Délégation allemande suggérait, pour sa part, de laisser à l'État d'accueil le choix entre la formule de l'avocat enregistré sans limite dans le temps et celle de l'avocat enregistré pour une durée limitée avec obligation d'intégration.


• De nouvelles propositions furent élaborées en mars 1992 par les barreaux de Paris et Barcelone « considérant que l'établissement implique, à plus ou moins long terme, l'intégration complète de l'avocat communautaire au sein du barreau d'accueil, avec le titre local et la plénitude de compétence qui en découle » .

Lors de la session plénière de Barcelone en mai 1992, un nombre significatif de délégations manifestèrent leur accord sur les principes suivants :

- recherche d'un seul système,

- attachement à ce que celui qui porte le titre du pays d'accueil ait une certaine connaissance du droit de ce pays, dans un but de protection du public,

- possibilité de combler le déficit de formation (au sens de la directive « diplôme ») par une période d'adaptation,

- éventuel test d'aptitude mais sans que celui-ci soit une barrière artificielle.


• En octobre 1992 à Lisbonne, un projet fut approuvé par dix délégations sur douze qui prévoyait :

- que l'avocat qui désire s'établir auprès d'un État membre doit s'inscrire auprès de l'autorité compétente de celui-ci,

- qu'il peut s'établir sous son titre d'origine et que si après trois ans d'exercice effectif et permanent dans l'État d'accueil il veut devenir avocat à part entière de cet État, l'autorité compétente, statuant sur sa demande d'admission dans le cadre de la directive 89/48, est tenue de le dispenser de la totalité ou d'une partie substantielle du test d'aptitude,

- qu'il est soumis aux mêmes obligations, règles professionnelles et déontologiques, incapacités et incompatibilités que les avocats de l'État membre d'accueil,

- enfin qu'il relève du contrôle déontologique de celui-ci.

La Délégation française soutenait ce texte tout en soulignant que le statut de l'avocat établi sous son titre d'origine ne pouvait être qu'un statut provisoire.


• Les disparités considérables constatées dans les tests d'aptitude devaient finalement conduire la France à dénoncer, en 1994, son vote de 1992 et à mettre l'accent sur la nécessité d' assurer l'unité territoriale de la profession d'avocat, autrement dit de ne pas faire coexister indéfiniment sur le territoire de chaque État membre autant de professions qu'il y a d'États membres.

B. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : FACILITER L'ÉTABLISSEMENT

Aux termes mêmes de son exposé des motifs, la proposition de directive entend définir « le cadre juridique permettant de rendre effectif le droit d'exercer la profession d'avocat, de façon permanente, ailleurs que dans l'État membre où l'on a acquis sa qualification » . Elle assouplit à cet effet les conditions d'insertion dans la profession de l'État d'accueil, améliore le fonctionnement des structures d'exercice en commun et garantit un meilleur service aux usagers du droit.

1. Le droit d'exercer temporairement sous le titre professionnel d'origine

La proposition de directive autorise les avocats communautaires à exercer leur profession, pendant une période maximale de cinq ans, dans un État membre autre que celui dans lequel ils ont acquis leur qualification.

Cet exercice est subordonné à quelques règles :

a) le même domaine d'activité que /'avocat national

L'avocat migrant exerce, sous son titre professionnel d'origine, formulé dans la langue ou l'une des langues de l'État d'origine, les mêmes activités que l'avocat exerçant sous le titre professionnel de l'État d'accueil. La réglementation de celui-ci peut en outre exiger que la mention de l'organisation professionnelle d'origine ou de l'État d'origine figure après le titre professionnel.

Cet avocat a le droit de représenter et de défendre son client en justice, sous réserve, le cas échéant, d'agir de concert avec un avocat local. Cette disposition constitue la simple reprise d'une règle applicable en matière de libre prestation de services dont la mise en oeuvre, rappelons-le, est subordonnée au choix de l'État d'accueil.

b) l'inscription auprès du barreau d'accueil

Inscrits auprès des barreaux du pays d'accueil, ces professionnels sont soumis aux obligations, règles professionnelles et déontologiques applicables aux professionnels de cet État. Ils doivent par ailleurs bénéficier d'une représentation dans les organes professionnels des avocats de l'État membre d'accueil. Enfin, ils peuvent être soumis à une obligation d' assurance par la réglementation de cet État, garantissant le cas échéant un complément de couverture si celle que prévoit l'État d'origine n'est pas équivalente à celle exigée dans l'État d'accueil.

Pour ce qui concerne la discipline afférente à l'activité exercée dans l'État membre d'accueil, la décision relève de l'autorité professionnelle de celui-ci, l'autorité compétente de l'État membre d'origine pouvant en tirer les conséquences.

