II. LES CONDITIONS DU SUCCÈS DE LA NOUVELLE PROGRAMMATION

La réussite n'est pas acquise d'avance. La programmation, en effet, place un contenu ambitieux - sollicitant aussi bien le titre III par la professionnalisation des armées, que le titre V par la poursuite de la plupart des programmes déjà engagés - dans une armature financière beaucoup plus étroite que la précédente programmation.

D'où la nécessité d'examiner quelques unes des conditions qui nous paraissent indispensables pour que la nouvelle continuité ne soit pas compromise dès son départ.

1. Le respect des annuités de la programmation et des budgets votés

La logique première de la programmation exige que le montant de chaque budget annuel doit coïncider exactement avec les crédits prévus pour l'annuité de programmation correspondante et que l'exécution de ce budget ne soit pas en retrait par rapport à ces crédits.

Il est donc indispensable que les pratiques antérieures de régulation budgétaire soient abandonnées. Sur ce point nous ne pouvons que souscrire aux termes de la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995 selon laquelle : « les modalités de la régulation budgétaire seront revues afin de réduire les aléas qui hypothèquent une bonne gestion » .

Sans cette première et nécessaire condition, la crédibilité de la programmation et la pérennité de la compétitivité de notre industrie d'armement se trouveront d'emblée entamées. Il convient donc de se féliciter de rengagement réitéré du chef de l'État sur le montant des crédits programmés.

2. La maîtrise du coût des programmes

L'équilibre général de la programmation et, à partir de 2002, de la planification repose sur une diminution, sur les six années de la programmation, des coûts et des délais de réalisation des programmes telle qu'elle atteigne 30 % enfin de programmation.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs moyens ont été prévus par le ministère de la Défense :


réorganisation de la Délégation générale pour l'armement, réduction de ses coûts, management par objectifs, mise en oeuvre d'un contrôle de gestion, gestion plus parcimonieuse des moyens d'essais ;


• conduite optimale de la gestion des programmes ; délais réduits, association étroite des industriels et des états-majors à la gestion des programmes ;


• allégement et modernisation du contrôle des prix pratiqué par la Délégation générale pour l'armement ;


• accroissement de la compétitivité des entreprises industrielles, réduction de leurs coûts et de leurs frais fixes ;


• révision des spécifications et détermination des spécifications optimales en fonction de leurs coûts et des besoins opérationnels à satisfaire ; stabilité, voire intangibilité des spécifications après la conclusion du contrat de réalisation ;


• recours systématique aux normes, aux standards et aux technologies civils ;


• gestion commerciale des achats par la Délégation générale pour l'armement ; regroupement des commandes et commandes pluriannuelles ; recours à la mise en concurrence, y compris au plan international, dès lors que les matériels concernés n'ont pas de caractère stratégique.

D'ores et déjà, diverses mesures ont d'ailleurs été prises en ce sens.

Ainsi, deux arrêtés interministériels ont établi un nouveau régime de détermination et de contrôle des prix dans le domaine aéronautique et spatial (arrêté du 5 mars 1996) et dans celui des télécommunications et de l'industrie électronique (arrêté du 2 mai 1996). L'économie générale du nouveau système est d'utiliser directement les données de la comptabilité des entreprises et de leurs sous-traitants pour contester les coûts de production et de forfaitiser les frais généraux et ceux liés à la gestion des achats.

Les modalités d'application de ces arrêtés suscitent toutefois, encore, quelques difficultés dans les négociations entre l'administration et les industriels, notamment en ce qui concerne la rémunération des frais d'approvisionnement, difficultés qui peuvent conduire les grandes entreprises à rapatrier les commandes qu'ils placent actuellement auprès de P.M.E. sous-traitantes.

Par ailleurs, le suivi financier des programmes doit être amélioré par la mise au point d'un nouveau système d'informations financières. Celui-ci est destiné en particulier à recueillir plus rapidement, au niveau central, les informations comptables et de trésorerie, et au plan local à réaliser un « nouveau suivi local » (NSL) reliant les ordonnateurs secondaires et l'administration centrale.

