C. LE REFUS « D'UNE EUROPE BLEUE SANS PÊCHEURS

Le projet de loi sur la pêche maritime et les cultures marines a sans aucun doute une dimension européenne, intervenant à un moment crucial des négociations européennes sur la Politique commune de la pêche, et notamment sur son volet structurel à travers le POP IV.

Les totaux admissibles de capture (TAC), les quotas nationaux qui en découlent, les mesures techniques (maillages, tailles minimales, etc...), la capacité de capture (POP), les conditions d'accès à la ressource communautaire et à celle des pays tiers (licences), la politique des marchés (prix de retrait) comme celle des structures (subventions) sont autant de strates mis en place par l'Union européenne.

Alors qu'un objectif conséquent de réduction de la flottille de pêche artisanale a été avancé par la Commission, ce projet de loi vient consacrer l'importance de ce secteur économique en France en lui donnant de nouveaux moyens pour affronter la concurrence internationale.

Sans pouvoir mieux organiser la pêche au niveau communautaire, -ce qui devrait être la mission essentielle des instances européennes- ce texte propose une vision d'ensemble du secteur pour les dix années à venir. Il apparaît donc comme un signal clair et déterminé de la position française en faveur du secteur de la pêche maritime et des cultures marines en direction de la Commission européenne.

La politique commune de la pêche, souffre, en effet d'un certain nombre d'insuffisance.

1. Un volet structurel discutable

a) La position de la Commission

La négociation sur le POP IV a commencé au Conseil Pêche du 22 avril 1996. Elle est supposée s'achever avant le 31 décembre 1996, date d'expiration du POP III, après que le Conseil arrête la décision qui en détermine les grandes lignes et que la Commission adopte, en relation avec chaque État membre, le programme spécifique à chacun d'entre eux.

La Commission a proposé au Conseil l'adoption d'une décision de réduction très importante des flottes de pêche. Elle s'est heurtée à l'opposition de la plupart des États membres.

Ce POP doit s'appuyer sur l'aide d'un groupe scientifique indépendants, une synthèse des consultations de professionnels de la pêche, des orientations retenues par le Conseil des ministres, et le résultat des travaux de la commission qui arrêtera à la fin de 1996 le nombre de navires de pêches par État.

Afin d'enrayer la raréfaction de la ressource, la Commission tente d'agir à la fois sur l'activité par le mécanisme des efforts de pêche et sur la capacité de pêche, en proposant une restructuration des flottilles.

Pour Mme Emma Bonino, Commissaire européen, le POP IV représente une opportunité pour réduire la flotte qui pourrait assurer sa restructuration et non son déclin. Une flotte moins pléthorique doit permettre aux pêcheurs européens d'accroître leur compétitivité pour répondre à la concurrence grandissante des pays tiers.

En contrepartie de ces efforts pour la période 1994/1999, 3 milliards d'écus prélevés sur les fonds structurels seront mis à la disposition des États membres par l'Union européenne.

L'ensemble des aides communautaires structurelles au secteur représente aujourd'hui sur la période 1994-1999 la somme de 2,8 milliards d'écus pour la totalité des quinze États-membres de l'Union, dont 1.3 milliards d'écus pour la flotte. Ramenées à chacun des 300.000 marins environ dénombrés dans la Communauté, ces aides représentent près de 30.000 Francs par homme sur la période considérée.

b) Le Conseil des ministres du mois d'octobre 1996

Les ministres chargés de la Pêche, lors du dernier Conseil, en date du 14 octobre ont fait front -à l'exception de ceux du Danemark et dans une moindre mesure, de l'Allemagne- contre les propositions de la Commission européenne de réduction des flottes pour la période 1997-2002 renvoyant le problème à des entretiens bilatéraux entre chaque État et la Commission, pour que celle-ci puisse présenter des propositions détaillées pour le prochain conseil pêche du 22 novembre.

Le commissaire européen à la pêche, Mme Emma Bonino avait pourtant bien pris soin, ces dernières semaines, d'expliquer que l'objectif de réduction de 40 % des prises fixé pour cette période chez les espèces les plus menacées (cabillaud, églefin, merlu, sardine, saumon de la Baltique) ne se traduirait pas par un taux de « casse équivalent (cf. annexe n° 5), un chiffre de 30 % étant proposé pour les poissons plats et une réduction de 12 % pour les espèces dites en équilibre, à l'exception du thon tropical et des espèces profondes (annexe n° 6).