En cas de retrait temporaire ou définitif de l'autorisation d'exercer la profession par l'État membre d'origine, la même interdiction pèse de plein droit sur l'activité dans l'État membre d'accueil ainsi que le prévoit d'ores et déjà la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de prestation de services.

c) un exercice temporaire sous lFRAD077_188E17e titre professionnel d'origine

L'établissement dans l'État d'accueil sous le titre d'origine est limité à cinq ans ; autrement dit, à l'expiration de ce délai et si l'intéressé ne demande pas son intégration dans la profession de l'État d'accueil, il doit cesser son activité dans cet État (sous réserve de la libre prestation de services).

2. Un intégration définitive dans la profession de l'État d'accueil

L'article 10 de la proposition de directive dispose qu'après trois ans d'un exercice effectif et permanent dans le droit de l'État membre d'accueil, y compris dans le droit communautaire, l'avocat peut accéder de plein droit à la profession dudit État. Si l'intéressé n'a pas exercé son activité dans le droit de l'État d'accueil, il peut être soumis à une épreuve d'aptitude mais limitée à la procédure et à la déontologie.

Cet article pose donc le principe de l'assimilation à l'avocat de l'État d'accueil.

3. L'encadrement de l'exercice en groupe

L'article 11 de la proposition de directive traite de l'exercice en groupe par des avocats établis temporairement sous leur titre professionnel d'origine ; il en résulte que les avocats qui souhaitent exercer en groupe disposent de trois formules leur permettant d'exercer :

- soit sous leur titre d'origine en créant des succursales ou des agences dans l'État membre d'accueil ;

- soit en constituant, entre avocats d'un même État d'origine, une structure d'exercice collectif dans l'État membre d'accueil qui devra respecter le droit national de celui-ci en matière d'exercice en groupe ;

- soit en créant, entre avocats venant de différents États d'origine, un cabinet multinational associant éventuellement des avocats de l'État d'accueil.

-La proposition de directive entend en outre garantir le respect du principe d'indépendance de l'avocat et autorise en conséquence l'État d'accueil qui n'admet pas l'exercice interdisciplinaire de ses nationaux à s'opposer à l'établissement d'avocats communautaires exerçant dans leur État d'origine au sein de structures pluri-professionnelles dans lesquelles le pouvoir de décision n'appartient pas majoritairement à des avocats.

C. LE TEXTE AMENDÉ PAR LA COMMISSION JURIDIQUE DU PARLEMENT EUROPÉEN

L'adoption de la directive étant soumise à la procédure de codécision, la commission juridique du Parlement européen a rendu ses conclusions le 25 avril 1996, sur le rapport de Madame Nicole Fontaine.

Le texte amendé, dont l'élaboration a pris plus d'un an, traduit un souci de compromis entre les positions anglaise et allemande, d'une part, et française de l'autre. De ce fait, il apporte des modifications substantielles aux principes et aux modalités retenus par la Commission.

1. L'exercice permanent sous le titre d'origine

Les amendements tendent à supprimer la période transitoire d'exercice sous le titre d'origine et à ouvrir à l'avocat migrant le choix entre exercer dans l'État d'accueil sous ce titre et demander à être intégré à la profession de l'État d'accueil pour exercer sous le titre de celle-ci.

Cette solution rompt avec le principe d'assimilation au national et conduirait, si elle était retenue, à faire coexister dans tous les États membres autant de professions d'avocat qu'il y a d'États membres.

2. Une intégration facultative sous réserve d'une activité régulière de trois ans dans l'État d'accueil

Le texte adopté par la commission juridique préfère à l'exigence d'une activité « effective et permanente » de trois ans dans le droit de l'État d'accueil, y compris le droit communautaire, celle d'une activité « régulière » dans ce droit, critère qui permet à l'avocat d'exercer auprès de plusieurs barreaux. Cette activité serait appréciée notamment au vu des documents sur les affaires traitées par l'intéressé avec un entretien éventuel dans le but de vérifier ces informations.

La commission juridique précise en outre que sont également prises en compte toute connaissance et expérience professionnelle en droit de l'État membre d'accueil ainsi que la participation à des cours ou à des séminaires portant sur ce droit, y compris le droit professionnel et la déontologie.

L' épreuve d'aptitude étant supprimée , l'intégration se fait de plein droit dès lors que la condition d'activité est remplie, sous réserve de considérations tirées de l' ordre public , « notamment en cas de poursuites disciplinaires, plaintes ou incidents de toute nature » .

3. Des précisions sur l'exercice en groupe

Le rapport de la commission juridique précise les critères d'appréciation du contrôle en fait ou en droit des structures d'exercice interprofessionnelles par des non-avocats. Le texte proposé retient trois critères dont un seul suffit à établir le contrôle par des non avocats :

- la détention majoritaire du capital,

- la dénomination d'exercice,

- le pouvoir de décision.

Il considère en outre que l'incompatibilité entre les règles régissant un tel groupe et les règles en vigueur dans l'État d'accueil justifie que celui-ci interdise l'ouverture d'une succursale ou d'une agence sur son territoire.

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