En outre le changement des méthodes de conduite de programme doit associer plus étroitement et plus continûment les états-majors, les services de la Délégation générale pour l'armement et les industriels ; des équipes de programmes réunissant tous les partenaires concernés doivent ainsi être créées. La réorganisation de la Délégation générale pour l'armement traduit ces changements de méthodes puisqu'elle repose, notamment, sur la création de directions de programmes chargées de la conduite des programmes en liaison constante avec les armées et les industriels : la direction des systèmes de forces et de la prospective sera chargée de la recherche, des développements technologiques communs, de la préparation et de la cohérence des programmes, la direction des systèmes d'armes aura pour mission, en avant de la direction précédente, de réaliser les programmes, la direction des programmes s'occupant pour sa part du suivi des méthodes et de la gestion financière.

L'amélioration de la conduite des programmes appelle toutefois un effort considérable. Le Comité des prix de revient des fabrications d'armement (CPRA) où votre Rapporteur représentait votre Assemblée jusqu'à une date récente a, du reste, exprimé dans son dernier rapport d'ensemble diverses observations critiques sur la conduite et le déroulement des programmes d'armement. Ainsi en est-il :


• des modifications apportées à des programmes sans qu'il apparaisse toujours que ces modifications aient été clairement voulues au niveau ministériel et que leurs conséquences financières aient été clairement mesurées ;


• des modifications rendues nécessaires par l'insuffisance d'une analyse préalable des besoins ou par une définition initialement trop ambitieuse des spécifications techniques ;


• d'un manque de coopération inter-armées et inter-ministérielle ;


• d'une maîtrise d'ouvrage parfois insuffisante pour permettre à l'État d'assurer une réalisation cohérente des programmes.

Ces observations dictent donc autant de redressements et d'améliorations dans les méthodes et les pratiques.

Par ailleurs, on peut attendre de la restructuration en cours des industries d'armement, une amélioration de leur capacité à maîtriser, dans tous leurs paramètres, y compris financiers, la réalisation de systèmes de taille importante, de leur adaptabilité aux aléas de la conjoncture, et de leur compétitivité par rapport à nos concurrents étrangers.

La création d'une entreprise commune DASSAULT-AÉROSPATIALE d'ici l'été 1997 franchit, en ce moment, une première étape, sur la définition des principes sur lesquels peut se réaliser cette création.

Quant à la privatisation de THOMSON S.A., elle va conduire, dans le domaine essentiel et sensible de l'électronique de défense, à un regroupement avec une entreprise déjà fortement engagée dans les activités industrielles de défense, souvent de façon complémentaire aux activités de THOMSON-CSF.

3. La construction d'une Europe de l'armement

C'est là une orientation forte de la nouvelle programmation : entre 1996 et 2002 les programmes menés en coopération européenne, et plus particulièrement, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie verront leurs crédits plus que doubler.

Mais si la coopération européenne s'impose comme une évidence, elle est encore relativement limitée puisqu'elle ne mobilise que 16 % des crédits d'équipement. Sa mise en oeuvre, il est vrai, est plus complexe que celle d'un programme purement national. Elle réunit des acteurs plus nombreux, États et industriels. Elle peut être inspirée par des motivations hétérogènes (politiques, financières, techniques selon les cas). Elle implique la convergence des besoins opérationnels et techniques, des moyens industriels et financiers au moment voulu. Elle doit faire appel à des procédés prenant en compte la spécificité d'opérations internationales. En outre, une difficulté particulière est due à la conjoncture générale d'amoindrissement des budgets d'équipement qui peut conduire à réserver les crédits nationaux aux industries nationales ou à renoncer à certains programmes plutôt qu'à favoriser les coopérations en tant que facteur de réductions de coût. La restructuration, en cours, de notre industrie de défense peut tenir, en outre, nos partenaires éventuels dans l'expectative. C'est sans doute ce qui explique le piétinement des discussions entre l'AÉROSPATIALE et DAIMLER-BENZ-DASA.

Cela étant, outre la démarche résolument européenne de la programmation, la création d'une Agence de l'armement, à noyau franco-allemand mais ouverte à d'autres États et qui s'est tout récemment ouverte au Royaume-Uni et à l'Italie, marque également des progrès dans la voie du rapprochement industriel européen.

Mais d'autres progrès, peut-être moins spectaculaires, peuvent être attendus d'une harmonisation des réglementations, notamment en matière d'exportation et de confidentialité. Et la vigilance s'impose pour éviter qu'à travers l'OTAN ne se développe un espace transatlantique au détriment de l'espace européen, tout comme elle s'impose face à certaines initiatives de la Commission pour soumettre aux directives de Bruxelles les marchés publics d'armement. L'exemple de l'électronique grand public montre que de telles tentatives risquent, en fait, de faciliter la pénétration des industriels américains sur le marché européen.