En fait, selon les calculs des experts de la Commission, si l'on tient compte de mesures de réduction d'activité (moins de jour en mer) et de protection des ressources, le taux correspondant de mise hors service des flottes serait de 15 %, soit 2,5 % par an.

Pour les espèces se défendant mieux, cette réduction serait encore inférieure. De plus, la Commission propose aussi d'exempter la « petite flotte côtière , moins prédatrice et plus pourvoyeuse en emplois. Elle considère toutefois que cette notion est uniquement valable pour les navires de moins de sept mètres, alors que les États membres mettent la barre beaucoup plus haut (14 mètres par exemple pour la Grèce et l'Espagne).

Fort de la réduction de 10 % de sa flotte de pêche pendant cette période, la France, estime qu'il lui est difficile d'aller au-delà sans menacer l'équilibre de certaines régions côtières.

2. Une approche scientifique intéressante, mais jugée trop schématique

a) Le rapport Lassen

Pour préparer sa proposition, la Commission a sollicité l'avis d'un comité scientifique, dont les recommandations sont connues sous l'appellation de rapport Lassen, du nom de son président. Le rapport, à partir d'une compilation des données disponibles sur l'état de stocks faisant l'objet d'un suivi scientifique, conclut à la nécessité de réduire la mortalité par pêche de façon spectaculaire (30 à 40 % en 6 ans) sur la plupart des stocks en question.

Bien entendu les diagnostics donnés dans ce rapport sont plus ou moins fiables suivant que les stocks ou groupes de stocks analysés sont :

- scientifiquement suivis selon une approche analytique solidement argumentée par des séries historiques fiables ; en général leur exploitation est alors gérée par TAC.

- moins bien suivis quand pris individuellement parce que moins fragilisés par l'exploitation ou plus difficiles à analyser en termes d'impact de l'exploitation sur leur état, ou quantitativement moins importants. En général, il s'agit de ressources côtières, à plus forte variabilité interannuelle d'abondance ou de disponibilité. Leur exploitation est alors gérée soit par des TAC de précaution, soit par des mesures de natures différentes (licences, cantonnements, ...).

La difficulté de l'exercice auquel s'est livré le groupe d'experts a résidé dans la confrontation entre l'état d'exploitation des ressources et l'activité des flottilles. Il est évident, macro économiquement, à l'échelle de l'Europe, que la capacité de capture est supérieure aux capacités de production biologique de la ressource, et que c'est sur ce front que, globalement, il convient d'agir dans un double souci de pérennisation de la ressource et de recherche d'une optimisation de l'investissement. On ne se trompe certainement pas d'ordre de grandeur si on fait le pronostic que, à long terme, si on diminuait de moitié la pression par pêche sur le stock de morue de la mer du nord (tous métiers confondus), les débarquements pourraient être doublés (avec les effets induits sur le coût de revient de la tonne débarquée). Un discours semblable pourrait être tenu concernant les stocks de merlus Sud et, dans une moindre mesure, Nord - tous métiers confondus.

b) La position française

Mais ce raisonnement ne peut être généralisé à l'ensemble des stocks ; c'est la conclusion que tire la France après un essai d'application à ses flottes de pêche des propositions que la Commission tire de son interprétation des recommandations du groupe d'experts.

En effet, conditionnée par des impératifs de rentabilité, la tendance naturelle d'évolution de la composition de la flotte française démontre un désengagement progressif de sa participation à l'exploitation des ressources traditionnelles les plus menacées, et un intérêt croissant pour des pêches « opportunistes ciblées sur les stocks classés par le rapport Lassen dans la deuxième catégorie :

- quasi disparition de la flotte spécialisée de chalutiers de grande pêche ;

- diminution continue des chalutiers semi-industriels ;

- stagnation des chalutiers côtiers spécialisés ;

- développement des fileyeurs et des navires artisans hauturiers polyvalents.

Cette évolution se traduit par un double constat :

- un certain nombre de quotas attribués à la France ne sont pas atteints dans des proportions qui parfois, en ce qui la concerne, dépassent les recommandations de diminutions préconisées à terme par le groupe d'experts ;

- une proportion croissante des captures des flottilles les plus performantes repose sur des stocks de la deuxième catégorie auxquels ne s'appliquent pas les objectifs de diminution des mortalités par pêche préconisés dans le rapport des experts.

Dans un tel contexte, on peut comprendre la difficulté pour la France de suivre les lignes proposées par la Commission.

La Commission se fonde sur ces indications pour demander une réduction de même niveau de l'importance des flottes de pêche des États membres qui exploitent ces stocks.

Il est incontestable que de nombreux stocks de pêche son surexploités, notamment ceux qui intéressent les flottes de plusieurs États membres.

En revanche, de nombreuses ressources, moins communément pêchées, ne sont pas soumises à une telle surexploitation. Elles constituent une part très significative des captures des navires français (entre 40 % et 80 %). Or, elles ne sont pas prises en compte dans le rapport scientifique et, donc, dans la proposition de la Commission.

La France ne conteste pas la validité des recommandations du rapport Lassen. Elle réfute néanmoins les tendances à l'extrapolation qu'en fait jusqu'à présent la Commission pour généraliser de telles conclusions à une politique de réduction opposable à tous les navires de pêche. Elle conteste également que la Commission transpose l'impératif de réduction de la mortalité par pêche en un coefficient de réduction du volume des flottes de pêche de niveau identique, sans tenir compte de mesures alternatives de réduction de l'effort de pêche qui peuvent aboutir à un effet analogue sur les ressources menacées.

La France estime par ailleurs que la proposition de la Commission ne répond pas à des questions essentielles, à savoir :

- la nécessité de conserver un niveau de flotte suffisant pour permettre à l'État membre de continuer à capturer les quotas de pêche dont il dispose ;

- la nécessité de ne pas opérer de discrimination entre les États membres, discrimination qui découlerait de l'application de taux de réduction des flottes identiques, que ceux-ci sous-exploitent ou surexploitent leurs quotas ;

- la nécessité, surtout, de tenir compte des captures d'espèces hors quotas dans les objectifs nationaux de réduction ;

- la nécessité de prendre en compte a priori dans la définition des objectifs de réduction des flottilles l'effet de toutes les mesures nationales de réduction de l'effort de pêche qui viennent limiter l'impact des flottilles sur la ressource.

3. Une organisation commune de marché quasiment inexistante

Votre rapporteur a pu constater, lors de ces auditions, qu'une masse de règlements communautaires existait sur la ressource mais, par contre, qu'un tout petit nombre de textes en matière de régulation des marchés a été pris.

L'OCM « pêche s'inscrit en effet dans une simple perspective de stabilisation des marchés. Elle ne représente que 26 millions d'écus des sommes consacrées par la Communauté au soutien des marchés agricoles.

Ce manque d'ambition de l'OCM « pêche se ressent tant au niveau interne qu'externe.

a) L'insuffisance des mécanismes internes

En effet, les mécanismes internes de l'OCM « Pêche -décrits au chapitre précédent- n'ont pas l'effet stabilisateur qu'on pourrait attendre sur les cours du poisson. Par ailleurs, l'expérience des années de crise vécues par le secteur de la pêche ont permis d'arriver à un constat d'incohérence portant sur l'un des aspects fondamentaux de l'OCM « Pêche : la faculté pour une organisation de producteurs reconnue d'appliquer ou non les prix de retrait communautaires.

La France a appelé l'attention de la Commission européenne et du Conseil des ministres de la pêche sur cette question en faisant valoir que le seul remède, en la circonstance, lui paraissait être le fait de subordonner réglementairement la reconnaissance d'une organisation de producteurs au respect des prix de retrait communautaires.

La Commission doit d'ici la fin de l'année 1996 présenter au Conseil un rapport sur cette question et, de manière plus générale, sur le rôle actuel des organisations de producteurs et les perspectives envisageables.

b) La carence du régime externe

L'OCM a deux séries de conséquences :

- la très grande libéralisation des échanges des produits de la mer : plus des deux tiers des importations de produits de la mer sur le territoire communautaire s'effectuent en exonération totale ou partielle de droits de douane.

Cette orientation répond certes à la nécessité d'approvisionner un marché structurellement déficitaire. Elle s'inscrit également dans le contexte plus large de la politique d'association et de coopération de l'Union.

- la faiblesse des mécanismes de sauvegarde prévus par l'OCM « pêche : ceux-ci sont encadrés par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui rendent exceptionnelle leur mise en oeuvre.

En particulier, le mécanisme des prix minima à l'importation qui peuvent être imposés dans des conditions de crise grave est d'une utilité limitée en raison du faible niveau réglementaire de ces prix (le prix de retrait) et des difficultés du contrôle d'un tel dispositif dans le cadre du marché unique.

Le projet de loi soumis à votre commission ne peut pas régler à lui seul les carences de la Communauté européenne en matière de politique de marché. Cependant il tente, au niveau national, d'organiser au mieux la filière de la pêche et des cultures marines ; en cela, il peut être considéré comme un exemple pour l'Europe.

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