C'est, en effet, sur un véritable marché européen que se trouveront réunies des conditions comparables à celles dont bénéficie l'industrie américaine dont le vaste marché national est, de surcroît, fortement protégé.

4. Le développement des marchés à l'exportation

»Le marché européen de l'armement représente, en termes de demandes, moins de la moitié du marché américain ; les crédits pour les dépenses d'équipement militaires en 1996, atteignent près de 400 milliards de francs aux États-Unis ; pour les quatre principaux pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie) elles n'atteignent que 185 milliards de francs.

La présence sur le marché international s'impose donc encore plus pour l'Europe que pour les États-Unis.

Or ceux-ci, on le sait, premier pays exportateur, montrent une agressivité accrue pour surclasser tous leurs compétiteurs. Les résultats sont, du reste, spectaculaires puisque de 1981 à 1993, la part des États-Unis dans les exportations d'armement est passée de 15 à 50 %. Au « forcing » des États-Unis notamment sous couvert de l'OTAN et des exigences d'« interopérabilité » et à leur « dumping », facilité par le cours du dollar et la longueur des séries produites, s'ajoute, en outre, le « bradage » des équipements de l'armée ex-soviétique. Notre pays, malgré quelques belles opérations (vente de MIRAGE.2000-5 à Taïwan ou de chars LECLERC aux Emirats arabes unis, opération dont la gestion financière a par la suite été malheureusement, désastreuse) accuse ainsi un recul sensible de son commerce extérieur des armes ; si la balance reste excédentaire, le solde positif est passé de 34 milliards de francs en 1986 à 7,2 milliards de francs en 1995.

Plus que des difficultés conjoncturelles, cette situation traduit sans doute une mutation structurelle ; le plan de développement des exportations d'armement, annoncé par le ministre de la Défense, devra tenir compte de ce nouveau contexte.

5. Le maintien de l'équilibre entre le titre III et le titre V

Même si le budget en projet est préservé des mesures de régulation budgétaire, et s'il n'est pas d'emblée obéré par des reports de charges, autrement dit même si son montant est respecté, sa structure dans l'équilibre des deux titres majeurs, doit également l'être.

Or le titre III va subir le poids de la professionnalisation des armées et des mesures d'accompagnement social des restructurations ; il doit financer à la fois des départs suffisamment nombreux et des recrutements satisfaisants en nombre et en qualité ; il doit permettre de substituer à une ressource relativement peu onéreuse et stable, puisqu'assurée par la conscription, une ressource plus coûteuse et pour laquelle l'incitation, financière notamment, doit remplacer l'obligation.

Pèse, en outre, sur le titre III, l'essentiel du coût des opérations extérieures (4,12 milliards de francs sur un total de 5,4 milliards de francs en 1996). Or ce coût va peser encore davantage sur le budget de la Défense. En effet, les opérations en ex-Yougoslavie (coût 3,5 milliards de francs en 1996) qui sont appelées à se poursuivre en 1997 sont désormais menées au titre de l'OTAN, ne sont pas remboursées même partiellement comme l'étaient les opérations menées sous mandat de l'ONU. De surcroît le « collectif » ne viendra plus couvrir les dépenses des opérations extérieures. Toutes les opérations courantes seront désormais financées sous enveloppe budgétaire. Exceptionnellement certaines opérations - et sur décision du chef de l'État- pourront permettre une couverture par collectif.

Quel sera en 1997 le coût de ces opérations ? Quelles seront celles qui bénéficieront d'un financement supplémentaire ?

La pression exercée sur le titre V sera donc forte. On constate, du reste, que ce sont essentiellement les annulations sur le titre V qui ont gagé le surcoût des opérations extérieures.

Qu'en sera-t-il des évaluations quant au coût de la professionnalisation ? Les estimations financières sont-elles réalisées ? Permettront-elles de recruter suffisamment et la suffisance n'est pas seulement celle du nombre, elle est aussi celle de la qualité ?

Autant d'interrogations qui montrent que le projet de budget repose sur certains hypothèses qui restent à vérifier, fragilisant d'autant l'équilibre des crédits entre titre III et titre V et faisant pressentir des risques de « dérapage ».

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